COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC MONTRÉAL, le 20 septembre 1995 DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE:Francine Dion Drapeau DE MONTRÉAL RÉGION: Lanaudière ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR:Jean-Paul Brault, médecin DOSSIER: 42197-63-9206 DOSSIER CSST:100774256AUDITION TENUE LE:16 août 1994 À : Montréal MONSIEUR GEORGES ST-JEAN 344, rue St-Viateur Joliette (Québec) J6E 3A7 PARTIE APPELANTE et DISTRIBUTION C. ROCHEVILLE INC.8, rue Monetta Notre-Dame des Prairies (Québec) J6E 1A9 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 12 juin 1992, monsieur Georges St-Jean, le travailleur, en appelle d'une décision rendue le 1er juin 1992 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) à la suite de l'avis d'un arbitre, le docteur Albert Gaudet, chirurgien orthopédiste.
Dans cette décision, la Commission déclare qu'il ne subsiste aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle résultant de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 28 mars 1991.
Bien que dûment convoqué, aucun représentant de Distribution C.
Rocheville Inc., l'employeur, n'était présent à l'audience de la présente affaire.
OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'infirmer la décision de la Commission et de déclarer qu'il demeure avec une atteinte permanente de 2,6 % et des limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle subie le 28 mars 1991, le tout tel que décrit par le docteur Gilles Roger Tremblay, et qu'il a droit en conséquence aux prestations prévues par la loi, dont l'indemnité pour dommages corporels.
LES FAITS Le travailleur est sur le marché du travail depuis plusieurs années. Lors d'un emploi comme journalier, pour une entreprise de piscines, propriété de monsieur Philippe Duquette, le travailleur subit le 4 juillet 1977, un accident du travail reconnu comme tel par la Commission.
Il se blesse à la région cervicale et présente une cervicobrachialgie bilatérale plus marquée à gauche qu'à droite, après avoir fait une chute de dix pieds, tête première dans un trou de piscine. Le 17 mars 1978, après une myélographie totale positive, une discoïdectomie cervicale antérieure C6-C7 suivie d'une greffe osseuse, sont effectuées par le docteur Normand Poirier, neurochirurgien.
Le 6 septembre 1978, à la demande du docteur Émile Therrien, médecin évaluateur de la Commission, une radiographie des colonnes cervicale et dorsale est effectuée et interprétée par le docteur L. Ivan Vallée, radiologiste, comme suit : «COLONNE CERVICALE: Quelques traces de substance opaque dans les espaces arachnoidiens intra-cérébraux par suite d'une ancienne myélographie. Rectitude avec cyphose cervicale à charnière C6-C7 avec perte de la lordose normale de la colonne cervicale.
Pas de fracture, de luxation, d'arrachement osseux, d'anomalie osseuse congénitale visibles à la colonne cervicale.
Des greffons antérieurs ankylosent en cyphose postérieure C6-C7.
Les greffons sont bien ossifiés, minéralisés.
Visibilité partielle résiduelle du disque entre C6-C7 à la partie moyenne et postérieure.
Les autres vertèbres cervicales sont normales et les autres disques sont bien conservés.
Les facettes articulaires demeurent normales.» Quant à la colonne dorsale, celle-ci s'avère normale.
Suite à son examen du travailleur, fait le même jour, le docteur Therrien est d'avis que le travailleur peut reprendre son travail à compter du 25 septembre suivant et il évalue à 8 % final le déficit anatomo-physiologique résultant de cet accident. Le 5 octobre 1978, la Commission établit l'incapacité partielle permanente du travailleur à ce même taux de 8 %.
Le travailleur retourne par la suite au travail pour d'autres employeurs, comme chauffeur-livreur, pour Boulangerie Ouimet, du mois de décembre 1978 au mois de juin 1981, pour Yves Boursier, du mois d'octobre 1984 au mois de mai 1985, pour Meilleur Service de Courrier, du mois de mars 1987 au mois de juillet 1988 et depuis le 5 décembre 1989, pour l'employeur au dossier.
Le 28 mars 1991, après avoir effectué son travail qui exige des efforts (charger et décharger les boîtes de marchandise à livrer pouvant peser entre 60 à 100 livres chacune), le travailleur présente une cervicobrachialgie droite.
Le 9 avril suivant, le travailleur consulte le docteur Y Ducharme qui diagnostique une entorse cervicale et le réfère à son chirurgien, le docteur Poirier. Ce dernier demande une myélographie cervicale qui est effectuée et interprétée, le 30 avril 1991, par le docteur Roger Ledoux, radiologiste, comme suit : «10 cc d'Omnipaque 300 ont été introduits dans le canal rachidien par ponction en L3-L4.
