Décision

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Nkana c. La Garantie, compagnie d'assurances de l'Amérique du Nord

2018 QCCS 4265

 COUR SUPÉRIEURE

 

 

 

Canada

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

 

 

N°:

500-17-089567-153

 

 

 

 

 

 

DATE :

Le 4 octobre 2018

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE SYLVAIN LUSSIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

ALAIN NKANA

-et-

JOSEPH FÉLIX ZOGNING NGUIMEYA

-et-

MATHURIN KENCHOUG

 

En leur qualité de fiduciaires de NKANA FAMIILY TRUST

 

-et-

SANDRINE KAMAKO

Demandeurs

 

c.

 

LA GARANTIE, COMPAGNIE D’ASSURANCE DE L’AMÉRIQUE DU NORD

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT

 

______________________________________________________________________

 

   JL4908

L’APERÇU

 

[1]              Les demandeurs sont-ils assurés pour un dégât d’eau survenu à leur domicile le 17 février 2015? L’assureur soutient que non parce que la maison était vacante puisque les assurés n’y avaient pas encore emménagé.

 

[2]              L’assureur pouvait-il, plusieurs mois plus tard, résilier la Police d’assurance en invoquant ce même défaut d’habiter les lieux?

 

LE CONTEXTE

 

          I.            Achat d’une propriété et assurance de celle-ci

 

[3]              Le 5 novembre 2014, les demandeurs Nkana, Nguimeya et Kenchoug, en leur qualité de fiduciaires, achètent une résidence au [...], à Montréal.[1] Leur vendeur leur demande un certain délai pour déménager.

 

[4]              Préalablement à l’achat de la résidence, le demandeur Alain Nkana  communique avec son courtier Caleigh Saucier, alors du cabinet Soly, Chabot, pour obtenir une police d’assurance couvrant la résidence.

 

[5]              Suivant la proposition d’assurance produite par le courtier[2] et les échanges entre le courtier et la défenderesse La Garantie[3], cette dernière émet une police d’assurance[4] au bénéfice du demandeur Alain Nkana et de sa conjointe la demanderesse Sandrine Kamako, en vigueur à compter du 5 novembre 2014.[5]

 

[6]              La Garantie se spécialise dans l’assurance de propriétés de grande valeur.

 

         II.            Occupation graduelle de la propriété

 

[7]              Les demandeurs prennent possession de la résidence le 5 janvier 2015. Madame Kamako est enceinte. Le bébé est attendu pour le 30 mai. Monsieur Nkana voyage continuellement par affaires, principalement en Afrique. Au moment des faits à l’origine du litige, il sera effectivement en Afrique, ayant quitté vers le 18 janvier 2015.

 

[8]              Bien qu’ils ne commencent pas à « habiter la maison à temps plein », les demandeurs posent un certain nombre de gestes relativement à leur nouveau domicile.

 

[9]              Le 5 janvier, madame Kamako fait le tour des lieux vendus avec le vendeur.

 

[10]           Le 6 janvier, elle y rencontre le paysagiste pour discuter du déneigement. Un contrat à cet effet sera signé le même jour, le service débutant le 25 janvier.[6] Les photos déposées en preuve montrent que les abords de la résidence étaient déneigés.

 

[11]           Le 7 janvier, elle retourne à la résidence pour remettre les chèques au paysagiste.

 

[12]           Les 8, 10, 11, 12, 15, 16 et 17 janvier, elle se rend sur les lieux pour rencontrer des peintres car les conjoints veulent faire « rafraichir » la propriété. Aucune rénovation d’envergure n’est envisagée.

 

[13]           Le 9 janvier, monsieur Nkana achète des meubles chez Maison Corbeil. La livraison est prévue pour la fin février.[7] Les conjoints visent ce moment pour commencer à habiter les lieux. Des meubles sont également commandés en Italie.

