COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE
LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 27 juillet 1993
DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: Joëlle L’Heureux
DE MONTRÉAL
RÉGION:
LAURENTIDES
DOSSIER:
33581-64-9111
DOSSIER BRP:
6066 7155
DOSSIER CSST: AUDIENCE TENUE LE: 26 mai 1993
9866 1903
À: Montréal
GUY LAUZON
186, rue Gauthier
Saint-Jérôme (Québec)
J7Y 3E2
PARTIE APPELANTE
et
TRANSPORT SONAR INC.
Direction des ressources humaines
3075, boul. Thimens
Saint-Laurent (Québec)
H4R 1Y3
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE
LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL - LAURENTIDES
Direction régional
1000, rue Labelle
Saint-Jérôme (Québec)
J7Z 5N6
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 6 novembre 1991, monsieur Guy Lauzon (le travailleur) en appelle d'une décision rendue le 21 octobre 1991 par le bureau de révision de la région de Saint-Jérôme.
Par cette décision majoritaire, le membre représentant les travailleurs étant dissident, le bureau de révision maintient la décision rendue le 26 novembre 1990 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) qui refuse de réintégrer le travailleur au programme de recherche d’emploi.
La Commission est intervenue dans la présente affaire
conformément à l'article
OBJET DE L'APPEL
Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d’être réintégré au programme de recherche d’emploi pour la période du 29 septembre au 1er novembre 1990.
LES FAITS
Le travailleur, chauffeur-livreur pour Transport Sonar Inc. (l’employeur) subit un accident du travail le 19 décembre 1987. À la suite de cette lésion professionnelle, la Commission, le 14 novembre 1988, établit à 2,2% le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique résultant de la lésion, en raison d’une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées. Les limitations fonctionnelles reconnues consistent à éviter de soulever des poids de plus de 50 livres, éviter de travailler en position penchée ou de se pencher et de se redresser régulièrement. Le travailleur peut toutefois occuper un emploi à temps plein.
Le 26 février 1990, la Commission établit, dans le cadre d’un plan individualisé de réadaptation, que l’emploi de routier constitue un emploi convenable:
«Pour faire suite à votre plan individualisé de réadaptation initial du 28 février 1989, nous avons réévalué votre orientation professionnelle à la lumière de vos résultats scolaires et de l’absence de disponibilité du cours de “Gestion financière informatisée” et avons déterminé que l’emploi de routier constituait pour vous un emploi plus convenable.»
Le travailleur est donc inscrit à un cours de formation pour routier s’échelonnant du 30 octobre 1989 au 24 février 1990. La Commission informe le travailleur, dans cette lettre du 26 février 1990, qu’il bénéficie d’une période maximale d’un an de recherche d’emploi, aux conditions suivantes:
«Nous vous verserons donc des indemnités de remplacement de revenu jusqu’à la première des échéances suivantes: votre retour effectif en emploi ou le refus d’un tel retour, la fin de votre période de recherche d’emploi, soit le 24 février 1991.» (sic)
En avril 1990, le travailleur trouve un emploi chez Dicom Express comme préposé à l’entrepôt et chauffeur. L’horaire de travail est alors de midi à 21 heures. Quelques jours après avoir débuté dans cette fonction, le travailleur est affecté sur le quart de nuit pour remplacer un collègue. Le travailleur explique avoir tenté de s’adapter au travail de nuit jusqu’en septembre 1990, lorsqu’il demande à son employeur de retourner sur le quart de jour ou de soir. À ce moment, l’employeur n’a plus de poste à lui offrir de jour.
Le travailleur quitte cet emploi en septembre 1990 car il ne peut s’habituer à travailler de nuit. Il dit ne pas être capable de dormir le jour. Conséquemment, il est fatigué lorsqu’il travaille de nuit et s’endort sur le volant, ce qu’il considère dangereux pour sa sécurité et celle des autres.
