DÉCISION
[1] Le 14 mai 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) présente une requête en révision de la décision rendue le 9 avril 2002 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme la décision rendue le 17 août 2001 par la CSST, à la suite d’une révision administrative et ordonne à la CSST de rembourser à Construction PLL (l’employeur) la somme de 320,26 $, représentant les frais d’intérêts reliés à sa déclaration de salaire révisée pour l’année 2000.
[3] L’employeur et la CSST sont tous deux représentés à l’audience sur la requête en révision.
LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qui a été rendue le 9 avril 2002 au motif que cette décision est entachée d’une erreur de droit manifeste et déterminante, laquelle constitue un vice de fond de nature à invalider la décision.
LES FAITS
[5]
L’employeur, Construction PLL, s’inscrit à la CSST le 14 mars
2000 et déclare, conformément à l’article
[6] Le 2 avril 2000, la CSST cotise l’employeur à partir des salaires qu’il a estimés le 14 mars 2000.
[7] Le 31 août 2000, l’employeur informe la CSST que les salaires prévus pour l’année 2000 doivent être modifiés pour un total de 82 000 $.
[8] Le 7 septembre 2000, la CSST détermine à nouveau la cotisation de l’employeur en se basant sur sa nouvelle déclaration et lui impose un intérêt sur l’écart de cotisation. Cet intérêt est établi sur la variation de la cotisation découlant de la différence entre les salaires prévus à l’origine et ceux révisés au 31 août 2000. Le montant de l’intérêt réclamé totalise 320,26 $.
[9] L’employeur conteste cette charge d’intérêt, alléguant qu’il ne pouvait prévoir d’avance la masse salariale puisqu’il a obtenu un contrat intéressant auquel il ne s’attendait pas. Il insiste sur le fait qu’il a informé la CSST de la modification de sa masse salariale dès qu’il a obtenu son contrat. Il ne conteste pas le calcul du montant qui lui est réclamé à titre d’intérêt mais la pertinence de lui imposer cette charge dans les circonstances.
[10] Le 11 octobre 2000, la CSST refuse de corriger l’avis de cotisation du 7 septembre 2000 pour y retrancher le montant d’intérêt. L’employeur demande la révision de cette décision, laquelle est confirmée le 17 août 2001, à la suite d’une révision administrative, d’où la contestation devant la Commission des lésions professionnelles.
[11] L’employeur témoigne lors de l’audience qui se tient devant la Commission des lésions professionnelles le 3 avril 2002. Le commissaire rapporte ce témoignage aux paragraphes suivants de la décision :
« [10] À l’audience, monsieur Pierre Legris a témoigné. Il explique que généralement, il fonctionne à l’aide de sous-traitants et que ce n’est qu’occasionnellement qu’il fait appel à un travailleur.
[11] Il souligne que c’est dans une circonstance très exceptionnelle qu’il a obtenu un contrat où il devait lui-même engager des employés, ce qui a évidemment entraîné une modification de la déclaration de sa masse salariale. Monsieur Legris estime qu’il est injuste, dans ces circonstances, de lui faire assumer des coûts d’intérêt à cause d’une situation qui a un caractère tout à fait imprévu et qu’il ne pouvait envisager lorsqu’il a établi sa masse salariale. »
[12] La Commission des lésions professionnelles rend une décision en date du 9 avril 2002 et conclut que la CSST ne pouvait pas imposer des frais d’intérêts à l’employeur dans le cas présent. On retrouve l’essentiel de la motivation du commissaire aux paragraphes suivants de la décision :
[16] L’employeur a
aussi transmis à la CSST un avis de la modification de sa masse salariale dès
qu’il a été informé du nouveau contrat qu’il a obtenu et qu’il ne pouvait
prévoir, et ce, dans les délais prescrits par l’article
6. La Commission ou l’employeur, selon le cas, sont tenus au paiement d’intérêts dans les situations suivantes :
1°
lorsque la Commission ajuste le montant de la cotisation de
l’année précédente de l’employeur conformément à l’article
2° lorsque la Commission procède, conformément au Règlement sur l’ajustement rétrospectif de la cotisation adopté par la Commission par sa résolution A-85-98 du 17 septembre 1998 (1998, G.O. 2, page 5470), à un ajustement de la cotisation de l’employeur;
3° lorsque la Commission fixe à nouveau la cotisation de l’employeur conformément au Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un employeur et de l’imputation du coût des prestations*.