A la région lombaire, il existe de discrètes images d'empreinte à la face antérieure du sac dural en L3-L4 et L4-L5 compatibles avec de discrètes portrusions discales sans évidence de compression radiculaire.
Le produit de contraste a été mobilisé sans obstacle jusqu'à la région cervicale.
Aspect normal du niveau C6-C7 où il y a eu fusion des corps vertébraux par voie antérieure. Discrète image d'empreinte d'origine disco-ostéophytique à la face antérieure du sac dural en C5-C6 avec diminution du diamètre antéro-postérieur du sac dural à 11mm à ce niveau. Discrète image de compression radiculaire bilatérale un peu plus évidente à gauche, qu'à droite.
Discrète empreinte d'origine discale à la face antérieure du sac dural en C4-C5 et d'origine disco- ostéophytique en C3-C4 sans évidence de compression radiculaire.» Entre-temps, le travailleur a soumis une réclamation pour lésion professionnelle à la Commission.
Le 22 juillet 1991, le docteur Poirier revoit le travailleur, note dans son rapport final, la persistance de douleurs cervicales résiduelles modérées mais souligne qu'il ne sera pas opéré car il s'agit de discarthrose cervicale. Il consolide la lésion professionnelle le même jour, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il demande une expertise pour le recyclage du travailleur.
Le 18 septembre 1991, le docteur Michel Blondin, omnipraticien, examine le travailleur aux fins d'évaluer ses séquelles permanentes découlant de sa lésion professionnelle du 28 mars 1991. Son examen physique révèle un spasme musculaire et une diminution de l'amplitude des mouvements du rachis cervical à la flexion, à l'extension, à la flexion latérale gauche et à la rotation gauche ainsi qu'une faiblesse contre résistance forte, de la flexion du coude gauche, de la supination et l'extension du poignet, avec hypoesthésie du côté externe de l'avant-bras gauche, atteignant même le pouce. Ce médecin conclut, après l'examen des radiographies et de la myélographie cervicale d'avril 1991, à des hernies cervicales C3-C4, C4-C5, sans compression radiculaire et à C5-C6, avec compression radiculaire bilatérale.
Les limitations fonctionnelles du travailleur sont décrites par ce médecin comme suit : «Éviter les activités qui impliquent de façon répétitive ou fréquente, des mobilisations de la colonne cervicale (flexion, rotation, extension, torsion). et la mobilisation, au dessus des épaules, des bras.
Ne pas lever des poids de plus de 10 kg, ni porter, pousser, tirer des charges de plus de 10kg.» Le bilan des séquelles de ce médecin se lit ainsi : «SEQUELLES ACTUELLES Hernie C3-C4 203693 2% Hernie C4-C5 203693 2% Hernie C5-C6 203693 2% Discoidectomie C6-C7 203755 3% Ankyklose permanente incomplète: 207403 3% 207421 1,5% 207494 2% 207546 3% Atteinte neurologique: 111658 4,5% 112354 1,5% DPJV 225250 6,25% 30,75% SÉQUELLES ANTÉRIEURES 8% BILAN NET DES SÉQUELLES 22,75%» Ce rapport du docteur Blondin est daté du 19 septembre et il est reçu par la Commission le 27 septembre 1991, selon l'estampille qui y est apposée.
Le 8 octobre 1991, selon les notes évolutives au dossier, l'intervenante de la Commission avise l'employeur qu'une évaluation médicale des séquelles permanentes du travailleur a été faite et ce dernier lui fait part qu'il désire faire examiner le travailleur par un médecin qu'il n'a pas encore désigné. Le même jour, c'est le docteur Michel Goulet, chirurgien orthopédiste, que l'employeur désigne et il est demandé à la Commission de lui expédier le dossier médical du travailleur à cette fin. Le 6 novembre suivant, l'employeur avise par téléphone la Commission qu'il n'a pas encore reçu le rapport de son médecin. Le 3 décembre, l'employeur recommunique par téléphone avec la Commission pour l'aviser qu'il attend toujours le rapport de son médecin. Le 5 décembre suivant, l'employeur vient déposer lui-même une copie du rapport attendu, qui est daté du 6 novembre 1991.
