Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Bérubé c. Ville de Québec

2019 QCCA 1764

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-10-003459-174

(200-36-002390-169) (C.M.Q.: 223027-90679514)

 

DATE :

 22 octobre 2019

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

 

ANDRÉ BÉRUBÉ

APPELANT - accusé

c.

 

VILLE DE QUÉBEC

INTIMÉE - poursuivante

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre le jugement de la Cour supérieure, district de Québec (l’honorable Suzanne Gagné), qui, le 10 novembre 2017, rejette son appel du jugement prononcé le 18 mai 2016 par la Cour municipale de Québec (l’honorable Jacques Ouellet) le déclarant coupable d’avoir enfreint l’art. 19.2, al. 1 et 2 du Règlement sur la paix et le bon ordre de l’intimée et le condamnant à payer une amende de 150 $, plus les frais.

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Gagnon, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de la Cour supérieure du 10 novembre 2017 et, par conséquent, celui de la Cour municipale de Québec du 18 mai 2016;

[5]           CASSE la déclaration de culpabilité prononcée à l’endroit de l’appelant;

[6]           DÉCLARE contraires aux al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne des droits et libertés, invalides et inopérants, tels qu’ils sont actuellement rédigés, l’alinéa 1 ainsi que l’alinéa 2, paragr. 1 et 2, de l’art. 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre, en conjonction avec la définition donnée à la « manifestation » par l’art. 1 dudit règlement et la sanction pénale résultant des art. 20 et 21;

[7]           ACQUITTE l’appelant de l’accusation portée contre lui;

[8]           LE TOUT, sans frais devant chacune des instances.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLAUDE C. GAGNON, J.C.A.

 

Me Enrico Théberge

Dumas Gagné Théberge

Pour l’appelant

 

Me Steve Marquis

Giasson et associés

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

4 avril 2019



 

 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[9]           Déclaré coupable d’avoir enfreint un règlement municipal dont il dénonce l’invalidité au nom des libertés d’expression et de réunion pacifique que garantit l’art. 2 de la Charte canadienne des droits et libertés[1], contestation que la Cour municipale de Québec a rejetée[2], l’appelant s’est pourvu sans succès devant la Cour supérieure[3]. Il a par la suite obtenu la permission de soumettre l’affaire à notre cour[4]. L’intimée reconnaissant la violation de l’art. 2 (et donc l’existence de l’atteinte), le débat porte sur la question de savoir si la mesure réglementaire contestée est justifiée par l’art. 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[10]        Il faut à mon avis répondre à cette question par la négative, et ce, pour les raisons qu’exposent les pages suivantes, dont voici l’essentiel : quoique la mesure réglementaire contestée soit rationnellement liée à l’objectif poursuivi, lui-même « urgent et réel », elle ne répond pas aux exigences de l’atteinte minimale, notamment parce qu’elle pourvoit à la répression d’une manifestation pacifique par une sanction pénale de responsabilité stricte. Les effets préjudiciables de cette mesure l’emportent par ailleurs sur ses effets bénéfiques.

I.          Contexte

A.        Dispositions réglementaires litigieuses

[11]        Voici d’abord les extraits pertinents du Règlement sur la paix et le bon ordre (« Règlement »)[5], tel qu’en vigueur à l’époque des faits donnant lieu au litige :

1.         Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

« manifestation » : un rassemblement, un attroupement ou un défilé de personnes sur le domaine public qui expriment une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou à une cause;

« domaine public » : ensemble des biens administrés par la municipalité affectés à l’usage général et public;

« endroit public » : un endroit accessible ou fréquenté par le public dont, notamment, un édifice commercial, un centre commercial, un édifice sportif, une bibliothèque, un lieu de culte, une institution scolaire, une cour d’école, un stationnement commercial, un parc, un jardin public;

« rue » : une rue, une ruelle, un chemin, un trottoir, un passage, une promenade un autre endroit dédié à la circulation des piétons, des bicyclettes ou des véhicules routiers.

19.2     Il est interdit à une personne de tenir ou de participer à une manifestation illégale sur le domaine public.

            Une manifestation est illégale dès que l’une des situations suivantes prévaut :

1°   la direction du Service de police de la Ville de Québec n’a pas été informée de l’heure et du lieu ou de l’itinéraire de la manifestation;

2°   l’heure, le lieu ou l’itinéraire de la manifestation dont a été informé le Service de police n’est pas respecté;

3°   des actes de violence ou de vandalisme sont commis.

20.       Nul ne peut contrevenir ni permettre que l’on contrevienne à une disposition de ce règlement.

21.       Sauf en ce qui concerne les articles 13 et 13.1, quiconque contrevient ou permet que l’on contrevienne à une disposition de ce règlement commet une infraction et est passible, pour une première infraction, d’une amende dont le montant est, dans le cas d’une personne physique, d’un minimum de 150 $ et d’un maximum de 1 000 $ et, dans le cas d’une personne morale, d’un minimum de 300 $ et d’un maximum de 2 000 $

            En cas de récidive, le contrevenant est passible d’une amende dont le montant est, dans le cas d’une personne physique, d’un minimum de 300 $ et d’un maximum de 2 000 $ et, dans le cas d’une personne morale, d’un minimum de 600 $ et d’un maximum de 4 000 $.

            […]

            Dans tous les cas, les frais s’ajoutent à l’amende.

            Si l’infraction est continue, cette continuité constitue, jour par jour, une infraction séparée et l’amende édictée pour cette infraction peut être infligée pour chaque jour que dure l’infraction.

[12]        La définition du terme « manifestation », que l’on trouve à l’art. 1, ainsi que l’art. 19.2 furent introduits au Règlement en juin 2012, à la suite des rassemblements, attroupements et défilés du « printemps érable », qui auraient eu, semble-t-il, des effets perturbateurs. Selon la note explicative accompagnant le règlement modificateur[6] :

Ce règlement modifie le Règlement sur la paix et le bon ordre afin d’établir des règles applicables lors de manifestations, défilés ou attroupements. Ces règles visent à assurer la paix, le bon ordre et la sécurité des personnes et des biens lors de tels évènements. Elles tendent assurer un juste équilibre entre l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression, le maintien de l’ordre et de la paix sur le territoire de la Ville de Québec, la protection des personnes et des biens et l’accès au domaine public pour l’ensemble des citoyens.[7]

[13]        C’est par le truchement de l’art. 19.2 (et par celui d’autres dispositions que l’appelant n’a pas contestées[8]), dont la sanction est assurée par les art. 20 et 21, que l’intimée entend atteindre cet objectif. Ainsi :

-           toute manifestation (au sens de l’art. 1) est - ou devient - illégale dès lors que le service de police de l’intimée n’en reçoit pas préavis (heure, lieu et itinéraire) ou que les termes du préavis ne sont pas respectés ou encore que des actes de violence ou de vandalisme y sont commis;

-           toute personne qui tient une manifestation illégale ou qui y participe est coupable d’une infraction et passible d’une amende;

[14]        Notons que, jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement modificateur de 2012, l’intimée n’exigeait pas le préavis qu’impose dorénavant l’art. 19.2. Antérieurement, si l’on s’en remet au témoignage de l’appelant, ainsi qu’au jugement de la Cour municipale, qui parle d’une « tradition »[9] à cet effet, un tel préavis (incluant les renseignements relatifs à l’itinéraire) était, la plupart du temps, fourni volontairement au service de police de l’intimée. L’adoption du règlement aurait toutefois altéré ce modus vivendi et l’on rechignerait désormais à fournir sous la contrainte ce que l’on donnait autrefois de bonne grâce.

B.        Contexte et jugements

[15]        Résumons maintenant les faits (incontestés) qui sont à l’origine du débat relatif aux dispositions réglementaires ci-dessus, les prétentions des parties ainsi que les deux jugements qui ont été rendus respectivement par la Cour municipale, puis, en appel, par la Cour supérieure.

1.         Faits et moyens des parties

[16]        Le 7 mars 2013, l’appelant participe, devant l’Assemblée nationale, à une manifestation pacifique, de nature politique, réunissant une cinquantaine de personnes[10]. Ni l’heure ni le lieu du rassemblement n’ont été préalablement dévoilés au Service de police de l’intimée, quoique celui-ci ait appris la chose officieusement[11] et que des policiers aient donc été dépêchés sur place. Alors qu’ils sont sur le point de se déplacer vers un autre endroit, les manifestants, après s’être consultés, décident de ne pas dévoiler leur itinéraire aux forces de l’ordre et se mettent en marche. Estimant qu’il y a contravention à l’art. 19.2 du Règlement, le lieutenant Richard Hamel, par deux fois, fait savoir aux marcheurs que la manifestation est illégale et que, s’ils continuent à se déplacer dans la rue, ils s’exposent à recevoir un constat d’infraction[12]. Un autre policier, le lieutenant Pétrin, demande explicitement à l’appelant et à ses trois compagnons, qui sont demeurés au centre de la rue, de quitter la chaussée. Devant leur refus, ils sont arrêtés.

[17]        Un constat d’infraction sera remis par la suite à l’appelant. Ce constat, daté du 8 mars 2013, décrit ainsi l’infraction qui lui est reprochée : « avoir tenu ou participé à une manifestation illégale sur le domaine public » et mentionne l’art. 19.2 du Règlement, sans autre précision.

[18]        L’appelant subit son procès les 5 octobre et 27 novembre 2015, devant le juge Ouellet de la Cour municipale de Québec. Il fait valoir comme seul moyen de défense l’invalidité de l’art. 19.2 du Règlement, qui enclencherait l’application d’un régime contrevenant aux al. 2b) (liberté d’expression) et c) (liberté de réunion pacifique) de la Charte canadienne. Il allègue également violation de l’art. 7 de ladite charte, mais abandonne ultérieurement cette prétention. Par ailleurs, l’intimée ne conteste pas l’existence d’une atteinte à l’art. 2[13], atteinte qui serait toutefois justifiée en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne.

2.         Jugement de la Cour municipale

[19]        Le 18 mai 2016, le juge, ne retenant que partiellement les moyens de l’appelant, déclare celui-ci coupable d’avoir enfreint l’art. 19.2 du Règlement, disposition qui contrevient à la liberté d’expression et de réunion pacifique, mais se trouve, en ce qui concerne les deux premiers paragraphes de son second alinéa, justifiée par l’art. 1 de la Charte canadienne. Voyons comment il en vient à cette conclusion.

[20]        Estimant que « [l]a participation à une manifestation combine le droit à la liberté d'expression à celui de se réunir pacifiquement »[14], le juge se penche en premier lieu sur la question de savoir si l’art. 19.2 du Règlement attente à ces libertés :

[115]    Le défendeur soutient que l’obligation de fournir un itinéraire brime sa liberté d’expression en empêchant notamment les manifestations surprises ou spontanées ou celles sans organisateur. En refusant de fournir son itinéraire au jour de l’infraction reprochée, son activité a été déclarée illégale, mettant ainsi fin à son droit de s’exprimer.

[116]    Dans ce contexte, le Tribunal estime que, par prépondérance, il y a une preuve de restriction au droit de s’exprimer et qu’il faut passer à l’étape de la justification de cette atteinte en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés.

[21]        L’analyse à laquelle procède alors le juge en application du test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Oakes[15] l’amène à conclure que les paragraphes 1 et 2 du second alinéa de l’art. 19.2 du Règlement et l’exigence de préavis qu’ils contiennent restreignent la liberté d’expression (et de réunion) d’une manière raisonnable dans une société libre et démocratique, ce qui n’est toutefois pas le cas du paragraphe 3 de cette disposition.

[22]        Le juge estime ainsi que l’objectif sous-jacent à l’art. 19.2 est réel et urgent : il s’agit d’assurer la paix, le bon ordre et la protection des personnes et des biens lors des manifestations, l’usage libre et sécuritaire des voies publiques par tous de même que la circulation des services d’urgence (pompiers, ambulanciers, etc.), et ce, afin de prévenir la survenance de préjudices sérieux, réels ou appréhendés, ou d’y remédier.

[23]        Le juge estime aussi que la mesure choisie par l’intimée afin d’assurer la réalisation de cet objectif est proportionnelle à celui-ci. Tout d’abord, il existe à son avis un lien rationnel entre l’exigence de notification préalable et l’objectif poursuivi, la première pouvant contribuer à la réalisation du second. Ensuite, en ce qui concerne les situations visées par les paragraphes 1 et 2 du second alinéa de l’art. 19.2 du Règlement, l’atteinte, selon le juge, est minimale et, par ailleurs, sans impact disproportionné sur la liberté de manifester, alors que ses effets bénéfiques sont largement supérieurs à ses effets préjudiciables. S’inspirant de l’affaire Garbeau c. Montréal (Ville de)[16], qui étudie et expose les droits européen et américain en la matière, le juge, examinant différents types de manifestations (surprise, spontanée, standard), écrit ainsi que :

[130]    Cet article ne comporte pas de prohibition de manifester et aucune autorisation n'est requise. L'article est intelligible et aucun pouvoir discrétionnaire n'est accordé aux personnes chargées de son application (Canadien Pacifique, précité, par. 1070, Nur, précité).

[131]    Les seules exigences des deux paragraphes de l'article sont donc de divulguer l’endroit, l’heure et l’itinéraire, (aucun délai n’est prévu) et ne pas modifier un tel itinéraire. La preuve révèle que la divulgation de l’itinéraire peut se faire sur place au moment où les manifestants décident de se mettre en marche.

[…]

[133]    Le Tribunal est d’avis que l’exigence d’un avis préalable avec délai serait une contrainte minimale et serait constitutionnellement valide.

[134]    Pour le défendeur (et ses témoins), la preuve révèle que l'exigence est minimale puisqu'avant avril 2012, il s'exécutait volontairement. En raison de l’adoption du Règlement, le refus de continuer la tradition est idéologique. Toutefois, le Tribunal ne peut statuer sur la question en fonction de l’opinion du défendeur, mais bien pour tout citoyen qui désire s'exprimer sur la place publique.

[135]    Il n'appartient pas au Tribunal de redéfinir ce qu'est une manifestation puisque le Règlement est clair à cet effet. Il convient toutefois d'analyser les distinctions élaborées par le défendeur.

[136]    Comme les concepts de manifestation surprise, de manifestation spontanée ou celle sans organisateur ont été évoqués, il convient de les analyser selon la preuve présentée.

[137]    La manifestation dite « surprise » serait celle d'un groupe de personnes qui se retrouvent par surprise à un même endroit et décident de marcher pour s’exprimer. À ce stade, une fois l’effet de surprise passé, cela implique une certaine forme de consensus. On ne peut tenir une réunion (au sens de la Charte) sans qu'un certain nombre de personnes s'entendent, au minimum, sur la raison de la discussion si impromptue la rencontre soit telle.

[138]    La décision prise d'emprunter la voie publique pour s'exprimer sur un sujet quelconque ne comporte que la seule contrainte d'aviser le Service de police de la Ville de Québec du lieu, de l’heure de la manifestation et de l'itinéraire que l'on va suivre.

[139]    Le Tribunal convient que ce type de manifestation est très rare à moins, que de façon plus ou moins organisée, on ne feigne la surprise.

[140]    La manifestation dite « spontanée » serait celle où spontanément un initiateur décide d'inviter de façon immédiate des gens, joints via les médias sociaux, à participer à une manifestation en un lieu et à une heure déterminés dans le message.

[141]    Dans ce contexte, il ne faut pas confondre la spontanéité avec l'acte irréfléchi et subi. Inviter des gens à manifester n'est pas un geste banal et le citoyen sérieux dans une société libre et démocratique qui fait office d'initiateur doit être conscient des effets collatéraux de l'exercice de son droit de s'exprimer de cette façon. Toute spontanée que soit l'initiative, elle ne peut faire fi de la réglementation dont l'exigence minimale est de transmettre l'information du lieu et de l'heure.

[142]    Si les médias sociaux permettent la diffusion rapide de renseignements à plusieurs personnes en même temps, ils permettent également et très facilement d'ajouter à sa liste d'envoi les autorités policières.

[143]    Lorsque les personnes invitées décident de répondre positivement, on ne parle plus de spontanéité, mais d'une décision réfléchie de participer à un événement. Là encore, le citoyen doit connaître la réglementation et être conscient de son geste.

[144]    Une fois sur place, décider de se mettre en marche nécessite un minimum de consultation sur le fait de déambuler sur la voie publique et sur le choix d'un itinéraire. Se mettre en marche sans itinéraire deviendrait un geste irresponsable.

[145]    Une fois en marche, le respect de l’itinéraire n’est guère plus contraignant.

[146]    En effet, référant à la base de la protection accordée par la Charte soit celle de la réunion, cela présuppose un minimum de démocratie sur le but de la réunion et sur certaines décisions qui s'y prennent; une manifestation n'est pas une rencontre sociale sans but et qui ne s'exprime sur rien.

[147]    Pour la manifestation dite « standard », celle où il y a présence d'un organisateur, ne pose pas de problèmes puisque ce dernier prend en charge le respect de la réglementation et assure le suivi du groupe interpellé.

[148]    Par contre pour celle où personne ne veut se rendre responsable, cela implique à tout le moins un initiateur et elle s'apparente à la manifestation spontanée; à la différence qu'il y a un certain laps de temps entre la décision d'inviter et la tenue de la manifestation, ce qui donne l’opportunité d’aviser les autorités du lieu et de l’heure.

[149]    Force est de constater que le simple avis de la tenue d'une manifestation et la divulgation de l'itinéraire sont des exigences peu contraignantes et permettent l’application de l'article 1 de la Charte dans une société libre et démocratique.

[150]    La liberté dans une société démocratique est celle qui est notamment définie comme suit dans Le Nouveau Petit Robert sous le titre dans le Domaine politique et social :

« Pouvoir d'agir, au sein d'une société organisée, selon sa propre détermination, dans la limite des règles définies; droit de faire tout ce qui n'est pas défendu par la loi. »

[151]    La liberté d'expression n'est pas un droit absolu et la conduite d'un citoyen ne peut être libre au point d'occulter la présence des autres et le respect de leurs droits et de leur sécurité.

[152]    Le Tribunal ne voit pas de préjudice disproportionné dans la divulgation de l’heure, de l’endroit et de l’itinéraire d’une manifestation, sans système d’autorisation préalable, par rapport au bénéfice relatif à la sécurité des usagers de la route, des piétons et de la libre circulation des services d’urgence (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, 76 et 77).

[Je souligne, sauf les mots « surprise », « spontanée » et « standard » dans les paragr. 137, 140 et 147 respectivement]

[24]        S’il conclut donc que les deux premiers paragraphes du second alinéa de l’art. 19.2 sont valides au regard de l’art. 1 de la Charte canadienne, le juge est cependant d’avis que ce n’est pas le cas du troisième paragraphe (qui vise la commission d’actes de violence ou de vandalisme) : celui-ci impose à la liberté d’expression une limite trop sévère, qui n’a pas les caractéristiques de l’atteinte minimale et dont les effets préjudiciables l’emportent sur les effets bénéfiques :

[157]    Le paragraphe 3 permet de déclarer une manifestation illégale si des actes de violence et de vandalisme sont commis.

[…]

[160]    Le Tribunal considère qu'en présence d'actes violents ou de vandalisme, des arrestations peuvent se faire sur une base individuelle, soit en vertu du Code criminel ou de dispositions réglementaires relatives à la paix et le bon ordre.

[161]    En présence d'une multitude d'actes de violence, le Code criminel en matière d'attroupement illégal (article 63) trouve application.

[162]    Comme il existe des moyens moins contraignants, le Tribunal est d’avis qu’il y a une disproportion entre l’effet préjudiciable et le bénéfice de l’objectif de sécurité (Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835; Hutterian Brethren of Wilson Colony, précité).

[25]        En conséquence de quoi, le juge déclare « opérants et opposables les paragraphes 1 et 2 de l’article 19.2 du Règlement R.V.Q. 1091 de la Ville de Québec »[17], mais inopérant le paragraphe 3. Il déclare ensuite l’appelant coupable d’avoir enfreint l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1[18] et lui impose une amende de 150 $, plus les frais.

3.         Jugement de la Cour supérieure

[26]        Par voie d’avis déposé au greffe de la Cour supérieure, conformément aux art. 267 et 270 à 272 C.p.p., l’appelant se pourvoit. Avant d’aborder le jugement qui, le 10 novembre 2017, rejette cet appel, il convient de préciser trois choses.

[27]        D’une part, l’intimée n’a pas fait appel de la déclaration du juge de la Cour municipale relative au paragraphe 3 du second alinéa de l’art. 19.2 du Règlement, disposition qui ne sera donc pas débattue devant la Cour supérieure, pas plus qu’elle ne l’est dans le présent appel. D’autre part, l’intimée, tout comme devant la Cour municipale, n’a pas non plus contesté l’atteinte à la liberté d’expression (et de réunion pacifique) garantie par la Charte canadienne. Enfin, il appert que l’appelant lui-même n’a pas remis en cause l’objectif que poursuivait l’intimée par l’adoption, en juin 2012, des art. 19.2 et autres du Règlement, objectif qui « consiste à assurer la protection des personnes et des biens ainsi que l’accès au domaine public pour l’ensemble des citoyens lors de manifestations »[19]. L’appelant ne s’en est pris qu’à la proportionnalité[20] de la mesure contestée (lien rationnel, atteinte minimale, pondération des effets bénéfiques et préjudiciables).

[28]        Le débat étant ainsi circonscrit, la Cour supérieure, sous la plume de la juge Gagné, telle qu’alors, écarte en ces termes le premier argument de l’appelant, qui porte sur la nature de l’infraction créée par l’art. 19.2 du Règlement et, implicitement, la nature de l’atteinte :

[32]      Tout le raisonnement de l’appelant part de la prémisse erronée que l’article 19.2 du Règlement oblige chacun des participants à une manifestation à informer le SPVQ de l’heure et du lieu ou de l’itinéraire de celle-ci. On lit dans son exposé :

2)  (…) l’article 19.2 du [Règlement] attente au droit de s’exprimer des individus reconnu à l’article 2 b) de la Charte en obligeant chacun des participants à une manifestation de divulguer au [SPVQ] l’itinéraire suivi par celle-ci ou la date et le lieu de celle-ci. De plus, ces personnes devront suivre l’itinéraire divulgué ou respecter le déroulement décrit auprès du [SPVQ]. Si l’une de ces deux obligations n’est pas exécutée par celles-ci, elles participent à une manifestation illégale et, de ce fait, elles contreviennent à l’article 19.2 [du Règlement]. Elles sont ainsi passibles d’une amende de 150 $. [renvoi omis]

[Caractères gras ajoutés]

[33]      Plus loin, il ajoute :

5)         De plus, il est bon de noter que cette disposition réglementaire ne distingue pas le sort des organisateurs d’une manifestation et de ses participants. Ainsi, une personne qui veut se joindre à une manifestation en cours afin d’exprimer son point de vue devrait faire plusieurs vérifications auprès du [SPVQ] sans quoi elle risque de participer à une manifestation illégale. De plus, elle devra continuer d’en faire auprès du [SPVQ] au cours de la manifestation pour s’assurer que les informations qui avaient été divulguées quant au parcours de la manifestation ont été suivies par les organisateurs et les participants.

[Caractères gras ajoutés]

[34]      Ce n’est évidemment pas le cas. L’article 19.2 du Règlement ne saurait être interprété comme rendant coupable d’une infraction le participant à une manifestation qui n’aurait pas eu connaissance de la situation rendant la manifestation illégale.

