Larose c. Agence du revenu ru Québec |
2013 QCCQ 6102 |
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COUR DU QUÉBEC |
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Division administrative et d'appel |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N : |
200-80-004904-114 |
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DATE : |
6 juin 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JEAN-F. KEABLE, J.C.Q. |
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SYLVAIN LAROSE
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Partie appelante |
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c.
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L'AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC
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Partie intimée
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JUGEMENT SUR DES APPELS À LA SUITE DE DÉCISIONS SUR OPPOSITION QUI CONFIRMENT DES AVIS DE COTISATIONS (Loi sur l'administration fiscale, L.R.Q., c. A-6.002, art. 93.1.10 . et 93.1.21 .)
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Les questions en litige
[1] Sylvain Larose exerce le droit d'appel prévu par l'article 93.1.10 . de la Loi sur l'administration fiscale (la LAF) à l'égard de décisions de l'Agence du revenu du Québec (l'Agence). Cette dernière, créée le 1er avril 2011, continue sans reprise d'instance les procédures auxquelles est partie le sous-ministre du Revenu[1].
[2] M. Larose cherche à faire annuler deux avis de cotisation émis le 9 septembre 2010 pour les années d'imposition 2007 et 2009. Ces avis de cotisation ajoutent, après les corrections du 29 juin 2011 (pour l'année 2009), les sommes de 126 473 $ et 192 231 $ à titre de revenus d'entreprise pour les années concernées[2] :
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Numéro de l'avis de cotisation |
Date |
Montant |
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QW270760C01 |
9 septembre 2010 |
126 473 $ |
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QW417215C01 |
9 septembre 2010 (corrigé le 29 juin 2011) |
192 231 $ |
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[3] Selon l'Agence, les avis de cotisation se justifient parce que le contribuable se prévaut à tort de l'exonération de gains de capital[3] réclamée à l'égard de la vente de ses deux résidences principales successives dans une période de moins de deux ans. Il s'agirait plutôt de revenus d'entreprise qui doivent être ajoutés aux revenus déclarés pour chacune des années d'imposition 2007 et 2009[4].
La présomption de validité des cotisations
[4] Un jugement bien connu de la Cour d'appel précise la portée de l'article 1014 de la Loi sur les impôts quant à la présomption de validité des cotisations et quant aux règles générales d'évaluation de la preuve :
[5] Le système d'imposition québécois est basé sur les principes d'autocotisation et d'autodéclaration. L'article 1014 L.I. confirme la présomption de validité des cotisations émises par le ministre du Revenu; il est ainsi libellé :
1014. Sous réserve des modifications ou de l'annulation résultant d'une opposition, d'un appel ou d'un appel sommaire et sous réserve d'une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée valide et tenante nonobstant toute erreur, vice de forme ou omission qui s'y trouve ou qui se trouve dans toute procédure s'y rattachant. […]
[…]
[8] L'article 1014 L.I. établit la présomption de validité des cotisations fiscales.
[9] Dans 9027-5967 Québec Inc. (Sous-Ministre du Revenu), J.E. 2007-223 (C.A.), la Cour rappelle les conséquences de cette présomption sur le fardeau de la preuve, aux paragr. 13 et 14 :
[13] Dans l'arrêt Durand c. Québec (sous-ministre du Revenu), la Cour a réitéré les règles relatives à la présomption de validité de la cotisation fiscale et des fardeaux de preuve qui en découlent. Reprenant les principes énoncés par la Cour suprême dans Hickman Motors Ltd. c. Canada, la Cour dit :
- La cotisation fiscale jouit d'une présomption de validité (art. 1014 Loi sur les impôts), qui peut être repoussée par le contribuable.
- Le fardeau initial du contribuable consiste à « démolir » l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie.
- Lorsque le contribuable présente une telle preuve, il y a renversement du fardeau de la preuve.
- Le fisc doit alors réfuter la preuve prima facie et prouver la cotisation établie par présomption.
[14] Règle générale, la preuve prima facie se définit comme une preuve suffisante pour établir un fait jusqu'à preuve du contraire. Dans Stewart c. M.R.N., le juge Cain mentionne qu'«une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé ».