 

[14]           Le 18 janvier, les conjoints  se rendent à nouveau à la résidence, avant le départ de monsieur Nkana pour l’Afrique. Il y laisse sa BMW. Madame Kamako viendra d’ailleurs l’emprunter et la retourner. (24 janvier) Elle a sa propre voiture, qu’elle gare également sur les lieux lors de ses visites.

 

[15]           Le 21 janvier, madame Kamako y rencontre le représentant de la compagnie de système d’alarme, dont la propriété sera effectivement dotée.

 

[16]           Le 25 janvier, madame Kamako achète la literie pour le bébé à naître et va déposer celle-ci à la résidence.

 

[17]           Une laveuse et une sécheuse sont livrées et installées. Des produits de nettoyage sont apportés sur les lieux.

 

[18]           Du 28 janvier au 1er février, madame Kamako se rend à la résidence pour y déposer des masques africains, des chaudrons, des vases et autres objets. Des fauteuils sont aussi apportés.

 

[19]           Du 2 au 8 février, madame Kamako se rend à plusieurs reprises à la résidence en compagnie de sa marraine.

 

[20]           Le 9 février, le représentant de la compagnie du système d’alarme est à nouveau sur les lieux en sa compagnie.

 

[21]           Le 15 février, elle y rencontre l’entrepreneur général qui sera éventuellement retenu pour faire certain travaux comme la construction d’un sauna et de portes françaises.

 

[22]           Le 16 février, elle y dépose des échantillons de céramique destinée à la salle de bains des maîtres.

 

[23]           Pendant tout ce temps, la température de la résidence est réglée à 19° C.

 

 

        III.            Le sinistre

 

[24]           Le 17 février, alors qu’un huissier se présente sur les lieux pour saisir des effets appartenant à l’ancien propriétaire, madame Kamako découvre qu’un important dégât d’eau s’est produit à l’étage, affectant les plafonds inférieurs et le plancher du sous-sol. Elle appelle immédiatement un plombier qui coupe l’eau.

 

[25]           Le dégât est visiblement dû au gel de tuyaux au premier étage.

 

[26]           La compagnie de nettoyage Qualinet arrive sur les lieux le 21 février et son chef d’équipe conseille à madame Kamako d’appeler son assureur, ce qu’elle fait le 24 février en contactant son courtier, Caleigh Saucier.

 

[27]           Le 27 février 2015, l’expert en sinistre Steve Labrecque de Cuierrier & Associés, est mandaté par La Garantie, et se présente  à la résidence afin d’évaluer la situation suite au sinistre. Madame Kamako est sur les lieux.

 

[28]           Il fait signer à madame Kamako une déclaration[8] dans laquelle celle-ci affirme qu’elle et son conjoint « n’avaient pas encore emménagé dans la résidence et prévoyaient le faire au mois de mars 2015 ».

 

       IV.            Les travaux d’urgence

 

[29]           Le 5 mars 2015, l’entreprise Danar, propriété de monsieur Michel Caron,  est mandatée par la Garantie pour effectuer des travaux d’urgence et de dégarnissage afin de limiter les dommages. Son frère Martin Caron travaille également pour la même entreprise.

 

[30]           Le 9 mars 2015, Danar  commence la planification des travaux d’urgence.

 

[31]           Entre temps, la Ville de Montréal  constate le gel de certains de ses tuyaux et  coupe l’eau dans le secteur. Michel Caron est informé de cet état de fait par l’expert en sinistre  Labrecque.

 

[32]           Monsieur Labrecque confirme avoir dit à Michel Caron de faire attention lorsque l’eau serait remise.

 

[33]           Michel Caron affirme dans son témoignage n’avoir rien fait relativement aux tuyaux, son rôle n’étant pas de réparer la cause du bris, mais uniquement les dommages en résultant. Cependant, sa facture[9] indique bien que le 10 mars, il a fait « faire des tests d’eau avec le plombier ».

 

        V.            Le refus de couvrir et l’arrêt des travaux

 

[34]           Monsieur Labrecque fait rapport de son enquête à la Garantie. Bien que la date exacte du rapport soit incertaine, c’est au plus tard le 11 mars.