[35]      La même question s’est soulevée dans le cas de l’infraction de participation à un attroupement illégal prévue aux articles 63 (1) a) et 66 du Code criminel et voici comment la Cour d’appel l’a résolue, sous la plume du juge Beauregard :

[14]       Je suis d’avis que, même avant la Charte, il fallait interpréter l’article 66 comme ne rendant pas coupable le membre d’un rassemblement qui n’aurait pas eu connaissance d’un fait donnant lieu de craindre que la paix ne fût troublée tumultueusement. Le droit pénal n’a jamais voulu punir une personne qui ignore une situation de fait. (…)

[Caractères gras ajoutés]

[…]

[37]      Un participant à une manifestation ne sera donc pas déclaré coupable de l’infraction prévue à l’article 19.2 du Règlement s’il n’a pas su, à un moment ou à un autre, qu’il s’agissait d’une manifestation illégale. Le fardeau de cette démonstration repose bien sûr sur les épaules de l’intimée.

[29]        Rappelant ensuite que le moyen choisi par le législateur ou le régulateur appelle un certain degré de déférence et n’a pas à être parfait, la juge entreprend de réviser l’application du critère de proportionnalité.

[30]        Tout comme le juge de la Cour municipale, elle conclut à l’existence d’un lien rationnel entre l’objectif poursuivi par la disposition réglementaire et le moyen de sa mise en œuvre :

[40]      Il doit exister un lien rationnel entre le moyen choisi par l’intimée et l’objectif qu’elle poursuit. Ce critère « n’est pas particulièrement exigeant » [renvoi omis]. Comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général) :

            […]

[41]      Ici, on ne peut pas dire que le fait d’exiger de connaître l’heure et le lieu ou l’itinéraire d’une manifestation, même dans le cas où l’itinéraire est divulgué à la toute dernière minute, n’est pas rationnellement lié à l’objectif de sécurité visé par l’intimée. Au contraire, la preuve démontre que ces renseignements facilitent l’encadrement par les policiers. Comme l’explique le lieutenant Hamel, cet encadrement vise à assurer la sécurité des manifestants et du public en général :

R.  (…) en premier lieu, c’est que les droits de tous les gens soient respectés; deuxième chose, c’est que les gens qui font l’activité soient sécurisés, qu’elle se fasse sans danger; et que tout ce qu’il y a comme services d’urgence de la Ville ne soient pas pénalisés dans le sens qu’ils peuvent fonctionner, tout simplement, comme il doit être, là. [renvoi omis]

[42]      Le fait de connaître l’itinéraire permet au SPVQ d’affecter les bonnes ressources aux bons endroits et de mieux coordonner les services d’urgence (le 911, les ambulanciers et les pompiers) ainsi que le réseau de transport en commun et les taxis [renvoi omis].

[31]        Selon la juge, le fait que, dans le passé, les policiers n’arrêtaient pas les manifestants ayant fait défaut de les instruire de la tenue de la manifestation ou de l’itinéraire de celle-ci ou ne leur remettaient pas de constat d’infraction n’altère pas l’existence de ce lien rationnel :

[47]      De toute façon, à supposer que le SPVQ ait fait montre d’une certaine tolérance par le passé, cela ne ferait pas disparaître le lien rationnel qui existe entre le moyen choisi et l’objectif. Il demeure tout à fait raisonnable d’inférer que la divulgation de l’heure et du lieu ou de l’itinéraire aidera le SPVQ à assurer la protection des personnes et des biens ainsi que l’accès au domaine public à l’ensemble des citoyens lors de manifestations.

[32]        Au chapitre de l’atteinte minimale, la juge estime que l’appelant se méprend en voyant dans l’art. 19.2 du Règlement l’obligation pour chacun des participants d’une manifestation de s’assurer que tous les autres participants respectent, comme lui, l’itinéraire dévoilé à la police : « Un participant ne sera pas déclaré coupable de l’infraction prévue à l’article 19.2 du Règlement uniquement parce qu’un autre participant n’aura pas respecté l’itinéraire »[21].

[33]        L’appelant reprochait également au juge de la Cour municipale de ne s’être pas penché sur la manière dont les autres pays occidentaux réglementent les manifestations. La juge écarte ce moyen : au contraire, le juge de première instance a renvoyé là-dessus au jugement prononcé dans l’affaire Garbeau[22], qui fait le tour de la question. Elle conclut ensuite que :

[53]      Dans le cas présent, l’exercice du droit de manifester sur le domaine public n’est pas assujetti à une autorisation préalable et l’exigence d’un avis n’est assortie d’aucun délai. Cela fait dire au Juge que « le simple avis de la tenue d’une manifestation et la divulgation de l’itinéraire sont des exigences peu contraignantes et permettent l’application de l’article 1 de la Charte dans une société libre et démocratique » [renvoi omis].

[54]      C’est aussi l’opinion de la juge Masse dans Villeneuve c. Montréal (Ville de) [renvoi omis] au sujet d’une disposition réglementaire similaire :

[451]     Comme le lieu ou l’itinéraire peuvent être communiqués jusque dans les minutes précédant la manifestation, il est difficile d’imaginer mesure plus souple. De multiples juridictions prévoient des mesures exigeant des préavis de plusieurs jours ou des demandes de permis qui impliquent aussi de plus longs délais. [renvoi omis]

[55]      La juge Masse conclut à la validité constitutionnelle de la disposition en cause, « sauf dans la mesure où [elle] s’applique aux manifestations instantanées », une catégorie qu’elle réduit « à celles dont la tenue se décide au moment même où elles se tiennent et ont un caractère d’urgence, et à celles dont la tenue résulte d’une coïncidence » [renvoi omis]. Selon elle, de telles manifestations se produisent rarement [renvoi omis].

[56]      Parlant de la manifestation dite « surprise », le Juge convient lui aussi « que ce type de manifestations est très rare à moins que, de façon plus ou moins organisée, on ne feigne la surprise ». Même dans ce cas, il estime qu’une fois l’effet de surprise passé, « cela implique une certaine forme de consensus » [renvoi omis].

[57]      Le Tribunal partage ce point de vue. Dans la très grande majorité des cas, les paragraphes 1 et 2 de l’article 19.2 du Règlement ne feront pas obstacle à une manifestation « instantanée » ou « surprise ». Les participants à une manifestation de ce type pourront toujours, une fois sur place, se concerter pour dévoiler leur itinéraire à la police. Il vaut de rappeler qu’en l’espèce, les manifestants ont fait l’inverse, c’est-à-dire qu’ils se sont concertés pour ne pas dévoiler leur itinéraire.

[58]      À supposer que le moyen choisi puisse, dans de rares cas, empêcher la tenue d’une manifestation vraiment « instantanée » ou « surprise », il se situerait tout de même « à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables » [renvoi omis]. Du reste, l’appelant n’a suggéré aucune mesure qui serait moins attentatoire et tout aussi efficace pour permettre à l’intimée de réaliser son objectif.

[Je souligne]

[34]        Enfin, quant à la proportionnalité des effets préjudiciables et bénéfiques, la juge, se fondant notamment sur les propos du juge en chef Lamer dans Comité pour la République du Canada c. Canada[23], explique que :

[61]      Ainsi, l’exercice du droit de manifester sur le domaine public, bien que couvert par la liberté d’expression, doit s’harmoniser autant que possible avec la destination première du lieu.

[62]      C’est précisément l’objectif de l’article 19.2 du Règlement. À cet égard, l’avis de motion qui a précédé l’adoption de cette disposition mentionne :

(…) Ces règles visent à assurer la paix, le bon ordre et la sécurité des personnes et des biens lors de tels événements. Elles tendent à assurer un juste équilibre entre l’exercice du droit fondamental à la liberté d’expression, le maintien de l’ordre et de la paix sur le territoire de la Ville de Québec, la protection des personnes et des biens et l’accès au domaine public pour l’ensemble des citoyens. [renvoi omis]

[63]      Certes, les paragraphes 1 et 2 de l’article 19.2 encadrent le droit de manifester et peuvent avoir pour effet de le limiter, mais leur incidence sur la liberté d’expression n’est pas disproportionnée par rapport à leurs effets bénéfiques sur le plan de l’intérêt supérieur du public. Pour reprendre les termes du juge Gascon dans l’arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville de) [renvoi omis], l’empiètement sur la liberté d’expression n’est pas tel qu’il supplante l’objectif.

[…]

[65]      Au fond, au nom de la liberté d’expression, l’appelant revendique le droit de manifester sur le domaine public sans la moindre contrainte. Pour lui, la manifestation « est une forme d’expression qui recèle un élément de perturbation » et elle risque de se « dénaturer » si les autorités l’encadrent trop [renvoi omis].

[66]      Voilà qui ne tient pas compte de la limite intrinsèque de la liberté de s’exprimer en lieu public. Quitte à le répéter, il n’existe pas de droit constitutionnel général et absolu de manifester sur le domaine public sans aucun encadrement législatif ou réglementaire [renvoi omis]. L’utilisation à cette fin des rues et parcs destinés à l’usage public peut faire l’objet d’une « réglementation raisonnable conçue en vue d’assurer leur utilisation continue pour les fins auxquelles ils sont destinés » [renvoi omis].

[67]      C’est le cas ici. Compte tenu de l’importance de l’objectif poursuivi par l’intimée et de l’atteinte somme toute minimale à la liberté d’expression, le Tribunal conclut que les paragraphes 1 et 2 de l’article 19.2 du Règlement fixent des balises raisonnables et justifiées dans une société libre et démocratique.

[35]        Pour toutes ces raisons, la juge rejette donc l’appel.

[36]        Comme on le sait, l’appelant a obtenu la permission de se pourvoir devant notre cour, aux termes de l’art. 291 C.p.p. Il fonde en partie ses prétentions sur l’arrêt Villeneuve c. Ville de Montréal[24], arrêt en effet déterminant, prononcé - il faut le préciser - après le jugement dont appel.

II.         Analyse

[37]        La seule question en litige est donc celle de savoir si les mesures litigieuses, bien qu’elles enfreignent l’art. 2 de la Charte canadienne, ce que ne conteste pas l’intimée, sont justifiées dans une société libre et démocratique au sens de l’art. 1 de cette même charte. Dans ce cadre, il s’avérera toutefois nécessaire de se pencher sur la nature précise de l’atteinte en cause. Pour le reste, l’existence d’un « objectif urgent et réel », premier volet du test applicable en vertu de l’art. 1 de la Charte canadienne, fera l’objet de commentaires succincts, puisque l’appelant n’en a pas nié l’existence devant la Cour municipale et la Cour supérieure, et l’analyse ciblera surtout le second volet de ce test, à savoir celui de la proportionnalité.

[38]        Notons au passage que le débat n’a pas porté sur les art. 3 et 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[25] du Québec, dispositions dont l’application mènerait toutefois au même résultat.

A.        Observations préliminaires

[39]        Deux observations préliminaires sont ici de mise : la première se rapporte à une dimension négligée de la présente affaire, qui concerne la liberté de réunion pacifique; la seconde, d’un tout autre ordre, rappelle l’importance du domaine public comme lieu d’exercice des libertés d’expression et de réunion pacifique.

1.         Liberté d’expression et liberté de réunion pacifique

[40]        Devant la Cour municipale comme devant la Cour supérieure, le débat fut mené principalement sous le signe de la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte canadienne. C’est encore le cas en appel, quoique certains passages de l’exposé de l’appelant renvoient à la liberté de réunion pacifique, protégée par l’al. 2c) de ladite charte. Les jugements antérieurs ne font cependant que de brèves allusions à cette seconde liberté, le juge de la Cour municipale ayant conclu, comme on l’a vu, que « [l]a participation à une manifestation combine le droit à la liberté d'expression à celui de se réunir pacifiquement »[26] et ayant analysé l’affaire essentiellement sous l’angle de la première.

[41]        On peut sans aucun doute, dans le traitement juridique du phénomène de la manifestation, joindre liberté d’expression et liberté de réunion pacifique, la seconde, vu le contexte, se subsumant dans la première ou la recoupant[27]. La manifestation, telle que définie par les dictionnaires d’usage courant[28], renvoie en effet à l’idée d’individus se réunissant afin d’exprimer une opinion ou de soutenir une cause : on manifeste pour affirmer collectivement le point de vue partagé par les individus ainsi réunis[29], « activité expressive » par excellence, laquelle est protégée comme le discours lui-même[30]. C’est d’ailleurs ainsi que l’art. 1 du Règlement définit la manifestation, alors qu’il parle de « rassemblement », d’« attroupement », de « défilé », termes qui supposent la réunion de plusieurs personnes[31], lesquelles, précise la disposition, « expriment une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou à une cause ».

[42]        On peut bien sûr concevoir la « manifestation » d’une seule personne, qui se posterait par exemple devant des bureaux gouvernementaux ou l'établissement d’une société en brandissant une pancarte ou en scandant des slogans[32], mais le mot a ordinairement une connotation collective, à laquelle renvoie expressément l’art. 1 du Règlement.

[43]        Tout cela pour dire que dans le cadre d’une manifestation (entendue dans son sens collectif usuel), la réunion devient le moyen, la modalité de l’expression et en est indissociable. Or, tant l’expression, c’est-à-dire le discours, que la manière d’être de cette expression, en l’occurrence la réunion, sont protégées distinctement par les al. b) et c) de l’art. 2 de la Charte canadienne. Que le constituant ait jugé utile de garantir la liberté de réunion pacifique en la distinguant de la liberté d’expression (ou de la liberté d’association, de laquelle elle se rapproche aussi[33]) et en l’affirmant de manière autonome[34] est révélateur.

[44]        Certainement, le constituant était conscient de ce que nombre d’activités mêlent ces libertés, qu’il a néanmoins différenciées. On doit, il me semble, en conclure qu’il attachait à la réunion pacifique, c’est-à-dire à la rencontre physique des individus[35], une importance intrinsèque comme élément définitionnel d’une société libre et démocratique : la liberté de se réunir pacifiquement, à la fois individuelle et collective (comme la liberté d’association), est fondamentale en elle-même. Sans doute est-elle souvent jointe à d’autres libertés - au premier chef desquelles la liberté d’expression - et exercée simultanément, mais elle possède ses vertus inhérentes, qui marquent l’importance du regroupement et du rassemblement, en l’occurrence pacifique, quel que soit l’objet ou le but de cette réunion (qui peut d’ailleurs être autre que l’expression d’une opinion), et l’al. 2c) de la Charte canadienne la protège en tant que telle[36].

[45]        Selon les termes d’un auteur, la liberté de réunion pacifique est pourtant « the least judicially explored freedom »[37] et l’on pourrait même dire qu’elle est, doctrinalement et jurisprudentiellement, le parent pauvre du domaine des libertés fondamentales garanties par l’art. 2 de la Charte canadienne[38]. Cela n’en fait pas pour autant une liberté accessoire ou de second ordre, dont la protection devrait être moins robuste[39].

[46]        Bref, la manifestation est tout à la fois l’incarnation de la liberté d’expression et de la liberté de réunion pacifique, qui se superposent sans pourtant se confondre. En l’espèce, on peut conclure que le Règlement, en restreignant comme il le fait la liberté d’expression, attente concurremment à la liberté de réunion pacifique.

2.         Domaine public, expression et réunion pacifique

[47]        Le domaine public et, plus précisément, la rue, le trottoir, la place ou le parc sont, cela va sans dire, les lieux privilégiés, traditionnels et historiques de l’expression collective et de la réunion populaire : ils forment le terrain naturel de la manifestation[40]. Comme le rappelle la Cour suprême, succinctement, dans Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique[41], sous la plume de la juge Deschamps :

[27]      Depuis longtemps, la Cour interprète de manière généreuse et téléologique les droits et libertés garantis par la Charte (Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295). Son interprétation de l’al. 2b) ne fait pas exception : SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, p. 588; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 748-749 et 766-767; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697. L’activité par laquelle on transmet ou tente de transmettre un message bénéficie de prime abord de la protection de l’al. 2b) (Irwin Toy, p. 968-969). De plus, la Cour a reconnu que l’al. 2b) protège le droit individuel de s’exprimer dans certains endroits ou espaces publics (Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139 (aéroport); Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 (poteau électrique); Ville de Montréal, par. 61 (voie publique)). La Charte protège donc de prime abord non seulement l’activité expressive, mais aussi le droit de l’exercer dans certains lieux publics (Ville de Montréal, par. 61).

[Je souligne]

[48]        Dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.[42], la juge en chef McLachlin et la juge Deschamps, au nom des juges majoritaires[43], écrivent que :

61        […] L’un des aspects de la liberté d’expression est le droit de s’exprimer dans certains endroits publics. Ainsi, la place et la tribune publiques sont devenues, par tradition, des lieux où l’expression est protégée. Il s’agit en l’espèce de savoir si l’al. 2b) de la Charte canadienne protège non seulement l’activité à laquelle se sont livrés les appelants, mais également leur droit de s’y livrer là où ils s’y sont livrés, c’est-à-dire sur une voie publique.

[Je souligne]

[49]        Tous les espaces publics ne se prêtent pour autant pas à l’exercice de la liberté d’expression ou de réunion pacifique et, comme l’expliquent la juge en chef McLachlin et la juge Deschamps dans l’arrêt précité :

74        La question fondamentale quant à l’expression sur une propriété appartenant à l’État consiste à déterminer s’il s’agit d’un endroit public où l’on s’attendrait à ce que la liberté d’expression bénéficie d’une protection constitutionnelle parce que l’expression, dans ce lieu, ne va pas à l’encontre des objectifs que l’al. 2b) est censé favoriser, soit : (1) le débat démocratique; (2) la recherche de la vérité; et (3) l’épanouissement personnel. Pour trancher cette question, il faut examiner les facteurs suivants :

a)   la fonction historique ou réelle de l’endroit;

b)   les autres caractéristiques du lieu qui laissent croire que le fait de s’y exprimer minerait les valeurs sous-jacentes à la liberté d’expression.[44]

[50]        Dans Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général)[45], la juge Deschamps, tout en reprenant le même test, précise ce qui suit :

[37]      Pour que le mode ou lieu de communication d’un message soit exclu de la protection de la Charte, le tribunal doit arriver à la conclusion que l’un ou l’autre est en dissonance avec les valeurs protégées par l’al. 2b), c’est-à-dire l’épanouissement personnel, le débat démocratique et la recherche de la vérité (Ville de Montréal, par. 72). Pour trancher cette question, les facteurs suivants sont suggérés : a) la fonction historique ou réelle du lieu de l’activité ou du mode d’expression; b) les autres caractéristiques du lieu de l’activité ou du mode d’expression qui tendent à indiquer que le fait de s’exprimer à cet endroit ou d’utiliser ce mode d’expression minerait les valeurs sous-jacentes de la liberté d’expression (Ville de Montréal, par. 74). L’analyse ne doit toutefois pas seulement s’attacher à la fonction première du mode d’expression ou du lieu de l’activité. Par exemple, dans les arrêts Comité pour la République du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139, Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084, Ville de Montréal et Greater Vancouver, notre Cour a jugé qu’un aéroport, un poteau électrique, une voie publique et un autobus sont des lieux où l’exercice de certaines activités expressives n’est pas incompatible avec les autres valeurs que l’al. 2b) est censé favoriser, en dépit du fait que leur fonction première n’est pas l’expression. En effet, la destination première de ces lieux n’était certes pas la communication de messages, mais leur utilisation historique à des fins expressives démontrait que leurs caractéristiques ou fonctions ne les rendraient pas impropres à l’exercice de la liberté d’expression.

[Je souligne]

[51]        Selon cette grille d’analyse, les rues sont donc « manifestement des lieux de rencontre publics et non privés, où diverses formes d’expression sont acceptées depuis longtemps »[46]. Le même point de vue ressort de l’affaire Comité pour la République du Canada c. Canada[47], arrêt dans lequel la juge McLachlin, qui n’était pas encore juge en chef, écrit par exemple que :

[…] Le droit à la liberté de parole a toujours été associé aux rues, aux chemins et aux parcs, qui constituent tous des propriétés gouvernementales.[48]

[52]        Elle cite également (comme sa collègue la juge L’Heureux-Dubé[49]), le passage suivant de l’arrêt Saumur v. City of Quebec[50] :

            Au Canada, dans l'arrêt Saumur v. City of Quebec, [1953] 2 R.C.S. 299, notre Cour a annulé un règlement municipal interdisant la distribution de brochures dans les rues de la ville sans l'autorisation du chef de police. Le juge Rand y a affirmé ce qui suit à la p. 322 :

[TRADUCTION] La Bible elle-même démontre que la voie publique, qui est en certains cas le seul moyen commode dont on dispose pour faire appel à la collectivité, constitue depuis les temps les plus reculés le canal de ce genre de communication. On trouve au 6e verset du chapitre XI de Jérémie les mots suivants: « Proclame toutes ces paroles dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem… »

[53]        Il en va de même aux États-Unis et l’on peut renvoyer ici aux propos du juge Roberts de la Cour suprême des États-Unis dans Hague v. Committee for Industrial Organization[51] :

[…] Wherever the title of streets and parks may rest, they have immemorially been held in trust for the use of the public and, time out of mind, have been used for purposes of assembly, communicating thoughts between citizens, and discussing public questions. Such use of the streets and public places has, from ancient times, been a part of the privileges, immunities, rights, and liberties of citizens.[52]

[54]        La notion de « public forum » à laquelle s’intègre cette remarque n’a pas été retenue par la Cour suprême du Canada, mais tant le droit canadien que le droit américain, chacun par leur lorgnette, reconnaissent le même statut aux rues, trottoirs, parcs et, généralement, à la « voie publique » ou à la « place publique » comme lieu coutumier, normal et légitime de la liberté d’expression, mais aussi celui de la liberté de réunion pacifique[53].

[55]        En fin de compte, les rues, les trottoirs, les places et les parcs sont non seulement les lieux privilégiés de l’expression individuelle, mais aussi - et peut-être même surtout - ceux de l’expression collective qui s’incarne dans les manifestations : les manifestants qui les utilisent en font un usage légitime. Les rues, les trottoirs et les places ont sans doute pour fonction quotidienne de permettre, selon le cas, la circulation automobile, cycliste ou piétonnière, les parcs ayant habituellement une vocation de loisir, mais il s’agit aussi d’espaces de rassemblement et d’expression collective, indispensables à l’exercice de la liberté de réunion pacifique. C’est là un élément incontournable du présent débat.

B.        Nature de la restriction issue du Règlement

[56]        Quoique l’intimée ne conteste pas la violation de l’art. 2 de la Charte canadienne, il convient tout de même de s’arrêter quelques instants à la nature de la contravention aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

[57]        Il faut souligner tout d’abord que les manifestations visées par les dispositions réglementaires litigieuses sont des manifestations pacifiques. Certes, le paragr. 3 du second alinéa de l’art. 19.2 cible les manifestations au cours desquelles des actes de violence ou de vandalisme seraient commis, mais cette disposition, que la Cour municipale a jugée « inopérante et inopposable », n’est pas en jeu ici. L’affaire ne concerne donc pas des manifestations qui tourneraient à l’émeute ou seraient l’occasion de la perpétration d’actes criminels, ce qui entraînerait de toute façon l’application du Code criminel. Il est plutôt question ici de manifestations pacifiques, qui sont rendues illégales (art. 19.2, al. 1 du Règlement) par le fait d’une contravention à une exigence formelle (art. 19.2, al. 2, paragr. 1 et 2), contravention qui enclenche la responsabilité pénale de l’organisateur, ainsi que celle de tout participant (art. 19.2, al. 1, 20 et 21). Il faut noter aussi que, indépendamment de cette responsabilité pénale, la police, gardienne de l’ordre, pourra ordonner la cessation de la manifestation en raison de cette illégalité. Il est vrai que le Règlement ne prescrit pas la dispersion de la manifestation devenue illégale aux termes de l’art. 19.2 du Règlement, mais, vu le rôle dévolu aux forces policières de prévenir et de réprimer les infractions aux règlements municipaux, la chose va de soi[54].