[…]
[17] Or, qu’en
est-il de la situation de l’employeur ?
Il ne s’agit pas d’un ajustement du montant de la cotisation de l’année
précédente conformément à l’article
[18] Le paragraphe 2 de cet article n’a pas d’application dans la présente instance.
[19] Quant au paragraphe 3, il ne s’agit pas non plus d’un cas où la CSST a fixé de nouveau la cotisation conformément au Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un employeur et de l’imputation du coût des prestations3. La CSST d’ailleurs admet que cette disposition n’a pas d’application dans la présente instance.
[20] L’article 7
qui indique l’intérêt payable réfère aux dispositions de l’article 6 du
règlement, et l’article 8 évidemment réfère aussi au versement des
intérêts que l’employeur doit payer en vertu de la présente section qui est en
sorte visée par les articles 6 et 9. Or, le 1er alinéa de
l’article 9 vise la situation où la CSST est tenue de verser des
intérêts. Le 2e alinéa
vise le cas où l’employeur est en défaut de fournir à la CSST les
renseignements requis en vertu de l’article
15. Lorsque la différence entre les
salaires assurables effectivement payés pour une année par un employeur et
l’estimation qu’il a fournie pour la même année conformément à
l’article
Cependant, lorsque l’employeur corrige son estimation insuffisante avant le 31 octobre de l’année pour laquelle celle-ci a été produite et qu’il paie à la Commission la différence entre le montant de la cotisation qu’il aurait dû payer pour cette année et celui qu’il a payé, la Commission prend en compte la nouvelle estimation aux fins de déterminer le pourcentage visé dans le premier alinéa.
Décision, a. 15.
[21] Or,
effectivement, le 1er alinéa de l’article 15 pourrait
sembler être applicable à l’employeur, puisque la différence entre les salaires
assurables effectivement payés pour une année par l’employeur et l’estimation
qu’il a fournie pour la même année, conformément à l’article
[22] Toutefois, le 2e alinéa de l’article 15 prévoit que l’employeur peut corriger son estimation avant le 31 octobre de l’année pour laquelle celle-ci a été produite s’il paie à la CSST la différence entre le montant de la cotisation qu’il aurait dû payer pour cette année et celui qu’il a payé, ce qui est le cas dans la présente instance. La CSST prend alors en compte la nouvelle estimation aux fins de déterminer le pourcentage visé au 1er alinéa. Or, la nouvelle estimation de l’employeur ne représente pas une estimation qui est supérieure à 25 % de l’estimation des salaires bruts qu’il a déterminée au mois d’août 2000. De toute façon, pour que cette disposition puisse recevoir application, il aurait fallu examiner la situation en l’an 2001 pour voir si effectivement, il y a un écart de 25 % entre l’estimation de 82 000 $ et l’estimation des salaires bruts gagnés au cours de cette année et celle qu’il a établie à la fin d’août 2000. »
_______________________________
2 c. A - 3.001, r. 0.6
3 A-3.001, r. 2.01.1
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[13]
La CSST prétend que le commissaire a commis une erreur de
droit manifeste et déterminante en refusant d’appliquer les articles 6 à 8 du Règlement sur les intérêts[2]
et notamment le paragraphe 3 de l’article 6, lequel prévoit que la CSST et
l’employeur sont tenus au paiement d’intérêts lorsque la CSST fixe à nouveau la
cotisation de l’employeur conformément au Règlement
sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un
employeur et de l’imputation du coût des prestations[3]. La CSST affirme que, contrairement à ce qui
est mentionné au paragraphe 19 de la décision, elle n’a jamais fait d’admission
à l’effet que le paragraphe 3 de l’article
[14]
Selon la CSST, seuls l’article
[15] L’employeur plaide sa bonne foi. Il réitère ce qu’il a déclaré devant le premier commissaire, à savoir qu’il était tout à fait imprévisible, au moment où il a fait sa première déclaration de masse salariale, qu’il obtienne un contrat qui l’obligerait à embaucher lui-même des employés. Il insiste sur le fait qu’il a avisé la CSST de la modification de sa masse salariale dès qu’il a obtenu ce contrat. Il considère injuste de payer des frais d’intérêts à cause d’une situation imprévue et qu’il ne pouvait envisager au moment où il a établi sa masse salariale.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST a démontré un motif donnant ouverture à la révision demandée.