 

[35]           Se basant sur le fait que la Police exclut spécifiquement les dommages causés par les dégâts d’eau lorsqu’une résidence est vacante, la Garantie décide de nier couverture.

 

[36]            Elle demande à monsieur Labrecque de donner instructions à Danar de cesser les travaux. Les instructions de la Garantie sont données verbalement le 12 mars et sont confirmées par courriel le 13[10].

 

[37]           Le 12 mars, monsieur Labrecque contacte Michel Caron pour lui demander d’arrêter les travaux. Aucun écrit ne confirme ses instructions.

 

[38]           Michel Caron demande à ses employés de quitter les lieux de sorte qu’ils soient propres et sécuritaires. Il ne donne aucune consigne relative à l’eau qui est toujours coupée par la Ville.

 

[39]           Personne n’avise madame Kamako.

 

[40]           Le vendredi 13 mars, en toute fin d’après-midi, le patron de monsieur Labrecque, monsieur Cuierrier, contacte le courtier Caleigh Saucier et son supérieur, monsieur Gagnière, pour les informer du refus de couverture.

 

[41]           Madame Kamako n’est toujours pas au courant.

 

[42]           Ce n’est que le 16 mars que monsieur Cuierrier rejoindra monsieur Nkana au téléphone, alors qu’il est au Cameroun, pour l’informer du refus de couverture et du départ de Danar.

 

[43]           Ce n’est que le 2 avril qu’un écrit sera envoyé par la Garantie confirmant la négation de couverture[11].

 

       VI.            Le deuxième dégât d’eau

 

[44]           Le 14 mars, soit le samedi, madame Kamako est informée par la Ville que les tuyaux ont été dégelés et que l’eau va être rétablie. La Ville recommande de laisser couler un filet d’eau au sous-sol pour éviter le gel à nouveau.

 

[45]           Madame Kamako, qui ne sait pas que Danar a quitté, communique par texto avec Michel Caron. Voici l’échange[12] :

 

« SK : En passant, j’étais à la maison tantôt avec les techniciens de la ville. Ils ont dégelé les tuyaux donc l’eau est finalement rétablie Par contre ils ont laissé le robinet du garage ouvert et ils recommandent de le laisser couler jusqu’en mi-avril. Faudrait svp avertir tes gars de le laisser couler.

Bonne soirée,

 

Sandrine K. 

 

MC : D’accord

Bonne soirée »

 

[46]           Ce qui devait arriver arriva : l’eau se remit à couler et le deuxième dégât fut pire que le premier.

 

[47]           Madame Kamako écrit donc le dimanche à Michel Caron :

 

« SK : Michel,

L’avis d’arrêt des travaux dans la maison date de quand? Puisque hier, je n’ai été informée de rien

 

MC : Jeudi

 

SK : Mais comment est-ce que nous n’avons pas été informés? Puisque la ville est passée hier sous votre sollicitation en début de semaine. Ils m’ont appelée hier et comme je vous disais hier ils ont rétabli l’eau. Mais on leur aurait demandé de laisser faire si j’avais été au courant de l’arrêt des travaux.

 

MC : Vous devez discuter cela avec votre ajusteur…

Présentement, je n’ai aucun pouvoir

 

SK : Le problème c’est que jusqu’à tout à l’heure je n’étais pas au courant. Si j’avais été avertie, il n’y aurait pas eu de rétablissement d’eau sur le site. Hier, on s’est échangé au sujet de l’alarme mais vous ne m’avez rien dit. »

 

[48]           La preuve ne permet pas d’établir quels sont les dommages qui résultent du premier incident et ceux qui résultent du deuxième, si on exclut les factures de Qualinet, pour des services rendus en février, au montant total de 24 047.39$.