[références omises]
[10] Dans Capobianco c. Québec (Sous-ministre du Revenu), J.E. 2007-1837 aux paragr. 12 à 14 (C.A.), la Cour précise que le contribuable n'a pas à établir le montant exact de son revenu imposable. Cet enseignement met définitivement fin au flottement entourant la question du fardeau de preuve du contribuable qui s'oppose à l'avis de cotisation parce que le montant de son revenu imposable établi par le ministère du Revenu serait inexact[5]. Le contribuable doit seulement démolir l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie de son inexactitude.
[11] La preuve du contribuable doit toutefois comporter un certain degré de précision et de probabilité en sa faveur par opposition à des allégations vagues et ambiguës. Règle générale, la simple affirmation du contribuable ne suffit pas; elle aura avantage à être soutenue par une preuve documentaire ou circonstancielle.
[12] La thèse voulant qu'une simple négation de la part du contribuable puisse contrer la présomption de validité de l'article 1014 L.I. reviendrait à priver cet article de tout son sens[6]. [7]
(nos soulignés)
La preuve prima facie du contribuable
[5] La preuve du contribuable est soutenue par son témoignage et ceux de son ex-conjointe, Cynthia, et de sa nouvelle conjointe, Marie-Christine.
[6] M. Larose est né le […] 1977 dans le village de St-Isidore, une petite municipalité comptant environ 2 500 habitants en 2013. Il y passe toute sa jeunesse et son enfance. Après avoir terminé son secondaire III, il quitte l'école à 16 ans et commence à travailler en 1993 dans le domaine de la construction comme charpentier-menuisier. Il vit alors chez ses parents.
L'acquisition du 18, rue Desjardins, à St-Isidore
[7] Le 17 juillet 2002, à l'âge de 24 ans, M. Larose achète un terrain situé au 18, rue Desjardins, à St-Isidore[8]. Il construit lui-même sa résidence avec l'aide de membres de sa famille.
[8] À l'été 2003, Cynthia, une connaissance de jeunesse originaire de son village natal, devient sa petite amie. Cynthia a alors 19 ans et M. Larose 25 ans. Vers la fin de 2003, Cynthia emménage sur la rue Desjardins dans la résidence construite par M. Larose.
[9] En juin 2005, M. Larose commence à travailler pour Réal-Co. inc. (Réal-Co), une entreprise familiale dirigée par son beau-père. Son employeur, Réal-Co., agit comme sous-traitant pour Ultramar situé à St-Romuald (Lévis).
[10] Au printemps 2006, le couple Cynthia/Sylvain connaît des difficultés mais garde espoir d'améliorer leur relation grâce à la collaboration d'un spécialiste. En même temps, le couple trouve un intérêt commun à se rapprocher de leurs lieux de travail ou de leurs lieux d'activités. D'une part, M. Larose doit parcourir soixante kilomètres aller-retour pour aller travailler chaque jour de St-Isidore à St-Romuald, et Cynthia doit se rendre régulièrement à Québec pour étudier en arts ou à Lévis pour ses cours de danse.
L'acquisition du 3919, rue des Turquoises, à St-Romuald (Lévis)
[11] Le 19 mai 2006, M. Larose achète, pour 36 000 $ plus taxes, un terrain vacant situé au 3019, rue des Turquoises, à Lévis[9]. Avec l'intention de s'y installer en permanence avec Cynthia, il construit lui-même, dans un quartier en plein développement, une résidence de 26 pieds X 26 pieds avec un garage double de 22 pieds X 26 pieds afin d'y entreposer une automobile, une motocyclette, une motoneige, un scooter, un minitrail, etc. Tout cet espace est destiné à lui permettre d'assouvir sa passion pour la mécanique et les véhicules moteurs de toute nature.
[12] Pour les fins de financement de la construction, il fait affaire avec la Caisse populaire Desjardins du Nord de la Beauce et signe un contrat de crédit rotatif de 161 250 $[10], le 19 mai 2006, garanti par une hypothèque immobilière[11]. Ce type de financement, connu sous le nom de Marge Atout, permet d'obtenir un prêt « lié » assujetti à une pénalité en cas de remboursement par anticipation[12].
