Décision

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Emballages Knowlton inc. et Bennett

2007 QCCLP 5451

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jean-sur-Richelieu

25 septembre 2007

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossiers :

279334-62A-0512   290668-62A-0605

 

Dossier CSST :

127269827

 

Commissaire :

Me Norman Tremblay

 

Membres :

Jacques Lesage, associations d’employeurs

 

Raymond D’Astous, associations syndicales

 

______________________________________________________________________

 

279334

290668

 

 

Les Emballages Knowlton inc.

Les Emballages Knowlton inc.

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Sandra Bennett

Sandra Bennett

Partie intéressée

Partie intéressée

 

et

 

Adecco Québec inc.

 

            Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 279334-62A-0512

 

[1]                Le 13 décembre 2005, Les Emballages Knowlton inc. (l'employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 décembre 2005 à la suite d’une révision administrative.

 

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 26 mai 2005 et déclare que madame Sandra Bennett (la travailleuse) a subi une lésion professionnelle le 16 août 2004 à titre de maladie professionnelle à savoir un canal carpien bilatéral.

Dossier 290668-62A-0605

[3]                Le 24 mai 2006, l'employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 28 avril 2006 à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 17 novembre 2005 et déclare que le diagnostic de ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite est en relation avec l’événement du 16 août 2004.

[5]                Une audience s’est tenue le 6 mars 2007 à Saint-Jean-sur-Richelieu en présence du mandataire de l'employeur ainsi que de son représentant, du mandataire de la partie intéressée Adecco Québec inc. ainsi que de la travailleuse.

[6]                Le tribunal a autorisé le dépôt de documents additionnels dont le dernier a été reçu au greffe du tribunal le 19 mars 2007, date à laquelle la cause a été mise en délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]                La prétention principale de l'employeur est que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le ou vers le 16 août 2004. De façon subsidiaire, si le tribunal conclut que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, il demande de déclarer que cette lésion professionnelle est survenue alors que la travailleuse travaillait pour Adecco Québec inc. puisqu’il prétend que les premiers symptômes de la maladie de la travailleuse se seraient manifestés à cette époque.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]                Tant le membre issu des associations d’employeurs que celui issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête de l’employeur dans le dossier 279334-62A-0512. Ils sont d’avis que la preuve démontre que les premiers symptômes reliés au diagnostic de canal carpien se sont manifestés alors que la travailleuse travaillait pour l’employeur. Ils sont de plus d’avis que le travail de la travailleuse implique des mouvements répétitifs qui sont compatibles avec la maladie qu’elle a contractée.

[9]                Dans le dossier 290668-62A-0605, ils sont d’avis que la travailleuse bénéficie de la présomption édictée à l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et que l’employeur n’a pas démontré que la ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite diagnostiquée en cours du suivi médical ne constitue pas une lésion professionnelle.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           Le travail de la travailleuse au sein de l’entreprise de l'employeur débute par l’entremise d’une compagnie de placement, Adecco Québec inc., en date du mois de janvier 2004. Au mois de mai 2004, elle est devenue officiellement une employée de l'employeur.

[11]           Jusqu’à la mi-mars 2004, la travailleuse travaille sur la ligne des tubes d’onguent et n’a éprouvé aucun problème particulier.

[12]           À compter de la mi-mars 2004, elle est transférée sur la ligne des déodorants où elle commence à éprouver des problèmes à compter du 16 août 2004.

[13]           Ce dernier fait permet à la Commission des lésions professionnelles de disposer du premier moyen invoqué par l'employeur voulant que ce soit Adecco Québec inc. qui doit être considéré comme l'employeur responsable de cette lésion professionnelle.

[14]           En matière de maladie professionnelle, il est souvent impossible de préciser la date à laquelle elle survient comme telle puisque, contrairement à une blessure, elle n’est pas reliée à un événement précis et est plutôt de nature évolutive. Le début de la maladie professionnelle sera alors la date d’apparition des premiers symptômes, ce qui est, en l’espèce, le ou vers la mi-août 2004 alors que la travailleuse travaille pour Les Emballages Knowlton inc. Ce dernier demeure donc l'employeur au sein duquel s’est manifestée la lésion professionnelle. Ça ne veut pas dire que d’autres employeurs ne seront pas appelés à partager les coûts en application de l’article 328 de la loi, mais ce n’est pas au stade d’admissibilité que cette question doit être examinée, mais plutôt au stade de l’imputation des coûts.