[58]        On doit observer ensuite - et cela est capital - que le jugement de la Cour municipale et celui de la Cour supérieure examinent la contravention constitutionnelle sous le seul angle suivant, délimité par l’art. 19.2, al. 2 du Règlement : l’obligation de communiquer au service de police un préavis de la date, de l’heure, du lieu d’une manifestation et, le cas échéant, d’un itinéraire, ainsi que celle de respecter les paramètres de ce préavis sont-elles justifiées par l’art. 1 de la Charte canadienne? C’est en fonction de cette question, limitée à l’exigence de notification, qu’est définie l’atteinte aux libertés en cause et c’est strictement en fonction de cette exigence qu’est analysée la question de la proportionnalité. Et tant la Cour municipale que la Cour supérieure concluent que l’exigence est raisonnable et anodine la contrainte qui en est issue : ce n’est rien que de remettre un préavis et un itinéraire et, d’ailleurs, la chose s’est déjà faite dans le passé sur une base entièrement volontaire. Les jugements ne discutent toutefois pas des conséquences pratiques de cette mesure de préavis, notamment sur les personnes qui ne sont que des participants à une manifestation et non les organisateurs de celle-ci. Ils ne tiennent pas davantage compte de l’infraction pénale que crée le Règlement afin de sanctionner celui ou celle qui organise une manifestation sans préavis ou dont le déroulement n’est pas conforme au préavis, ainsi que celui ou celle qui y participe. Or, et je le dis très respectueusement, je crois que cette manière de définir et de considérer l’atteinte n’est pas appropriée et vicie l’analyse qui en résulte.

[59]        La restriction n’est en effet pas que dans l’obligation de notifier le service de police de l’heure, du lieu et, s’il y a lieu, de l’itinéraire d’une manifestation et de se conformer à ce préavis. Elle est aussi - et surtout - dans le fait que la manifestation pacifique tenue sans préavis ou hors les paramètres annoncés est illégale, d’où les conséquences suivantes : 1° en vertu de la mission générale qui lui est confiée[55], la police peut en ordonner la cessation, ce qui met fin à l’activité expressive, et 2° la participation à une telle manifestation de même que son organisation constituent une infraction aux termes des art. 20 et 21 du Règlement et, plus exactement, une infraction de responsabilité stricte, dont la commission est sanctionnée par une amende.

[60]        Sur le premier point, il va sans dire que la discontinuation forcée d’une activité expressive pacifique, et ce, par l’État (représenté en l’occurrence par le service de police municipal), est une restriction aux libertés d’expression et de réunion.

[61]        Sur le second point, il n’est pas nécessaire de s’étendre sur les conditions d’existence et d’application des infractions de responsabilité stricte, qui sont bien connues et qui ont maintes fois été examinées par la Cour suprême, par exemple dans les arrêts R. c. Sault Ste-Marie[56] (arrêt-phare, qui distingue les infractions de mens rea des infractions de responsabilité stricte ou absolue et qui établit la présomption voulant que les infractions réglementaires, créées en vue de protéger le bien-être public, soient de responsabilité stricte), R. c. Wholesale Travel Group Inc.[57] (qui valide de telles infractions au regard des art. 7 et 11, al. d) de la Charte canadienne), Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc.[58] ou La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers[59] (arrêts qui reprennent et affinent l’enseignement de Sault Ste-Marie, notamment au chapitre de la présomption « suivant laquelle les infractions réglementaires appartiennent en général à la catégorie des infractions de responsabilité stricte »)[60]. On peut renvoyer encore à l’arrêt Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé[61], qui rappelle les principes reconnus par la Cour suprême et les applique à la qualification de l’infraction créée par un règlement municipal (en l’occurrence un règlement de stationnement).

[62]        En l’espèce, la présomption établie par l’arrêt Sault Ste-Marie n’a pas été réfutée par l’intimée. En effet, d’une part, les art. 19.2, 20 et 21 n’usent pas des mots « volontairement », « sciemment », « intentionnellement », « avec l’intention de » ou autres du genre, indicateurs de l’exigence d’une mens rea, et leur formulation ne contient rien qui, implicitement, permettrait d’inférer une telle exigence. Le texte de ces dispositions ne contient pas non plus le langage clair qui aurait été nécessaire pour créer une infraction de responsabilité absolue[62]. D’autre part, l’objet et l’économie générale de la réglementation (assurer la libre circulation et la sécurité des usagers, y compris celle des manifestants) ainsi que la teneur de la peine (une amende de 150 $ à 1 000 $, pour la première infraction commise par une personne physique; une amende de 300 $ à 2 000 $ en cas de récidive) sont entièrement compatibles avec l’idée d’une infraction de responsabilité stricte. En ce sens, et au contraire de ce qu’indique le jugement de la Cour supérieure, l’infraction ainsi créée se distingue du crime d’attroupement illégal prévu par les art. 63 et 66 C.cr., qui requiert la mens rea[63].

[63]        Or, comme on le sait, l’infraction de responsabilité stricte allège le fardeau du poursuivant, qui n’a pas à établir la mens rea du contrevenant, ce dernier disposant pour sa part d’une défense de diligence raisonnable que le juge Wagner, maintenant juge en chef de la Cour suprême, décrit ainsi dans l’arrêt La Souveraine[64] :

[56]      La défense de diligence raisonnable est recevable si le défendeur croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent. De plus, le défendeur qui démontre qu’il a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter que l’événement en question ne se produise pourra échapper à la responsabilité (Sault Ste-Marie, p. 1326). La défense de diligence raisonnable est assujettie à une norme objective et elle suppose l’examen de l’attitude d’une personne raisonnable placée en pareilles circonstances.

[64]        Dans Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville)[65], la Cour suprême, toujours sous la plume du juge Wagner, tel qu’alors, réitère que la personne accusée d’une infraction de responsabilité stricte doit démontrer, par prépondérance, qu’elle « a pris toutes les précautions possibles et raisonnables pour éviter de commettre l’infraction »[66], fardeau qui repose sur « un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées »[67]. L’erreur de droit, soulignons-le, n’est pas un moyen de défense en matière d’infraction de responsabilité stricte[68] (à moins d’être provoquée par une personne en autorité, exception limitée[69]).

[65]        La création d’une telle infraction de responsabilité stricte dans le Règlement accroît la sévérité de la restriction à la liberté d’expression, tout comme à la liberté de réunion pacifique : non seulement, en effet, l’organisateur d’une manifestation pourtant pacifique est-il passible d’une poursuite pénale de cet ordre lorsqu’il ne se conforme pas aux exigences de l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1 (préavis) et 2 (respect du préavis), mais le simple participant à une telle manifestation est également visé et ne pourra s’exonérer de sa responsabilité pénale qu’en se déchargeant du fardeau de preuve décrit plus haut. Voilà qui peut assurément contribuer à refroidir les ardeurs d’éventuels participants et, même, à les dissuader de se joindre à une manifestation : c’est une sorte d’épée de Damoclès pendant sur la tête de chacun et qui accentue l’atteinte à sa liberté d’expression et de réunion pacifique. L’amende qui sanctionne l’infraction n’est par ailleurs pas négligeable pour une personne physique (de 150 $ à 1 000 $ pour une première infraction, de 300 $ à 2 000 $ en cas de récidive).

[66]        En outre, il faut aussi, pour mesurer pleinement la restriction découlant du Règlement, considérer que ses exigences en matière de préavis ont pour effet de rendre illégales et, en pratique, de proscrire, sous peine d’une sanction pénale, la manifestation spontanée et la manifestation surprise de même que la participation à ces événements, même lorsqu’ils sont pacifiques. Par définition, la manifestation spontanée, qui survient sans planification ou préparation véritable, s’accommode en effet difficilement d’un préavis ou de l’envoi d’un itinéraire. Il en va de même de la manifestation surprise, destinée, comme son nom l’indique, à prendre au dépourvu la personne ou l’entité qui en est la cible.

[67]        On peut donner quelques exemples de la manifestation spontanée. Pensons ainsi à la situation de l’employeur qui licencie un grand nombre de salariés sans avertissement préalable, un vendredi, à la fin du quart de travail. Les salariés licenciés et leurs collègues, quittant l’entreprise à cette heure, se regroupent tout naturellement sur le trottoir (domaine public), devant l'établissement de leur employeur, et manifestent pacifiquement leur mécontentement ou leur solidarité (ce qui pourrait se faire par un silence absolu autant que par des cris). Cette manifestation spontanée, qui répond à la définition de l’art. 1 du Règlement, serait pourtant illégale au sens de l’art. 19.2 du Règlement, aucun avertissement n’ayant été donné de l’heure et du lieu du rassemblement. Si les manifestants décidaient tout aussi spontanément de se déplacer vers le siège social de leur employeur ou encore devant l’immeuble de l’Assemblée nationale, ils se trouveraient également, par le fait même, à enfreindre le Règlement. Dans l’un et l’autre cas, ils s’exposeraient à une sanction pénale de responsabilité stricte, alors même que leur manifestation demeurerait pacifique.

[68]        Pareillement, imaginons qu’au lendemain d’un grave accident impliquant un autobus scolaire, plusieurs personnes se rendent sur les lieux afin de manifester leur sympathie et leur soutien aux victimes et à leurs familles ou pour réclamer un meilleur contrôle de la circulation. Chacune étant venue de son propre chef et sans concertation avec d’autres (ou alors, en concertation avec des parents ou des amis proches), elles se rassemblent sur le trottoir jouxtant le site de l’accident ou dans un petit parc municipal voisin. Il s’agirait là d’une manifestation au sens de l’art. 1 du Règlement et, puisqu’elle aurait été tenue sans préavis, elle serait illégale au sens de l’art. 19.2, exposant donc là encore ses participants à une poursuite pénale.

[69]        De la même manière, la participation spontanée à une manifestation peut se révéler périlleuse au regard du Règlement : que faire de la cégépienne qui, sortant de classe, se joint à une manifestation passante dont les banderoles ou les slogans lui sont sympathiques (mais dont la police n’a pas été prévenue) ou de la travailleuse qui se joint de façon impromptue à une manifestation stationnaire dont les organisateurs ne se sont pas conformés à l’obligation de préavis? En pareil cas, la spontanéité de l’action entraînera forcément la culpabilité à l’infraction que créent les art. 19.2, 20 et 21 du Règlement.

[70]        Quant à la manifestation surprise, elle est, elle aussi, en pratique, empêchée par l’obligation de préavis instituée par l’art. 19.2 du Règlement : les citoyens qui voudraient se présenter devant l’hôtel de ville afin de protester contre l’adoption de telle ou telle mesure en augmentant l’impact de leur manifestation par un effet de surprise vont perdre l’effet en question s’ils sont tenus de prévenir le service de police de leurs intentions. Même chose pour les grévistes qui souhaiteraient organiser un piquetage devant le siège social du fournisseur principal de leur employeur[70] et profiter, là encore, d’un effet de surprise. On peut penser également au phénomène de la manifestation éphémère (« flash mob », mobilisation éclair), qui réunit brièvement un groupe de personnes se livrant à une action expressive de courte durée et se dispersant aussitôt. Dans tous ces cas, le Règlement rend la manifestation illégale et l’organisateur ou le participant passible d’une poursuite pénale de responsabilité stricte.

[71]        Si, par ailleurs, l’imposition d’une exigence de préavis à l’organisateur d’une manifestation (lorsqu’il en est) peut sembler peu contraignante au premier abord (abstraction faite de la sanction pénale rattachée au défaut), il peut être en pratique difficile pour le simple participant de s’assurer personnellement que le préavis a été donné et que la manifestation se déroule conformément à ce préavis. Doit-il contacter l’organisateur (lorsqu’il en est) pour s’assurer que le préavis a été remis? Doit-il obtenir, s’il est prévu que la manifestation se déplace, une copie de l’itinéraire? Peut-il se fier à la réponse qu’on lui donne sans faire d’autres vérifications? Doit-il plutôt contacter le service de police pour s’assurer que le préavis requis a été fourni et s’informer de l’itinéraire (on peut imaginer l’embarras que généreraient, pour la police elle-même, des démarches de ce genre si elles devaient se multiplier)? Doit-il, sur place, vérifier (et revérifier au besoin) auprès des policiers présents (s’il en est) le caractère légal de la manifestation (ce qui, à première vue, paraît en dissonance avec l’idée de la liberté d’expression et de réunion pacifique)? Doit-il quitter la manifestation dès qu’il se rend compte qu’elle s’écarte du trajet prévu ou que certains participants dévient du chemin? Quant à l’organisateur, pour revenir à lui, il pourrait éprouver des difficultés à assurer le respect du préavis qu’il a donné. Pensons ici, par exemple, à une manifestation de type défilé ou marche : l’organisateur pourrait peiner à assurer, sur le plan pratique, le respect de l’itinéraire prévu, particulièrement si le nombre des manifestants est élevé. Or, dans tous ces cas, un manquement engendre la responsabilité pénale du participant et de l’organisateur[71], avec le fardeau de preuve qui l’accompagne d’établir sa diligence raisonnable.

[72]        De même, les exigences de préavis et de respect des paramètres ainsi annoncés peuvent être difficiles à respecter dans le cas de manifestations qui sont sans organisateur véritable, ce qui, en ces temps de réseaux sociaux, est tout à fait concevable. Le jugement de la Cour municipale écrit là-dessus que :

[142]    Si les médias sociaux permettent la diffusion rapide de renseignements à plusieurs personnes en même temps, ils permettent également et très facilement d'ajouter à sa liste d'envoi les autorités policières.

[73]        En tout respect, il y a dans cette suggestion d’intégrer les services policiers à la préparation d’une manifestation (à quel stade? dès le début? seulement lorsqu'un nombre suffisant de personnes ont répondu à l’invitation? lorsqu’il appert avec certitude que la manifestation aura lieu?) quelque chose d’antinomique à la liberté d’expression ou de réunion pacifique, qui s’apparente à une forme de surveillance étatique.

[74]        Il faut tenir compte également du fait que, la « manifestation » étant définie de façon très large par l’art. 1 du Règlement, celui-ci se trouve à cibler autant les rassemblements politiques devant l’édifice de l’Assemblée nationale (peu importe la taille du rassemblement, d’ailleurs, taille qui n’est pas un critère définitionnel retenu par le Règlement), que les salariés qui font du piquetage primaire ou secondaire sur le trottoir (exerçant ainsi un droit spécifiquement reconnu par la Cour suprême[72]) ou les parents réunis dans un parc ou un centre sportif municipal afin d’apporter leur soutien aux enfants qui participent à un match de hockey ou de soccer ou à l’adolescente qui prend part à un concours provincial de natation. Il viserait même, si l’on s’en tient à la lettre de l’art. 1 du Règlement, les personnes qui se rendent en groupe, à pied, à une partie de football au stade du Pavillon de l’Éducation physique et des sports de l’Université Laval et qui, marchant sur le trottoir, manifestent leur appui à l’équipe du Rouge et Or en brandissant des drapeaux, en agitant des cloches ou en soufflant dans leurs vuvuzelas. Dans tous ces cas, le préavis requis par l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1, préavis adressé au Service de police de l’intimée, est exigé (peu importe sa pertinence véritable), de même que le respect de l’itinéraire (si les personnes sont appelées à se déplacer ou, dans les faits, se déplacent), avec les conséquences pénales qui s’ensuivent potentiellement si la notification n’a pas eu lieu.

[75]        Tout cela pour dire que, en l’espèce, l’atteinte à l’art. 2 de la Charte canadienne doit être définie non seulement en fonction des exigences de préavis énoncées à l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1 et 2 du Règlement, mais en fonction également du sens très large que l’art. 1 donne à la « manifestation », s’agissant par ailleurs d’exigences affectant très concrètement des activités expressives pacifiques tenues dans des endroits dont plusieurs (rues, trottoirs, places, parcs) sont des lieux traditionnellement utilisés à cette fin. Il faut considérer aussi que le Règlement a pour effet de rendre cette activité expressive illégale, alors qu’elle est pourtant constitutionnellement garantie par les al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne. Enfin, l’atteinte ne peut être cernée correctement sans tenir compte de la nature de la mesure de répression pénale qui sanctionne l’illégalité, à savoir l’infraction de responsabilité stricte que créent les art. 20 et 21 du Règlement, laquelle vise indifféremment l’organisateur ou le participant. Au total, sans être la plus grave que l’on puisse concevoir, la restriction n’est pas bénigne : elle est, au contraire, réelle et significative.

C.        Art. 1 de la Charte canadienne

[76]        Tout cela nous amène à la question que la Cour doit trancher : les art. 1, 19.2, 20 et 21 du Règlement, qui, ensemble, circonscrivent les contours de l’atteinte aux libertés garanties par les al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne, sont-ils justifiés par l’art. 1 de celle-ci? Ces dispositions réglementaires constituent, bien sûr, des règles de droit au sens de l’art. 1[73], mais sont-elles raisonnables dans une société libre et démocratique? Considérant la façon indûment restreinte dont l’atteinte a été définie par les jugements précédents, c’est un exercice qu’il faut reprendre ici largement.

[77]        Dans Frank c. Canada (Procureur général)[74], le juge en chef Wagner, au nom des juges majoritaires, résume en ces termes les étapes de l’analyse qui doit être faite en vertu de l’article premier de la Charte canadienne et le fardeau qui repose en conséquence sur les épaules de l’État :

[38]      Deux critères fondamentaux doivent être respectés pour que la restriction d’un droit garanti par la Charte soit justifiée en vertu de l’article premier. En premier lieu, l’objectif de la mesure doit être urgent et réel pour justifier l’imposition d’une restriction à un droit garanti par la Charte. Il s’agit d’une condition préalable, dont l’analyse s’effectue sans tenir compte de la portée de l’atteinte, du moyen retenu ou des effets de la mesure (R. c. K.R.J., 2016 CSC 31, [2016] 1 R.C.S. 906, par. 61). En deuxième lieu, le moyen par lequel l’objectif est réalisé doit être proportionné. L’analyse de la proportionnalité comporte trois éléments : (i) le lien rationnel avec l’objectif, (ii) l’atteinte minimale au droit, et (iii) la proportionnalité entre les effets de la mesure (y compris une mise en balance de ses effets préjudiciables et de ses effets bénéfiques) et l’objectif législatif énoncé (Oakes, p. 138-139; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, [2015] 1 R.C.S. 3, par. 139; K.R.J., par. 58). L’examen de la proportionnalité se veut à la fois normatif et contextuel, et oblige les tribunaux à soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes (K.R.J., par. 58; Oakes, p. 139).

[39]      Lors de l’examen fondé sur l’article premier, le fardeau incombe à la partie qui demande le maintien de la restriction — en l’espèce, le PGC (Oakes, p. 136-137). Pour s’acquitter de ce fardeau, le PGC doit satisfaire à la norme de preuve qui s’applique en matière civile, c’est-à-dire la preuve selon la prépondérance des probabilités (Oakes, p. 137; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137-138).[75]

[78]        S’agissant toutefois de restreindre la liberté d’expression, dont l’importance sociale et la fonction privilégiée comme instrument et pilier de l’ordre démocratique ont été maintes fois soulignées par la jurisprudence[76] et la doctrine[77], la Cour suprême, sous la plume de la juge en chef McLachlin, rappelle cependant que le test ci-dessus doit être appliqué de façon rigoureuse, surtout lorsqu’il s’agit de restreindre la liberté d’expression politique (qui est certainement visée par le Règlement, lequel n’y est toutefois pas limité, étant entendu que la manifestation à laquelle l’appelant a participé était de nature politique) :

[16]      La liberté d’expression politique « représente un aspect fondamental de la liberté d’expression garantie par la [Charte] » (Harper, par. 1 (la juge en chef McLachlin et le juge Major); voir également Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, par. 29; R. c. Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731, p. 752-753 (la juge McLachlin); R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 763-764 (le juge en chef Dickson); Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, p. 1355-1356 (la juge Wilson)). Pour que les mesures de restriction de cette liberté d’expression soient justifiées au sens de l’article premier de la Charte, « il doit être démontré de manière claire et convaincante [qu’elles] sont nécessaires, qu’elles ne vont pas trop loin et qu’elles ont pour effet non pas d’affaiblir le processus démocratique mais bien plutôt de le renforcer » (Harper, par. 21 (la juge en chef McLachlin et le juge Major); voir également Libman, par. 28, citant Edmonton Journal, p. 1336 (le juge Cory)).[78]

[79]        Comme l’écrit par ailleurs le juge Binnie, pour les juges majoritaires, dans Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Ministre de la Justice)[79], si l’on doit reconnaître une certaine déférence au législateur ou au régulateur, il demeure que « [t]out doute quant à la justification doit être résolu en faveur de la liberté d’expression »[80]. La liberté d’expression, certes, n’est pas absolue, mais commande un examen attentif et prudent des restrictions qu’on tente d’y apporter.

[80]        Les mêmes propos sont applicables à la liberté de réunion pacifique, et certainement lorsqu’elle s’amalgame à la liberté d’expression, ce qui est le cas lors d’une manifestation - et notamment d’une manifestation politique - prenant place sur le domaine public.

[81]        Cela étant, qu’en est-il ici?

1.         Objectif urgent et réel

[82]        Le Règlement, de façon générale, poursuit un objectif de sécurité publique (protection des biens et des personnes, accès libre au domaine public) que promeuvent également les dispositions litigieuses, qui mettent en place à cette fin des mesures de prévention et de sanction. On cherche en effet par là à protéger les manifestants eux-mêmes ainsi que les autres usagers du domaine public (il s’agit, par la présence policière, d’éviter les accidents autant que les confrontations), à assurer l’accès et le passage sans entrave des services et véhicules d’urgence et, plus généralement, à minimiser les inconvénients générés par l’obstruction temporaire des aires et des voies publiques, dans un souci de préservation de la paix, de l’ordre et de la libre circulation.

[83]        L’appelant, on le sait, ne conteste pas la légitimité de cet objectif ni son caractère urgent et réel (adjectifs qui traduisent en pratique une préoccupation concrète et sérieuse[81], plutôt qu’impérative, la norme de « la réalisation d’objectifs collectifs d’une importance fondamentale »[82] étant d’une certaine malléabilité). On ne peut nier en effet que, en lui-même, l’objectif consistant à assurer la sécurité publique soit, malgré sa généralité, considéré comme sérieux. C’est un objectif du même ordre que l’on a jugé suffisant dans Garbeau c. Montréal (Ville de)[83], affaire portant sur l’art. 500.1 du Code de la sécurité routière[84]. Le juge Cournoyer y écrit que :

[208]    L’analyse qui précède des dispositions du CSR en général et de l’article 500.1 en particulier permet de résumer comme suit les objectifs que poursuit le législateur :

-     Rendre sécuritaire la circulation des véhicules routiers sur les chemins publics, tant pour les conducteurs et les passagers des véhicules que pour les piétons;

-     Assurer la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics et l’accès aux immeubles qui les bordent;

-     Protéger les citoyens du Québec et leurs biens en s’assurant que les chemins publics puissent servir au passage des véhicules d’urgence.

[…]

[210]    De l'avis du Tribunal, la Procureure générale fait valoir avec raison que la sécurité, la libre circulation des personnes et des marchandises sur les chemins publics et l'accès aux immeubles qui les bordent est un objectif urgent et réel.

[84]        L’objectif similaire que poursuit ici l’intimée est tout aussi sérieux, même si l’on doit constater que la preuve reproduite au dossier d’appel ne permet pas de conclure que les manifestations tenues sur le territoire de l’intimée sont ou ont été, dans les faits, par leur nombre ou leur nature, une source récurrente ou occasionnelle de perturbation indue[85] ou une menace à la sécurité ou à l’ordre public[86] (l’intimée, en tout cas, n’a pas invoqué le « chaos » que semblait craindre la Cour suprême dans l’arrêt Rio Hotel, advenant des manifestations sans préavis[87]). En fait, elle montre plutôt que le service de police est en mesure d’encadrer convenablement les manifestations, et qu’il l’est même en l’absence du préavis requis[88], encore que cela soit moins commode et plus coûteux. Forte de son expérience du « printemps érable » (c’est le contexte dans lequel le règlement modificateur de 2012 a été adopté), l’intimée paraît donc avoir agi plutôt par souci de prudence et dans une perspective de prévention : or, cela est une considération sérieuse.