[13] Même si M. Larose demeure le seul propriétaire de la résidence, Cynthia est très impliquée dans l'élaboration des plans et dans l'aménagement intérieur où elle peut exploiter ses talents d'artiste pour mettre en évidence ses œuvres d'art, ses sculptures ou encore ses mosaïques insérées dans la céramique.
[14] La vie de couple se poursuit avec ses hauts et ses bas. Le 19 octobre 2006, quelques jours après l'anniversaire de M. Larose, Cynthia lui annonce froidement par lettre qu'elle a décidé de le quitter définitivement. Sa décision est mise en œuvre dans les jours suivants.
[15] M. Larose est triste et dévasté. Il traverse une période noire. Il quitte temporairement pour quelques semaines son emploi chez Réal-Co et n'y retournera travailler que peu avant la période des Fêtes de 2006, après avoir discuté avec son ex-beau-père et convenu de ne pas parler des affaires de famille.
[16] Ne pouvant se résoudre à vivre dans la maison dont la configuration, le style et la décoration lui rappellent en permanence l'ancienne présence de Cynthia, il confie un mandat de vente de la résidence à René Sirois, le 9 janvier 2007. La fiche d'inscription comporte la description suivante :
NEUVE. LUXUEUX cottage 26 X 26 avec garage double 22' X 26' non excavé. Armoires érable massif, aucun entretien extérieur. Rue cul-de-sac. Intimité garantie.[13]
[17] Le prix demandé est de 274 500 $ pour le bâtiment et le terrain de 7 295 pieds carrés. La maison compte sept pièces dont deux chambres à coucher et un bureau pouvant facilement être transformé en chambre d'enfant[14].
[18] Le 23 mars 2007, une promesse d'achat est acceptée pour 267 500 $. La livraison de l'immeuble est prévue pour le 15 juillet 2007[15]. Selon les documents fournis par l'Agence, les coûts de construction de la résidence vendue s'élèvent à 137 257 $[16]. La preuve ne démontre pas que ces coûts de construction prennent en considération la valeur des travaux effectués par M. Larose et les membres de sa famille. Le prix de vente payé sera finalement de 264 000 $ selon l'acte de vente du 6 août 2007 qui indique par ailleurs que la prise de possession a eu lieu auparavant, le 27 juillet 2007.[17]
L'acquisition du 2858, rue Marie-Laurence, à Lévis
[19] Pendant le processus de vente de la résidence de la rue des Turquoises, et fort de l'exécution prochaine de la promesse d'achat du 23 mars 2007, M. Larose achète, le 19 juin 2007, un terrain vacant sur la rue Marie-Laurence, à Lévis, pour 48 500 $ plus taxes[18].
[20] Peu après l'achat, il débute la construction avec l'aide de membres de sa famille, en recourant auprès de sa caisse populaire au même mode de financement utilisé auparavant pour la construction de la résidence sur la rue des Turquoises[19], mais pour la somme de 175 000 $. Le 2858 rue Marie-Laurence est situé dans un secteur haut de gamme qui ne regroupe que des maisons neuves ou récentes. Il n'est pas rare de retrouver dans ce secteur des résidences valant de 600 000 $ à 700 000 $[20].
[21] Au cours de la construction, M. Larose cherche à conserver le niveau de confort qu'il possédait dans la maison sur la rue des Turquoises, et y ajoute même quelques éléments de luxe additionnels. Mais surtout, il tient toujours à ce que sa résidence possède deux garages pour ranger ses différents véhicules (automobiles, motocyclette, motoneige, scooter, minitrail, etc.) et effectuer des travaux mécaniques. En outre, il voit cette fois à faire excaver les deux garages pour avoir plus d'espace. La construction de ces deux garages excavés est unique dans le voisinage.