 

[49]           La question ne nécessite cependant pas de réponse puisque les parties se sont entendues sur le montant total des dommages matériels résultant des dégâts d’eau, soit la somme de 124 650.51$.[13]

 

[50]           De plus, la Garantie reconnaît que les dommages du deuxième dégât proviennent de la même source que le premier dégât d’eau.[14]

 

[51]           Les dégâts sont suffisamment importants pour que les demandeurs reportent leur projet d’habiter la résidence au printemps. Ils attendront septembre avant d’y vivre à temps plein. Ils se trouveront un logement qu’ils louent 1575.00$ par mois[15].

 

[52]           La Garantie ayant nié couverture, les procédures sont intentées le 17 juillet 2015, au nom des fiduciaires, propriétaires de la résidence. La procédure est modifiée en cours d’instance pour ajouter Sandrine Kamako comme demanderesse et ne laisser que les assurés, en leur nom personnel, comme demandeurs.

 

     VII.            Résiliation de la Police

 

[53]           Par ailleurs, le 14 août, la Garantie décide de résilier la Police, en vertu des dispositions de l’article 2477 C.c.Q. et donne aux demandeurs un préavis de 15 jours à cet effet. Les demandeurs ne trouveront à s’assurer à nouveau que le 5 septembre, au coût de 1292.50$ par mois, soit au moins 580.00$ de plus mensuellement.

 

[54]           Madame Carole Marcel, directrice de la souscription pour la Garantie, explique que la Garantie n’est pas intéressée à assurer une propriété à moins qu’elle ne soit « habitée à temps plein». Pour elle, cette notion est la même que celle d’une propriété qui n’est pas vacante au sens de la Police.

 

[55]           Madame Marcel est questionnée sur les raisons qui expliquent le délai entre le refus de couverture et la résiliation de la Police. Elle explique au tribunal que la Garantie continuait son enquête et ne voulait pas agir de façon intempestive. Elle affirme que la signification de la poursuite n’a eu aucune influence sur la décision de résilier la Police.

                 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[56]           La résidence des demandeurs était-elle « vacante » au sens de la Police lors du dégât d’eau du 17 février 2015?

 

[57]           Si le sinistre est couvert, quel est le montant des dommages couverts par la Police?

 

[58]           La Garantie est-elle responsable des dommages occasionnés par le deuxième dégât d’eau survenu le 14 mars 2015, et si oui, pour quel montant?

 

[59]           La résiliation de la Police par la Garantie était-elle abusive?

 

[60]           Si la résiliation était abusive, quel est le montant des dommages résultant de cet abus?

 

L’ANALYSE

 

    VIII.            L’exclusion pour « vacance » est-elle applicable?

 

[61]           À son article 15, la Police d’assurance exclut les dommages « S’ils surviennent pendant que le bâtiment est en cours de construction ou vacant, même si la construction ou la vacance a été autorisée par nous » et réfère spécifiquement aux dégâts d’eau. 

 

[62]           La Police d’assurance définit le terme « vacant » comme suit :

 

« Vacant, l’état d’un bâtiment d’habitation dont les occupants sont partis sans intention de revenir, ainsi que celui de tout bâtiment d’habitation nouvellement construit entre la fin des travaux et le moment où les occupants y emménagent. De plus, le bâtiment d’habitation est aussi considéré vacant lorsque l’occupant déménage et avant que le nouvel occupant y emménage. »

 

[63]           Il est admis par tous que les deux premiers éléments de l’exclusion ne sont pas applicables, les assurés n’ayant pas quitté sans intention de revenir et le bâtiment n’étant pas nouvellement construit.

 

[64]           Le tribunal doit donc  décider si le sinistre est survenu avant que les assurés n’« emménagent » à la résidence.

 

[65]           La jurisprudence citée[16] par les deux parties insiste sur la notion d’abandon pour apprécier le caractère vacant des lieux assurés. La défenderesse concède avec raison que les lieux n’étaient pas abandonnés. Le tribunal doit donc se concentrer sur la notion d’ « emménagement ». Les parties n’ont fourni aucune jurisprudence s’intéressant à cette notion. Les recherches du tribunal n’ont pas plus permis d’en identifier.