[85]        Quoi qu’il en soit, en l’absence de contestation, on doit conclure à la suffisance de cet objectif, qui est valide en termes de partage des compétences constitutionnelles[89] et qui répond à des préoccupations se comparant certainement à celles qui ont été affirmées et avalisées dans les affaires Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.[90] (contrôle de la pollution sonore dans un centre urbain), Ramsden c. Peterborough (Ville)[91] (contrôle des déchets et des irritants esthétiques, ainsi que prévention de certains dangers affectant la circulation ou les personnes chargées de l’entretien des poteaux de service public) ou encore R c. Guignard[92] (prévention de la pollution visuelle et de la distraction des automobilistes).

[86]        Cela étant dit, passons à l’examen de ce qui est au cœur de la contestation, à savoir le critère de la proportionnalité.

2.         Proportionnalité

[87]        Qu’en est-il maintenant de l’existence d’un lien rationnel entre la mesure restrictive et l’objectif poursuivi, du caractère minimal de l’atteinte aux libertés en cause et de la proportionnalité entre les effets de la mesure et l’objectif?

a)        Lien rationnel entre les moyens et l’objectif

[88]        Il existe un lien rationnel entre la restriction contestée et l’objectif poursuivi lorsque la première, sur le plan de la logique si ce n’est celui de la pratique, favorise la réalisation du second, c’est-à-dire qu’elle est susceptible de la faciliter ou d’y contribuer. Comme l’explique le juge en chef Wagner dans Frank c. Canada (Procureur général)[93] :

[59]      La question à la première étape de l’examen de la proportionnalité est de savoir si la mesure qui a été adoptée a un lien rationnel avec l’objectif qu’elle vise à atteindre. L’étape relative au lien rationnel exige que la mesure ne soit « ni arbitrair[e], ni inéquitabl[e], ni fondé[e] sur des considérations irrationnelles » (Oakes, p. 139). Essentiellement, le gouvernement doit établir que la restriction a un lien de causalité avec l’objectif recherché (RJR-MacDonald, par. 153). Dans les cas où un tel lien n’est pas scientifiquement mesurable, son existence peut être établie sur le fondement de la raison ou de la logique, plutôt que sur une preuve tangible (RJR-MacDonald, par. 154; Toronto Star, par. 25).

[…]

[64]      Je reconnais qu’il n’est pas aisé de prouver certains problèmes avec une précision scientifique, et que la raison et la logique constituent des compléments importants à la preuve matérielle (K.R.J., par. 90). Cette constatation est particulièrement vraie dans le cas des questions qui relèvent des domaines philosophique, politique et social. Dans les affaires portant sur de telles questions, et surtout dans le contexte de l’analyse du lien rationnel, le gouvernement peut s’appuyer sur un raisonnement par déduction fondé sur la logique et le bon sens, et non pas exclusivement sur une preuve tangible, pour s’acquitter du fardeau qui lui incombe en application de l’article premier (Sauvé no 2, par. 18; Harper, par. 29; RJR-MacDonald, par. 154). Dans la présente affaire, toutefois, contrairement aux autres affaires où l’objectif du gouvernement était de maintenir l’intégrité et l’équité du système électoral (voir, p. ex., Bryan et Harper), le gouvernement n’a présenté essentiellement aucune preuve pour démontrer comment le vote de citoyens non résidents est susceptible de compromettre l’équité ou l’intégrité du système électoral canadien. Au contraire, les auteurs de quatre études parlementaires sur le droit de vote ont recommandé que la restriction du droit de vote de citoyens canadiens fondée sur la résidence soit supprimée (voir m.i., par. 26-32).[94]

[89]        Dans ses motifs concourants, le juge Rowe exprime le même point de vue, en signalant que « la barre n’est pas élevée »[95]. Le juge Cromwell, dans Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada[96], ne dit pas autrement lorsqu’il rappelle que le critère du lien rationnel n’est pas particulièrement exigeant[97].

[90]        Dans son exposé, l’intimée fait valoir ce qui suit :

2.         Reconnaissant que la disposition porte atteinte à la liberté d’expression de l’appelant, l’intimée expose sa justification qui peut se résumer ainsi :

1.         Sécurité : Lorsque l’itinéraire est connu, les policiers peuvent sécuriser la manifestation en plaçant un véhicule de tête et un en fin de peloton. On peut utiliser la patrouille moto pour bloquer les rues [renvoi omis]. De cette façon, on assure également la sécurité des autres usagers de la route en détournant le trafic. On peut ainsi éviter le comportement imprévisible de certains automobilistes. Sans itinéraire connu, les policiers réagissent à la situation [renvoi omis].

2.         Anticipation : Permet de prévoir des modifications en fonction des travaux routiers en cours sur le territoire, mais également sur le fonctionnement même de la manifestation [renvoi omis];

iii.         Création d’un centre COM : Permet de coordonner l’ensemble des services utilisant les rues, comme le réseau de transport (RTC), les ambulances, les pompiers [renvoi omis];

iv.         Nombre de policiers : Lorsque l’itinéraire est connu d’avance, on peut mobiliser entre 8 et 15 policiers alors que quand celui-ci est inconnu, on parle de 35 à 100 policiers [renvoi omis];

v.         La planification des ressources : Les policiers requis pour une manifestation sont en surplus des effectifs réguliers. Il faut donc les assigner et s’assurer d’avoir les ressources nécessaires.

[91]        C’est d’ailleurs ce qui ressort du témoignage du lieutenant Richard Hamel : lorsque la police est prévenue de l’heure et du lieu de la manifestation ainsi que, le cas échéant, de son trajet, elle peut mettre en place les ressources humaines nécessaires à la protection de tous les intéressés (manifestants et autres usagers des aires publiques, incluant les services d’urgence) et à l’atténuation des risques et inconvénients. La planification, explique-t-il, est à cet égard essentielle et les exigences de l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1 et 2, permettent le déploiement efficace des effectifs policiers requis à ces fins (effectifs qui sont limités et ne peuvent pas être affectés à la surveillance et au contrôle des manifestations au détriment des autres fonctions policières).

[92]        On observera tout de même que, a priori, le témoin mine quelque peu la portée de cette explication - ainsi que la démonstration du mal que le Règlement entend prévenir ou pallier - lorsqu’il souligne que cet avertissement (heure, lieu, itinéraire et tout changement de l’un ou l’autre) peut être donné à la dernière minute et même sur place[98] - ce qui, en réalité, équivaut à ne pas donner de préavis - et que, dans les faits, les policiers arrivent néanmoins à sécuriser les rues. Leur tâche est alors rendue plus compliquée, certes, notamment en termes de mobilisation et de répartition des effectifs nécessaires, mais l’objectif n’en est pas moins atteint.

[93]        En dépit de cela, les mesures contestées franchissent la barre à première vue : en exigeant un préavis et le respect des paramètres de celui-ci, le Règlement favorise logiquement la réalisation de l’objectif de sécurité publique que poursuit l’intimée. Quoique cet objectif puisse être atteint en l’absence d’un préavis, ces mesures en facilitent la mise en œuvre ou y contribuent, une inférence en ce sens peut être tirée[99] et l’intimée « avait des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un tel lien »[100]. Un examen rapide du droit britannique[101], européen[102] et américain[103] montre d’ailleurs que les régimes de notification préalable ne sont pas rares, et ce, précisément pour les raisons qu’invoque ici l’intimée et dans le même but.

[94]        Le lien rationnel se trouve ainsi suffisamment établi entre l’exigence de notification et l’objectif. Qu’on tente par ailleurs de garantir l’efficacité de cette mesure par la création d’une infraction pénale présente également ce même lien rationnel avec l’objectif recherché.

[95]        Pourrait-on trouver matière à redire à cette conclusion? Peut-être. Je m’explique.

[96]        Comme on l’a vu, la définition que l’art. 1 du Règlement donne à la manifestation est très large et le champ d’application de l’art. 19.2 l’est en conséquence tout autant, atteignant des groupes qui, sauf à s’abstenir de manifester, pourraient n’être tout simplement pas en mesure de respecter les exigences de préavis (voir supra, paragr. [[66] à [74]). Il ne semble en outre pas que l’intimée ait eu pour objectif de réguler certains des rassemblements que vise pourtant le texte de l’art. 1 du Règlement. Ce genre de difficultés affaiblit-il le lien rationnel qui doit exister entre moyens et objectif?

[97]        Pour reprendre les mots du juge en chef Wagner dans l’arrêt Frank, « il n’est pas nécessaire que les mesures en question soient parfaitement adaptées à cet objectif »[104] : on peut donc tolérer une certaine discordance entre l’objectif et les moyens de sa mise en œuvre. On observe en l’espèce cette discordance, en ce que les moyens paraissent excéder le champ de ce qui est nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif. Ce dépassement, même réel, n’anéantit toutefois pas le lien rationnel entre les mesures contestées et l’objectif de sécurité publique que poursuit l’intimée. En définitive, s’il y a problème à cet égard, c’est plutôt au chapitre de l’atteinte minimale qu’il faudra en traiter.

[98]        Mais une autre question demeure encore : vu sa définition étendue de la « manifestation », le Règlement serait-il imprécis au point de rompre le lien rationnel qui doit exister entre moyens et objectif?

[99]        On sait que l’imprécision d’un règlement municipal est un motif de nullité au regard des principes du droit administratif (encore faut-il qu’il s’agisse d’une véritable imprécision et non d’une « simple incertitude » quant à son champ d’application, n’entraînant que « certaines difficultés d’interprétation »[105]). L’appelant, dans la présente affaire, n’a pas abordé le sujet sous cet angle exactement, mais, vu qu’il plaide l’arrêt Villeneuve c. Ville de Montréal[106], l’on ne peut éviter de se poser la question de savoir si la mesure réglementaire est, en l’espèce, imprécise au point de couper le lien qui, aux fins de l’art. 1 de la Charte canadienne, doit la rattacher rationnellement à l’objectif poursuivi, question à laquelle la Cour a répondu affirmativement dans Villeneuve.

[100]     Saisie d’un appel portant sur la validité de l’art. 2.1 du Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l'ordre publics, et sur l'utilisation du domaine public de la Ville de Montréal[107], règlement non pas identique, mais analogue à celui de l’espèce et qui poursuit les mêmes fins, la Cour conclut en effet que l’imprécision de cette disposition est telle qu’elle affecte l’existence du lien rationnel. Sous la plume de la juge Marcotte, elle écrit ainsi que :

[97]      Toutefois, il y a, selon moi, une rupture du lien entre l’article 2.1 et l’objectif poursuivi lorsqu’on étend l’obligation de communiquer un itinéraire à toutes les assemblées, défilés et autres attroupements, quels qu’ils soient, se déroulant sur le domaine public. En fait, dans sa formulation actuelle, la disposition viserait même un groupe d’étudiants participant à une sortie d’école au musée et cheminant sur un trottoir du centre-ville.

[98]      Aussi, c’est en raison de cette formulation trop générale que l’obligation de communiquer au préalable un itinéraire ou un lieu exact dépasse ce que le conseil municipal souhaitait viser en édictant une telle disposition, puisque l’article 2.1 rend illégal tout attroupement sur le domaine public en raison du défaut de communiquer au préalable un lieu exact ou un itinéraire. Il s’applique même en l’absence de toute menace à l’ordre public et, surtout, à l’égard de situations qui n’ont aucun lien avec les objectifs poursuivis. Partant, il ne satisfait pas davantage au critère de l’atteinte minimale que ne le faisait l’article 3.2 au sujet duquel la juge de première instance écrivait :

[…]

[Soulignement original]

[101]     Il faut dire que, au contraire de l’art. 19.2 du Règlement, le texte de la disposition réglementaire en cause dans cette affaire n’était assorti d’aucune définition des termes « assemblée/assembly », « défilé/parade » ou « attroupement/gathering » qui y étaient employés, ce qui laissait au service de police l’entière discrétion de déterminer quel attroupement, défilé ou assemblée était ou n’était pas assujetti aux exigences de notification préalable prévues par le règlement.

[102]     Le Règlement de l’intimée, de son côté, comporte une définition que je reproduis de nouveau par commodité :

1.         Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

« manifestation » : un rassemblement, un attroupement ou un défilé de personnes sur le domaine public qui expriment une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou à une cause;

[103]     A priori, cette définition, quoique très extensive, n’en circonscrit pas moins la portée de l’art. 19.2 : est visé tout rassemblement d’individus exprimant une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou une cause. En l’espèce, le « groupe d’étudiants participant à une sortie d’école au musée et cheminant sur un trottoir du centre-ville », pour reprendre l’exemple de la juge Marcotte dans Villeneuve, ne serait pas ciblé, pas plus que les groupes de touristes faisant une promenade guidée dans les rues du Vieux-Québec ou les pique-niqueurs rassemblés autour d’une table dans un parc municipal, aucun de ces groupes n’exprimant d’opinion, de mécontentement ou de soutien à une personne ou une cause. De ce point de vue, on pourrait conclure que la définition est suffisamment précise : sa lettre, en tout cas, englobe tous les types de rassemblements, petits ou grands, ayant pour objectif l’expression d’une opinion, d’un mécontentement ou d’un soutien à l’endroit d’une personne ou d’une cause. Cela est vaste, mais clair. Que cela puisse excéder (ou non) le seuil de l’atteinte minimale sera examiné ultérieurement.

[104]     Cela dit, si imprécision il y a, elle naît plutôt de la réponse que l’avocat de l’intimée a donnée à une question de la Cour lors de l’audience d’appel : la définition de l’art. 1 du Règlement, déclare-t-il, serait en réalité restreinte aux rassemblements, attroupements ou défilés engendrant une perturbation publique, concept qu’il n’a toutefois pas défini. Parle-t-on ici d’une manifestation engendrant de la violence (sujet de l’art. 19.2, al. 2, paragr. 3 du Règlement, disposition déclarée inopérante par le jugement de la Cour municipale)? L’existence d’une perturbation dépend-elle du nombre des manifestants (un groupe de 10 personnes déambulant sur le trottoir ne gênerait pas l’ordre ou la circulation[108], au contraire des 1 000 personnes défilant dans la rue)? Comment peut-on savoir qu’une manifestation engendrera une telle perturbation et doit donc être soumise aux exigences de notification prévues par l’art. 19.2, al. 2? La perturbation anticipée varie-t-elle selon le lieu public où se déroule la manifestation? Est-elle restreinte à l’occupation de la rue (c’est une hypothèse à laquelle le témoignage du lieutenant Hamel donne une certaine substance, alors qu’il estime apparemment que, dans le cas d’une manifestation sans préavis, est illégal le fait pour des manifestants de marcher dans la rue, mais non sur le trottoir[109])? Et comment l’organisateur ou le participant peut-il, dans ces circonstances, savoir que la manifestation est de celles que l’intimée (ou son service de police) estime assujetties (ou non) aux exigences du second alinéa de l’art. 19.2? Si la perturbation est appréciée ex post facto et qu’on ne poursuit donc les contrevenants que sélectivement, comment celui ou celle qui entend participer à une manifestation doit-il se comporter, sachant qu’il est potentiellement passible d’une sanction pénale?

[105]     En réalité, et quoi qu’ait affirmé l’avocat de l’intimée, la lecture des dispositions litigieuses tout comme celle du Règlement dans son entier (dont l’objet général est d’assurer la sécurité des personnes sur le domaine public, dans une perspective d’ordre et de libre circulation) montre que les manifestations, telles que largement définies par l’art. 1, sont intrinsèquement considérées comme des événements perturbateurs, au même titre que l’ivresse publique (art. 3), le flânage ou le vagabondage (art. 5), les batailles (art. 6), les insultes ou les injures (art. 8), la possession d’une arme blanche (art. 12) ou le tir de projectiles, y compris les boules de neige (art. 13), et autres comportements du genre. La preuve reproduite au dossier d’appel ne permet pas de conclure autrement et si l’intimée n’applique pas les art. 19.2, 20 et 21 de manière systématique, mais fait un tri entre les types de manifestations, cela indique plutôt que son règlement a, à cet égard, une portée excessive, ce qui nous renvoie, là encore, à la question du caractère minimal (ou non) de l’atteinte, à laquelle je reviendrai plus loin.

[106]     Bref, alors que l’art. 2.1 du règlement de la Ville de Montréal souffrait d’imprécision, ce n’est pas le cas du Règlement dont les dispositions litigieuses, bien qu’elles aient une portée fort large, sont cependant suffisamment précises pour que l’on puisse y voir un lien rationnel avec l’objectif de sécurité poursuivi par l’intimée. Là où le bât blesse, c’est au chapitre de l’atteinte minimale, tout comme à celui de la mise en balance des effets bénéfiques et préjudiciables des mesures contestées. Voyons ce qu’il en est.

b)        Atteinte minimale

[107]     Dans R. c. K.R.J.[110], la juge Karakatsanis, au nom des juges majoritaires, écrit que l’atteinte est minimale lorsqu’« il n’existe aucun autre moyen d’atteindre le même objectif en restreignant moins le droit en cause »[111], propos qu’elle précise ainsi :

[70]      La question à trancher à cette deuxième étape est celle de savoir si les nouvelles dispositions portent atteinte le moins possible au droit constitutionnel, c’est-à-dire si « la restriction du droit est raisonnablement adaptée à l’objectif » (Carter, par. 102). Ce n’est que lorsqu’il existe d’autres moyens moins préjudiciables de réaliser l’objectif de l’État « de façon réelle et substantielle » qu’une loi ne satisfait pas à l’exigence de l’atteinte minimale (Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 55).

[108]     Le juge en chef Wagner s’exprime pour sa part de la manière suivante dans Frank c. Canada (Procureur général)[112] :

[66]      Au regard du deuxième élément du critère de la proportionnalité, le législateur doit établir que la mesure en cause restreint le droit aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif (RJR-MacDonald, par. 160; Oakes, p. 139). Autrement dit, la mesure doit être « soigneusement adaptée » pour faire en sorte que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire (RJR-MacDonald, par. 160; Association de la police montée, par. 149). Toutefois, les tribunaux doivent faire preuve de déférence à l’égard du législateur en lui accordant une certaine latitude : « Si la loi se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables, les tribunaux ne concluront pas qu’elle a une portée trop générale simplement parce qu’ils peuvent envisager une solution de rechange qui pourrait être mieux adaptée à l’objectif et à la violation » (RJR-MacDonald, par. 160).

[Je souligne]

[109]     Dans R. c. Morrison, le juge Moldaver, qui écrit l’opinion majoritaire, renchérit en ces termes après avoir noté que, dans cette affaire, la Couronne n’avait pas tenté de justifier la contravention en cause[113] :

[68]      Pour démontrer que l’atteinte est minimale, la partie qui cherche à justifier la contravention doit établir que la mesure contestée restreint le droit en question « aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif législatif » : RJR-MacDonald, par. 160. L’atteinte au droit en question doit être « minimale », en ce qu’elle « ne dépasse pas ce qui est nécessaire » : par. 160.

[110]     On peut ajouter à cela, comme l’indique la juge en chef McLachlin, pour la Cour, dans Canada (Procureur général) c. Bedford[114], que « le volet relatif à l’“atteinte minimale” établit si le législateur aurait pu concevoir une disposition moins attentatoire; il s’intéresse aux solutions de rechange raisonnables qui s’offrent au législateur ».

[111]     Dans ce cadre général, une interdiction sera jugée plus sévèrement qu’une simple limitation[115], surtout s’il s’agit de la liberté d’expression, qu’il faut restreindre le moins possible[116]. De même, la régulation du contenu appellera moins de déférence que celle de la manière (heure, lieu, mode d’expression)[117], encore que ces deux éléments soient parfois « inextricablement liés »[118], ce qui est certainement le cas en matière de manifestation pacifique, incarnation d’une autre liberté constitutionnelle, à savoir celle de la réunion pacifique.

[112]     Les moyens mis en œuvre par les art. 1, 19.2, 20 et 21 du Règlement afin d’atteindre l’objectif de sécurité publique que poursuit l’intimée constituent-ils une atteinte minimale aux libertés d’expression et de réunion pacifique? Je réponds à cette question par la négative. Les dispositions contestées, jumelées les unes aux autres, ne restreignent en effet pas « le moins possible » la liberté d’expression de l’appelant et, plus généralement, celle des personnes désireuses de faire valoir leur point de vue dans le cadre d’une manifestation tenue dans des lieux publics, incluant ceux où se déroulent traditionnellement pareille activité (la place, la rue, le trottoir), activité qui bénéficie de surcroît de la protection constitutionnelle accordée à la liberté de réunion pacifique. Elles ne sont pas soigneusement conçues pour faire en sorte que l’atteinte aux droits ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi et n’appartiennent pas, dans les circonstances, à la gamme des options raisonnables : elles ont en effet une portée excessive, la preuve ne montrant du reste pas que l’intimée ait considéré des moyens moins restrictifs ni même, tout simplement, d’autres moyens et n’ayant pas davantage fourni d’explications a posteriori.

[113]     Ce dernier point - sur lequel je reviendrai - n’est pas sans importance : l’intimée n’a pas tenté de démontrer qu’elle avait envisagé d’autres options avant d’adopter le texte actuel de l’art. 19.2 du Règlement ainsi que la définition large de la « manifestation » figurant à l’art. 1, créant ainsi une nouvelle infraction de responsabilité stricte sanctionnée par les art. 20 et 21. Si les membres du conseil municipal, en 2012, lors de l’insertion des dispositions litigieuses dans le Règlement, ont fait cet exercice de réflexion et examiné des mesures différentes de celles qu’ils ont finalement adoptées, cela ne ressort pas de la preuve. Or, comme l’écrit la juge McLachlin dans RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), au chapitre de l’atteinte minimale, « si le gouvernement [ici l’intimée] omet d’expliquer pourquoi il n’a pas choisi une mesure beaucoup moins attentatoire et tout aussi efficace, la loi [ici le Règlement] peut être déclarée invalide »[119]. Renforçant son propos, la juge McLachlin, devenue juge en chef, et le juge LeBel concluent ainsi dans Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique[120] :

151      Nous concluons qu’il n’a pas été satisfait à l’exigence de l’atteinte minimale en l’espèce. Le gouvernement n’a présenté aucune preuve à l’appui de la conclusion que l’atteinte restait minimale. Il se contente d’invoquer son objectif législatif — [traduction] « donner à la direction plus de latitude et accroître son obligation de rendre compte afin d’assurer à long terme la viabilité du système de santé », — ajoutant que [traduction] « la Loi constitue un moyen modéré, raisonnable et efficace de surmonter cette difficulté et [...] satisfait à l’exigence de l’atteinte minimale » (m.i., 147). Faute de preuve nécessaire, nous ne pouvons conclure qu’il a été satisfait à l’exigence de l’atteinte minimale en l’espèce.

[114]     Mais, plus encore, l’intimée n’a pas non plus tenté d’expliquer a posteriori, ne serait-ce que sur la base de la logique et de la raison[121], ce en quoi des mesures moins restrictives - et les pages suivantes montrent qu’il en existe - ne lui auraient pas permis de réaliser son objectif ni ce en quoi les mesures adoptées appartiendraient à une gamme d’options raisonnables entre lesquelles elle avait la latitude de choisir. Son exposé, là-dessus, se contente en effet de ceci :

35.       Pour utiliser les termes de la Cour suprême, nous ne voyons pas quelle autre « solution de rechange » raisonnable l’intimée aurait pu mettre en vigueur afin justement de réaliser ses objectifs de sécurité et de libre accès au domaine public considérant :

                      i.        Qu’aucune autorisation préalable n’est nécessaire;

                     ii.        Que la personne à qui les informations doivent être transmises sont bien précisées (sic) (SPVQ), contrairement à la situation qui prévalait dans l’arrêt Garbeau en lien avec l’article 500.1 du Code de la sécurité routière;

                    iii.        Qu’aucun délai n’est requis, le SPVQ pouvant recevoir les informations quelques instants avant la manifestation;

                    iv.        Aucune formalité n’est exigée;

36.       D’ailleurs, nous avons de la difficulté à comprendre le raisonnement de l’appelant lorsque celui-ci prétend, dans son exposé, qu’« en créant telle infraction, la Ville de Québec décourage cet exercice démocratique dans la mesure où les participants à une manifestation doivent se soumettre à un processus réglementaire fort contraignant, voire impraticable. » En effet, nous tenons à rappeler que la preuve a révélé qu’avant avril 2012, les manifestants donnaient déjà, volontairement, sans contrainte, et « avec le sourire » leurs itinéraires au SPVQ. D’une certaine façon, l’intimée a codifié ce qui se faisait déjà depuis plusieurs années;

[Tous renvois omis]

[115]     En somme, l’intimée, comme le procureur général de la Colombie-Britannique dans Health Services, se contente elle aussi d’invoquer l’objectif urgent et réel de son Règlement, tout en contestant indirectement l’existence de l’atteinte établie par l’appelant (et qu’elle a pourtant concédée). Ce n’est pas là une démonstration du caractère minimal de cette atteinte et aucune inférence logique ne peut permettre de conclure qu’elle l’est.