[22] Vers le mois d'août 2007, M. Larose aménage seul dans sa nouvelle résidence au 2858, rue Marie-Laurence à Lévis, avec l'intention d'y demeurer pour une période indéterminée. Il réside toujours à proximité de son travail (environ 1,2 kilomètres[21]) qui se poursuit chez son employeur, l'entreprise de son ex-beau-père qui l'affecte toujours chez Ultramar à St-Romuald (Lévis).
[23] En décembre 2007, M. Larose a 30 ans. Il fait la connaissance de Marie-Christine, une jeune femme de 18 ou 19 ans, originaire du Bas Saint-Laurent, qui étudie au CÉGEP de Lévis-Lauzon dans une technique reliée au domaine de l'architecture. Leur relation amoureuse s'intensifie rapidement.
[24] Tout en conservant son petit appartement jusqu'au 31 mai 2008, Marie-Christine passe de plus en plus de temps à la résidence de la rue Marie-Laurence.
[25] Toutefois, elle avoue ne pas s'y sentir très confortable. Souffrant depuis l'âge de 14 ans d'une maladie très incommodante qui l'oblige à consommer beaucoup de médicaments[22], elle trouve la maison trop grande, sans compter les difficultés d'entretien que posent les deux étages. En outre, elle ne se sent pas à l'aise dans un quartier aussi huppé. Encore étudiante à l'époque et ne pouvant apporter une contribution financière aussi significative qu'elle ne le souhaiterait, elle manifeste de plus en plus le désir de vivre dans une plus petite maison située dans un milieu moins urbain.
[26] De temps à autre, le couple Marie-Christine/Sylvain caresse l'idée de partir une entreprise de construction. M. Larose déteste la paperasse mais Marie-Christine est prête à s'en charger et à aider son conjoint. Elle l'encourage à mettre à profit ses habiletés naturelles. Le temps passe sans qu'une décision ne soit prise.
[27] Fréquemment de mauvaise humeur à son retour du travail, M. Larose annonce tout à coup à sa conjointe, lors d'un souper en présence de son nouveau beau-père, qu'il a décidé de quitter Réal-Co au cours d'une journée du printemps 2008.
[28] Après la surprise initiale de l'annonce, le projet de vendre la maison de la rue Marie-Laurence et de s'en construire une plus petite en milieu rural prend forme; ce projet est d'autant plus attrayant qu'il a aussi comme effet secondaire de faciliter le démarrage de l'entreprise envisagée.
[29] Peu après, le 18 avril 2008, et sans jamais avoir cherché à vendre lui-même sa maison, M. Larose mandate le courtier immobilier Sirois pour vendre la résidence du 2858, rue Marie-Laurence. L'affiche descriptive décrit ainsi l'immeuble :
PLATEAU ST-LAURENT - NEUF. Cottage 32' x 32', 4 côtés pierre. Foyer, 3 cc à l'étage, 2 garages (24' x 27') intégrés et excavés. Gazonné, asphalté, patio 12' X 16'. Beaucoup de rangement. Grande salle de bain. Salle de lavage indépendante. Très fenestré. Qualité/prix très bon. $439,000 - toutes taxes incluses[23].
[30] Les planchers sont recouverts de céramique au rez-de chaussée et sont faits de bois à l'étage. Le comptoir de cuisine et l'îlot sont en granite et un foyer au propane est installé au salon avec vue des trois côtés[24].
[31] Le 17 mai 2009, M. Larose accepte une offre d'achat de 410 000 $ pour la résidence située sur la rue Marie-Laurence[25]. Selon les documents fournis par l'Agence, les coûts de construction de cette résidence ont été de 186 098 $. La preuve ne démontre pas que l'on ait pris en considération la valeur du travail de M. Larose et celui des membres de sa famille. L'acte de vente est signé le 26 juin 2009[26].
[32] Dans l'intervalle, le 5 novembre 2008, M. Larose achète pour 23 500 $ un terrain sur la rue Ernest-Arsenault, à St-Ansèlme, dans le but d'y construire la résidence principale, une fois vendue la résidence de la rue Marie-Laurence[27]. La résidence du 102, rue Ernest-Arsenault, est maintenant construite et habitée par le couple Marie-Christine/Sylvain. Beaucoup plus petite et plus modeste[28] que la résidence sur la rue Marie-Laurence, elle permet au couple de vivre en harmonie à la campagne.