 

[66]           Dans l’affaire Harvey c. Compagnie d’assurances ING du Canada[17], qui ne portait pas directement sur la notion d’emménagement, les faits retenus par l’honorable juge Parent, sont néanmoins intéressants aux fins de la présente cause :

 

[67]    À compter de l'acquisition de l’Immeuble le 3 mars 2004 jusqu'à l'inondation survenue le 11 juin 2004, le demandeur explique qu'il se rend régulièrement à la maison, afin d'y effectuer divers travaux.

 

[68]    Il apporte à la maison, en plus de ses outils et des matériaux nécessaires pour les travaux, des objets personnels.

 

[69]    Il énumère ainsi : cafetière, table, chaises, four à micro-ondes, grille-pain, mini réfrigérateur ainsi qu'un lit de camp. Tous ces objets, outils et matériaux restent sur place.

 

[70]    Le demandeur entrepose aussi son bateau ainsi que ses accessoires de pêches.

 

[71]    Le demandeur s'assure de l'entretien de l'immeuble. Le déneigement se poursuit normalement jusqu'au printemps 2004. À compter du printemps, le demandeur entretient le terrain aménagé autour de la résidence.

 

[72]    L'assuré n’a pas l’obligation de vivre en permanence dans l’habitation.

 

[73]    L’habitation ne devient vacante qu’ « à compter de la fin de la construction jusqu'au moment où les occupants y emménagent ».

 

[74]    Cela signifie, a contrario, que pendant la construction, l'immeuble ne peut être considéré comme vacant.

 

[75]    La preuve non contredite démontre que le demandeur se rend régulièrement à la maison, au moins tous les deux jours. Il y effectue des travaux de rénovation.

 

[76]    Bien que les travaux progressent lentement, le Tribunal ne peut en déduire que l’intention du demandeur d’habiter l’Immeuble et d’y aménager un logement et deux chambres était un projet hypothétique ou lointain.

 

[77]           La Cour refusa d’appliquer l’exclusion pour « vacance ».

 

[78]           La Garantie invite le tribunal à considérer la clause comme étant claire et ne nécessitant aucune interprétation.[18] Elle ne propose cependant aucune autorité aidant à cerner le concept d’emménagement.

 

[79]           Par ailleurs, les dispositions concernant la garantie doivent recevoir une interprétation large, et les clauses d’exclusion des contrats d’assurance doivent recevoir une interprétation restrictive[19].

 

[80]           Les dictionnaires permettent de préciser quel sens donner à l’expression « emménager ».

 

[81]           Le Dictionnaire de français Larousse définit le terme ainsi :

 

« Transporter quelque chose dans un nouveau logement : Emménager ses meubles dans son nouvel appartement ».

 

[82]           Le Grand Robert de la langue française propose quant à lui :

 

 « Installer dans un logement-(Choses). Il convient d’emménager ses meubles. »

 

[83]           Le Multi dictionnaire de la langue française de Marie-Éva De Villers suggère :

 

« Transporter dans un nouveau logement. Emménager un piano. S’installer dans un nouveau logement. Ils viennent d’emménager dans cette maison. »

 

[84]           Le Centre national de ressources textuelles et lexicales donne les définitions suivantes :

 

A.− Emploi trans.

 

1.      Installer dans un nouveau logement.

 

a) [L'obj. désigne une pers.] Notre fils devant se marier, il va falloir l'emménager (Ac.1932).Il a emménagé avec lui une femme qui n'est pas jolie (Goncourt, Journal,1852)

 

Emploi pronom. vieilli. Il lui a fallu huit jours pour s'emménager (Ac.1798-1878).Les révolutionnaires enrichis commençaient à s'emménager dans les grands hôtels vendus du faubourg Saint-Germain (Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 18).

 

b) [L'obj. désigne des meubles] Emménager son mobilier, un piano. Il n'a pas encore emménagé tous ses meubles (Ac.1932).Tout immeuble est un entrepôt, avec ses étages et son trafic, les meubles qu'on emménage ou qu'on emporte (Butor, Passage Milan,1954, p. 281).