[116]     Tout d’abord, l’intimée limite son justificatif aux exigences de préavis en tant que telles. Or, l’atteinte, comme on l’a vu précédemment, réside aussi - et même davantage - dans l’assujettissement des violations à un régime de responsabilité pénale stricte, le tout en fonction d’une définition très large de la « manifestation », sans égard au caractère pacifique de celle-ci, qui devient illégale et peut être réprimée. Ensuite, si les manifestants, antérieurement à avril 2012, remettaient volontairement leurs préavis ou itinéraires à son service de police, pourquoi l’intimée a-t-elle cru nécessaire d’adopter les dispositions litigieuses? On sait que le refus des manifestants de remettre les itinéraires a coïncidé avec l’adoption, en mai 2012, de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent[122], dont l’art. 16 formulait une semblable exigence dans le cas des manifestations de 50 personnes ou plus, loi abrogée au mois de septembre suivant. Mais pourquoi l’intimée a-t-elle estimé utile de renchérir sur cette exigence en promulguant l’art. 19.2 du Règlement et en assortissant celui-ci d’une définition très large de la manifestation? Pourquoi n’avoir pas reconsidéré sa décision après l’abrogation de la loi provinciale? Sauf à invoquer son objectif de préservation de la sécurité publique, l’intimée n’a pas fourni d’explications ou d’indications à cet égard.

[117]     Cela dit, il est vrai que le Règlement ne comporte pas de prohibition absolue et qu’il n’interdit pas les manifestations en général sur le territoire de l’intimée (contrairement à la Ville de Peterborough, dans l’affaire Ramsden[123], qui défendait l’affichage sur toute propriété publique). Il ne les soumet pas non plus à un processus d’autorisation préalable et discrétionnaire, comme c’était le cas de l’art. 500.1 du Code de la sécurité routière[124], invalidé dans l’affaire Garbeau c. Montréal (Ville de)[125]. Cependant, il empêche de facto et rend illégales, pour leurs organisateurs (s’il en est) autant que pour leurs participants, la manifestation spontanée et la manifestation surprise qui, par définition, ne peuvent s’accommoder d’une obligation de préavis (date, lieu, heure, itinéraire). Il a également un effet restrictif sur la manifestation qui résulte de ce qu’on pourrait appeler une « organisation floue » (par les réseaux sociaux, notamment).

[118]     Le cas des manifestations spontanées, dont je donnais plus tôt quelques exemples (supra, paragr. [66] à [70]) est à cet égard préoccupant. Aucune différence n’étant faite par le Règlement selon que le rassemblement est formel ou informel, prémédité ou non, une telle manifestation est foncièrement illégale aux termes du premier paragraphe de l’art. 19.2, puisqu’elle n’est pas précédée d’un préavis de l’heure et du lieu de sa tenue. Et si les participants, une fois réunis, décident de se déplacer, elle est doublement illégale du fait de l’absence d’un itinéraire dont la police aurait été prévenue. En réalité, parce qu’elle enfreint nécessairement le Règlement, la manifestation spontanée est toujours illégale, ce qui revient, en pratique, à l’interdire à tous les citoyens qui souhaitent respecter la loi. Il en va de même de la manifestation surprise qui, par définition, ne peut guère s’adapter à une exigence de notification préalable.

[119]     Par ailleurs, en raison de l’ampleur de la définition qu’il donne au terme « manifestation » (voir supra, paragr. [11] et [102]), de même qu’aux termes « domaine public », « endroits publics » (lesquels incluent certains lieux du domaine public, comme les édifices sportifs, les bibliothèques ou les parcs) et « rue » (voir supra, paragr. [11]), le Règlement vise une variété de rassemblements qui ne paraissent pas être de la nature de ceux que l’on cherchait à encadrer au moment de l’adoption du règlement modificateur de 2012[126]. Selon ce qui ressort du dossier, ce sont les manifestations comme celles du « printemps érable » qui étaient ciblées, c’est-à-dire les manifestations à caractère politique ou polémique ou d’intérêt social. Toute manifestation collective d’un soutien quelconque à quelque personne ou cause se trouve cependant visée par la définition de l’art. 1 du Règlement, ce qui inclut par exemple, comme on l’a déjà vu (voir supra, paragr. [74]), le groupe de personnes venues appuyer un concurrent particulier ou une équipe lors d’un événement sportif tenu dans un parc ou un édifice municipal ou les travailleurs qui font du piquetage. L’art. 1 subordonne en conséquence la tenue de ces regroupements aux exigences de l’art. 19.2 du Règlement et expose tous ceux et celles qui y participent à la sanction pénale prévue par les art. 20 et 21, ce qui paraît de prime abord excessif au vu de l’objectif poursuivi par l’intimée.

[120]     Peu importe par ailleurs le nombre des participants à une manifestation : les 5 personnes faisant des allers-retours sur le trottoir municipal devant l’édifice du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (rue De la Chevrotière) afin d’appuyer telle ou telle réforme sont visées par la définition de l’art. 1, par l’exigence de l’art. 19.2 et par la sanction des art. 20 et 21 du Règlement, tout comme les 30 élèves qui, tous les vendredis après-midi, appellent à l’action contre les changements climatiques en se regroupant devant les bureaux du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (boul. René-Lévesque Est) et, de même, les 5 000 personnes défilant autour de l’hôtel de ville de l’intimée afin de protester contre une hausse des taxes municipales ou l’absence de pistes cyclables. Cette uniformité de traitement paraît elle aussi excessive au vu de l’objectif de l’intimée, d’autant que tous les participants à une manifestation illégale faute de préavis sont sujets à la sanction pénale des art. 20 et 21 du Règlement, et non seulement les organisateurs (lorsqu’il en est).

[121]     Finalement, il faut considérer que le postulat sous-jacent au Règlement - et j’y faisais allusion précédemment[127] - est le suivant : les manifestations sont, au moins potentiellement, une menace à l’ordre public ou à la sécurité publique. Ce n’est pourtant pas ce que révèle la preuve et toute manifestation, même lorsqu’elle se rapporte à un sujet controversé ou épineux (qu’il s’agisse de la maternelle obligatoire pour les enfants de 4 ans, du climat, de la laïcité ou du « troisième lien » entre les deux rives du fleuve Saint-Laurent, à la hauteur de Québec), n’est pas de nature à engendrer une telle menace. Par ailleurs, la liberté d’expression et de réunion pacifique - particulièrement lorsque l’activité expressive a une teneur politique ou se rapporte à un débat social, bénéficiant alors du plus haut degré de protection constitutionnelle - devrait pouvoir s’exercer sans que l’on présume qu’elle mène au désordre et nécessite donc une réglementation. Et si l’on peut supposer que l’intimée a adopté son Règlement en application de l’adage « mieux vaut prévenir que guérir », la sanction qu’elle impose, à savoir l’illégalité de la manifestation, constitutive d’une infraction pénale de responsabilité stricte, est exagérée au regard des libertés fondamentales qui sont en cause.

[122]     Elle ne l’est pas moins parce que, ainsi que le laisse entendre l’intimée, le service de police ne se préoccuperait pas de certains types de manifestations ou qu’elle-même, en pareil cas, n’intenterait pas de poursuite pénale advenant la violation de l’art. 19.2 du Règlement ou limiterait son action aux cas de « perturbation publique » (voir supra, paragr. [104]), notion indéfinie dans le contexte des manifestations pacifiques (rappelons en effet que le présent débat exclut la manifestation violente). Le pouvoir discrétionnaire du policier ou du poursuivant (même lorsque l’un et l’autre agissent en toute bonne foi, ce qui n’est pas mis en doute) n’atténue pas le caractère excessif des dispositions litigieuses à cet égard, au contraire, et ne fait qu’en rendre l’application incertaine et, potentiellement, arbitraire[128]. Or, l’arbitraire n’est pas compatible avec l’atteinte minimale.

[123]     La situation de l’espèce en fournit d’ailleurs un exemple. La manifestation politique et en tout temps pacifique à laquelle participait l’appelant a réuni une cinquantaine de personnes, ce qui est peu, et les policiers, rappelons-le, ne sont intervenus qu’auprès des quelques individus (dont l’appelant) qui, après avoir été informés du caractère illégal de la manifestation (décrété en raison de l’inobservance de l’art. 19.2, al. 2 du Règlement) ont décidé de marcher sur la chaussée et non sur le trottoir. Or, dans la mesure où les participants avaient, de concert, refusé de communiquer leur itinéraire aux policiers (qui étaient sur place), la manifestation devenait illégale pour tous, au sens de l’art. 19.2, al. 1, et ce, qu’ils empruntent le trottoir ou la rue, qui font tous deux partie du domaine public[129]. Cela illustre le pouvoir discrétionnaire dont jouissent les policiers au chapitre de l’application du Règlement et une latitude qui, dans le contexte, concorde assez mal avec l’idée d’une atteinte minimale.

[124]     De ce point de vue, les propos suivants de la juge Marcotte dans l’arrêt Villeneuve[130] sont transposables à l’espèce (même si le règlement que l’on examinait dans cette affaire ne définissait pas la « manifestation » à laquelle une obligation de préavis était associée). Je reproduis ci-dessous le paragr. 98 de cet arrêt, que j’ai déjà cité (voir supra, paragr. [100]), ainsi que les paragraphes qui le complètent :

[98]      Aussi, c’est en raison de cette formulation trop générale que l’obligation de communiquer au préalable un itinéraire ou un lieu exact dépasse ce que le conseil municipal souhaitait viser en édictant une telle disposition, puisque l’article 2.1 rend illégal tout attroupement sur le domaine public en raison du défaut de communiquer au préalable un lieu exact ou un itinéraire. Il s’applique même en l’absence de toute menace à l’ordre public et, surtout, à l’égard de situations qui n’ont aucun lien avec les objectifs poursuivis. Partant, il ne satisfait pas davantage au critère de l’atteinte minimale que ne le faisait l’article 3.2 au sujet duquel la juge de première instance écrivait :

[489]     […] Sa portée dépasse toutefois largement les situations potentiellement dangereuses identifiées dans la preuve

[490]     Sur le plan de l'atteinte minimale, le bât blesse. La preuve justificative produite par la Ville, laquelle est cohérente avec le contexte de l'adoption des amendements au Règlement P-6 n'identifie des risques de troubles de l'ordre public qu'en lien avec des manifestations entravant les voies publiques.

[491]     Il faut répéter que la mesure adoptée dépasse de beaucoup ce seul contexte, interdisant d'avoir le visage couvert à l'occasion de toute assemblée, défilé ou attroupement sur le domaine public, ces termes ayant une large portée. Elle englobe toutes les activités tout à fait innocentes tel le fait de circuler en groupe sur le domaine public à l'occasion de l'Halloween ou de se retrouver à plusieurs dans un parc à l'occasion d'une partie de balle de neige par une froide journée d'hiver. Les masques, cagoules ou foulards portés dans ces contextes donnent la latitude aux policiers d'interpeller les personnes qui se prêtent à ces activités. La portée de l'art. 3.2 excède donc ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif avancé par la Ville lors de son adoption. Rappelons que la possibilité d'exercer une tolérance ne saurait jouer sur la validité d'une disposition.

[Soulignements ajoutés]

[99]      À mon avis, le raisonnement adopté par la juge à l’égard de l’article 3.2 doit être transposé, avec les adaptations nécessaires, à l’article 2.1, dont la portée large couvre des situations qui ne pouvaient raisonnablement être envisagées dans le champ d’application de la disposition.

[100]    Le critère de l’atteinte minimale ne peut être satisfait lorsque la preuve démontre que le droit en cause peut être protégé sans que l’interdiction soit aussi vaste. Les objectifs poursuivis pouvaient être satisfaits sans que l’obligation de fournir un itinéraire ou de déclarer un lieu s’applique à l'occasion de toute assemblée, tout défilé ou autre attroupement se déroulant sur l'ensemble du domaine public [renvoi omis]. La Ville n’a donc pas, selon moi, choisi le moyen le moins attentatoire d’atteindre son objectif et la juge devait, dans les circonstances, conclure à l’invalidité d’une disposition qui constitue une atteinte à des droits garantis par les Chartes.

[Sauf indication contraire, je souligne]

[125]     « Le critère de l’atteinte minimale ne peut être satisfait lorsque la preuve démontre que le droit en cause peut être protégé sans que l’interdiction soit aussi vaste. Les objectifs poursuivis pouvaient être satisfaits sans que l’obligation de fournir un itinéraire ou de déclarer un lieu s’applique à l'occasion de toute assemblée, tout défilé ou autre attroupement se déroulant sur l'ensemble du domaine public » : ces phrases sont applicables ici, particulièrement au vu de la sanction pénale imposée par le Règlement.

[126]     Quant à la crainte, vaguement évoquée, que les manifestations, sans égard à leur nature ou leur taille, puissent engendrer des débordements, d’où la généralité des exigences de l’art. 19.2 en matière de préavis (incluant l’itinéraire), elle ne saurait faire pencher la balance dans l’autre sens, en l’absence de toute preuve ou explication à cet effet. Comme je le soulignais plus haut, toutes les manifestations au sens de l’art. 1 du Règlement ne mettent pas la sécurité ou l’ordre public en péril; toutes les manifestations n’appellent pas les mêmes ressources policières et ne nécessitent certainement pas la même surveillance ou présence policière. De plus, dans le cas où la situation dégénérerait, les règles ordinaires du Code criminel, comme l’a observé le juge de la Cour municipale dans le cas de l’art. 19, al. 2, paragr. 3 du Règlement, suffisent amplement à y pourvoir, comme ce serait le cas de n’importe quel groupe qui contrevient au droit criminel.

[127]     Bref, pour toutes ces raisons, vu la portée extrêmement large des art. 1 (définition de la « manifestation ») et 19.2 du Règlement, qui donnent une portée tout aussi large à la sanction pénale prévue par les art. 20 et 21, il y a ici une entrave aux libertés d’expression et de réunion pacifique, entrave qui ne répond pas aux exigences de l’atteinte minimale, en particulier lorsque l’on considère la situation du simple participant. L’atteinte est encore plus importante lorsqu’on l’envisage dans la perspective des manifestations (pacifiques) politiques ou rattachées à un sujet d’intérêt social, ces matières étant en effet au cœur des libertés d’expression et de réunion pacifique et incarnant les valeurs démocratiques qu’elles promeuvent et dont elles sont l’assise[131].

[128]     L’intimée aurait-elle pu moduler autrement ses exigences de notification et de conformité à la notification, définir mieux, c’est-à-dire plus restrictivement, la « manifestation » visée par les exigences en question ou repenser la sanction? D’autres voies, certainement, s’ouvraient à elle.

[129]     Quant aux exigences de notification, on peut penser ici au modèle britannique établi par le Public Order Act 1986[132]. Tout en prévoyant une obligation de notification semblable, dans ses grandes lignes, à celle de l’espèce, l’art. 11 de cette loi, applicable aux défilés et aux marches (c.-à-d. aux manifestations mobiles, et non aux manifestations statiques[133]), énonce que :

11.       Advance notice of public processions[134].

(1)        Written notice shall be given in accordance with this section of any proposal to hold a public procession intended—

(a)        to demonstrate support for or opposition to the views or actions of any person or body of persons,

(b)        to publicise a cause or campaign, or

(c)        to mark or commemorate an event,

unless it is not reasonably practicable to give any advance notice of the procession.

(2)        Subsection (1) does not apply where the procession is one commonly or customarily held in the police area (or areas) in which it is proposed to be held or is a funeral procession organised by a funeral director acting in the normal course of his business.

(3)        The notice must specify the date when it is intended to hold the procession, the time when it is intended to start it, its proposed route, and the name and address of the person (or of one of the persons) proposing to organise it.

[Je souligne]

[130]     Les paragr. 11(7), (8) et (9) de cette même loi réservent par ailleurs à l’organisateur la sanction pénale d’une contravention aux exigences précitées (et donc, implicitement, lui attribuent la responsabilité de ces exigences, ce qui n’est pas le cas du Règlement) :

(7)        Where a public procession is held, each of the persons organising it is guilty of an offence if—

(a)        the requirements of this section as to notice have not been satisfied, or

(b)        the date when it is held, the time when it starts, or its route, differs from the date, time or route specified in the notice.

(8)        It is a defence for the accused to prove that he did not know of, and neither suspected nor had reason to suspect, the failure to satisfy the requirements or (as the case may be) the difference of date, time or route.

(9)        To the extent that an alleged offence turns on a difference of date, time or route, it is a defence for the accused to prove that the difference arose from circumstances beyond his control or from something done with the agreement of a police officer or by his direction.

[131]     Globalement, sur ce plan, la contrainte issue de ces dispositions est moindre[135] et moindre également l’atteinte aux libertés d’expression et de réunion pacifique, que reconnaît également le droit anglais[136].

[132]     Évidemment, les exemples tirés d’ailleurs ont leurs limites (et peuvent à l’occasion prêter au reproche du « cherry picking »[137]). Ils peuvent néanmoins offrir des pistes de réflexion utiles[138], et c’est ici le cas de cette législation britannique.

[133]     C’est également le cas des Lignes directrices de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, adoptées sous l’égide du Conseil de l’Europe[139], et qui sont riches d’enseignement, y compris au chapitre des définitions et du champ d’application (qui devraient être aussi précis et étroits que possible[140]), ainsi que des exigences de notification (qui devraient être réservées aux rassemblements dont on prévoit qu’ils attireront un nombre élevé de participants[141] et dont les manifestations spontanées ou sans organisateur identifiable devraient être dispensées[142], sans quoi elles sont de facto interdites ou automatiquement sanctionnées, ce qui a un effet dissuasif important).

[134]     Or, le Règlement va dans une tout autre direction. Ainsi, il impose les mêmes exigences de notification à toute manifestation, terme défini de manière expansive. Il aurait pu en dispenser les manifestations spontanées (qui se prêtent mal, en pratique, à une telle exigence) ou les rassemblements ou défilés récurrents[143], mais ne le fait pas. Il aurait pu en dispenser également les manifestations de petite taille (moins de 20, 30 ou 50 ou 100 personnes, par exemple), mais ne le fait pas non plus. Il aurait pu en affranchir aussi les rassemblements mobiles ou statiques qui, pour être techniquement des manifestations au sens de l’art. 1 du Règlement, n’en sont pas dans le sens familier du terme (pensons aux personnes qui viennent en groupe soutenir l’enfant ou l’équipe qui participe à un événement sportif et autres exemples déjà évoqués). Pareillement, la sanction pénale établie par le Règlement aurait pu être limitée aux organisateurs[144] d’une manifestation tenue sans notification préalable ou en contravention de celle-ci plutôt que d’être étendue aux participants (comme c’est le cas aux termes de l’art. 11, paragr. (7) du Public Order Act 1986 de la Grande-Bretagne, disposition qui ne sanctionne que l’organisateur).

[135]     Comme on l’a vu déjà, aucune raison n’a été proposée pour expliquer ces choix, ce en quoi ils permettent à l’intimée d’atteindre ou d’atteindre mieux son objectif et ce pourquoi d’autres possibilités ont été écartées (on ne sait pas même si d’autres moyens ont été envisagés). Le seul élément contextuel qui ressort de la preuve se rapporte au fait que la définition de la « manifestation » (art. 1) de même que l’art. 19.2 ont été édictés dans la foulée des nombreuses marches et rassemblements publics du printemps 2012. Cet élément ne permet cependant pas de comprendre, par exemple, pourquoi la définition que l’art. 1 donne à la manifestation et, conséquemment la portée de l’art. 19.2, vont bien au-delà de ce cas de figure.

[136]     On devine - mais l’intimée n’en a pas fait un argument - que le conseil municipal, a pu s’inspirer de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent[145]. L’adoption de cette loi, sanctionnée le 18 mai 2012 (et abrogée le 21 septembre suivant), précède en effet de peu la modification du Règlement, en juin 2012. Ses art. 16 et 17 prévoient que :

16.       Une personne, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation de 50 personnes ou plus qui se tiendra dans un lieu accessible au public doit, au moins huit heures avant le début de celle-ci, fournir par écrit au corps de police desservant le territoire où la manifestation aura lieu les renseignements suivants :

16.       A person, a body or a group that is the organizer of a demonstration involving 50 people or more to take place in a venue accessible to the public must, not less than eight hours before the beginning of the demonstration, provide the following information in writing to the police force serving the territory where the demonstration is to take place:

1° la date, l’heure, la durée, le lieu ainsi que, le cas échéant, l’itinéraire de la manifestation;

(1) the date, time, duration and venue of the demonstration as well as its route, if applicable; and

2° les moyens de transport utilisés à cette fin.

(2) the means of transportation to be used for those purposes.

            Lorsqu’il juge que le lieu ou l’itinéraire projeté comporte des risques graves pour la sécurité publique, le corps de police desservant le territoire où la manifestation doit avoir lieu peut, avant sa tenue, exiger un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire projeté afin de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique. L’organisateur doit alors soumettre au corps de police, dans le délai convenu avec celui-ci, le nouveau lieu ou le nouvel itinéraire et en aviser les participants.

            When it considers that the planned venue or route poses serious risks for public security, the police force serving the territory where the demonstration is to take place may, before the demonstration, require a change of venue or route so as to maintain peace, order and public security. The organizer must then submit the new venue or route to the police force within the agreed time limit and inform the participants.

17.       Une personne, un organisme ou un groupement qui organise une manifestation ainsi qu’une association d’étudiants ou une fédération d’associations qui y participe sans en être l’organisateur doit prendre les moyens appropriés afin que la manifestation se tienne conformément aux renseignements fournis en application du paragraphe 1° du premier alinéa de l’article 16 et, le cas échéant, du deuxième alinéa de cet article.

17.       A person, a body or a group that is the organizer of a demonstration and a student association or a federation of associations taking part in the demonstration without being its organizer must employ appropriate means to ensure that the demonstration takes place in compliance with the information provided under subparagraph 1 of the first paragraph of section 16 and, if applicable, under the second paragraph of section 16.

[137]     Quiconque contrevient à ces dispositions commet une infraction passible d’une amende de 1 000 $ à 5 000 $, de 7 000 $ à 35 000 $ ou de 25 000 $ à 125 000 $ selon qu’il s’agit d’un participant, d’un organisateur ou du dirigeant, employé ou représentant de certaines associations ou personnes morales ou encore des associations et personnes morales elles-mêmes (art. 26).