[33] Le 21 août 2009, l'entreprise Construction Sylvain Larose est immatriculée. M. Larose en est le premier actionnaire majoritaire, le président et le secrétaire[29]. Le 26 juillet 2011, Construction Sylvain Larose achète de M. Larose un terrain vacant situé au 89, rue du Bocage, à Saint-Henri. Le prix de vente de l'immeuble, acquis auparavant par M. Larose le 23 juillet 2009, est de 45 600 $, plus taxes[30].
L'appréciation de la preuve du contribuable
[34] Les témoignages rendus par l'ex-conjointe, Cynthia, et la conjointe actuelle, Marie-Christine, sont fiables et crédibles. Rien ne permet de les mettre en doute.
[35] Le témoignage de M. Larose est certes plus intéressé mais il a expliqué, en des mots simples, les émotions qu'il éprouvait au moment de l'achat des résidences qu'il avait l'intention d'habiter pour de longues périodes. Il a aussi bien décrit l'évolution de ses relations amoureuses avec des conjointes dont il était l'aîné, de six ans dans un cas et de dix ans dans l'autre, et cela à une période de la vie où des différences de revenus et d'autonomie peuvent être importantes.
[36] Sa conception du partage des tâches familiales date peut-être d'une autre époque[31], mais elle ne représente pas moins la juste traduction de ses expériences de vie.
[37] La preuve du contribuable démolit l'exactitude de la présomption, comme la jurisprudence l'exige. Il s'agit donc de voir si l'Agence est en mesure de réfuter la preuve prima facie et de prouver les cotisations établies par présomption.
La preuve de l'Agence, le témoignage de la vérificatrice et l'appréciation du Tribunal
[38] Le témoignage de la vérificatrice regroupe sous trois thèmes la position de l'Agence invoquée au soutien des avis de cotisation :
1) la conduite du contribuable;
2) la nature du bien en cause;
3) l'intention du contribuable.
La conduite du contribuable
[39] La vérificatrice met en évidence la conduite du contribuable et ses activités immobilières. Aux ventes des résidences construites en auto-construction par M. Larose (au 18 rue Desjardins, au 3919 des Turquoises, et au 2858 Marie-Laurence), la vérificatrice ajoute d'autres transactions immobilières mineures, telles:
· l'achat d'un terrain vacant à Saint-Henri, le 16 mai 2003 pour 10 000 $, plus taxes[32], et sa revente, le 10 octobre 2004 pour 12 500 $[33];
· l'achat, le 17 février 2005, pour 34 000 $, d'un terrain en copropriété situé au 79, rue des Baladins, à St-Isidore. Ce terrain comprend une maison mobile de l'année 2005[34] destinée à la location;
· la revente du même immeuble situé au 79, rue des Baladins, à St-Isidore, le 27 avril 2011, pour 55 000 $[35];
· la vente, le 9 mai 2011, d'un immeuble détenu en copropriété situé au 65, rue du Parc, à Saint-Ansèlme, pour 78 500 $[36].
[40] Ces achats d'immeubles peuvent être reliés à des activités d'entreprise futures, mais ils ne colorent pas les ventes du 3919, rue des Turquoises et du 2858, rue Marie-Laurence, au point de les transformer automatiquement, par osmose, en revenus d'entreprise.
[41] La vérificatrice insiste beaucoup sur le fait que M. Larose œuvre dans le domaine de la construction depuis plusieurs années. Cela est exact, mais ne suffit pas à priver le contribuable du droit d'acquérir et de vendre sa résidence principale si les circonstances de la vie font en sorte que cela soit inévitable ou souhaitable, même si les transactions se réalisent dans une période inférieure à vingt-quatre mois.
La nature du bien en cause
[42] Par ailleurs, la vérificatrice tire aussi des inférences de la nature des biens en cause. Il n'y a rien d'anormal à rechercher un beau site pour se construire dans un développement neuf, si on a les moyens de le faire, soit par sa fortune personnelle ou soit par sa capacité d'auto-construction. L'ambition d'être propriétaire est fort présente chez ceux qui, nés dans les grands espaces des campagnes, n'ont jamais habité en appartement, comme l'a souligné M. Larose.
