Décision

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Girard-Jauvin c. Maibec inc.

2020 QCCS 485

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-HYACINTHE

 

 

 

N° :

750-17-003554-197

 

 

 

DATE :

17 février 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LOUIS-PAUL CULLEN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

FRANÇOIS GIRARD-JAUVIN

Et

MARIE CHARBONNIAUD

Demandeurs

c.

MAIBEC INC.

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]   Les demandeurs réclament le coût de remplacement du revêtement extérieur qui recouvre présentement leur résidence.

[2]   La défenderesse a fabriqué ce revêtement et nie toute responsabilité.

1.      LE CONTEXTE

[3]   Les demandeurs sont les propriétaires indivis d’une résidence construite à compter du mois d’octobre 2009 sur un terrain acheté la même année à Mont-Saint-Hilaire.

[4]   Ils choisissent, comme revêtement extérieur, un produit de bois torréfié que la défenderesse commercialise alors sous la marque « Thor », en planches de 1 po X 6 po, au fini brossé cède semi-transparent.

[5]   Ce produit répond aux aspirations esthétiques et fonctionnelles des demandeurs qui prennent connaissance, lors de la conception de leur projet, d’un dépliant publicitaire de la défenderesse[1].

[6]   Ce dépliant présente le lambris de bois torréfié Thor. Il inclut les représentations et garanties suivantes :

6.1.        «  (…) un produit stable et durable à l’apparence riche, chaleureuse et naturelle »[2].

6.2.         « Le bois torréfié :

une stabilité et une durabilité inégalées

La torréfaction est un procédé 100 % naturel qui consiste en un traitement prolongé à une très haute température qui procure une extraordinaire stabilité et durabilité au bois. (…) » [3].

6.3.        Son « fini brossé est disponible en trois teintes qui laissent voir le grain du bois. Exposé aux rayons UV, le bois torréfié aura tendance à pâlir légèrement durant les premières semaines, après quoi il conservera sa riche couleur »[4].

6.4.        L’un de ces finis illustrés est le « fini brossé, cèdre » [5].

6.5.        « Les teintures employées sont à base d’eau, ce qui minimise les émissions de composés organiques volatiles  pour l’environnement » [6].

6.6.        « Stable et durable naturellement

La pièce de bois torréfiée est traitée dans  son intégralité. Résultat?

Un produit stable offrant une durabilité inégalée. » [7].

6.7.        « Le lambris extérieur de bois torréfié Thor vous assure une totale tranquillité d’esprit pour des décennies à venir » [8].

6.8.        « GARANTIE

60 ANS contre la pourriture du bois

15 ANS sur la teinture opaque 2 couches + 15 ANS garantie prolongée »[9].

                                         (Le Tribunal souligne.)

[7]           En janvier 2010, l’entrepreneur chargé de la construction de la résidence des demandeurs achète 4 654 planches de lambris Thor afin de couvrir, tenant compte des pertes, une surface extérieure d’environ 3 441 pi2, ce que constate la facture numéro 6420615 de Matco de janvier 2010 au montant de 21 517,21 $[10].

[8]           En mars 2010, les demandeurs prennent possession de leur résidence.

[9]           L’entrepreneur ayant construit la résidence leur remet alors le guide d’installation du produit Thor[11].

[10]        Ce guide comporte les seules mentions suivantes relativement à son entretien :

Entretien

§  Comme pour tout revêtement extérieur, une accumulation de saleté peut se produire; celle-ci peut être due à différents facteurs tels que la végétation environnante ou les particules et polluants dans l’air.

§  Un nettoyage périodique peut être nécessaire. Nettoyez tout simplement à l’aide d’un boyau d’arrosage ou d’un nettoyeur doux pour ne pas endommager la teinture. N’utilisez pas de nettoyeur à pression. Communiquez avec nous pour plus de détails.

[11]        Quant à la garantie applicable au produit Thor, le guide d’installation du produit ne comporte que les seuls éléments suivants :

GARANTIE

60 ANS contre la pourriture du bois

                15 ANS sur la teinture opaque 2 couches + 15 ANS garantie prolongée 

[12]        En 2012, les demandeurs souhaitent agrandir leur résidence, entre autres, en faisant construire une véranda à l’arrière.