[15]           Pour l’instant, la Commission des lésions professionnelles doit simplement s’attarder à la question qui lui est soumise à savoir si la travailleuse a subi une lésion professionnelle. Si le tribunal répond de façon affirmative à cette question, il apparaît évident aux yeux du présent tribunal que cette lésion professionnelle est apparue alors que la travailleuse travaillait pour Les Emballages Knowlton inc.

 

[16]           La seule prétention de la travailleuse est à l’effet qu’elle a subi une lésion professionnelle à titre de maladie professionnelle à savoir un canal carpien droit ainsi qu’une ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite.

[17]           La maladie professionnelle est prévue aux articles 29 et 30 de la loi qui prévoient ce qui suit :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[18]           En ce qui concerne le diagnostic de canal carpien droit, la travailleuse ne peut bénéficier de la présomption édictée à l’article 29 de la loi puisque cette maladie n’est pas énumérée à l’annexe I dont il est question à cet article. Le fardeau de la travailleuse est donc de démontrer que le canal carpien droit qu’elle a contracté est soit caractéristique de son travail ou encore relié aux risques particuliers de ce même travail.

[19]           Comme la preuve ne porte aucunement sur le fait que cette maladie serait caractéristique du travail de la travailleuse, le tribunal doit examiner si elle découle des risques particuliers de son travail effectué chez l'employeur.

[20]           Le tribunal est d’avis que c’est le travail effectué sur la ligne de production des déodorants qui serait responsable de la maladie contractée par la travailleuse. En effet, le travail sur cette ligne implique de nombreuses tâches qui sont toutes, à l’exception d’une seule, susceptibles d’avoir causé le canal carpien subi par la travailleuse. Ainsi, même s’il y a rotation toutes les 30 minutes entre les différentes tâches, cela n’a pas eu pour effet d’amoindrir le risque auquel la travailleuse a été exposée.

 

[21]           Au poste de l’emballage, elle manipule des déodorants attachés en groupe de six, un paquet dans chaque main à la fois. Elle doit vérifier les disques ainsi que les codes en les tournant à l’envers avant de les placer dans des boîtes. Ce poste implique donc des mouvements de préhension des deux mains pour prendre les paquets de déodorants ainsi que des mouvements de pronation et de supination, le tout à une cadence rapide pendant la durée des 30 minutes qu’elle est affectée à ce poste.

[22]           Au poste de remplissage de disques, elle prend des contenants de déodorants vides et les place sur des disques qui sont ensuite amenés via un convoyeur à une machine pour être remplis de façon automatique. Encore une fois, elle utilise les deux mains amenant un mouvement de préhension lors de la manipulation des contenants. La cadence est rapide, soit de l’ordre de 40 à 60 manipulations de contenants par minute pendant la durée de la rotation.

[23]           Le poste qui semble avoir causé le plus d’ennui à la travailleuse est celui où elle doit poser les rondelles sur les contenants de déodorants. Elle travaille toujours des deux mains où elle prend les déodorants et place les rondelles en dessous avec une pression du pouce. Elle manipule ainsi environ 60 déodorants à la minute.

[24]           Seulement un poste n’impliquerait pas de mouvements répétitifs au niveau des mains à savoir le poste de remplissage où il y a essentiellement un travail de vérification à faire.

[25]           Les douleurs de la travailleuse ont commencé vers le 16 août 2004. Elle consulte un médecin le 20 août 2004, soit en l’occurrence la docteure Moore. La travailleuse se plaint de paresthésies aux deux mains accompagnées de douleurs aux poignets, ce qui amène la docteure Moore à prescrire un électromyogramme qui s’avère positif de façon bilatérale. 

[26]           Le 11 novembre 2004, la docteure Moore diagnostique un canal carpien bilatéral et elle dirige la travailleuse à un chirurgien, soit en l’occurrence au docteur Nabil Petraki. Le docteur Petraki procède à une décompression du canal carpien droit le 12 février 2005 suivi du côté gauche le 13 septembre 2005.

[27]           De façon intercurrente, à savoir le 1er juin 2005, la docteure Moore diagnostique une ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite. Nous reviendrons sur cette pathologie plus loin.