[43] Lorsque ce dernier construit des garages-doubles, et même un garage-double excavé sur la rue Marie-Laurence, il satisfait d'abord ses goûts personnels avant de songer à se positionner pour une revente rapide. Même si l'on peut concevoir que certains acheteurs puissent être intéressés par un garage-double excavé, il en est bien d'autres qui ne verraient pas l'utilité de payer pour un aménagement semblable.
L'intention du contribuable
[44] Quant à l'intention du contribuable, la vérificatrice suggère de s'en tenir aux nombres de transactions dans une courte période et d'attacher une grande importance au fait que M. Larose est toujours le seul propriétaire. Le Tribunal est d'avis que la justification de l'achat des deux résidences en son nom propre est raisonnable et trouve son explication dans l'évolution et le hasard des relations amoureuses.
[45] En outre, on trouve aussi une autre mince corroboration indirecte de l'intention d'acquérir le 3919, rue des Turquoises, et le 2858, rue Marie-Laurence, à titre de résidence principale dans le paiement de la TPS et de la TVQ, sans se prévaloir des réclamations possibles à titre de fournisseurs[37].
Une inexactitude dans le rapport de la vérificatrice
[46] Enfin, le Tribunal note que la vérificatrice attribue des intentions négatives au contribuable lorsqu'elle analyse l'utilisation du crédit rotatif :
[…]
De plus, nous savons que le contribuable utilise pour l'auto-construction des résidences une marge de crédit hypothécaire dite crédit rotatif. Ce type d'emprunt le libère des pénalités qu'un emprunt hypothécaire traditionnel peut engendrer si une disposition hâtive subvient. Ces éléments nous démontrent que l'intention du contribuable n'est pas de conserver les résidences à long terme. […] [38]
(nos soulignés)
[47] Ces affirmations sont inexactes, comme le démontrent les deux lettres de la Caisse populaire prévoyant des pénalités de 2 582 $ applicables pour le remboursement anticipé du prêt concernant la maison située rue des Turquoises (lettre du 12 juillet 2006[39]), et des pénalités de 4 533,85 $ pour la maison située rue Marie-Laurence (lettre du 26 juin 2009)[40]. De fait, il semble que seule la pénalité de 4 533,85 $ se soit appliquée, compte tenu des pratiques des institutions financières en semblable matière lors du renouvellement d'un prêt. Il n'en demeure pas moins que les informations considérées par la vérificatrice étaient inexactes.
[48] Quoiqu'il en soit, le témoignage d'Amélie Chouinard, conseillère financière en matière hypothécaire, démontre bien qu'un emprunteur qui recourt à ce type de financement n'a aucun intérêt à réaliser une revente rapide[41].
Un rapport incomplet
[49] Le rapport de la vérificatrice a été rédigé à une époque où elle ne bénéficiait pas de la version de Cynthia et celle de Marie-Christine. Comme le Tribunal l'a déjà indiqué, la crédibilité de ces témoignages est reconnue et on ne saurait ignorer le fait que, pendant toute la période pertinente de leur vie amoureuse, elles se sont comportées comme les conjointes de fait de M. Larose et ont toujours été présentées à ce titre.
[50] Constatant facilement que M. Larose n'était pas « un gars de papiers » comme il le dit lui-même, le Tribunal ne peut lui tenir rigueur de défaillances administratives dans certains changements d'adresse ou de statut auprès d'un régime d'assurance. La même remarque vaut pour Cynthia qui, à une certaine période plus mouvementée de sa vie, a dû déménager à plusieurs reprises.
Remarques finales
[51] Bref, la qualité de la preuve du contribuable démolit la présomption de validité des cotisations. L'Agence n'arrive pas à réfuter cette preuve prima facie et à prouver les cotisations établies par présomption.