[13]        Au printemps, le demandeur constate cependant la complète dégradation de la teinture des moulures extérieures fabriquées par la défenderesse alors que le lambris Thor n’est aucunement détérioré.

[14]        Contrairement au lambris de la résidence, le bois des moulures n’est pas torréfié.

[15]        Les demandeurs informent de cette situation l’entrepreneur qui a construit leur résidence et ils déposent auprès de la défenderesse une réclamation à cet égard.

[16]        La défenderesse envoie un représentant sur les lieux. Il apprend au demandeur que la garantie applicable à la peinture du lambris Thor n’est que de trois ans.

[17]        Surpris, en date du 24 septembre 2012, sous la signature de Hughes Goulet, le demandeur obtient néanmoins de la défenderesse la confirmation que la garantie applicable « sur le fini » du « lambris » (Thor) est de 15 ans au même titre que la garantie applicable au fini des lambris recouverts de deux couches de teinture opaque[12] :

Monsieur Jauvin,

La présente est pour vous confirmer que la  garantie qui protège votre lambris de Maibec, acheté chez Matco le 18 janvier 2010, sur la facture 6420615 au montant total de 21517.21$, est de 60 ans contre la pourriture et de 15 ans sur le fini au même titre que les lambris avec 2 couches de teinture opaque.

[18]        Les demandeurs ne font pas remplacer les moulures fabriquées par la défenderesse, mais forts de cette confirmation, ils font construire leur véranda en 2012 avec un produit de la défenderesse au fini semi-opaque semblable au lambris Thor dont la production a toutefois cessé entretemps[13]

[19]        Par la suite, le demandeur continue d’examiner chaque année l’étanchéité du calfeutrage extérieur des fenêtres de la résidence afin de prévenir des infiltrations d’eau, ce qui lui permet également de remarquer l’état du lambris Thor.

[20]        Jusqu’à l’automne 2016, le demandeur ne constate rien d’anormal relativement au lambris et il ne le nettoie pas.

[21]        À l’automne 2016, il constate cependant l’apparition de nombreux décollements de la peinture qui le recouvre.

[22]        Ces décollements exposent directement au soleil le lambris dont la teinte rouge devient grise à ces endroits, les faces sud et est de la résidence étant les plus exposées[14].

[23]        En novembre 2016, le demandeur transmet une nouvelle réclamation à la défenderesse et complète le formulaire de la défenderesse prévu à cette fin[15].

[24]        Le 9 décembre 2016, Julie Morin, conseillère technique à l’emploi de la défenderesse, informe le demandeur qu’il a formulé sa réclamation « après la période couvrant la main-d’œuvre » (dont elle ne  précise pas la durée) et lui propose de régler cette réclamation par la fourniture de gallons de nettoyant et de teinture[16] :

(…)

Bien que Maibec offre une garantie sur la teinture non-opaque d’une période de 3 ans pour le produit que vous avez acheté en 2010, nous voulons honorer la garantie offerte dans la lettre du 24 septembre 2012 par Hughes Goulet.

Conformément à nos garanties sur la teinture opaque de 15 ans, nous vous fournirons le matériel nécessaire pour l’application d’une couche de teinture OPAQUE sur votre revêtement :

-       3 gallons de nettoyant

-       15 gallons de teinture opaque, de couleur à déterminé.

Ayant formulé votre réclamation après la période couvrant la main d’œuvre, Maibec n’est pas responsable de défrayer le coût des travaux.

Afin de vous offrir la bonne couleur de teinture, veuillez nous fournir le code de couleur désiré. Nous vous enverrons des échantillons à approuver. Dès réception de votre approbation, nous mettrons à votre disposition le matériel offert. Cette approbation constitue une reconnaissance de votre part que nous avons respecté intégralement nos garanties.

Par la même occasion, nous vous demandons de prendre connaissance du guide d’application de teinture ainsi que du guide d’entretien associé à notre garantie pour le lambris en pièces jointes. Il est important d’y porter une attention particulière, car pour une performance optimale, l’application de teinture doit être conforme à la procédure d’application de teinture Maibec.

(…)

                                                                                      (Le Tribunal souligne.)

[25]        Madame Morin transmet alors au demandeur des documents précisant la procédure d’application de la teinture opaque sur le lambris et le guide d’entretien du lambris « bois véritable »[17].