[17]
L’article
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
________
1997, c. 27, a. 24.
[18]
Par ailleurs, l’article
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[19] Le recours en révision ou en révocation n’est possible que dans ces circonstances spécifiques. Il ne peut, en aucun cas, constituer un appel déguisé ou un second appel.
[20]
La CSST invoque le troisième paragraphe de l’article
[21]
Selon la jurisprudence[4]
de la Commission des lésions professionnelles, l’expression « vice de fond … de nature à invalider la décision » réfère à une erreur manifeste
de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le sort du litige. C’est une erreur de droit manifeste et
déterminante que la CSST reproche au commissaire d’avoir commise en omettant
d’appliquer les articles
[22] Le défaut d’appliquer les dispositions législatives et réglementaires pertinentes équivaut à méconnaître une règle de droit et constitue, sans aucun doute, une erreur de droit manifeste qui aura très certainement un effet déterminant sur le sort du litige. C’est ce qui s’est produit dans le présent dossier. Le commissaire n’a pas appliqué les dispositions législatives et réglementaires qui étaient pertinentes et qui auraient dû être appliquées au cas qui lui était soumis.
[23]
La possibilité d’une nouvelle détermination de la cotisation
d’un employeur est prévue à l’article
317. La Commission peut prévoir, par règlement, dans quels circonstances et délais et à quelles conditions elle peut déterminer à nouveau la classification, l'imputation du coût des prestations et, à la hausse ou à la baisse, la cotisation, la pénalité et les intérêts payables par un employeur et les normes applicables à cette nouvelle détermination.
Le présent article s'applique malgré toute disposition générale ou spéciale inconciliable.
________
1985, c. 6, a. 317; 1993, c. 5, a. 13; 1996, c. 70, a. 29.
[24]
Le règlement qui a été adopté sous l’égide de l’article
10.
La Commission peut, de sa propre initiative et pour corriger toute erreur se
rapportant aux éléments servant à fixer la cotisation d’un employeur autres que
ceux visés aux sections 1 à 3, fixer à nouveau cette cotisation dans les 6 mois
de l’avis de cotisation, mais au plus tard le 31 décembre de la cinquième année
qui suit l’année de cotisation, si ce même avis n’a pas fait l’objet d’une
décision rendue en vertu de l’article
11. La Commission peut, de sa propre initiative, fixer à nouveau la cotisation d’un employeur si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel se rapportant aux éléments servant à fixer cette cotisation, autres que ceux visés aux sections 1 à 3, dans les 6 mois de sa connaissance de ce fait essentiel, mais au plus tard le 31 décembre de la cinquième année qui suit l’année de cotisation.
Elle peut également le faire, à la demande de l’employeur, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel se rapportant à ces éléments et si cette demande lui parvient dans les 6 mois de la connaissance par cet employeur de ce fait essentiel mais au plus tard le 31 décembre de la cinquième année qui suit l’année de cotisation.