[52] Dans son évaluation de la preuve, le Tribunal s'est inspiré des principes d'appréciation rappelés par la Cour d'appel dans l'arrêt Fiducie Charbonneau :
[22] Les parties s’accordent sur l’interprétation des principes juridiques applicables. Elles s’appuient toutes deux sur le bulletin d’interprétation IT-218[42], qui, à leur avis, reflète l’état de la jurisprudence pertinente :
1. Un gain provenant de la vente de biens immeubles sera considéré comme un revenu d'entreprise, un revenu tiré d'un bien ou un gain en capital. Ce bulletin ne traite pas des gains résultant de la vente de biens immeubles qui sont ou étaient désignés comme résidence principale, étant donné que de tels gains sont expliqués dans le IT-120R3.
2. Le terme "entreprise" est défini dans le paragraphe 248(1) et comprend entre autres choses, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial. En vertu de cette définition, une transaction isolée mettant en cause des biens immeubles peut être considérée comme une transaction d'entreprise. Comme pour toute entreprise, les gains ou les pertes qui en découlent doivent, en vertu de l'article 9, être pris en compte dans le calcul du revenu ou de la perte, selon le cas.
3. Dans la Loi de l'impôt sur le revenu, aucune disposition ne précise dans quelles circonstances des gains provenant de la vente de biens immeubles doivent être considérés comme un revenu ou une recette en capital. Toutefois, en faisant de telles déterminations, les tribunaux ont considéré des facteurs du genre de ceux qui sont énumérés ci-dessous. En voici une liste qui ne doit pas être considérée comme limitative:
a) l'intention du contribuable en ce qui concerne le bien immeuble au moment de l'achat;
b) la vraisemblance de l'intention du contribuable;
c) l'emplacement géographique du bien immeuble acquis et son zonage;
d) la mesure dans laquelle l'intention du contribuable est réalisée;
e) la preuve que l'intention du contribuable a changé après l'achat du bien immeuble;
f) la nature de l'entreprise, de la profession, du métier ou de l'occupation du contribuable et des associés;
g) la mesure dans laquelle l'argent emprunté a servi à financer l'acquisition du bien immeuble et les modalités arrêtées pour le financement s'il y a lieu;
h) la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable;
i) le fait que la possession du bien immeuble soit partagée avec des personnes autres que le contribuable;
j) la nature de la profession des autres personnes mentionnées en i) ci-dessus, de même que leurs intentions avouées et leur ligne de conduite;
k) les facteurs qui ont motivé la vente du bien immeuble;
l) la preuve que le contribuable et/ou les associés se livrent sur une grande échelle au commerce de l'immeuble.
4. Aucun des facteurs mentionnés en 3 ci-dessus n'est en soi un facteur concluant pour déterminer si un gain provenant de la vente de biens immeubles représente un revenu ou un gain en capital. La pertinence de tout facteur dans cette détermination dépendra des circonstances entourant chaque cas.
5. L'intention du contribuable au moment de l'achat du bien immeuble est un facteur important à considérer pour déterminer si un gain provenant de sa vente sera traité comme un revenu d'entreprise ou un gain en capital. Au moment de l'acquisition du bien immeuble, le contribuable peut avoir comme deuxième intention de le revendre à profit s'il doit abandonner son intention première. S'il réalise sa deuxième intention, tout gain réalisé sur la vente sera habituellement imposé à titre de revenu tiré d'une entreprise.
6. Plus l'entreprise ou la profession d'un contribuable (par exemple, un entrepreneur, un agent immobilier) est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que tout gain réalisé par le contribuable sur cette transaction sera considéré comme un revenu tiré d'une entreprise plutôt que comme un gain en capital (se reporter aux numéros 3f) et j) ci-dessus). [43]
(nos soulignés)
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE l'appel de Sylvain Larose à l'égard des cotisations émises pour les années d'imposition 2007 et 2009;
ANNULE l'avis de cotisation de Sylvain Larose portant le numéro QW270760C01, émis le 9 septembre 2010, pour l'année d'imposition 2007, et DÉFÈRE la cotisation au ministre des Finances et de l'Économie pour un nouvel examen et une nouvelle cotisation[44];
ANNULE l'avis de cotisation de Sylvain Larose portant le numéro QW417215C01, émis le 9 septembre 2010 et corrigé subséquemment, et DÉFÈRE la cotisation au ministre des Finances et de l'Économie pour un nouvel examen et une nouvelle cotisation;
Avec dépens.