Le 7 novembre 1990, le travailleur écrit à la Commission et demande d’être réintégré au programme de recherche d’emploi. Il y explique avoir abandonné son emploi pour les raisons suivantes:
«1- Je suis incapable de dormir le jour.
2- En plusieurs occasions, j’aurais pu avoir un accident je m’endormais au volant, dû au manque de sommeil.
3- Je suis incapable de travailler de nuit.
4- J’ai toujours travaillé de jour.» (sic)
La Commission refuse cette demande «considérant que l’abandon de l’emploi convenable découle non pas de votre capacité à l’exercer mais de votre difficulté à vous adapter aux conditions de travail en vigueur chez votre employeur».
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
La Commission d'appel doit décider si le travailleur avait droit de réintégrer le programme de recherche d’emploi accordé le 26 février 1990 avec le plan individualisé de réadaptation. Les dispositions suivantes de la loi sont invoquées:
49. Lorsqu’un travailleur incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d’exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu’il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n’est pas disponible, ce travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue par l’article 45 jusqu’à ce qu’il occupe cet emploi ou jusqu’à ce qu’il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l’exercer.
L’indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d’emploi, en vertu d’une loi du Québec ou d’ailleurs, autre que la présente loi.
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l’exercer, doit abandonner cet emploi selon l’avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue par l’article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s’applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d’avis que celui-ci n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.
Le travailleur ne conteste pas la détermination d’emploi convenable faite par la Commission. Il considère plutôt qu’il avait, d’une part, une raison valable pour abandonner son emploi, et d’autre part, que ce travail comportait un danger pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.
La Commission d’appel considère que le refus d’occuper un emploi convenable et l’abandon d’un emploi convenable décrivent deux réalités différentes. Ces deux notions sont aussi prévues à deux dispositions de la loi, soit les articles 49 et 51.
Comme la détermination de l’emploi convenable par la
Commission n’est pas remise en cause, et que le travailleur n’allègue pas que
le travail de nuit comme tel ne constitue pas un emploi convenable, ce qui n’a
d’ailleurs pas été démontré, le cas du travailleur correspond à un abandon
d’emploi convenable. Le législateur a prévu cette possibilité à l’article
La référence faite par le travailleur au danger à la santé, à la sécurité et à l’intégrité physique est tirée textuellement de l’article 51. Il s’agit là d’une situation qui permet à un travailleur de récupérer le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu, si le médecin qui a charge du travailleur est d’avis que l’emploi convenable comporte un tel danger.
L’avis du médecin prévu à l’article 51 n’est pas seulement souhaitable. Il conditionne la récupération du droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Le deuxième alinéa de l’article 51 est libellé d’une façon particulièrement claire: «le premier alinéa ne s’applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d’avis que...». Considérer, comme le demande la représentante du travailleur, que le mérite réel, la justice et l’équité justifient de passer outre à un texte dont l’intention est exprimée de façon à ne pas s’y méprendre constituerait un excès de juridiction de la part d’un tribunal qui doit appliquer la loi.
L’article 51 est une disposition d’exception qui permet de
faire revivre un droit autrement éteint. Des conditions ont été spécifiquement
prévues pour encadrer cette mesure et elles doivent être appliquées comme
telles. Comme le travailleur n’a jamais consulté de médecin, à aucune étape du
dossier, aucune interprétation n’est possible sur le respect des conditions de
l’article 51. Le travailleur ne peut donc récupérer le droit au versement de
l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article
Le travailleur allègue aussi avoir eu une raison valable pour laisser son emploi, en faisant référence à l’article 49 qui prévoit qu’un travailleur peut refuser un emploi convenable pour une raison valable sans perdre le droit à l’indemnité de remplacement du revenu. Le travailleur soulève que l’impossibilité de dormir le jour, donc de travailler de nuit, constitue un motif valable. Il considère que le motif valable doit être évalué par rapport à la personne qui l’allègue, donc de façon subjective.