[26]        L’application de teinture opaque sur la totalité du lambris de la résidence constitue une opération d’envergure. De plus, cette procédure est visée par l’importante mise en garde suivante[18] :

Note : La teinture opaque de retouche vendue ou fournie par maibec n’est pas appropriée pour reteindre du lambris, du bardeau et des moulures ou pour teindre de grandes surfaces (patios, etc.) puisqu’elle n’est pas développée pour sécher à l’air comme une teinture régulière. Des problèmes majeurs de performance et d’apparence peuvent survenir avec un usage inapproprié de la teinture de retouche.

                                                                                      (Le Tribunal souligne.)

[27]        Les demandeurs n’acceptent pas cette proposition de la défenderesse, entre autres, parce que la teinture opaque leur semble complètement différente de la peinture semi-transparente appliquée au produit Thor acheté en 2010.

[28]        Ne trouvant pas d’entrepreneur disposé à effectuer les délicats travaux de nettoyage et d’application de teinture préconisés par Maibec, le demandeur demande à Daniel Turcotte, l’entrepreneur ayant construit sa résidence, de fournir une soumission pour remplacer le lambris Thor en totalité.

[29]        Le 25 août 2017, monsieur Turcotte signe une soumission au prix de 75 435 $, taxes en sus, pour le remplacement intégral du lambris Thor[19].

[30]        Le 7 novembre 2017, les demandeurs mettent en demeure la défenderesse[20]. Ils soulignent alors, entre autres, que le document transmis aux demandeurs en 2010 ne mentionne pas l’exclusion d’une garantie de la main-d’œuvre, que le lambris ne respecte pas la garantie légale de durée et ils offrent deux solutions pour régler le litige : l’exécution des travaux aux frais de la défenderesse avec prolongation de la garantie à compter de leur réalisation ou le remplacement du lambris par un lambris neuf aux frais de la défenderesse.

[31]        Le 17 novembre 2017, la défenderesse répond à la mise en demeure en réitérant son offre de fournir une teinture opaque sans défrayer le coût des travaux[21] :

(…)

La présente a pour but de confirmer la position de Maibec Inc. M. François Gauvin a acheté en janvier 2010, du revêtement Maibec extérieur de bois torréfié semi-transparent (non-opaque) fini brossé couleur cèdre. La garantie de ce produit est de 3 ans sur la teinture non opaque 2 couches. La garantie de 15 ans est pour les produits opaques. Vous trouverez ci-joint une copie des documents applicable à l’époque.

Bien que Maibec offre une garantie sur la teinture non-opaque d’une période de 3 ans pour le produit que votre client a acheté en 2010, nous voulons honorer la garantie offerte dans la lettre du 24 septembre 2012 par Hughes Goulet. Nous nous sommes engagé à fournir le matériel nécessaire pour l’application d’une couche de teinture OPAQUE sur le revêtement de votre client :

-       3 gallons de nettoyant

-       15 gallons de teinture opaque, de couleur à déterminé.

La main d’œuvre n’étant pas garantie sur ce produit, Maibec n’est pas responsable de défrayer le coût des travaux.

(…)

[32]        Les documents accompagnant la réponse de la défenderesse sont datés de mai[22] et de septembre 2009[23]. Ils indiquent que la garantie offerte par la défenderesse sur la teinture non-opaque 2 couches appliquée sur le lambris Thor est de trois ans, mais ils ne précisent pas que cette garantie exclut la main-d’œuvre.    

[33]        Au procès, madame Morin témoigne que le revêtement extérieur Thor en cause est un lambris torréfié enduit d’une teinture semi-transparente et non d’une teinture semi-opaque, l’enduit semi-transparent comptant moins de pigments que la teinture semi-opaque.

[34]        Elle ajoute que la défenderesse n’offrait aucune garantie sur la teinture semi-transparente jusqu’en avril 2009[24], lorsqu’elle commence à offrir une garantie de trois ans à l’égard du « pelage », des craquelures et de l’écaillement de cette teinture.

[35]        Madame Morin dépose également la pièce D-2 constituée d’extraits[25] non datés de manuels techniques de la défenderesse se rapportant au produit Thor (description du produit, guide d’installation et garanties) :

35.1.     Une garantie de trois ans y est mentionnée relativement à la teinture non-opaque 2 couches[26].

35.2.     La garantie de 15 ans, applicable à la teinture opaque 2 couches y est également précisée[27]: pendant cinq ans, elle couvre la fourniture de la teinture et de la main-d’œuvre nécessaire pour retoucher une surface endommagée et pendant les dix années suivantes, elle ne couvre que la fourniture de la teinture.