[138]     Mais que l’intimée ait pris ces dispositions législatives pour modèle ne l’exonère pas du fardeau qui lui incombe « de prouver l’absence de moyens moins attentatoires d’atteindre l’objectif “de façon réelle et substantielle” »[146], et ce, d’autant que les dispositions en question, si elles n’avaient pas été abrogées quelques mois après leur adoption, auraient elles-mêmes pu faire l’objet d’une contestation constitutionnelle semblable à celle de l’espèce. Je citerai ici un passage de l’opinion qu’exprimait à ce sujet la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans ses commentaires de juillet 2012 :

À ce chapitre, l’objectif en cause dans le cas des articles 16 et 17 n’est plus de permettre aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements visés, mais de préserver la paix, l’ordre et la sécurité publique. Si cet objectif est légitime, la Commission tient à rappeler que, loin d’opposer le respect des droits et libertés de la personne à la sécurité publique, l’histoire nous enseigne plutôt que la promotion et le respect des droits et libertés deviennent des instruments dont la mise en œuvre rigoureuse favorise la sécurité.

Cela dit, c’est dans le cadre du deuxième volet de l’analyse prescrite par l’article 9.1 que davantage d’inquiétudes peuvent être soulevées, et ce, dès la première étape de ce volet. En effet, même si l’objectif visé est légitime, comment démontrer que le fait de cibler toute manifestation réunissant 50 personnes ou plus, peu importe la forme qu’elle prend et le lieu qu’elle emprunte, puisse avoir un lien rationnel avec celui-ci? La portée très large de l’article 16, combinée à l’absence de définition des termes employés et l’imprécision qui en résulte, mène plutôt la Commission à soulever des doutes quant au caractère arbitraire et inéquitable de cette disposition. Il semble impossible de concilier l’utilisation de tels moyens en vue de préserver la paix, l’ordre et la sécurité publique avec les enseignements de la Cour suprême à l’effet qu’il n’y a pas lieu d’interdire le piquetage ou, par inférence, l’exercice de la liberté de réunion pacifique, à moins qu’il ne comporte une conduite délictuelle ou criminelle. Au lieu de permettre, a priori, l’exercice des libertés fondamentales à moins qu’il ne se traduise par un acte fautif comme l’enseigne la jurisprudence, la Loi interdit d’emblée cet exercice, à défaut qu’il ne fasse l’objet d’une déclaration préalable. On introduit ainsi une sorte de renversement du fardeau de la preuve qui anéantit le caractère rationnel du lien existant entre la mesure et l’objectif poursuivi.[147]

[Renvois omis]

[139]     Parlant de la question de la sanction pénale imposée par la loi, la Commission ajoutait que :

À ces mesures administratives, il faut ajouter les conséquences pénales fort sévères que prévoit la Loi aux articles 26 et suivants. À ce sujet, la Commission partage l’avis du Comité des droits de l’Homme de l’ONU à l’effet qu’ériger en infraction pénale le fait de professer une opinion est incompatible avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [renvoi omis]. Il en est de même du fait de pénaliser des actions qui entrent sous la protection de la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association.[148]

[140]     On pourrait en dire autant du Règlement qui, au nom d’exigences administratives (même bien intentionnées et même rationnelles), a l’effet de pénaliser des actions protégées par les libertés d’expression et de réunion pacifique.

[141]     Ce qui m’amène à l’autre aspect du problème que soulève le Règlement. L’art. 1 de celui-ci définirait la manifestation de manière plus étroite que la sphère de risque ne serait en effet pas moindre pour ceux et celles qui, dans un contexte ou un autre, expriment collectivement et pacifiquement, dans un lieu appartenant au domaine public, « une opinion, un mécontentement ou un soutien à une personne, un groupe de personnes ou à une cause ». Ce problème se rattache à la nature de la responsabilité pénale incombant personnellement au participant à une manifestation illégale du fait qu’elle ne respecte pas les exigences de l’art. 19.2, al. 2, paragr. 1 et 2 du Règlement.

[142]     Les art. 20 et 21 du Règlement imposent en effet une responsabilité stricte au contrevenant, qu’il soit organisateur ou participant. Or, si cela peut être concevable, à la rigueur, dans le cas de l’organisateur d’une manifestation, malgré la réticence que l’on devrait éprouver devant l’idée de pénaliser l’exercice de la liberté d’expression ou de réunion pacifique, il en va autrement dans le cas du simple participant. Celui-ci, en effet, n’est pas nécessairement en mesure de s’assurer que les exigences réglementaires ont été remplies ni de contrôler à lui seul le déroulement de la manifestation elle-même (dans certains cas, ce serait vrai de l’organisateur lui-même, d’ailleurs).

[143]     Comme on l’a vu, le participant à une manifestation qui, malgré son caractère entièrement pacifique, est néanmoins illégale parce qu’elle n’a pas été précédée du préavis requis ou n’a pas respecté les termes de celui-ci, ne peut échapper à sa responsabilité pénale, une fois l’actus reus établi, sauf à démontrer, par prépondérance, avoir pris toutes les mesures raisonnables afin de respecter la loi. Or, là-dessus, l’intimée fait valoir ce qui suit au paragr. 47 de son exposé :

47.       Or, contrairement à sa prétention, l’obligation qui est prévue à cet article [19.2 du Règlement] n’est pas, pour chacune des personnes, de fournir l’itinéraire au SPVQ, mais plutôt de ne pas « tenir ou de participer à une manifestation illégale ». À cet égard, il est évident, selon nous, comme le précisait la juge d’appel qu’il revient effectivement à l’intimée de faire la preuve que les personnes ont été avisées préalablement que la manifestation est illégale. D’ailleurs, dans le présent dossier, la preuve a démontré que le SPVQ a fait plusieurs avis à la foule et que la presque totalité des gens s’y est alors conformée, sauf quatre (4) personnes.

48.       Dans la mesure où un défendeur soulève, de façon crédible, ne pas savoir que la manifestation a été déclarée illégale, nous soumettons que les défenses de diligence raisonnable ou d’erreur raisonnable de fait peuvent être invoquées par un défendeur.

[Je souligne, sauf les mots « de participer », dont le soulignement figure dans l’original]

[144]     Cet argument ne peut convaincre.

[145]     D’une part, qu’entend au juste l’intimée en écrivant qu’il « revient effectivement à l’intimée de faire la preuve que les personnes ont été avisées préalablement que la manifestation est illégale »? Si l’intimée fait allusion ici à l’avis que son service de police donnerait, sur place, aux participants d’une manifestation illégale (comme cela s’est produit en l’espèce), il faut noter que le Règlement ne conditionne pas l’existence de l’infraction créée par les art. 19.2, al. 1, 20 et 21 à un avis que devrait ou pourrait donner le service de police : aucun tel avertissement n’est prévu par le Règlement, qui n’impose par ailleurs aucun avis de dispersement (au contraire de ce que prévoyait le règlement municipal en cause dans l’arrêt Villeneuve[149]). Le Règlement ne crée pas l’infraction de participer à une manifestation déclarée illégale par le service de police, il crée l’infraction de participer à une manifestation tenue sans la communication d’un préavis au service de police ou qui ne respecte pas le préavis en question.

[146]     D’autre part, si l’intimée veut plutôt dire qu’elle-même a le fardeau d’établir que la personne poursuivie en vertu des art. 20 et 21 du Règlement a participé à une manifestation en toute connaissance de l’absence de préavis ou de la non-conformité de la manifestation aux termes du préavis, son affirmation étonne. Le Règlement créant en effet une infraction de responsabilité stricte, ce n’est pas la poursuite qui assume ce fardeau. Ce sera plutôt au participant d’établir non seulement qu’il ignorait l’absence ou le non-respect du préavis, mais aussi qu’il a, de manière proactive, pris toutes les précautions raisonnablement possibles pour éviter de commettre l’infraction. Cela lui impose un fardeau important, considérant les exigences posées par la Cour suprême (notamment dans l’affaire La Souveraine[150]), l’ignorance du Règlement et des dispositions de l’art. 19.2 n’étant évidemment pas un moyen de défense valable. Un tel fardeau, dans les circonstances propres à une manifestation, est excessif. Imposer pareille sanction pénale à celui qui exerce sa liberté d’expression et de réunion pacifique n’est pas une atteinte minimale.

[147]     De toute façon, si l’intimée, comme elle le laisse entendre, n’a pas l’intention de cibler les personnes qui n’ont pas conscience de participer à une manifestation illégale, c’est donc qu’elle estime, implicitement, n’avoir pas besoin du mécanisme de la responsabilité stricte pour atteindre l’objectif qu’elle met de l’avant : la mesure moins contraignante s’impose alors d’elle-même. En effet, l’article 19.2, al. 1 du Règlement pourrait être rédigé de la manière suivante :

19.2     Il est interdit à une personne de tenir ou de participer sciemment à une manifestation illégale sur le domaine public.

[…]

[148]     Cela transformerait l’infraction de responsabilité stricte en infraction de mens rea[151] et, sans affirmer que le Règlement s’en trouverait justifié au regard de l’art. 1 de la Charte canadienne, l’on aurait déjà là une mesure certainement moins restrictive et, partant, moins attentatoire aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

[149]     À mon avis, créer une infraction de mens rea plutôt qu’une infraction de responsabilité stricte ne relève pas simplement de la latitude qui doit être laissée au régulateur de choisir parmi une « gamme de mesures raisonnables » : opter pour la responsabilité stricte plutôt que la responsabilité d’intention est une différence majeure, qui change fondamentalement le caractère de la contrainte. Faire de la participation à une manifestation pacifique - car c’est ce dont il s’agit ici - une infraction pénale de responsabilité stricte en raison d’un manquement à une obligation formelle de notification préalable n’est pas une solution soigneusement adaptée à l’objectif poursuivi et ne constitue pas une atteinte minimale aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

[150]     Là encore, l’exemple britannique n’est pas sans intérêt. Malgré leur caractère restrictif, les art. 12 à 14C du Public Order Act 1986[152] (qui imposent des exigences particulières aux « public processions » et « public assemblies » ou les prohibent dans certaines circonstances) créent, en cas de contravention, des infractions d’intention. Ainsi, les art. 12 (imposition de conditions supplémentaires à une « public procession »), 13 (prohibition d’une « public procession ») et 14 (imposition de conditions à la tenue d’une « public assembly ») énoncent que :

12        Imposing conditions on public processions.

[…]

(4)        A person who organises a public procession and knowingly fails to comply with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is a defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his control.

(5)        A person who takes part in a public procession and knowingly fails to comply with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is a defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his control.

(6)        A person who incites another to commit an offence under subsection (5) is guilty of an offence.

[…]

13        Prohibiting public processions

[…]

(7)        A person who organises a public procession the holding of which he knows is prohibited by virtue of an order under this section is guilty of an offence.

(8)        A person who takes part in a public procession the holding of which he knows is prohibited by virtue of an order under this section is guilty of an offence.

(9)        A person who incites another to commit an offence under subsection (8) is guilty of an offence.

[…]

14        Imposing conditions on public assemblies.

[…]

(4)        A person who organises a public assembly and knowingly fails to comply with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is a defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his control.

(5)        A person who takes part in a public assembly and knowingly fails to comply with a condition imposed under this section is guilty of an offence, but it is a defence for him to prove that the failure arose from circumstances beyond his control.

(6)        A person who incites another to commit an offence under subsection (5) is guilty of an offence.

[…]

[Je souligne]

[151]     Mais, plus encore, on pourrait tout simplement éviter la sanction pénale et l’exemple de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est instructif à cet égard.

[152]     La Convention européenne des droits de l’homme, comme la Charte canadienne, consacre la liberté d’expression (art. 10) et la liberté de réunion pacifique (art. 11). Dans ce cadre, la CEDH tolère qu’un État (ou une instance étatique) puisse, notamment pour éviter les perturbations indues à la libre circulation dans les lieux publics, imposer une exigence (raisonnable) de notification aux personnes désireuses de manifester. Le manquement à pareille exigence n’emporte cependant pas l’imposition d’une sanction pénale à la personne qui a participé à une manifestation demeurée par ailleurs pacifique, qui n’a causé aucun dommage ni provoqué de trouble allant substantiellement au-delà de la perturbation inhérente à ce genre d’événements et n’engendrant qu’une gêne mineure. C’est la voie qu’emprunte par exemple l’arrêt Navalnyy c. Russie[153], affaire qui porte sur la participation d’un individu à diverses manifestations. La CEDH y fait notamment le point sur l’état du droit et de sa propre jurisprudence en matière de réunion pacifique et d’exigences de notification ou d’autorisation préalable[154]. Elle cite (entre autres) le passage suivant de l’arrêt Kudrevičius c. Lituanie[155] :

149.     Les États étant en droit d’exiger une autorisation, ils doivent pouvoir sanctionner ceux qui participent à une manifestation ne satisfaisant pas à cette condition (Ziliberberg, décision précitée, Rai et Evans, décision précitée, Berladir et autres, précité, § 41, et Primov et autres, précité, § 118). En même temps, la liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu’une personne ne peut faire l’objet d’une quelconque sanction - même une sanction se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires - pour avoir participé à une manifestation non prohibée, dans la mesure où l’intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible (Ezelin, précité, § 53, Galstyan, précité, § 115, et Barraco, précité, § 44). Cela vaut également lorsque la manifestation donne lieu à des dommages ou d’autres troubles (Taranenko, précité, § 88).

150.     Une situation illégale, telle que l’organisation d’une manifestation sans autorisation préalable, ne justifie pas nécessairement une ingérence dans l’exercice par une personne de son droit à la liberté d’expression (Cisse c. France, no 51346/99, § 50, CEDH 2002 III, Oya Ataman, précité, § 39, Barraco, précité, § 45, et Skiba, décision précitée). Si les règles régissant les réunions publiques, telles qu’un système de notification préalable, sont essentielles pour le bon déroulement des manifestations publiques, étant donné qu’elles permettent aux autorités de réduire au minimum les perturbations de la circulation et de prendre d’autres mesures de sécurité, leur mise en œuvre ne doit pas devenir une fin en soi (Primov et autres, précité, § 118). En particulier, en l’absence d’actes de violence de la part des manifestants, il est important que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques, afin que la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention ne soit pas vidée de sa substance (Oya Ataman, précité, § 42, Bukta et autres, précité, § 37, Nurettin Aldemir et autres, précité, § 46, Achougian, précité, § 90, Éva Molnár, précité, § 36, Barraco, précité, § 43, Berladir et autres, précité, § 38, Fáber, précité, § 47, İzci c. Turquie, no 42606/05, § 89, 23 juillet 2013, et Kasparov et autres, précité, § 91).

[153]     Se penchant sur le cas de M. Navalnyy, la CEDH ajoute que :

143.     Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les événements susmentionnés ont pour point commun de ne pas avoir entraîné d’autre perturbation de la vie quotidienne qu’une gêne mineure, si tant est qu’elles en aient causé une (voir en particulier le paragraphe 109 ci-dessus). Comme elle l’a maintes fois souligné, une situation illégale telle que l’organisation d’une manifestation sans autorisation préalable ne justifie pas nécessairement une ingérence dans l’exercice par une personne de son droit à la liberté de réunion. Notamment, en l’absence d’actes de violence de la part de manifestants non autorisés, il faut que les pouvoirs publics fassent preuve d’une certaine tolérance à l’égard des rassemblements pacifiques pour que la liberté de réunion garantie par l’article 11 de la Convention ne soit pas vidée de sa substance (Kudrevičius et autres, § 150, cité au paragraphe 128 ci-dessus, avec d’autres références). À ce titre, la présente affaire ne se distingue guère des précédentes affaires dans lesquelles la Cour avait jugé qu’une telle tolérance s’imposait aussi lorsque la manifestation s’était déroulée dans un lieu public en l’absence de tout risque d’insécurité ou de perturbations (Fáber, précité, § 47) ou de danger pour l’ordre public au-delà de la perturbation mineure (Bukta et autres, précité, § 37), ou qu’elle avait été source dans une certaine mesure de perturbations de la vie quotidienne, notamment de la circulation routière (Kudrevičius et autres, précité, § 155, et Malofeyeva, précité, §§ 136-137).

[…]

145.     Qui plus est, et malgré ce qui précède, le requérant a été frappé de sanctions qui, bien que qualifiées d’administratives en droit interne, n’en revêtent pas moins un caractère « pénal » au sens autonome de l’article 6 § 1, de sorte que cette disposition trouve à s’appliquer sous son volet « pénal » (paragraphe 80 ci-dessus). Or une manifestation pacifique ne devrait pas, en principe, être cause de menace de sanctions pénales et notamment de privations de liberté. Lorsqu’une sanction infligée à un manifestant est de nature pénale, elle requiert une justification particulière (Kudrevičius et autres, précité, § 146). La liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance que la personne intéressée ne peut faire l’objet d’une quelconque sanction - même une sanction se situant vers le bas de l’échelle des peines disciplinaires - pour avoir participé à une manifestation non prohibée, pourvu qu’elle ne commette lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible (ibidem, § 149).

[154]     Ces propos sont transposables à l’espèce, avec toutes les précautions et adaptations qui s’imposent, évidemment. Le régime de notification préalable mis en place dans l’affaire Navalnyy était draconien[156] et loin de moi l’idée de comparer le Règlement et ses exigences de préavis à ceux de l’État russe. Tout de même, l’idée d’un régime de notification préalable permettant la poursuite d’une manifestation pacifique et n’entraînant de sanction pénale que si le participant trouble délibérément l’ordre public d’une manière qui dépasse le « niveau de désagrément »[157] inhérent à une manifestation pacifique, par la commission d’un acte de violence ou de vandalisme ou un comportement donnant à craindre un tumulte contraire à l’ordre public est certainement à considérer quand on examine la question de l’atteinte minimale, particulièrement en ce qui concerne le simple participant (par contraste avec l’organisateur).

[155]     Je n'affirme bien sûr pas que seule l'absence d’une sanction pénale répondrait aux exigences de l’atteinte minimale. L’exercice qui précède montre simplement l’éventail des possibilités s’offrant au régulateur préoccupé par la sécurité des citoyens, mais soucieux des libertés d’expression et de réunion pacifique. Sur ce spectre, la responsabilité stricte de tout organisateur et de tout participant à une manifestation pacifique n'ayant pas fait l'objet d'une notification préalable ou n’étant pas conforme à cette notification ne constitue pas une atteinte minimale.

[156]     Tout cela étant dit, l’intimée ne s’est pas déchargée du fardeau qui était le sien à cette étape de l’analyse, se contentant d’invoquer son objectif et les bienfaits administratifs de sa réglementation. Pas plus qu’au chapitre du calibrage de ses exigences (voir supra, paragr. [113]), elle n’a fait état des options qu’elle a envisagées au moment de soumettre l’infraction qu’elle se trouvait à créer par l’art. 19.2 au régime ordinaire des art. 20 et 21. Nous ignorons tout de la gamme des choix qui ont pu être considérés, s’ils l’ont été. Nous ne savons pas si elle a envisagé de ne pas imposer de sanction pénale. Elle n’a pas non plus expliqué pourquoi elle avait choisi la responsabilité stricte pour sanctionner cette infraction, plutôt que la responsabilité fondée sur la mens rea ou ce en quoi la première seulement lui permet d’atteindre, en pratique, son objectif et pas la seconde. En réalité, nous ne savons pas si elle a même considéré l’approche basée sur la mens rea. Sous ce rapport, elle paraît plutôt avoir traité le sujet de manière machinale, exactement comme elle aurait traité une infraction aux règlements municipaux en matière de stationnement, de gestion des ordures ou de nuisance et sans considérer que la situation met en jeu des libertés fondamentales.

[157]     On ne peut, dans ces circonstances, parler d’atteinte minimale, les dispositions pénales du Règlement ne restreignant pas les libertés d’expression et de réunion pacifique « aussi peu que cela est raisonnablement possible aux fins de la réalisation de l’objectif »[158].

[158]     Dans l’ensemble, et pour récapituler :

-           vu l’ampleur de la définition donnée au terme « manifestation » par l’art. 1 du Règlement et la portée très large que cette définition donne conséquemment à l’art. 19.2, lequel se trouve à viser des situations ayant peu ou pas de rapports avec l’objectif poursuivi;

-           vu que le Règlement a l’effet pratique d’interdire certains types de manifestations qui, de par leur nature, peuvent difficilement s’accommoder d’une exigence de notification préalable;

-           vu que le Règlement fait d’une manifestation pacifique, activité expressive protégée par les al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne, une manifestation illégale, et ce, en raison de la contravention à une exigence procédurale et formelle;

-           vu que le manquement à cette exigence pourra entraîner la fin de la manifestation, sur ordre de la police, ce qui interrompra une activité expressive pacifique;

-           vu que tout organisateur et tout participant à une manifestation pacifique tenue en violation des exigences de notification prévues par le Règlement (qu’il s’agisse de fournir les indications requises ou de s’y conformer) est passible d’une sanction pénale relevant de la responsabilité stricte;

-           compte tenu de l’existence de solutions raisonnables et pratiques, moins restrictives, et de l’insuffisance de la démonstration dont l’intimée avait le fardeau;

je conclus que les restrictions contestées ne remplissent pas la condition de l’atteinte minimale.

c)         Proportionnalité entre les effets de la mesure et l’objectif énoncé - Mise en balance des effets préjudiciables et des effets bénéfiques, des intérêts particuliers et des intérêts de la société

[159]     Vu ma conclusion sur l’atteinte minimale, je pourrais faire l’économie de l’examen de ce troisième critère de la seconde étape du test Oakes[159], que le professeur Hogg résume en quelques mots : « It asks whether the Charter infringement is too high a price to pay for the benefit of the law »[160]. Quelques remarques me semblent toutefois de mise.

[160]     Je ne reprendrai pas ce qui a été dit dans les sections précédentes au sujet des effets préjudiciables que les mesures contestées ont sur l’appelant et, de façon générale, sur les personnes qui veulent manifester dans des lieux appartenant au domaine public, et plus précisément, les rues, les trottoirs, les places ou les parcs, comme en l’espèce. Sous des dehors banals de prime abord (préavis, conformité aux termes du préavis), les exigences de l’art. 19.2 du Règlement, jumelées à la définition large de la manifestation (art. 1) et à la sanction pénale de responsabilité stricte (art. 20 et 21), ont des effets préjudiciables réels et importants. En outre, et au risque de me répéter, la transformation d’une manifestation pacifique, activité expressive protégée par les al. 2b) (liberté d’expression) et 2c) (liberté de réunion pacifique) de la Charte canadienne en une manifestation illégale passible d’une telle sanction pénale constitue une contrainte forte, particulièrement lorsque cette manifestation a une teneur politique (au sens large) et bénéficie à ce titre d’une protection constitutionnelle généreuse. Cette contrainte, symboliquement autant que concrètement, est préjudiciable à la collectivité citoyenne en ce qu’elle a des effets dissuasifs sur l’engagement civique, c’est-à-dire la participation à un débat public vigoureux au sein de la société civile, que ce soit à des fins d’épanouissement personnel, de discussion démocratique ou de recherche de la vérité.

[161]     À cela, quels effets bénéfiques oppose-t-on? Par un déploiement efficace des ressources policières, notamment dans le cas des marches ou défilés, l’on cherche à assurer la sécurité des individus, incluant les manifestants (dont l’intégrité physique pourrait être compromise par des automobilistes impatients, agressifs ou effrayés[161]), la libre circulation des usagers des voies publiques, le passage des véhicules d’urgence et la prévention des débordements.

[162]     On peut sans doute concéder que même les organisateurs d’une manifestation ou les participants pourraient théoriquement profiter d’un tel encadrement, qui peut diminuer le risque d’incidents de toutes sortes. J’estime néanmoins que le prix à payer pour cette sécurité est en l’occurrence trop élevé. Compte tenu des menaces hypothétiques qu’on cherche à contenir, il ne paraît pas essentiel en effet ni même simplement raisonnable de cibler toute la variété des « manifestations » qui se trouvent englobées dans la définition large qu’en donne l’art. 1 du Règlement, pas plus qu’il n’est raisonnable d’imposer les mêmes exigences de notification à toutes les manifestations, statiques ou mobiles, petites ou grandes, spontanées ou non, isolées ou récurrentes, peu importe le lieu public où se déroule l’activité ou la menace réelle que l’affaire est susceptible de présenter. Enfin, la sanction pénale dont ces exigences sont assorties, par le moyen d’une infraction de responsabilité stricte applicable sans égard au caractère pacifique de la manifestation, est en elle-même particulièrement excessive. L’application de ces règles laisse par ailleurs aux policiers et à l’intimée un pouvoir discrétionnaire très étendu, constitutif d’une forme d’arbitraire difficilement conciliable avec la libre expression et la libre réunion pacifique. En somme, les effets bénéfiques anticipés ne l’emportent pas sur les effets préjudiciables, le champ d’application extrêmement vaste du Règlement à cet égard et la nature de la sanction pénale qui en découle donnant à cette mesure une portée excessive et faisant pencher la balance du côté de l’appelant.