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__________________________________ Jean-F. Keable, J.C.Q. |
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Dates d’audience : 23 et 24 mai 2013 |
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Me André Lareau et Me Bobby Doyon |
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JOLI-COEUR LACASSE |
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1134, Grande Allée ouest, suite 600 |
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Québec (QC) G1S 1E5 |
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Avocats de la partie appelante |
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Me Chantal Paris |
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REVENU QUÉBEC |
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3800, rue de Marly, secteur 5-2-8 |
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Québec (QC) G1X 4A5 |
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Avocate de la partie intimée |
[1] Loi sur l'agence du revenu du Québec, L.R.Q., c. A-7.003, a. 176.
[2] P-1 à P-4.
[3] Articles 28 , 271 et 274 de la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3.
[4] Ibid., articles 1, 80, 87 et 128.
[5] Voir, sur ce point, Chernenkoff c. Minister of National Revenue, [1949] C.T.C. 369; Distributeurs Clé d'Or Inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1988] R.D.F.Q. 30 , 35 (C.A.); Québec (Sous-ministre du Revenu ) c. Dupuis, J.E. 96-1883 (C.A.).
[6] Voir sur ce point: Rafla (Provision Viau inc.) c. Québec (Sous-Ministre du Revenu), J.E. 2006-2131 au paragr. 10 (C.A.).
[7] St-Georges c. Québec (Sous-Ministre du Revenu), 2007 QCCA 1442 .
[8] D-3, p. 2.
[9] D-7.
[10] P-29.
[11] P-30.
[12] P-37.
[13] P-13.
[14] Témoignage de Mme Cynthia, 24 mai 2013.
[15] P-14.
[16] D-16.
[17] P-16.
[18] P-15.
[19] P-31, P-32 et P-38.
[20] Témoignage de René Sirois, 23 mai 2017.
[21] Le 3919, rue des Turquoises, était situé à 2,9 kilomètres de son lieu de travail.
[22] Le coût des médicaments annuels est de 18 000 $ à 25 000 $ selon le témoignage de Mme Marie-Christine. La maladie est sérieuse, comme le démontrent les différents rapports médicaux dont l'existence est admise.
[23] P-17.
[24] Ibid.
[25] P-19.
[26] P-20.
[27] P-18.
[28] M. Larose en évalue le coût à environ 140 000 $ (y compris le terrain).
[29] P-28.
[30] P-35 et D-12.
[31] Selon les paroles de l'un de ses avocats.
[32] P-40.
[33] D-4.
[34] D-5.
[35] P-42.
[36] P-41.
[37] P-27.
[38] P-43: Rapport de vérification, 27 août 2010, p. 6.
[39] P-22.
[40] P-23.
[41] Témoignage d'Amélie Chouinard, 23 mai 2013.
[42] Le bulletin d'interprétation auquel réfère la Cour d'appel est identique au bulletin d'interprétation IT-218R du 16 septembre 1986, émis par l'Agence des douanes et du revenu du Canada, dont veut se prévaloir l'Agence.
[43] Fiducie Charbonneau c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2010 QCCA 400 ; les mêmes critères ont aussi été retenus, à plusieurs reprises, par la Cour du Québec, notamment dans Langlois c. Québec (sous-ministre du Revenu), 2004 CanLII 14538 QC CQ, j. Patrick Théroux, 5 mars 2004; Lavallée c. Québec (sous-ministre du Revenu), [1997] R.D.F.Q. 331 , j. Michel Desmarais, 9 mai 1997; et Ace Holdings Ltd c. The Deputy Minister of Revenue of the Province of Quebec, AZ-79033013 , j. Jean Filion, 28 décembre 1978.
[44] Le ministre des Finances et de l'Économie exerce les fonctions du ministre du Revenu prévues à la loi. Décret 874-2012 du 20 septembre 2012, (2012) 144 G.O. 2, 4868.
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