 

B.− Emploi intrans., usuel. S'installer dans un nouveau logement et y ranger les meubles que l'on vient de transporter. Emménager dans une maison, dans un appartement. Anton. déménager.J'emménage, je déménage, je fais à peu près bâtir une maison sur le sable mouvant de l'exil (Hugo, Corresp.,1855, p. 228)

 

[85]           Les demandeurs proposent les définitions que l’on retrouve sur le site notrefamille.com/dictionnaire :

 

V. n. Faire transporter, ranger ses meubles dans un logement.

V. a. Transporter les meubles de quelqu'un dans un logement. Pendant mon absence, mon frère m'emménagera.

S'emménager, v. réfl. Se pourvoir de meubles. Il s'emménage peu à peu

 

[86]           Que peut-on retenir de ces propositions ?

 

[87]           Le tribunal retient que la notion d’emménagement ne comporte pas le caractère d’aboutissement définitif que propose la Garantie. Elle dénote une action consistant à remplir ou occuper des lieux avec des objets et éventuellement des personnes. L’emménagement se conçoit dans la durée. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait aménagement définitif, complet et immédiat. L’emménagement n’est certainement pas synonyme de « l’habitation à temps  plein » invoquée par la directrice de la souscription pour la Garantie, madame Marcel. On peut d’ailleurs facilement emménager dans une résidence secondaire que l’on n’habitera jamais à temps plein.

 

[88]           Fort de ces définitions, le tribunal conclut que les demandeurs étaient en train d’emménager dans leur nouvelle résidence lorsque les tuyaux ont percé au premier étage le 4 mars 2015. Même si cet emménagement était lent, il n’en était pas moins réel et continu. Madame Kamako se rendait fréquemment sur les lieux et était activement impliquée dans la protection et l’aménagement de la résidence.

 

[89]           Certes, Madame Kamako a déclaré à l’expert en sinistre Labrecque lorsque celui-ci l’a rencontrée le 27 février que « nous n’avons pas emménagé encore, nous étions supposé emménagé (sic) en mars. »[20]

 

[90]           Le tribunal ne voit pas de contradiction entre cette déclaration qui constate que les parties n’ont pas commencé à habiter les lieux et la preuve qui révèle que madame Kamako se rendait sur les lieux plusieurs fois par semaine pour y apporter divers objets et prendre arrangement avec les divers corps de métier qui devaient éventuellement travailler sur les lieux.

 

[91]           Le tribunal ne peut retenir contre madame Kamako une déclaration dont elle n’a certainement pas apprécié la possible portée juridique. Il est important de noter à cet égard que c’est monsieur Labrecque qui tenait la plume et qui avait ainsi le choix des mots. Que madame Kamako ait par la suite acquiescé ne change rien à cet élément important.

 

[92]           Le tribunal conclut de la preuve que la résidence n’était pas vacante au sens de la Police.

 

       IX.            Les dommages

 

[93]           Les parties ont convenu « que si le tribunal conclut que la Police d’assurance D-1 s’applique et que le Sinistre n’est pas exclu de la couverture d’assurance, le montant total des dommages matériels et d’urgence à la résidence, est de la somme de 124,650.51$. » [21]

 

[94]           Le tribunal accueillera donc la réclamation de ce montant.

 

        X.            Le deuxième dégât d’eau

 

[95]           Tel qu’indiqué plus haut, il ne sera pas nécessaire de départager les dommages causés par le premier et le deuxième incident. Il est cependant nécessaire d’examiner la responsabilité quant au deuxième incident pour déterminer si les demandeurs ont droit à une indemnité pour les inconvénients suite à ce deuxième dégât d’eau, qui les a forcés à reporter de plusieurs mois leur occupation à temps plein de la résidence.

 

[96]            L’entreprise de réparations Danar est mandatée par la Garantie. Danar n’a pas accepté d’effectuer quelques travaux que ce soit pour le compte de madame Kamako. 