[36]        Le demandeur nie toutefois avoir pris connaissance du contenu de la pièce D-1 en 2009 ou 2010.

[37]        Il n’est pas établi que ce contenu ni celui des documents transmis par la défenderesse le 17 novembre 2017 à l’avocat des demandeurs ait été porté à leur connaissance en 2009 ou en 2010.

[38]        Enfin, madame Morin souligne que le revêtement V-Joint de la défenderesse ayant servi à construire la véranda des demandeurs porte le code « FF » (« Factory Finish ») qui se rapporte à une teinture opaque[28].

[39]        Le 7 février 2018, les demandeurs signifient à la défenderesse la demande introductive d’instance. Ils lui réclament alors, devant la Cour du Québec, 75 435 $ taxes en sus, plus l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle depuis le 24 novembre 2016 (date de leur réclamation).

[40]        Les 22 et 23 mars 2018, les procureurs des parties signent le protocole de l’instance. Les procureurs précisent alors les questions en litige et la défenderesse énonce ses moyens de défense[29] :

Questions en litige :

40.1.     Est-ce que la garantie conventionnelle contractuelle couvre encore le revêtement extérieur?

40.2.     Le revêtement extérieur des demandeurs respecte-t-il le critère d’usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix et aux conditions d’utilisation de ce bien?

40.3.     Les problématiques affectant le revêtement extérieur sont-elles, en totalité ou en partie, attribuables à un défaut de fabrication de Maibec du lambris de cède (Produit 2)?

40.4.     La détérioration du revêtement extérieur est-elle prématurée?

40.5.     Quel est le montant des dommages auxquels les demandeurs ont droit?

Moyens de défense :

40.6.     Les matériaux fabriqués par la défenderesse sont conformes aux normes en vigueur.

40.7.     Les matériaux ont été mal installés.

40.8.     Les demandeurs n’ont pas entretenu le revêtement extérieur de leur immeuble.

[41]        Le 18 avril 2019, les demandeurs modifient la demande introductive. Ils allèguent alors avoir obtenu le ou vers le 11 avril 2019 une nouvelle soumission pour les travaux au montant de 79 177 $, taxes en sus, valide pour une période de 30 jours, et ils portent désormais leur réclamation à 89 884,01 $ taxes en sus, plus l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle depuis le 24 novembre 2016.

[42]        En avril 2019, les parties consentent au transfert du dossier à la Cour supérieure.

[43]        Madame Morin confirme qu’elle a personnellement constaté en août 2019 la dégradation de la teinture et la coloration grise du lambris Thor, principalement sur deux façades de la résidence des demandeurs, ce qui réduit la durée de vie utile du produit.

[44]        Renaud Gilbert est qualifié par le Tribunal d’expert en matière d’entretien, de préparation, d’application et de dégradation de peinture. Son rapport inclut, entre autres, les affirmations suivantes, en substance[30] :

44.1.     Le bois torréfié grisonne rapidement sous l’effet du soleil.

44.2.     Le revêtement appliqué à la surface du produit Thor en cause est une peinture et non une teinture, en l’occurrence un vernis teinté semi-transparent offrant la protection d’une peinture.

44.3.     Il constate une dégradation anormale des couches de finition sur les faces sud, sud-ouest et sud-est, dont l’importance varie selon l’exposition au soleil.

44.4.     L’état actuel du lambris ne justifie pas son remplacement.

44.5.     Il est possible de repeindre le lambris et de prolonger sa vie utile de façon importante en respectant certaines conditions : enlèvement de toutes les particules mal adhérées, enlèvement de toutes traces de moisissures, élimination des surfaces friables exposées au soleil et lavage des vieux finis en bon état, application d’un apprêt et d’une ou deux couches de peinture opaque.

44.6.     Il est impossible de refaire la finition du lambris en utilisant un fini transparent ou semi transparent et obtenir un résultat d’allure professionnelle.

2.      LES QUESTIONS EN LITIGE

[45]        Le litige soulève les principales questions suivantes :

1-    Le décollement de la peinture du revêtement extérieur Thor survenu en 2016 et faisant l’objet de la réclamation des demandeurs en 2016 est-il couvert par une garantie?

