Décision

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Giguère c. Manufacture Frameco ltée

2022 QCTAT 4003

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Québec

 

Dossier :

1238917-31-2107

Dossier employeur :

40223

 

 

Québec,

le 31 août 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIF :

Line Lanseigne

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Yannick Giguère

 

Partie demanderesse

 

 

 

c.

 

 

 

Manufacture Frameco ltée

 

Partie défenderesse

 

 

 

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DÉCISION

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

[1]               Le Tribunal est saisi d’une plainte fondée sur l’article 122 de la Loi sur les normes du travail, la LNT, déposée le 10 mai 2021 par monsieur Yannick Giguère contre son employeur, Manufacture Frameco ltée. Il y allègue avoir été congédié illégalement en raison de l’exercice d’un droit découlant de cette loi.

[2]               Pour les raisons qui suivent, le Tribunal conclut que monsieur Giguère n’a pas fait l’objet d’un congédiement illégal.

le contexte

[3]               L’employeur fabrique et distribue différentes pièces d’acier. Monsieur Giguère est embauché comme emballeur, le 3 août 2020.

[4]               Dès les premiers jours de travail, il éprouve des difficultés relationnelles avec l’employé qui l’initie au fonctionnement de l’entreprise. Il accepte difficilement la critique et cherche constamment à imposer ses façons de faire.

[5]               Bien que la qualité de son travail soit satisfaisante, sa manière d’être altère peu à peu ses relations avec ses collègues, provoque des tensions et mène à son isolement. Son superviseur qui possède une grande expérience de gestion doit intervenir à plusieurs occasions pour assainir le climat. Un avis disciplinaire lui est remis le 14 décembre 2020 à la suite d’un conflit avec un de ses collègues.

[6]               Le 8 avril 2021, la présidente de l’entreprise rencontre l’ensemble des employés et les informe qu’un décret gouvernemental impose désormais le port d’un couvre-visage en tout temps au travail. Deux salariés dont le plaignant exprime leur désaccord. La présidente intervient. Les salariés n’ont pas le choix; ils devront porter le masque à moins d’une prescription médicale à l’effet contraire ou bien aller travailler dans une autre entreprise, où la règle est la même vu la pandémie qui sévit.

[7]               Le lendemain, monsieur Giguère se présente à une clinique sans rendez-vous. Il dépose à l’employeur un certificat médical attestant de son incapacité de travail d’ici à ce qu’il puisse rencontrer son médecin traitant.

[8]               Le lundi 12 avril, alors qu’il est toujours en arrêt de travail, il fait irruption dans la salle de repos, cellulaire à la main, et filme les employés durant leur pause. Il tient alors des propos surprenants affirmant qu’il sauverait ses collègues, ce qui provoque chez certains un sentiment d’inquiétude.

[9]               Plus tard dans la journée, il téléphone à la conseillère en ressources humaines. Il est irrespectueux, crie et accuse l’entreprise de l’empêcher de travailler, affirmant avoir la preuve que les employés ne portent pas de couvre-visage. Cette preuve dont il fait état est la scène qu’il a filmée lors de la pause alors que plusieurs collègues l’avaient enlevé pour prendre leur goûter.  

[10]           La conseillère tente en vain de le raisonner. Incapable de placer un mot, elle met le combiné sur le mode mains libres. Alertée par les cris du plaignant, la présidente de l’entreprise prend part à la conversation et tente à son tour de lui faire entendre raison. Devant la grossièreté de ses paroles, la présidente s’emporte, crie à son tour et met fin à la discussion.

[11]           Vers la fin de la journée, monsieur Giguère produit par courriel un nouveau certificat médical attestant qu’il est apte à retourner au travail le lendemain sous réserve de certaines restrictions. Ces restrictions ne sont toutefois pas indiquées.

[12]           Devant cette imprécision et compte tenu des amendes sévères pouvant être octroyées aux entreprises qui contreviennent aux règles sanitaires applicables, la conseillère en ressources humaines demande à l’hygiéniste du travail qui conseille son entreprise en matière de santé et sécurité si monsieur Giguère peut travailler sans couvrevisage en l’absence interaction à moins de deux mètres avec des collègues.