[28]           Le tribunal est d’avis que la prépondérance de la preuve démontre clairement que le canal carpien bilatéral diagnostiqué en l’espèce découle du travail que la travailleuse effectuait sur la ligne de production des déodorants. Toutes les tâches ou presque sur la ligne de production amènent la travailleuse à effectuer des mouvements hautement répétitifs impliquant directement les poignets et les tendons fléchisseurs à savoir des mouvements de préhension, supination, pronation et de pression du pouce. C’est également la conclusion à laquelle en arrive la CSST lors de son enquête où elle conclut comme suit :

Après avoir confirmé la description de tâches par la travailleuse ainsi que par l'employeur :

 

Considérant qu’il est relié aux risques particuliers du travail car T me confirme qu’elle utilise les deux mains à tous ces postes de travail… On y retrouve des mouvements répétés de flexion des doigts parfois même combinés à l’effort (pour fermer les bouchons). On y retrouve également des mouvements de préhension et de manipulation répétées. [sic]

 

 

[29]           Le docteur Florent Blanchet, médecin désigné de la CSST, est aussi d’avis que la travailleuse a été exposée à des mouvements hautement répétitifs qui sont à l’origine du canal carpien diagnostiqué. En effet, dans un rapport daté du 21 septembre 2006 portant sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, il constate ce qui suit :

C’est un travail à cadence élevée pouvant être, à certains postes, de 40 à 60 mouvements répétitifs à la minute. C’est alors que madame a développé, de façon progressive, des paresthésies au niveau des deux mains l’amenant à consulter son médecin de famille, le docteur Nathalie Moore qu’il a référé en neurologie au docteur Éric Frenette pour évaluation.

 

 

[30]           Le tribunal ne retient pas l’opinion du docteur Claude Jean-François, médecin désigné de l'employeur qui, dans un rapport du 12 septembre 2005, mentionne de façon laconique que « le fait de pousser sur des plogues et d’autres travaux connexes ne constitue pas une condition pouvant entraîner un syndrome du canal carpien bilatéral. Surtout après environ un mois de travail à ce poste. » Plus loin, il mentionne que le canal carpien est en fait une condition préexistante pouvant être reliée à une pathologie dégénérative. Il est d’avis que le fait que la travailleuse a développé d’autres pathologies de la main gauche à savoir, au niveau du pouce, des 3e et 4e doigts qui, selon lui, découlent d’un problème de dégénérescence, renforce cette thèse.

[31]           Le docteur Claude Jean-François semble nier l’existence de mouvements répétitifs au poste de travail de la travailleuse, lesquels ont été très clairement démontrés par le témoignage de la travailleuse corroboré à certains égards par l'employeur qui ne contredit pas les descriptions de tâches fournies par la travailleuse.

[32]           Le tribunal est donc d’avis que le canal carpien bilatéral diagnostiqué en l’espèce constitue une maladie professionnelle au sens de l’article 30 de la loi.

[33]           Le tribunal doit maintenant décider si le diagnostic de ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite constitue une maladie professionnelle.

[34]           Rappelons que ce diagnostic est apparu de façon intercurrente au cours de l’arrêt de travail causé par le canal carpien. Le diagnostic apparaît pour la première fois le 1er juin 2005 et est posé par la docteure Moore. On sait que la travailleuse a subi, en date du 3 novembre 2005, une chirurgie en rapport avec cette pathologie.

[35]           Le diagnostic de ténosynovite se retrouve à l’annexe I de la loi dont il est question à l’article 29 précité et la preuve démontre clairement que la travailleuse effectue des mouvements répétitifs sur des périodes de temps prolongées. Le tribunal est donc d’avis que la travailleuse bénéficie de la présomption édictée à cet article.

[36]           L’employeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve de démontrer que la travailleuse n’a pas subi une maladie professionnelle. Le seul élément qui milite en faveur de L’employeur est la tardiveté relative du premier diagnostic qui intervient le 1er juin 2005 alors que la travailleuse était soit en arrêt de travail soit en assignation temporaire, mais de toute façon n’était pas exposée à des mouvements répétitifs.

[37]           Par contre, le suivi médical démontre que les symptômes sous forme de paresthésie affectaient déjà les doigts de la travailleuse depuis le tout début. Les médecins croyaient sûrement qu’ils étaient reliés au canal carpien. Ce n’est qu’une fois la décompression réalisée que les symptômes résiduels pouvaient être correctement attribués à la ténosynovite sténosante.

[38]           Le tribunal est donc d’avis que la ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite constitue également une lésion professionnelle

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 279334-62A-0512

 

REJETTE la requête de Les Emballages Knowlton inc., l'employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 6 décembre 2005 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que madame Sandra Bennett, la travailleuse, a subi une lésion professionnelle à titre de maladie professionnelle le ou vers le 16 août 2004 à savoir un canal carpien bilatéral;

DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

 

Dossier 290668-62A-0605

REJETTE la requête de l’employeur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 avril 2006 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la ténosynovite sténosante du pouce, majeur et annulaire de la main droite constitue une lésion professionnelle.

 

 

__________________________________

 

Norman Tremblay

 

Commissaire

 

 

 

M. Gérald Corneau

GCO Santé et Sécurité inc.

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

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