2-    Dans l’affirmative, quelle est l’étendue de cette garantie : inclut-elle le coût de remplacement du produit Thor et celui de la main-d’œuvre requise à cette fin?

3-    S’il y a lieu, à quel montant de dommages-intérêts compensatoires les demandeurs ont-ils droit?

3.      L’ANALYSE

3.1  Le décollement de la peinture du revêtement extérieur Thor survenu en 2016 et faisant l’objet de la réclamation des demandeurs en 2016 est-il couvert par une garantie?

[46]        Le fini du lambris Thor présente une dégradation anormale dès l’automne 2016.

[47]        Cette dégradation prématurée est indéniablement incompatible avec la représentation suivante de la défenderesse dans sa documentation publicitaire que « Le lambris extérieur de bois torréfié Thor vous assure une totale tranquillité d’esprit pour des décennies à venir ». (Le Tribunal souligne.)

[48]        Les demandeurs invoquent la responsabilité de la défenderesse à titre de fabricant contre un défaut de fabrication ou un vice du lambris Thor.

[49]        En vertu des articles 1726, 1729 et 1730 C.c.Q., le fabricant est astreint à une garantie de qualité à l’égard du bien dont la détérioration survient prématurément, l’existence d’un vice au moment de la vente étant alors présumée :

1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.

Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.

(…)

1729. En cas de vente par un vendeur professionnel, l’existence d’un vice au moment de la vente est présumée, lorsque le mauvais fonctionnement du bien ou sa détérioration survient prématurément par rapport à des biens identiques ou de même espèce; cette présomption est repoussée si le défaut est dû à une mauvaise utilisation du bien par l’acheteur.

1730. Sont également tenus à la garantie du vendeur, le fabricant, toute personne qui fait la distribution du bien sous son nom ou comme étant son bien et tout fournisseur du bien, notamment le grossiste et l’importateur.

[50]        Contrairement à ce que la défenderesse annonçait dans le protocole de l’instance et en dépit du fardeau lui incombant de le démontrer par une preuve prépondérante[31], la défenderesse n’a présenté aucune preuve que le décollement de la peinture serait attribuable à une installation fautive ou à un défaut d’entretien imputable aux demandeurs. En outre, la défenderesse n’a présenté aucune preuve que le fini du lambris Thor était conforme à quelque norme.

[51]        Par ailleurs, l’article 38 de la Loi sur la protection du consommateur[32] (ci-après, la « LPC ») impose au commerçant l’obligation de fournir au consommateur un bien dont la durée est raisonnable eu égard aux circonstances[33] :

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

[52]        La défenderesse ne conteste pas l’application de la LPC.

[53]        Eu égard au prix du lambris Thor et aux informations communiquées par le fabricant, il était raisonnable que le fini de ce produit maintienne une apparence normale pendant une durée d’au moins 15 ans.

[54]        De plus, la lettre de la défenderesse du 24 septembre 2012 est claire et explicite : elle confirme au demandeur que le « fini » du revêtement extérieur Thor acheté en 2010 est effectivement garanti pendant 15 ans, et ce, au même titre que les lambris avec 2 couches de teinture opaque.

[55]        Cette confirmation formelle ne comporte et ne fait allusion à aucune autre limite de temps, à aucune restriction ni exclusion et elle ne distingue pas entre le coût des matériaux et celui de la main d’œuvre.

[56]        Les mots « au même titre » dans la lettre du 24 septembre 2012 signifient, en substance, « comme ».

[57]        Ces mots n’indiquent pas au demandeur qu’il doit s’informer davantage à ce sujet en consultant un quelconque document extrinsèque auquel la défenderesse ne le réfère pas, alors que les documents publicitaires de la défenderesse indiquant la garantie applicable à la teinture opaque 2 couches mentionnent explicitement qu’elle est de 15 ans, sans aucune autre limite de temps, restriction ni exclusion et sans distinguer matériaux et main d’œuvre.

[58]        Par ailleurs, la défenderesse n’a pas établi que l’un ou l’autre des demandeurs était autrement informé que cette confirmation pourtant explicite était restreinte de quelque façon que ce soit.

[59]        La défenderesse ne peut opposer aux demandeurs des documents dont elle est l’auteur et qu’elle n’a pas portés à leur connaissance.