Le travailleur ajoute que si l’offre d’emploi avait, dès le départ, stipulé qu’il s’agissait d’un emploi de nuit, il aurait eu l’opportunité de refuser cet emploi en raison de son incapacité à travailler de nuit. Il allègue que refuser d’appliquer l’article 49 à l'étape actuelle du dossier lui cause un préjudice parce qu’il a tenté, en toute bonne foi, de s’habituer au travail de nuit.
Le représentant de la Commission et le représentant de l’employeur soumettent que l’article 49 ne peut s’appliquer au cas du travailleur car le droit à l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de cette disposition s’est éteint. La seule disposition qui permet de faire revivre ce droit est l’article 51.
La Commission d’appel constate d’une part que l’un des événements qui déterminent la fin du droit aux indemnités en vertu de l’article 49, c’est-à-dire le fait que le travailleur occupe un emploi convenable, le fait qu’il refuse sans raison valable un emploi convenable ou l’expiration d’une année à compter du moment où le travailleur devient capable d’exercer l’emploi convenable, s’est matérialisé en avril 1990 lorsque le travailleur a occupé un emploi convenable.
Il est vrai que l’affectation du travailleur a été modifiée en cours de route. Le travailleur n’a toutefois jamais allégué que la nouvelle affectation ne constituait pas un emploi convenable. La Commission d’appel ne peut non plus assimiler la situation décrite à celle d’un travailleur qui refuse un emploi convenable. Le délai de près de six mois entre l’affectation et la démission du travailleur décrit difficilement une situation de refus mais caractérise fort bien un contexte d’abandon. Il ne s’agit pas ici de pénaliser le travailleur pour ses efforts mais de regarder la situation telle que présentée. Il s'agit donc ici d'un cas d'abandon d'emploi convenable et non de refus d'occuper un emploi.
L’article 49 qui permet d’analyser la présence d’une raison valable s’applique en cas de refus et non en cas d’abandon. La Commission d’appel ne peut donc accepter la demande du travailleur sous prétexte qu'il allègue avoir une raison valable, la loi ne prévoyant pas qu’un travailleur puisse récupérer le droit à l’indemnité de remplacement du revenu dans de telles circonstances.
Ce n’est d’ailleurs que plus de un mois après avoir abandonné son emploi que le travailleur manifeste sa demande de réintégrer le programme de recherche d’emploi à la Commission. La période pour laquelle il réclame ce bénéfice est déjà écoulée, le travailleur ayant débuté un nouvel emploi au début du mois de novembre 1990. Les prestations qu’il demande peuvent difficilement, dans ce contexte, se qualifier d’indemnités de recherche d’emploi.
En conséquence, parce que le travailleur ne rencontre ni les prescriptions de l’article 49, ni celles de l’article 51, permettant de refuser un emploi convenable ou d’abandonner un emploi convenable, sa demande de réintégrer le programme de recherche d’emploi pour la période du 29 septembre au 1er novembre 1990 doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES,
REJETTE l’appel du travailleur, monsieur Guy Lauzon;
CONFIRME la décision rendue le 21 octobre 1991 par le bureau de révision de la région de Saint-Jérôme;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de sécurité du travail était bien fondée de refuser de réintégrer le travailleur au programme de recherche d’emploi.
Joëlle L'Heureux,
commissaire
C.A.T.T.A.M.
A/S Martine Tardif
2570, rue Nicolet, app. 102
Montréal (Québec)
H1W 3L5
Représentante de la partie appelante
Ogilvy Renault
A/S Me Chantal Beaulieu
1981, Avenue McGill College, 11e étage
Montréal (Québec)
H3A 3C1
Représentante de la partie intéressée
Chayer, Panneton & Ass.
A/s Me Robert Morin
1000, rue Labelle
Saint-Jérôme (Québec)
J7Z 5N6
Représentant de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.