 

[97]           Il est établi que monsieur Labrecque et Danar savaient que la Ville avait coupé l’eau et qu’il fallait sécuriser les lieux en cas de départ. Cela n’a pas été fait.

 

[98]            Personne n’a cru bon de prévenir madame Kamako. L’échange de textos entre madame Kamako et Michel Caron est assez éloquent quant à la désinvolture et au manque de considération de Danar face à la situation.

 

[99]           Comment peut-on reprocher à madame Kamako de ne pas avoir pris les mesures pour empêcher le dégât alors qu’elle était persuadée que Danar était encore sur les lieux ?

 

[100]        À titre de mandant, la Garantie est responsable des dommages causés par Danar[22] suite au  deuxième dégât d’eau.

 

[101]        Les demandeurs réclament 15 000$ à titre d’inconvénients. La preuve n’a pas établi de perte de ce chef et le montant ne pourra leur être accordé.

 

[102]        Ils ont cependant droit au montant du loyer additionnel qu’a occasionné l’impossibilité de vivre dans la résidence. Ils ont dû louer un logement rue Ernest Hemingway au coût total de 7875.00$, qui leur sera accordé.

 

[103]        Par contre, le loyer de 1090.00$ dû pour le dernier mois de loyer de madame Kamako à Ville Lassalle aurait dû être payé de toute façon. Il ne sera pas accordé.

 

       XI.            La résiliation de la Police par la Garantie était-elle abusive?

 

[104]        L’article 2477 du Code civil du Québec établit que tant l’assureur que l’assuré peuvent résilier la police sur simple préavis:

 

« 2477. L’assureur peut résilier le contrat moyennant un préavis qui doit être envoyé à chacun des assurés nommés dans la police. La résiliation a lieu 15 jours après la réception du préavis par l’assuré à sa dernière adresse connue.

Le contrat d’assurance peut aussi être résilié sur simple avis écrit donné à l’assureur par chacun des assurés nommés dans la police. La résiliation a lieu dès la réception de l’avis.

Les assurés nommés dans la police peuvent toutefois confier à un ou plusieurs d’entre eux le mandat de recevoir ou d’expédier l’avis de résiliation ».

 

[105]        Comme l’écrivait l’honorable Jean Crépeau dans Gan Canada compagnie d'assurance générale c. Ebrahim[23]:

 

« 69  La résiliation du contrat d'assurance en vertu de l'article 2477 est une prérogative accordée par le Code aux assureurs, ainsi qu'aux assurés et n'implique pas la nécessité de justifier cette résiliation ».

 

[106]        La seule exigence du Code quant à l’assureur est de respecter le délai de 15 jours. Ce délai a été respecté en l’instance.

 

[107]        Il ne fait pas de doute qu’une résiliation ou même un non-renouvellement d’une police d’assurance est susceptible d’entraîner une hausse de primes. Comme l’écrivait l’honorable Chantal Corriveau dans l’affaire Mathieu c. Promutuel Bagot, société mutuelle d'assurances générales[24]:

 

« [123]      Dans le cas présent, il est certain qu'un non-renouvellement d'assurance a causé préjudice à Mathieu, mais Promutuel n'est aucunement garante ou obligée de fournir de l'assurance à Mathieu.  En effet, l'article 2477 C.c.Q. reconnaît à l'assureur le droit à la résiliation du contrat d'assurance.  Le droit au non-renouvellement est également reconnu aux parties ».

 

[108]        Mais, en l’absence de mauvaise foi ou d’abus, le tribunal doit donner effet au droit spécifiquement prévu par le législateur.

 

[109]        En l’espèce, la décision de la Garantie se justifie pour des motifs d’affaires. Elle ne voulait plus assurer une résidence qui n’était pas habitée à temps plein. Bien que ce motif n’en soit pas un d’exclusion, puisque non prévu par la Police, il pouvait néanmoins justifier une résiliation.