[13]           En attendant sa réponse, elle indique par courriel au plaignant qu’elle le contactera sous peu pour lui indiquer la suite des choses. Défiant cette directive, il se présente au travail le lendemain, 13 avril. Il est agressif et se rend immédiatement au bureau de son superviseur. Ce dernier lui demande de quitter immédiatement les lieux puisqu’il ne porte aucun couvre-visage. Il lui brandit alors sous le nez le certificat médical de son médecin. Comme ce document n’atteste pas qu’il est dispensé de respecter les règles sanitaires, son superviseur le somme, en vain, de quitter l’entreprise. Devant l’entêtement du plaignant, il chiffonne le certificat médical affirmant qu’il est sans utilité. S’ensuit une vive altercation. En furie, monsieur Giguère s’approche en criant, toujours sans couvre-visage, très près du visage de son superviseur. Réagissant à cette proximité qui menace sa santé, il le repousse. Les deux hommes se bousculent.

[14]           Finalement, monsieur Giguère sort de l’usine et se dirige vers les bureaux administratifs. Il est en colère et on ne le laisse pas entrer, n’ayant toujours pas de couvrevisage. La conseillère en ressources humaines sort pour le rencontrer. Il l’interpelle en criant et tient des propos agressifs. Elle tente, tant bien que mal, de lui expliquer qu’il doit préciser les restrictions alléguées dans son certificat médical, ce qu’il refuse de faire invoquant qu’il s’agit d’informations confidentielles. Le plaignant est hargneux. La conseillère admet avoir perdu son sang-froid. Elle a aussi monté le ton et tenu des propos irrespectueux. Plusieurs employés sont témoins de la scène.

[15]           Le même jour, monsieur Giguère porte plainte à la police contre son superviseur qu’il accuse de l’avoir blessé lors de l’altercation survenue entre eux. Informé de cette plainte, le superviseur dépose à son tour une plainte contre le plaignant. Ces plaintes n’auront pas de suite et aucune accusation ne sera portée contre aucun des deux hommes.

[16]           Le 15 avril, l’employeur congédie le plaignant et l’en informe par une lettre transmise à son domicile par un huissier. Il y est fait mention de son désaccord quant à l’obligation de porter le masque, manifesté à moult reprises avec agressivité ainsi que sa conduite hargneuse et opposante avec des représentants de l’employeur. Considérant la gravité des fautes, le lien de confiance s’avère irréversiblement rompu et il est sommé, pour protéger les employés, de ne plus se présenter à l’entreprise.

[17]           L’employeur témoigne n’avoir jamais été informé d’une quelconque condition médicale rendant impossible le port du masque pour le plaignant. À l’audience, les restrictions qu’il invoque demeurent toujours inconnues.

L’ANALYSE

[18]           L’article 122 de la LNT interdit à un employeur de congédier un salarié parce qu’il a exercé un droit qui lui résulte de cette loi.

[19]           Ainsi, lorsque ce salarié établit qu’il a exercé un tel droit et qu’il a été congédié dans une période concomitante, il y a présomption en sa faveur que le congédiement lui a été imposé en raison de l’exercice de ce droit.

[20]           L’absence pour cause de maladie est une situation prévue à l’article 79.1 et constitue un droit protégé par la LNT. Dans le présent dossier, le plaignant s’est absenté pour ce motif, le 9 avril 2021. Il est congédié le 15 avril suivant après avoir fourni un certificat médical l’autorisant à revenir au travail avec certaines restrictions.

[21]           L’employeur prétend qu’il ne s’agit pas d’une véritable absence pour cause de maladie. Or, le plaignant a remis un certificat médical prescrivant un arrêt du travail, lequel n’a pas été contesté. Par conséquent, la présomption de congédiement illégal s’applique. Il appartient à l’employeur d’établir une cause de renvoi, autre que l’exercice du droit allégué par le plaignant.  

L’AUTRE CAUSE JUSTE ET SUFFISANTE

[22]           L’employeur prétend qu’il a congédié le plaignant en raison de son insubordination et de son comportement belliqueux. Le Tribunal doit déterminer si cette autre cause est sérieuse par opposition à un prétexte et si elle constitue la véritable cause du congédiement (Lafrance c. Commercial Photo Service inc., (1980) 1 R.C.S. 536; Hilton Québec ltée c. Tribunal du travail, (1980) 1 R.C.S. 548).