3.2  Quelle est l’étendue de cette garantie : inclut-elle le coût de remplacement du produit Thor et celui de la main-d’œuvre requise à cette fin?

[60]        À l’évidence, le fini du produit Thor en cause n’a pas conservé une apparence normale.

[61]        Les nombreux décollements de peinture, six années seulement après l’installation, ne constituent pas un défaut de qualité mineur, mais un défaut important.

[62]        Une personne raisonnable n’aurait pas acheté ce lambris au prix payé par les demandeurs si son fini devait subir une détérioration si grave six années seulement après son installation.

[63]        En confirmant par lettre au demandeur une garantie de 15 ans sur le fini du produit Thor, la défenderesse lui promettait, en substance, que ce fini maintiendrait son apparence pendant au moins 15 ans et, si tel n’était pas le cas, qu’elle rétablirait cette apparence à ses frais ou qu’elle dédommagerait le demandeur.

[64]        Néanmoins, la défenderesse refuse de prendre à sa charge le coût des travaux de réfection du fini et de remplacer le lambris.

[65]        Aucune preuve n’a été admise quant au coût de réfection du fini.

[66]        Par conséquent, les demandeurs ont droit au remplacement du lambris.

[67]        En effet, en vertu des articles 1607, 1611, 1613, 1727 et 1728 C.c.Q., les demandeurs ont droit d’être pleinement indemnisés pour le préjudice entier leur résultant de l’inexécution par la défenderesse de son obligation de garantir la qualité du produit Thor :

1607. Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.

(…)

1611. Les dommages-intérêts dus au créancier compensent la perte qu’il subit et le gain dont il est privé.

On tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu’il est certain et qu’il est susceptible d’être évalué.

(…)

1613. En matière contractuelle, le débiteur n’est tenu que des dommages-intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir au moment où l’obligation a été contractée, lorsque ce n’est point par sa faute intentionnelle ou par sa faute lourde qu’elle n’est point exécutée; même alors, les dommages-intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution.

(…)

1727.   Lorsque le bien périt en raison d'un vice caché qui existait lors de la vente, la perte échoit au vendeur, lequel est tenu à la restitution du prix; si la perte résulte d'une force majeure ou est due à la faute de l'acheteur, ce dernier doit déduire, du montant de sa réclamation, la valeur du bien, dans l'état où il se trouvait lors de la perte.

1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l’ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de réparer le préjudice subi par l’acheteur.

[68]        La défenderesse, un vendeur professionnel, est présumée connaître le vice caché affectant la qualité de son produit. Elle est donc tenue de réparer entièrement le préjudice subi par les demandeurs, soit aux frais nécessaires au remplacement du lambris Thor.

3.3  À quel montant de dommages-intérêts compensatoires les demandeurs ont-ils droit?

[69]        La défenderesse plaide que le lambris n’est pas inutilisable, ce qui est exact. 

 

[70]        Le bois lui-même n’est pas détérioré, mais son fini a perdu toute son utilité esthétique, qualité essentielle ayant déterminé l’achat du produit. 

[71]        Or, ce fini est garanti pendant 15 ans.

[72]        L’indemnité accordée doit donc pleinement compenser les demandeurs pour la dégradation prématurée du produit Thor résultant du vice affectant sa durée que la défenderesse connaissait ou ne pouvait ignorer.

[73]        Monsieur Turcotte reconnaît qu’il a erronément surestimé la quantité de lambris requise pour remplacer le produit Thor et qu’il n’est pas nécessaire pour ce faire de remplacer les gouttières existantes, le fascia et la totalité des soffites[34], de sorte que sa soumission du 11 avril 2019 (79 177 $, taxes en sus) doit être réduite.

[74]        Ces ajustements effectués, sa soumission révisée se chiffre, au final, à 61 132,20 $, incluant les coûts de la main-d’œuvre de 27 292 $[35], taxes en sus.

[75]         La somme de 61 132,20 $ correspond ainsi, selon monsieur Turcotte, au prix minimum nécessaire pour effectuer le remplacement du lambris Thor par un revêtement extérieur neuf, tout en conservant les gouttières existantes, le fascia et presque toutes les planches des soffites.

[76]        Cette somme procurerait toutefois aux demandeurs un enrichissement injustifié, puisqu’ils bénéficieraient ainsi d’un lambris neuf, alors que le fini du lambris installé en 2010 s’est avéré entièrement satisfaisant pendant six ans.