[163]     Il est vrai que la manifestation - même pacifique - est une activité expressive intrinsèquement perturbatrice. C’est toutefois là sa nature et sa raison d’être[162]. Elle attire l’attention parce qu’elle dérange, elle se fait voir et entendre parce qu’elle interrompt le quotidien; elle communique son message parce qu’elle suscite un débat en investissant (provisoirement) un lieu public. Ce n’est pas pour autant une nuisance que l’on doit réprimer ou contrôler[163] ni un trouble de l’ordre public ou de la sécurité publique et les mesures qu’adoptent les autorités ne peuvent pas avoir pour objet d’éliminer cette perturbation. Il faut insister au contraire sur le fait que l’usage de la voie publique, des places publiques ou des parcs à des fins de manifestation pacifique est un usage légitime de ces lieux et que la contrariété temporaire qu’en éprouvent les autres usagers n’est pas un mal[164], ne constitue pas un préjudice et ne saurait, en soi, appeler une réglementation ou une restriction du droit de manifester pacifiquement.

[164]     L’arrêt de la Cour suprême dans S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd.[165], sous la plume de la juge en chef McLachlin et du juge LeBel, est à cet égard particulièrement intéressant. On y reconnaît que tout piquetage, primaire ou secondaire, est licite sauf acte fautif, défini comme comportement délictuel (le contexte étant celui de la common law, on parle de « torts » tels ceux d’intrusion, d’intimidation ou de diffamation et autres[166]; on parlerait d’une faute en vertu de l’art. 1457 C.c.Q., dans le contexte québécois) ou criminel. Le piquetage lui-même, activité expressive protégée par la Charte canadienne et variation sur le thème de la manifestation, n’est pas un acte fautif et les contrecoups qu’en subissent certaines personnes (employeurs, fournisseurs ou clients faisant affaire avec celui-ci, public en général) ne sont pas un préjudice. Seul le préjudice « indu » peut être considéré, c’est-à-dire celui qui résulte d’un piquetage comportant « un délit (une faute civile) ou un crime (une faute criminelle) »[167].

[165]     À mon avis, le même raisonnement est applicable à l’ensemble des manifestations (dont le piquetage est l’une des figures) et certainement à celles qui se déroulent sur la voie publique (rues, trottoirs, places) ou dans les parcs publics : la manifestation en elle-même n’est pas un acte fautif et on ne peut présumer qu’elle le sera; il s’agit au contraire d’une activité expressive protégée par la Charte canadienne; les inconvénients et désagréments qu’elle cause aux tiers ne sont pas un préjudice et les tiers en question doivent les tolérer, à moins qu’ils ne découlent de la commission d’une faute civile ou d’un crime. Cette façon de voir se conjugue sans hiatus avec l’enseignement de la Cour suprême dans les affaires Comité pour la République du Canada c. Canada[168], Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.[169], Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique[170] et Société Radio-Canada c. Canada (Procureur général)[171], qui reconnaissent la voie publique comme un lieu historique de l’expression individuelle ou collective.

[166]     Ce n’est donc pas parce qu’elle est perturbatrice que la manifestation pacifique doit être régulée et si elle doit l’être pour des raisons de sécurité, ce ne peut être prioritairement par le recours à des sanctions pénales de responsabilité stricte, ce qui porte atteinte à la substance même de la liberté d’expression et de réunion pacifique.

III.        Conclusion

[167]     Pour ces raisons, je recommande d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour supérieure, de casser le jugement de la Cour municipale, de déclarer l’alinéa 1 ainsi que l’alinéa 2, paragr. 1 et 2, de l’art. 19.2 du Règlement, tels qu’actuellement rédigés (en conjonction avec la définition donnée à la « manifestation » par l’art. 1 et la sanction découlant des art. 20 et 21), contraires à la Charte canadienne des droits et libertés, invalides et inopérants, et d’acquitter l’appelant de l’accusation portée contre lui en vertu des art. 20 et 21 du Règlement.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) (« Charte canadienne »).

[2]     Québec (Ville de) c. Bérubé, 2016 QCCM 122.

[3]     Bérubé c. Ville de Québec, 2017 QCCS 5163 (« jugement de la Cour supérieure »).

[4]     Voir : Bérubé c. Ville de Québec, 2018 QCCA 88, et Bérubé c. Ville de Québec, 2018 QCCA 988.

[5]     Règlement R.V.Q. 1091. Ce règlement a originalement adopté par le conseil municipal de la Ville de Québec en 2009, puis modifié en 2012 par le Règlement modifiant le Règlement sur la paix et le bon ordre relativement aux manifestations, assemblées, défilés et attroupements, Conseil municipal de la Ville de Québec, R.V.Q. 1959, entré en vigueur le 20 juin 2012 (« règlement modificateur »). Ce règlement modificateur ajoute au texte original les art. 19.1 à 19.5 ainsi qu’une définition du terme « manifestation », à l’art. 1. D’autres modifications ont également été apportées au règlement original, mais elles ne sont pas pertinentes à l’espèce et il n'en sera donc pas question ici.

[6]     Supra, note 5.

[7]     Cette note explicative reproduit presque mot pour mot le texte de l’avis de motion qui a précédé l’adoption du règlement modificateur.

[8]     Je n’en mentionnerai qu’une, soit l’art. 19.5, qui énonce que :

19.5        Il est interdit de gêner la circulation des citoyens sur un trottoir, une place publique ou un passage piétonnier ou de les priver de l’utilisation normale d’une partie du domaine public.

[9]     Jugement de la Cour municipale, paragr. 122 et 134.

[10]    Voir le jugement de la Cour municipale, paragr. 39. Voir également le témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 162.

[11]    En consultant certains réseaux sociaux, révèle la preuve (voir jugement de la Cour municipale, paragr. 16; voir également le témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 134).

[12]    Voir le jugement de la Cour municipale, paragr. 42 et 43. Voir également le témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 176-178 et 181-182.

[13]    Elle le confirme dans son exposé d’appel, p. 2 : « Ayant reconnu en première instance que la disposition litigieuse constitue une atteinte à la liberté d’expression de l’appelant […] ».

[14]    Jugement de la Cour municipale, paragr. 110.

[15]    R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

[16]    Garbeau c. Montréal (Ville de), 2015 QCCS 5246, affaire relative à la validité de l’art. 500.1 du Code de la sécurité routière, RLRQ, c. C-24.2, au regard des libertés d’expression et de réunion pacifique.

[17]    Jugement de la Cour municipale, paragr. 164.

[18]    Ce qui ressort du paragr. 155 du jugement de la Cour municipale.

[19]    Jugement de la Cour supérieure, paragr. 29.

[20]    Jugement de la Cour supérieure, paragr. 30.

[21]    Jugement de la Cour supérieure, paragr. 49.

[22]    Supra, note 16.

[23]    [1991] 1 R.C.S. 139.

[24]    2018 QCCA 321.

[25]    RLRQ, c. C-12.

[26]    Jugement de la Cour municipale, paragr. 110 (reproduit supra, paragr. [20]).

[27]    C’est un rapprochement - voire un amalgame - fréquent et noté. Voir par ex. : Guy Régimbald et Dwight Newman, The Law of the Canadian Constitution, 2e éd., Toronto, LexisNexis, 2017, §22.70-22.75. On inclut même souvent la liberté de réunion pacifique dans le grand giron de la liberté d’expression, dont elle est issue et dont elle serait la manifestation collective et publique. Voir par ex. : Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. XII-5.4 et XII-5.31; Irwin Cotler, « Freedom of Assembly, Association, Conscience and Religion », dans Walter Tarnopolsky et Gérald-A. Beaudoin (dir.), The Canadian Charter of Rights and Freedoms - Commentary, Toronto, Carswell, 1982, 123, p. 138-139. Cela n’est pas en soi problématique, nombre de situations appelant concomitamment la protection de plusieurs garanties fondamentales (« Fundamental freedoms tend to travel together », a déjà écrit le professeur Cotler, dans l’article précité, p. 133), même si cela, dans le cas de liberté de réunion pacifique, semble avoir freiné le développement d’un corpus propre à celle-ci.

[28]    Voir, par ex., la définition du Grand Robert de la langue française (édition numérique 4.1, 2017) :

« Démonstration collective, publique et organisée d'une opinion ou d'une volonté ».

      Le Trésor de la langue française informatisé propose de son côté la définition suivante http://atilf.atilf.fr/tlf.htm, page consultée le 12 octobre 2019) :

« Rassemblement de personnes, dans un lieu public ou sur la voie publique, dans le but de faire connaître, de défendre une opinion »

      Le Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd., suggère pour sa part (https: //academie.atilf.fr/9/consulter/manifestation?page=1, page consultée le 12 octobre 2019) :

« Rassemblement sur la voie publique de personnes qui veulent, par une démarche collective, défendre une opinion, exprimer une revendication ».

[29]    C’est ainsi que la définit la Cour suprême dans Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 3, paragr. 64 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel) : « La liberté de réunion pacifique vise, par définition, une activité collective qui n’est pas susceptible d’être accomplie par une seule personne ». C’est également la définition généralement retenue par la doctrine. Voir par ex. : Basil S. Alexander, « Exploring a More Independent Freedom of Peaceful Assembly in Canada », (2018) 8 University of Western Journal of Legal Studies 4, p. 7; Basil S. Alexander, « Demonstrations and the Law: Patterns of Law's Negative Effects on the Ground and the Practical Implications », (2016) 49 U.B.C. L. Rev. 869; Gabriel Babineau, « La manifestation : une forme d’expression collective », (2012) 53 C. de D. 761, p. 768 et s.; Patrick Forget, Sur la manifestation - Le droit et l’action collective, Montréal, Liber, 2005, p. 10 et s. Voir aussi, généralement : David Mead, The New Law of Peaceful Protest, Oxford, Hart Publishing Ltd., 2010; Pierre Favre, « Manifestations », dans Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de SciencesPo, 2009, p. 341-348.

[30]    Voir notamment : Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141, paragr. 57 et s., qui reconnaît que l’activité expressive, comme le discours (c.-à-d. le contenu expressif), est protégée par l’al. 2b) de la Charte canadienne (sauf si elle mine les valeurs sous-jacentes à cette liberté, comme ce serait le cas lorsqu’elle recourt à la violence, par ex.). Dans le même sens, voir : Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants — Section Colombie-Britannique, [2009] 2 R.C.S. 295, paragr. 26-27 (motifs majoritaires de la j. Deschamps); S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., [2002] 1 R.C.S. 156, paragr. 30 à 32; Figueiras v. Toronto (City) Police Services Board, 2015 ONCA 208, paragr. 69-71; Garbeau c. Montréal (Ville de), supra, note 16, paragr. 91 et s. Voir également : Comité pour la République du Canada c. Canada, supra, note 23. Sur ce point, l’arrêt Dupond c. Ville de Montréal, [1978] 2 R.C.S. 770 (notamment à la p. 797) ne fait plus autorité.

[31]    Il suffira de s’en remettre ici aux définitions que propose à cet égard Le Grand Robert de la langue française, supra, note 28 :

Rassemblement : « Le fait de se rassembler, de se réunir pour former un groupe. […] Le groupe ainsi formé (généralement sur la voie publique).

Attroupement : « Réunion de personnes sur la voie publique (spécialt, qui trouble l'ordre public) ».

Défilé : « Suite de personnes, de voitures en mouvement et disposées en colonne, en file ».

[32]    Voir par ex. : Bracken v. Fort Erie (Town), 2017 ONCA 668.

[33]    Voir : G. Régimbald et D. Newman, supra, note 27, §22.72; Ken Norman, « Freedom of Peaceful Assembly and Freedom of Association », dans Gérald-A. Beaudoin et Errol P. Mendes (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 1996, 299; I. Cotler, supra, note 27, p. 139. Voir aussi : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 62 à 66.

[34]    À l’instar, d’ailleurs, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Rés. A.G. 217A (III), Doc. N.U. a/810 (1948) 71, art. 20, paragr. 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, ratifié par le Canada le 19 mai 1976, art. 21, ou de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 R.T.N.U. 221, entrée en vigueur le 3 septembre 1953 (dite « Convention européenne des droits de l’homme »), art. 11, ainsi que de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, supra, note 25, art. 3, instruments qui font tous de la liberté de réunion pacifique un droit distinct. On peut mentionner également le Premier Amendement de la Constitution américaine, qui protège expressément « the right of the people peaceably to assemble ». C’est également le cas de la Déclaration canadienne des droits, S.C. 1960, ch. 44, dont l’al. 1e) reconnaît la « liberté de réunion et d’association » (outre les libertés de religion, de parole, de presse, etc.).

[35]    Voir : I. Cotler, supra, note 27, p. 139; G. Régimbald et D. Newman, supra, note 27, §22.70 et 22.73. Je n’exclus pas ici l’idée d’une réunion dématérialisée ou d’un rassemblement prenant place par le truchement de forums informatiques, mais je n’ai pas l’intention de m’avancer davantage sur ce point, qui n’a nullement été abordé, s’agissant en l’espèce d’une manifestation tenue physiquement en un lieu qui n’avait rien de virtuel.

[36]    B. S. Alexander, supra, note 29 (2018), p. 4.

[37]    B. S. Alexander, supra, note 29 (2018), p. 5.

[38]    Outre l’article cité à la note 37 ci-dessus, voir, sur ce thème : Roman Stoykewych, « Street Legal : Constitutional Protection of Public Demonstration in Canada », (1985) 43 U. of T. Fac. L. Rev. 43; G. Babineau, supra, note 29; P. Forget, supra, note 29, notamment aux p. 24-34. Ce serait également le cas aux États-Unis; voir : John D. Inazu, « The Forgotten Freedom of Assembly », (2010) 84 Tulane Law Review 565.

[39]    Toutefois, selon certains auteurs, la liberté de réunion pacifique, particulièrement lorsqu’elle s’exprime à travers le phénomène de la manifestation, ne paraît pas générer le même enthousiasme que d’autres libertés : voir les textes cités aux notes 37 et 38 supra. Dans le même sens, voir : Francis Villeneuve Ménard, « L’infraction d’attroupement illégal dans la régulation de la manifestation : un embarras pour la théorie pénale », (2017) 47 R.G.D. 149; Marie-Ève Sylvestre, Francis Villeneuve Ménard, Véronique Fortin, Céline Bellot et Nicholas Blomley, « Conditions géographiques de mise en liberté et de probation imposées aux manifestants : une atteinte injustifiée aux droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association », (2017) 62 R. D. McGill 923.

[40]    Kent Roach et David Schneiderman écrivent ainsi que « [s]treets and parks seem to be paradigmatic of the sorts of public places available for the conduct of expressive activity » (Kent Roach et David Schneiderman, « Freedom of expression in Canada », (2013) 61 S.C.L.R. (2d) 429, p. 480, renvoi omis).

[41]    Supra, note 30. Le juge Fish écrit des motifs concourants.

[42]    Supra, note 30.

[43]    Le juge Binnie, dissident, conclut comme ses collègues à une atteinte à la liberté d’expression, atteinte qu’il estime cependant n’être pas justifiée par l’art. 1 de la Charte canadienne. La plus grande partie de son analyse est toutefois fondée sur le caractère ultra vires et déraisonnable du règlement en cause.

[44]    Cette approche est parfois critiquée. Voir par ex. : Brian Slattery, « Freedom of Expression and Location : Are There Constitutional Dead Zones? », (2010) 51 S.C.L.R. (2d) 245.

[45]    [2011] 1 R.C.S. 19.

[46]    Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., supra, note 30, paragr. 28.

[47]    Supra, note 23.

[48]    Id., p. 230.

[49]    Id., p. 194.

[50]    [1953] 2 R.C.S. 299.

[51]    307 U.S. 496 (1939), p. 515.

[52]    Dans le même sens, voir : United States v. Grace, 461 U.S. 171 (1983), notamment aux p. 177 et 179 (motifs majoritaires du j. White), ainsi que 184 (motifs dissidents du j. Marshall).

[53]    Dans le même sens, voir l’analyse méticuleuse que le juge Cournoyer fait de la question dans : Garbeau c. Montréal (Ville de), supra, note 16, paragr. 114-156. Voir aussi le jugement majoritaire prononcé dans : Director of Public Prosecution v Jones, [1999] UKHL 5 (droit d’accès aux voies publiques (« highways »), notamment aux fins d’y exercer la liberté de réunion pacifique (sous la forme d’une manifestation pacifique), à la fois au regard de la common law et de l’art. 11 de la Convention européenne des droits de l’homme). Voir également : Figueiras v. Toronto (City) Police Services Board, supra, note 30, paragr. 71, 79-81.

[54]    Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1, art. 48, al. 1.

48  Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l’ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 89.1, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d’en rechercher les auteurs.

48.  The mission of police forces and of each police force member is to maintain peace, order and public security, to prevent and repress crime and, according to their respective jurisdiction as set out in sections 50, 69 and 89.1, offences under the law and municipal by-laws, and to apprehend offenders.

       Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu’ils desservent.

       In pursuing their mission, police forces and police force members shall ensure the safety of persons and property, safeguard rights and freedoms, respect and remain attentive to the needs of victims, and cooperate with the community in a manner consistent with cultural pluralism. Police forces shall target an adequate representation, among their members, of the communities they serve.

                                                                                                                                                           [Je souligne]

[55]    Voir supra, note 54.

[56]    [1978] 2 R.C.S. 1299, notamment aux p. 1325-1326.

[57]    [1991] 3 R.C.S. 154.

[58]    [2006] 1 R.C.S. 420, paragr. 13 et s.

[59]    [2013] 3 R.C.S. 756.

[60]    Id., paragr. 31.

[61]    2018 QCCA 234.

[62]    À ce propos, voir notamment : Ville de Saint-Jérôme c. Sauvé, supra, note 61, paragr. 40 et 60-69.

[63]    Lecompte c. R., J.E. 2000-1554 (C.A.), paragr. 15 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 1er mars 2001, n° 28171); Aubré c. R., 2005 QCCA 36, paragr. 14 et 19; R. c. Aubin, 2008 QCCS 4543, paragr. 50 et s.

[64]    La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, supra, note 59.

[65]    [2014] 1 R.C.S. 784.

[66]    Id., paragr. 35.

[67]    Lévis (Ville) c. Tétreault; Lévis (Ville) c. 2629-4470 Québec inc., supra, note 58, paragr. 30.

[68]    Voir : La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, supra, note 59, notamment aux paragr. 57, 68-70 et 76.

[69]    Id., notamment aux paragr. 57 et 65. Voir généralement : R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, motifs du j. en chef Lamer.

[70]    Le piquetage, même secondaire, est une forme d’expression protégée par l’al. 2b) de la Charte canadienne. Voir : S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., supra, note 30.

[71]    Dans l’avis qu’elle donne au sujet de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, L.Q. 2012, c. 12, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse se penche sur les art. 16 et 17, qui instaurent un système de notification préalable, et elle évoque le même genre de problème :

Par ailleurs, bien que l’article 16 vise explicitement les organisateurs d’une manifestation, la Commission souligne qu’il peut avoir pour effet d’enfreindre les libertés d’expression et de réunion pacifique de toute personne qui souhaite participer à un rassemblement visé par cette disposition sans pouvoir ou vouloir l’organiser. Ainsi, les obligations que prescrit la Loi pourraient spécifiquement avoir pour effet de créer un doute dans l’esprit des gens à savoir si leur participation à une réunion ou une manifestation sera considérée ou non comme une infraction. L’imprécision qui caractérise l’application des interdictions de la Loi et la difficulté, voire l’impossibilité, pour les personnes désirant s’exprimer dans le cadre d’une manifestation de savoir si elles seront 50 ou plus ou encore si les organisateurs de celle-ci se sont pliés aux exigences de l’article 17 risquent de soulever des craintes de sanction non fondée. L’article 16 de la Loi porte donc indûment atteinte aux libertés fondamentales puisqu’en raison des sanctions qui y sont rattachées, certains préféreront s’abstenir d’exercer leurs libertés fondamentales.

(Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, Commentaires sur la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent (L.Q. 2012, chapitre 12), document adopté à la 584e séance extraordinaire de la Commission, tenue le 17 juillet 2012, résolution COM-582-3.1.1, p. 47).

[72]    Voir : S.D.G.M.R., section locale 558 c. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., supra, note 30; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, [2013] 3 R.C.S. 733, notamment au paragr. 35.

[73]    Voir par ex. : Ramsden c. Peterborough (Ville), [1993] 2 R.C.S. 1084 (règlement municipal interdisant tout affichage sur la propriété publique); Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 139 in fine (« Au départ, mentionnons qu’une mesure qui porte atteinte à la Charte et qui est prise par voie de règlement est sans aucun doute “prescrite par une règle de droit”, pour l’application de l’article premier (Hutterian Brethren, par. 39-40) »).

[74]    2019 CSC 1 (on examine dans cette affaire le droit de vote des citoyens non résidents).

[75]    Dans le même sens, pour quelques arrêts récents reprenant ce test (initialement élaboré par l’arrêt R. c. Oakes, supra, note 15), voir notamment : R. c Morrison, 2019 CSC 15, paragr. 63; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, paragr. 96; R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906, paragr. 58; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336, paragr. 89; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3, paragr. 90 (reprenant le test de l’arrêt Oakes afin de l’appliquer à l’art. 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec); Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, paragr. 94.

[76]    Voir par ex. : Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, [2013] 1 R.C.S. 467, paragr. 64 et s.; Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 R.C.S. 214, paragr. 17; Grant c. Torstar Corp., [2009] 3 R.C.S. 640, paragr. 47 et s.; R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472, paragr. 19 et 20; R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, paragr. 23 (dans lequel la j. en chef McLachlin, autrice de l’opinion majoritaire, cite avec approbation le juge Cardozo dans Palko c. Connecticut, 302 U.S. 319 (1937), p. 327, qui reconnaît dans la liberté d’expression « the matrix, the indispensable condition, of nearly every other form of freedom »); Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569, paragr. 28-29; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, p. 968-969 (renvoyant notamment aux motifs du j. Rand dans Switzman v. Elbling, [1957] R.C.S. 285, à la p. 306 in fine, qui disait de la liberté d’expression qu’elle était « little less vital to man's mind and spirit than breathing is to his physical existence »).

[77]    Sans remonter à Mill ou Milton, voir par ex. : Frederick Schauer, Free Speech : A Philosophical Enquiry, Cambridge, Cambridge University Press, 1982; Richard Moon, The Constitutional Protection of Freedom of Expression, Toronto, University of Toronto Press, 2000, p. 8 et s.; Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd. suppl., vol. 2, Toronto, Thomson Reuters, 2007 (éd. à feuilles mobiles, 2 mai 2019), paragr. 43.4 et s., p. 43-7 et s.; Stéphane Bernatchez, « La signification du droit à la liberté d’expression au crépuscule de l’idéal », (2012) 53 C. de D. 687; Keith Dubick, « The Theoretical Foundation for Protecting Freedom of Expression », (2001) 13 Nat’l J. Const. L. 1.

[78]    B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2017] 1 R.C.S. 93 (motifs de la j. en chef McLachlin, pour la Cour). Dans le même sens, voir : Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, paragr. 92 (motifs majoritaires du j. Bastarache). Voir également : Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra, note 76, paragr. 65-66; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, paragr. 75.