[23]           Les pouvoirs du Tribunal dans le cadre d’une plainte de congédiement fondée sur l’article 122, comme en l’espèce, sont toutefois plus limités que dans le cas d’un recours selon l’article 124. Ainsi, il n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé du congédiement ni à évaluer la sévérité de cette mesure sauf s’il existe une telle disproportion avec la cause invoquée qu’elle laisse supposer qu’elle n’est pas véritable et constitue plutôt un prétexte. (Provost c. Hakim, D.T.E. 97T-1315 (CA)).

[24]           Ces principes étant établis, qu’en est-il de la preuve soumise?

[25]           Il est bien reconnu qu’un salarié qui allègue des restrictions fonctionnelles pour exercer son travail doit informer l’employeur de la nature de celles-ci. Du reste, ce dernier est en droit de contrôler les motifs d’une limitation au travail et de demander que des précisions médicales soient apportées.

[26]           Le plaignant s’oppose au port du couvre-visage dès l’annonce qu’il sera désormais obligatoire pour exercer ses fonctions. Or, les règles sont strictes et l’entreprise n’entend faire aucune exception sauf pour des raisons médicales. Devant cela, le plaignant produit un billet médical laconique faisant étant qu’il peut travailler avec certaines restrictions, sans plus de détails.

[27]           Malgré plusieurs demandes, le plaignant refuse de fournir des précisions concernant ces restrictions, se limitant à affirmer qu’il est en droit de refuser de se couvrir le visage et qu’il n’a pas à fournir les informations médicales demandées.

[28]           L’employeur était tenu de faire respecter la nouvelle règle en matière de santé et de sécurité au travail qui exigeait le port du couvre-visage en continu dans les milieux de travail afin de prévenir la COVID-19 sans quoi il s’exposait à des amendes sévères. Dans ce contexte, un employé récalcitrant s’exposait à des sanctions disciplinaires, ce que monsieur Giguère ne pouvait ignorer. Malgré tout, il s’entête, refuse obstinément de porter un couvre-visage sans justification médicale, plaçant l’employeur dans une voie sans issue. 

[29]           S’ajoute à cette insubordination une conduite répréhensible. Le Tribunal retient que le plaignant s’est présenté inopinément dans la salle de repos, sans couvre-visage, qu’il y a tenu des propos intimidants et qu’il a filmé ses collègues sans autorisation. Le Tribunal retient également qu’il y a eu altercation entre le plaignant et son superviseur le 13 avril et qu’il en a été l’instigateur. La preuve révèle qu’il s’était alors rendu au travail contrairement aux directives reçues. De plus, à au moins deux reprises, il tient des propos agressifs et irrespectueux à l’endroit de la conseillère en ressources humaines et de la présidente de l’entreprise.

[30]           Le plaignant plaide qu’il est victime d’agissements hostiles à son endroit. Or, il n’en est rien. Les paroles ou gestes agressifs qu’il reproche aux représentants de l’employeur bien qu’inappropriés constituent, dans les circonstances, une réaction émotive engendrée par sa propre attitude. Son comportement intempestif et belliqueux a détérioré le climat de travail et perturbé le fonctionnement de l’entreprise. Il ne fait aucun doute que la conduite du plaignant était inacceptable.

[31]           C’est donc sa conduite fautive ainsi que son insubordination qui sont les véritables motifs de son congédiement et non son absence pour maladie. De plus, rien n’indique que ces motifs constituent un prétexte visant à camoufler un congédiement illégal. En conséquence, l’employeur a démontré de façon prépondérante qu’il a congédié le plaignant pour une raison sérieuse qui n’a rien à voir avec l’exercice d’un droit protégé. 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la plainte.

 

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Line Lanseigne

 

 

M. Yannick Giguère

Pour lui-même

 

Me Bernard Jacob

MORENCY, SOCIÉTÉ D'AVOCATS, S.E.N.C.R.L.

Pour la partie défenderesse

 

 

Date de la mise en délibéré : 11 juillet 2022

 

/mpl

 

 

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