 

[110]        Il appartenait aux demandeurs de prouver la mauvaise foi de la Garantie, puisque la bonne foi se présume,[25] ou un abus de droit[26]. Ils n’ont pas fait cette preuve.

 

[111]        Ils n’ont pas non plus établi que la Garantie aurait résilié la Police par discrimination.[27]

 

     XII.            Les dommages résultant de la résiliation

 

[112]        La hausse des primes faisant suite à la résiliation n’est donc pas un dommage dont la Garantie pourrait être responsable en l’instance.

 

[113]        Si le tribunal avait jugé que la résiliation était abusive, il n’aurait accordé à titre de dommages qu’un montant représentant l’augmentation de primes jusqu’à l’expiration de la Police, soit le 5 novembre 2015. Les demandeurs ne pouvaient exiger un renouvellement automatique de la Police.

 

LES CONCLUSIONS

 

[114]        Le tribunal fera donc droit à la réclamation pour les dommages matériels causés par les dégâts d’eau de même qu’à la demande de remboursement de loyers pour la période durant laquelle il n’était pas possible d’habiter dans la résidence à cause des travaux de réparation des dommages dus à l’eau.

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[115]        DONNE ACTE du désistement des demandeurs Alain  Nkana, Joseph Félix Zogning Nguimeya et Mathurin Kenchoug, en leur qualité de fiduciaires.

 

[116]        ACCUEILLE en partie la réclamation des demandeurs Alain Nkana et Sandrine Kamako.

 

[117]        CONDAMNE La Garantie, Compagnie d’assurance de l’Amérique du Nord à payer aux demandeurs Nkana et Kamako la somme de 132 525,51$, avec intérêts et indemnité additionnelle depuis l'émission des procédures dans le présent dossier.

 

[118]        LE TOUT avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

 

_____________________________________

L’HONORABLE SYLVAIN LUSSIER, J.C.S.

 

 

Me Paul Biron

Biron et associé

Procureur des demandeurs

 

Me Jonathan Lacoste-Jobin

Me Léonie Gagné

Lavery De Billy

Procureurs la défenderesse

 

 

Dates d’audition : 19 et 20 septembre 2018.



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce D-9.

[3] Pièces D-4,  D-5 et D-10.

[4] Pièce D-1.

[5] Les « fiduciaires » se sont désistés de leur demande, ne laissant que monsieur Nkana et madame Kamako comme demandeurs. Ce terme ne désignera plus qu’eux par la suite.

[6] Pièce P-14.

[7] Pièce P-7.

[8] Pièce D-2.

[9] Pièce D-16.

[10] Pièce D-6.

[11] Pièce P-3.

[12] Pièce P-11.

[13] Liste des admissions conjointes, paragraphe 21.

[14] Plan d’argument du 19 septembre, paragraphe 1.

[15] Pièce P-20.

[16] Paquet c. Aetna Casualty du Canada, Cie d’assurance - Aetna Casualty and Surety Co., J.E. 84-373, à la page 6; Harvey c. Compagnie d’assurances ING du Canada, 2009 QCCS 2871.

[17] Précitée, 2009 QCCS 2871, aux paragraphes 35 et suivants. Le jugement fut modifié en appel, 2001 QCCA 712, mais sur un point autre que celui du caractère vacant de la propriété.

[18] Non-Marine Underwriters c. Scalera, [2000] 1 R.C.S. 551.

[19] Harvey c. ING Assurance inc., 2007 QCCS 1747, au paragraphe 37; Placements Gervasi enr. c. Citadelle (La), compagnie d'assurances générales, 2006 QCCS 3694, au paragraphe 43.

[20] Pièce D-2.

[21] Paragraphe 21 de la Liste des admissions conjointes.

[22] Article 2164 du Code civil du Québec.

[23] 2004 CanLII 76643 (QC CS) , au paragraphe 69.

[24] 2007 QCCS 2098, au paragraphe 123.

[25] Article 2805 du Code civil du Québec.

[26] Articles 6 et 7  du Code civil du Québec.

[27] Chapitre I.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, CQLR, c. C-12.

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