[25]
La CSST suggère que c’est l’article 10 qui permettait à la
CSST, en l’espèce, de déterminer à nouveau la cotisation de l’employeur. Le tribunal croit plutôt que c’est l’article
11, l’obtention d’un nouveau contrat, auquel l’employeur ne s’attendait pas,
étant davantage de la nature d’un fait essentiel inconnu se rapportant aux
éléments (masse salariale) servant à fixer la cotisation qu’à une erreur. Quoi qu’il en soit, la CSST a entièrement
raison lorsqu’elle affirme que seuls l’article
[26]
S’il avait fait ce constat, le commissaire n’aurait pas conclu
à la non-application du paragraphe 3 de l’article
[27]
L’article
6. La Commission ou l’employeur, selon le cas, sont tenus au paiement d’intérêts dans les situations suivantes :
1o lorsque la Commission ajuste le montant de
la cotisation de l’année précédente de l’employeur conformément à l’article
2o lorsque la Commission procède, conformément au Règlement sur l’ajustement rétrospectif de la cotisation adopté par la Commission par sa résolution A-85-98 du 17 septembre 1998 (G.O.2, page 5470) à un ajustement de la cotisation de l’employeur;
3o lorsque la Commission fixe à nouveau la cotisation de l’employeur conformément au Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un employeur et de l’imputation du coût des prestations.
[28]
Comme la CSST ne pouvait réviser la cotisation de l’employeur
autrement que par l’application des articles 10 ou 11 du Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la
cotisation d’employeur et de l’imputation du coût des prestations, il était
évident qu’il s’agissait d’un cas d’application du paragraphe 3 de l’article
[29]
Cela étant dit, il est possible que le commissaire ait
interprété comme une admission la décision de la CSST rendue le 17 août 2001, à
la suite d’une révision administrative, laquelle faisait l’objet de la
contestation dont il était saisi. Cette
décision maintient la charge d’intérêts sur écart de cotisation imposée à
l’employeur en se basant non pas sur le paragraphe 3 mais sur le paragraphe 1
de l’article
« La Révision administrative doit s’appuyer
sur les dispositions législatives pour déterminer le fondement de la charge
d’intérêt imposée à l’employeur. Or, la
Révision administrative constate que dans l’établissement et la détermination
de cette charge d’intérêt, la CSST s’est conformée à l’article
(Nous avons souligné)
[30]
Il s’agit évidemment d’une erreur de la part du réviseur
administratif car il ne s’agissait pas d’un ajustement du montant de la
cotisation de l’année précédente en vertu de l’article
[31]
L’application du paragraphe 3 de l’article
[32] Le premier commissaire a commis une erreur de droit manifeste et déterminante en n’appliquant pas les articles 6 (paragraphe 3) à 8 du Règlement sur les intérêts, lesquels constituaient le fondement juridique permettant à la CSST d’imposer un intérêt pour écart de cotisation à l’employeur et d’en déterminer le coût. C’est pourquoi la décision rendue le 9 avril 2002 doit être révisée.
[33]
Le tribunal tient à souligner que la bonne foi de l’employeur
n’est aucunement remise en cause.
Cependant, la bonne foi n’a aucune incidence dans le cas présent car il
ne s’agit pas d’un intérêt punitif mais d’un intérêt imposé dans un but
d’équité entre les employeurs.
L’article
[34] Le calcul du montant d’intérêt réclamé n’est pas remis en cause par l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision rendue le 9 avril 2002 par la Commission des lésions professionnelles;
CONFIRME mais pour d’autres motifs la décision rendue le 17 août 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
ET
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était bien fondée d’imposer à l’employeur, Construction PLL, un intérêt au montant de 320,26 $.
|
|
|
Me Mireille Zigby |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
PANNETON LESSARD (Me Julie Perrier) |
|
|
|
Procureure de la partie intervenante |
|
|
|
|
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LA CSST
Gauthier
et Proulx,
Galipeau
et Club du Lac-Brûlé, C.L.P.
Produits
forestiers Donohue inc. et Villeneuve,
Franchellini
et Sousa,
Hydro-Québec,
C.L.P.
Commission de la santé
et de la sécurité du travail et Del Grosso, C.L.P.
Desjardins et Réno-Dépôt inc.,
Guylain Rouchy inc.,
C.L.P.
Positif Graphique inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 160631‑61‑0105, 15 novembre 2001, G. Morin
Les Soudures Fau L’Fer et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 162769 61-0106, 9 juillet 2002, A. Suicco
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.