[79]    [2000] 2 R.C.S. 1120.

[80]    Id., paragr. 144.

[81]    Par contraste, voir : Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 49 et s., où l’on rejette l’idée que la préservation du contrat social, objectif imprécis et « dénué de contenu » (paragr. 53 des motifs majoritaires du j. en chef Wagner), à la fois trop large et trop étroit, soit un objectif urgent et réel; on reconnaît cependant que « le maintien de l’équité du système électoral des Canadiens résidents est un objectif législatif suffisamment important pour justifier l’analyse fondée sur l’article premier » (paragr. 55)).

[82]    Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610, paragr. 37.

[83]    Supra, note 16.

[84]    Supra, note 16. L’art. 500.1 prescrit que :

500.1  Nul ne peut, au cours d’une action concertée destinée à entraver de quelque manière la circulation des véhicules routiers sur un chemin public, en occuper la chaussée, l’accotement, une autre partie de l’emprise ou les abords ou y placer un véhicule ou un obstacle, de manière à entraver la circulation des véhicules routiers sur ce chemin ou l’accès à un tel chemin.

500.1  No person may, during a concerted action intended to obstruct in any way vehicular traffic on a public highway, occupy the roadway, shoulder or any other part of the right of way of or approaches to the highway or place a vehicle or obstacle thereon so as to obstruct vehicular traffic on the highway or access to such a highway.

         Un agent de la paix peut enlever ou faire enlever aux frais du propriétaire toute chose utilisée en contravention au présent article. Il peut aussi saisir une telle chose; les dispositions du Code de procédure pénale (chapitre C25.1) relatives aux choses saisies sappliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux choses ainsi saisies.

         A peace officer may remove or cause to be removed, at the expense of the owner, any thing used in contravention of this section. The peace officer may also seize such a thing; the provisions respecting things seized in the Code of Penal Procedure (chapter C25.1) apply, with the necessary modifications, to things so seized.

         Le présent article ne s’applique pas lors de défilés ou d’autres manifestations préalablement autorisées par la personne responsable de l’entretien du chemin public à la condition que le chemin utilisé soit fermé à la circulation ou sous contrôle d’un corps de police.

         This section does not apply during parades or other popular events previously authorized by the person responsible for the maintenance of the public highway provided the highway used is closed to traffic or is under the control of a police force.

         Aux fins du présent article, un chemin public comprend un chemin servant de déviation à un chemin public, même si ce chemin est situé sur une propriété privée, ainsi qu’un chemin soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenu par celui-ci.

         For the purposes of this section, a public highway includes a road being used as an alternate route for traffic diverted from a public highway even if the alternate route is situated on private property, and a road under the administration of or maintained by the Ministère des Ressources naturelles et de la Faune.

 

[85]    Je reviendrai subséquemment sur cette notion de perturbation indue, la manifestation pacifique, activité expressive protégée par les al. 2b) et 2c) de la Charte canadienne, comportant un élément intrinsèquement perturbateur, ce qui n’en fait pas pour autant une nuisance à réprimer.

[86]    En ce qui concerne la situation des manifestations qui ont eu lieu au printemps 2012 et qui ont motivé la modification du Règlement de l’intimée, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, à l’occasion de son examen de la Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, rapporte que les rassemblements en question se sont généralement déroulés dans le calme, malgré certains incidents localisés, qu’elle relate et qui ne se sont pas produits dans la ville de Québec. Voir : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, supra, note 71, p. 3-15. La preuve testimoniale reproduite au dossier d’appel ne laisse aucunement entendre le contraire.

      Le même constat ressort du Rapport de la Commission spéciale d’examen des événements du printemps 2012, Québec, Publications du Québec, mars 2014, qui note que la très grande majorité des manifestations tenues à l’époque se sont déroulées dans le calme, malgré des actes de vandalisme (principalement à Montréal) et certains accrochages (incluant un incident majeur à Victoriaville (une émeute, écrit la Commission) et un affrontement violent à Montréal) dont une partie paraît, selon la Commission, découler des stratégies mises en place par les forces de l’ordre ou par leurs interventions, sans exclure par ailleurs l’activité de casseurs.

[87]    Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d'alcool), [1987] 2 R.C.S. 59, p. 76.

[88]    C’était aussi le cas dans l’affaire Garbeau c. Montréal (Ville de), supra, note 16, paragr. 219 (« Finalement, l'objectif est urgent et réel même si la preuve démontre que les corps policiers sont souvent en mesure d'encadrer les manifestations dont ils n'ont pas été avisés de la tenue »).

[89]    Voir en ce sens : Rio Hotel Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Commission des licences et permis d'alcool), supra, note 87, notamment à la p. 76 (motifs du j. Estey, en obiter).

[90]    Supra, note 30.

[91]    Supra, note 73.

[92]    Supra, note 76.

[93]    Supra, note 74.

[94]    Voir aussi : R. c. K.R.J., supra, note 75, paragr. 68.

[95]    Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 95.

[96]    [2015] 1 R.C.S. 401.

[97]    Id., paragr. 60, citant Little Sisters Book and Art Emporium (supra, note 79). Voir aussi: Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, [2007] 2 S.C.R. 391, paragr. 148.

[98]    Témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 166-167, 168 in fine et 169. L’exposé de l’intimée le confirme, p. 4, point vii (qui parle de l’itinéraire), et p. 15, paragr. 35, point iii (qui parle des renseignements requis par l’art. 19.2 du Règlement, lesquels peuvent être communiqués « quelques instants avant la manifestation »).

[99]    Voir : Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 143.

[100]   RJR-MacDonald c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, paragr. 82, cité avec approbation dans Frank. c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 59 (reproduit supra, paragr. [88]).

[101]   Le Public Order Act 1986 (R.-U.), c. 64, art. 11, exige un préavis de 6 jours (sauf lorsque la chose n’est pas praticable ou qu’il s’agit d’une marche ou d’un défilé récurrent).

[102]   Voir par ex. : Navalnyy c. Russie, [GC], nos 29580/12 et 4 autres, 15 novembre 2018, paragr. 128 et s., où l’on recense divers arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté de réunion pacifique faisant état des processus de notification préalable mis en place dans plusieurs pays européens. Voir aussi : Lashmankin v. Russia, nos. 58818/09 and 14 others, 7 février 2017, paragr. 443-458. Sans les recommander, la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique constate l’existence de régimes de notification préalable dans plusieurs états européens : Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, 2e éd., CDL-AD(2010)020, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 83e session plénière, Venise, 4 juin 2010.

[103]   Plutôt que la notification comme telle, le droit américain admet le régime de l’autorisation préalable (laquelle a l’effet d’un préavis). Voir par ex. : United States v. Grace, supra, note 52, p. 177 : « It is also true that “public places” historically associated with the free exercise of expressive activities, such as streets, sidewalks, and parks, are considered, without more, to be “public forums.” See Perry Education Assn. v. Perry Local Educators' Assn., 460 U.S. 37, 45 (1983); Carey v. Brown, supra, at 460; Hudgens v. NLRB, 424 U.S. 507, 515 (1976); Cox v. New Hampshire, 312 U.S. 569, 574 (1941); Hague v. CIO, 307 U.S. 496, 515 (1939). In such places, the government's ability to permissibly restrict expressive conduct is very limited: the government may enforce reasonable time, place, and manner regulations as long as the restrictions “are content-neutral, are narrowly tailored to serve a significant government interest, and leave open ample alternative channels of communication.” Perry Education Assn., supra, at 45. See, e. g., Heffron v. International Society for Krishna Consciousness, Inc., 452 U.S. 640, 647, 654 (1981); Grayned v. City of Rockford, 408 U.S. 104, 115 (1972); Cox v. Louisiana, 379 U.S. 559 (1965). […] » [Je souligne].

      Au sujet des conditions (limitées) que les autorités américaines peuvent imposer à l’octroi d’une autorisation, voir aussi : Thomas v. Chicago Park District, 534 U.S. 316 (2002); Watchtower Bible & Tract Soc'y of N.Y., Inc. v. Vill. of Stratton, 536 U.S. 150 (2002).

[104]   Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 95.

[105]   Montréal c. Arcade Amusements Inc., [1985] 1 R.C.S. 368, p. 400-401, 402 in fine et 403.

[106]   Supra, note 24.

[107]   Cette disposition prévoyait que :

2.1  Au préalable de sa tenue, le lieu exact et l'itinéraire, le cas échéant, d'une assemblée, d'un défilé ou autre attroupement doit être communiqué au directeur du Service de police ou à l'officier responsable.

2.1  The exact location and itinerary, as the case may be, of an assembly, parade or other gathering must be disclosed, prior to the event, to the director of the Service de police or to the officer in charge.

       Une assemblée, un défilé ou un attroupement pour lequel le lieu ou l'itinéraire n'a pas été communiqué, ou dont le déroulement ne se fait pas au lieu ou conformément à l'itinéraire communiqué est une assemblée, un défilé ou un attroupement tenu en violation du présent règlement.

       Every assembly, parade or gathering for which the location or itinerary has not been disclosed, or that does not take place at the disclosed location or in accordance with the disclosed itinerary is deemed an assembly, parade or gathering in violation of this by-law.

       La présente disposition ne s'applique pas lorsque le Service de police, pour des motifs de prévention des troubles de paix, de la sécurité et de l'ordre publics, ordonne un changement de lieu ou la modification de l'itinéraire communiqué.

       This provision does not apply where the Service de police, for the purposes of preventing breaches of the peace, public order and safety, demands that the disclosed location or itinerary be changed.

      L’appel, dans Villeneuve, concernait aussi l’art. 3.2 du règlement en question, qui interdisait à toute personne participant ou étant présente à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public d’avoir le visage couvert, et ce, sans motif raisonnable.

[108]   Rappelons que l’art. 19.5 du Règlement (reproduit supra, note 8) pourrait s’appliquer également aux manifestations telles que définies par l’art. 1. La violation de cette disposition (qui « interdit de gêner la circulation des citoyens sur un trottoir, une place publique ou un passage piétonnier ou de les priver de l’utilisation normale d’une partie du domaine public ») donne également prise à l’infraction que créent les art. 20 et 21 dudit règlement. L’art. 19.5 n’est toutefois pas en cause ici.

[109]   Témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 177, 179, 182-184.

[110]   Supra, note 75.

[111]   Id., paragr. 58.

[112]   Supra, note 74.

[113]   R. c. Morrison, supra, note 75, paragr. 64.

[114]   [2013] 3 R.C.S. 1101, paragr. 126.

[115]   Voir notamment : RJR-MacDonald, supra, note 100, paragr. 163 (motifs de la j. McLachlin). Voir également : T.U.A.C. section locale 1518 c. KMart Canada, [1999] 2 R.C.S. 1083, paragr. 77; Toronto Star Newspapers Ltd. c. Canada, [2010] 1 R.C.S. 721, paragr. 38; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 152 (motifs majoritaires conjoints de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel); Ramsden c. Peterborough (Ville de), supra, note 73, p. 1105-1106.

[116]   Voir supra, paragr. [78] et [79]; voir de plus, notamment : Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Whatcott, supra, note 76, paragr. 111; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), supra, note 78, paragr. 111; R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, p. 771 (motifs majoritaires du j. en chef Dickson), qui examine la question notamment sous l’angle du préjudice résultant d’une poursuite en l’occurrence criminelle.

[117]   Ramsden c. Peterborough (Ville de), supra, note 73, p. 1106.

[118]   Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), supra, note 76, p. 968 (motifs majoritaires du j. en chef Dickson).

[119]   Supra, note 100, paragr. 160 (paragr. cité avec approbation dans Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), supra, note 29, paragr. 149 (motifs conjoints de la j. en chef McLachlin et du j. LeBel).

[120]   Supra, note 97.

[121]   Dans B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), supra, note 78, paragr. 58, la juge en chef McLachlin conclut son analyse de l’article premier de la Charte canadienne en notant que « [l]a logique et la raison ne suffisent pas toujours, mais elles suffisent parfois ». Voir aussi : R. c. K.R.J., supra, note 75, paragr. 90, qui, examinant, à la seconde étape du test de l’article premier, les effets préjudiciables de la mesure contestée (en vue de les comparer aux effets bénéfiques), souligne l’utilité du recours à la logique et à la raison, « compléments importants à la preuve matérielle », laquelle, d’ailleurs, peut n’être pas disponible. Voir aussi Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 78.

[122]   Supra, note 71.

[123]   Supra, note 73.

[124]   Reproduit supra, note 84.

[125]   Supra, note 16.

[126]   Supra, note 5.

[127]   Voir supra, paragr. [105].

[128]   On pourrait être tenté ici de faire une analogie avec ce qu’écrivait la j. en chef McLachlin dans R. c. Nur, [2015] 1 R.C.S. 773 (motifs majoritaires), concluant que le pouvoir discrétionnaire du poursuivant n’obvie pas à l’inconstitutionnalité, puisqu’elle « prive les citoyens du droit de savoir d’avance ce que prévoit la loi et de la possibilité de se comporter en conséquence et elle invite à l’application inégale de la loi » (paragr. 91). La j. en chef ajoute que « l’existence d’une loi invalide dont le poursuivant corrige ponctuellement les défauts n’est pas compatible avec le rôle et la responsabilité du législateur d’édicter des règles législatives constitutionnelles pour le peuple canadien » (paragr. 91), propos qui peuvent être adaptés à la situation de l’intimée.

[129]   L’art. 1 définit en effet le domaine public de la manière suivante :

« domaine public » : ensemble des biens administrés par la municipalité affectés à l’usage général et public;

      Cela inclut les rues, qui incluent elles-mêmes les trottoirs.

[130]   Villeneuve c. Ville de Montréal, supra, note 24.

[131]   Voir notamment : B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), supra, note 78, paragr. 16 (reproduit supra, paragr. [78]; Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, notamment aux paragr. 1, 11-12 et 15-16 (motifs dissidents de la j. en chef McLachlin et du j. Major), paragr. 84 (motifs majoritaires du j. Bastarache); Libman c. Québec (Procureur général), supra, note 76, paragr. 29; R. c. Keegstra, supra, note 116, p. 763-764 (motifs majoritaires du j. en chef Dickson).

[132]   Supra, note 101.

[133]   Les assemblées statiques sont assujetties à d’autres types d’exigences (art. 14 à 14C du Public Order Act 1986). Voir David Mead, supra, note 29, p. 169. Sur l’émergence et les raisons de la distinction que fait le droit anglais entre la manifestation dont les participants se déplacent et la manifestation statique, voir : Rachel Vorspan, « Freedom of Assembly and the Right to Passage in Modern English Legal History », (1997) 34 San Diego Law Review 921, notamment aux p. 927-935, 942-990 (XIXe siècle) et 1017 et s. (1980-).

[134]   La « public procession » est définie en ces termes par l’art. 16 de la loi : « “public procession” means a procession in a public place ».

[135]   Si on exclut le délai de 6 jours, que le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association juge excessif (Doc off CDH NU, 23e sess., Rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, Maina Kiai, Doc. NU A/HRC/23/39/Add.1 (24 avril 2013), p. 4, paragr. 11. Par comparaison, le Règlement n’impose pas de délai particulier et, selon la preuve, la notification préalable peut même avoir lieu dans les minutes précédant la manifestation.

[136]   Human Rights Act 1998 (R.-U.), c. 42., art. 1, 3 et 6, et art. 10 (« freedom of expression ») et 11 (« freedom of peaceful assembly ») de l’annexe I, partie 1.

[137]   L’exemple que je tire des exigences de notification du Public Order Act 1986 ne reflète par ailleurs pas le caractère généralement restrictif des exigences anglaises, qu’un auteur décrit ainsi :

         The law has developed as a series of pragmatic responses to particular problems and political agendas and has become relentlessly more restrictive in recent years. For example the Public Order Act 1936 was a response to fears of fascism and communism. It was superseded by the Public Order Act 1986, which was provoked by race riots. Further legislation has been aimed at miscellaneous targets of the government of the day. These included anti-nuclear demonstrations, hunt saboteurs, travellers, ‘stalkers’, football hooligans, anti-war demonstrators, terrorists and animal rights groups (see Criminal Justice and Public Order Act 1994, ss 60, 60AA; Protection from Harassment Act 1997; Crime and Disorder Act 1998; Football (Offences and Disorder) Act 1999; Football (Disorder) Act 2000; Serious Organised Crime and Police Act 2005; Terrorism Acts 2000, 2006). The legislation may be drafted loosely enough to include wider political activities, thereby attracting human rights arguments based on uncertainty, proportionality and discrimination.

         This illustrates the weakness of the traditional residual approach to liberty under which according to Dicey the right to hold a public procession is in principle no different from the right to eat a bun. The notion that everything is permitted unless forbidden is particularly ironic in the case of public meetings. […]

(John Alder et Keith Syrett, Constitutional and Administrative Law, 11e éd., London, Palgrave/Macmillan, 2017, p. 590).

[138]   Voir par ex. : Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504, où le juge Gonthier pour la Cour écrit que :

112         […] En d’autres termes, il ne suffit pas qu’un juge, libre de toutes ces contraintes, puisse concevoir une solution de rechange moins restrictive. L’article premier prévoit plutôt que la mesure législative doit restreindre le droit constitutionnel en cause « aussi peu qu’il est raisonnablement possible de le faire » (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, p. 772, le juge en chef Dickson). Toutefois, même un bref examen des autres solutions possibles, y compris les régimes applicables en matière de douleur chronique que d’autres provinces ont adoptés, révèle clairement que l’exclusion générale de la douleur chronique ne peut certes pas être considérée comme une atteinte minimale aux droits des accidentés du travail qui en souffrent. [Je souligne]

[139]   Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, supra, note 102.

[140]   Id., notamment aux p. 19 (paragr. 11), 31 (paragr. 35).

[141]   Id., p. 61-62 (paragr. 115).

[142]   Id., p. 10 (paragr. 4.2), 66-68 (paragr. 126-131). Lorsque l’exigence de notification est applicable à la manifestation spontanée, les Lignes directrices rappellent que « la décision de disperser une manifestation spontanée “au seul motif que l’obligation de notification préalable n’a pas été respectée, et sans que les participants se soient comportés d’une manière contraire à la loi constitue une restriction disproportionnée à la liberté de réunion pacifique” » (paragr. 131, p. 67-68, citant Bukta c. Hongrie, [GC], n° 25691/104, 17 octobre 2007, paragr. 36).

[143]   À ce propos, voir par ex. : Kay v Commissioner of the Police of the Metropolis, [2008] UKHL 69, qui traite des défilés récurrents exemptés des exigences de notification par le paragr. 11(2) du Public Order Act 1986.

[144]   Lorsqu’il en est, ce qui, on le sait, n’est pas toujours le cas.

[145]   Supra, note 71.

[146]   Carter c. Canada (Procureur général), supra, note 75, paragr. 102.

[147]   Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, supra, note 71, p. 48-49.

[148]   Id., p. 52.

[149]   Villeneuve c. Ville de Montréal, supra, note 24.

[150]   La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, supra, note 59. Voir aussi : Immeubles Jacques Robitaille inc. c. Québec (Ville), supra, note 65. Voir également les paragr. [63] et [64] supra.

[151]   Voir à ce propos : R. c. Sault Ste-Marie, supra, note 56, p. 1326.

[152]   Supra, note 101.

[153]   Supra, note 102, notamment aux paragr. 98 à 103 et 128 et s.

[154]   Il n’est pas certain qu’un système d’autorisation préalable - restriction aux libertés d’expression et de réunion pacifique - serait valide en vertu des art. 1 de la Charte canadienne ou 9.1 de la Charte québécoise, à moins d’être très soigneusement conçu. À ce propos, voir d’ailleurs : Garbeau c. Montréal (Ville de), supra, note 16. Voir aussi : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Les restrictions à la liberté de réunion pacifique dans le cadre de la réglementation municipale, par Michel Coutu, document adopté à la 446e séance de la Commission, tenue le 17 décembre 1999, résolution COM-446-4.1.2 (qui examine le système d’autorisation préalable mis en place par la ville de La Baie). Pour sa part, la Commission de Venise estime que « les personnes désirant se réunir ne devraient pas être tenues d’obtenir une autorisation préalable » (Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, supra, note 102, notamment aux p. 8 (paragr. 2.1); voir aussi p. 10 (paragr. 3.4), 28 (paragr. 30) et 63-64 (paragr. 118-119). La question ne se posant pas en l’espèce, puisque le Règlement n’exige pas une telle autorisation, je n’en dirai pas plus.

[155]   [GC], no 37553/05, CEDH 2015.

[156]   On exigeait ainsi une notification préalable de 10 jours. Navalnyy c. Russie, supra, note 102, paragr. 140.

[157]   Kudrevičius c. Lituanie, supra, note 155, paragr. 156.

[158]   Frank c. Canada (Procureur général), supra, note 74, paragr. 66 (affaire dans laquelle la preuve requise au chapitre de l’atteinte minimale était également lacunaire : voir les paragr. 67-68).

[159]   Carter c. Canada (Procureur général), supra, note 75, paragr. 122.

[160]   Peter W. Hogg, supra, note 77, paragr. 38.12, p. 38-43.

[161]   Témoignage du lieutenant Richard Hamel, notes sténographiques du 5 octobre 2015, p. 145-147.

[162]   Voir notamment : F. Villeneuve Ménard, supra, note 39; G. Babineau, supra, note 29; P. Forget, supra, note 29.

[163]   Pour une critique de la logique de la manifestation comme nuisance, voir : Sarah E. Hamill, « Location Matters : How Nuisance Governs Access to Property for Free Expression », (2014) 47 U.B.C. L. Rev. 129.

[164]   La Commission de Venise n’exclut pas que, exceptionnellement, une manifestation pacifique puisse engendrer un préjudice indu. Par exemple, lorsqu’elles ont lieu dans un même lieu ou un même voisinage, « [l]es manifestations répétées, même si elles sont pacifiques, de groupes spécifiques peuvent également - dans certaines circonstances - s’analyser en un abus de position dominante […] et, elles aussi, faire légitimement l’objet de restrictions visant à protéger les droits et libertés de tiers » (Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Lignes directrices du BIDDH/OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, supra, note 102, p. 49, paragr. 84). Ce n’est toutefois pas la situation en cause dans le présent appel.

[165]   Supra, note 30.

[166]   Id., paragr. 103.

[167]   Id., paragr. 62.

      Dans un tout autre contexte, celui du pouvoir de common law d’arrêter une personne en vue de prévenir une violation de la paix, alors même que cette personne ne contrevient aucunement à la loi, on observe un raisonnement du même ordre. Dans Fleming c. Ontario, 2019 CSC 45, la Cour suprême, sous la plume de la j. Côté, précise ainsi que l’expression « violation de la paix », en common law, « a toujours impliqué un “[traduction] danger pour l’individu” » (paragr. 58), un acte ne pouvant violer la paix que « s’il comporte un certain degré de violence et un risque de préjudice », ajoutant que « [u]n comportement qui est simplement perturbateur, embêtant ou indiscipliné n’est pas une violation de la paix » (paragr. 59). Elle conclut qu’il n’existe pas de pouvoir, en common law, d’arrêter une personne qui agit en toute légalité parce qu’on appréhende une violation de la paix, par cette personne ou par d’autres (étant entendu que le Code criminel permet par ailleurs d’arrêter la personne qui se trouve sur le point de commettre une telle violation, voir les paragr. 61 et 62 de cet arrêt). L’affaire Fleming concerne l’arrestation d’un individu alors qu’il se dirige vers le lieu où doit se tenir une manifestation à laquelle il entend participer. Elle offre une perspective intéressante sur les conditions auxquelles on peut vouloir prévenir les violations de la paix, enseignement qui peut être utile aux municipalités qui cherchent à prévenir les « désordres » associés aux manifestations (même pacifiques).

[168]   Supra, note 23.

[169]   Supra, note 30.

[170]   Supra, note 30.

[171]   Supra, note 45.

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