[77]        Il y a donc lieu de soustraire 6/15 de l’indemnité accordée pour le coût des matériaux (33 940,20 $), et non celle du coût de la main-d’œuvre, ce qui laisse un montant de 19 091,36 $.

[78]        En conclusion, les demandeurs ont droit à la somme totale de 46 383,36 $ (27 292 $ + 19 091,36 $), taxes en sus (5 % et 9,975 %), soit 53 329,27 $ avec l’intérêt au taux légal[36] et l’indemnité additionnelle prévue par la loi[37] depuis la mise en demeure du 7 novembre 2017.

4.      LES CONCLUSIONS

[79]        Le fini du produit Thor fabriqué par la défenderesse s’est gravement détérioré prématurément.

[80]        La défenderesse a fait défaut d’exécuter son obligation de garantie à cet égard et est tenue d’indemniser pleinement les demandeurs en conséquence.

[81]        À titre d’indemnité, les demandeurs ont droit au coût minimum requis pour effectuer le remplacement du produit défectueux moins sa dépréciation, taxes en sus, avec l’intérêt et l’indemnité additionnelle depuis la mise en demeure. 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[82]        CONDAMNE la défenderesse à payer aux demandeurs 53 329,27 $ avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par la loi depuis le 7 novembre 2017.

[83]        Avec frais de justice.

 

 

 

__________________________________LOUIS-PAUL CULLEN, j.c.s.

 

 

 

Me Marc-Aurèle Ouellette

Ouellette Tremblay-Bouchard, avocats S.A.

Avocat des demandeurs

 

Me Stéphan Samson

Therrien Couture Joli-Coeur s.e.n.c.r.l.

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience :

15 janvier  2020

 


 

TABLE DES MATIÈRES

 

L’APERÇU................................................................................................................................. 1

1.          LE CONTEXTE.............................................................................................................. 2

2.          LES QUESTIONS EN LITIGE..................................................................................... 10

3.          L’ANALYSE.................................................................................................................. 10

3.1      Le décollement de la peinture du revêtement extérieur Thor survenu en 2016 et faisant l’objet de la réclamation des demandeurs en 2016 est-il couvert par une garantie?...................... 10

3.2      Quelle est l’étendue de cette garantie : inclut-elle le coût de remplacement du produit Thor et celui de la main-d’œuvre requise à cette fin?........................................................................... 12

3.3      À quel montant de dommages-intérêts compensatoires les demandeurs ont-ils droit?       13

4.          LES CONCLUSIONS.................................................................................................. 14

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :................................................................................. 15

TABLE DES MATIÈRES....................................................................................................... 16

 

 



[1] P-4.

[2] Id., p. 2.

[3] Id.

[4] P-4, p. 1.

[5] Id.

[6] P-4, p. 2.

[7] Id., p. 1.

[8] P-4, p. 1.

[9] Id.

[10] P-3.

[11] P-15.

[12] P-5.

[13] P-14.

[14] P-6 (photos prises à l’automne 2016) et P-6.1 (photos prises à l’automne 2019).

[15] P-7.

[16] P-8, pp. 1-3.

[17] P-8, pp. 4-7.

[18] Id., p. 4.

[19] P-9.

[20] P-10.

[21] La citation est textuelle.

[22] P-11, p. 2.

[23] Id., p. 3.

[24] Ce que confirme la pièce D-1, p. 1, une capture de l’écran de la défenderesse en ligne en 2009.

[25] D-2, pages 45 à 54.

[26] Id., pp. 45, 51 et 54.

[27] D-2, p. 53.

[28] P-14.

[29] Reproduits verbatim.

[30] D-3.

[31] Sealez inc. c. Luxwood Auto trim inc., 2010 QCCA 1227, par. 8.

[32] Loi sur la protection du consommateur, RLRQ c P-40.1.

[33] En vertu de l’article 54 de la LPC, le recours fondé sur cet article peut être exercé directement contre le fabricant.

[34] Le lambris des soffites n’est pas exposé au soleil et son fini n’est pas dégradé. Une seule planche doit y être remplacée.

[35] 26 187 $ + 1 105 $.

[36] Article 1618 C.c.Q.

[37] Article 1619 C.c.Q.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.