Dans ce rapport, le docteur Goulet, après n'avoir noté que des inclinaisons latérales à 30 degrés, au niveau du rachis cervical, opine ne pas constater, à l'examen physique du travailleur, de signe clinique objectivant la présence d'hernies associées à des limitations et des atteintes neurologiques, contrairement à l'avis du docteur Blondin, et il conclut que le travailleur a souffert, le 28 mars 1991, d'une récidive douloureuse de son arthrose et de son ancienne chirurgie, que le diagnostic à retenir est une entorse cervicale greffée sur une ancienne discoïdectomie et discarthrose cervicales, que la date de consolidation de cette lésion est le 22 juillet 1991 et qu'il n'y a aucun déficit anatomo-physiologique (DAP) à retenir suite à cet événement. Ce médecin retient toutefois des restrictions fonctionnelles qu'il décrit comme suit : «Éviter de faire des mouvements brusques de rotation du rachis cervical ou de soulever des poids au-dessus de 10 à 15 lbs. avec les membres supérieurs en élévation.» Le 10 décembre suivant, l'employeur confirme par écrit sa demande d'arbitrage à la Commission, qui l'achemine alors, sur les questions de l'atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, opposant à cette fin le rapport du docteur Goulet à celui du docteur Blondin.
Le 13 mars 1992, la Commission avise le travailleur de la consolidation de sa lésion professionnelle le 22 juillet 1991 et qu'il demeure, suite à cette lésion, avec de limitations fonctionnelles permanentes. Elle l'informe également de la transmission de son dossier en réadaptation pour évaluation de sa capacité à exercer son emploi habituel et de la poursuite du versement de l'indemnité de remplacement du revenu en attente de cette décision.
Le 18 mars suivant, la Commission rend une décision déclarant que le travailleur demeure, suite à sa lésion professionnelle, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et qu'il a droit à la réadaptation. Le 7 avril, la Commission avise le travailleur qu'elle a retenu l'emploi de livreur de courrier comme emploi convenable et de sa capacité à occuper cet emploi à compter du 3 avril 1992. Dans une autre lettre en date du même jour, la Commission avise le travailleur avoir estimé le revenu brut de l'emploi convenable de livreur de courrier à 26 070,00 $, ce qui ne lui donnera plus droit à une indemnité réduite à compter du 9 mai 1992, date prévue pour son retour au travail, conformément aux dispositions des articles 49 et 50. Le 24 avril, la Commission modifie sa décision du 7 avril précédent et prolonge le versement de l'indemnité de remplacement de revenu vu que l'emploi convenable n'est pas disponible à plein temps.
Le 24 avril 1992, le travailleur est examiné par le docteur Albert Gaudet, orthopédiste et arbitre désigné dans cette affaire. Seule une inclinaison droite et gauche à 30 degrés (normale 0 à 40 degrés) du rachis cervical est notée par ce médecin, tout le reste de son examen s'avérant dans les limites de la normale. Ce médecin émet donc l'avis motivé suivant : «SUJET DE CONTESTATION NO 4 - ATTEINTE PERMANENTE: Considérant que le 28 mars 1991, le malade ne fait qu'alléguer une douleur qui augmentait à cette date, alors qu'elle subsistait déjà depuis trois mois; Considérant qu'au moment de mon examen, je ne décèle aucune atrophie musculaire, aucun signe neurologique, aucune diminution des amplitudes articulaires, et que mon examen, effectivement, est en tous points comparable à celui du docteur Marc Goulet; J'en viens à la conclusion que pour l'événement du 28 mars 1991, il n'existe aucun APIPP.
SUJET DE CONTESTATION NO 5 - LIMITATIONS FONCTIONNELLES: Pour l'événement du 28 mars 1991, il n'existe aucune limitation fonctionnelle.» Le 1er juin 1992, la Commission rend sa décision entérinant l'avis de l'arbitre sur l'inexistence d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles et déclare, en conséquence, que le travailleur n'a droit à aucune indemnité pour dommages corporels. C'est cette décision qui fait l'objet du présent appel.
Le 8 juillet 1993, le travailleur est examiné par le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, à des fins d'expertise, à la demande de son procureur, Me André Laporte.
Dans son rapport, ce médecin relate d'abord les faits au dossier puis il décrit les plaintes du travailleur, de douleur cervicale intermittente avec irradiation au bras gauche lors d'efforts ou de conduite automobile prolongée. Quant à son examen physique du travailleur, il ne constate qu'une inclinaison latérale droite limitée à 30 degrés, tout le reste de son examen s'avérant dans les limites de la normale. Son opinion est relatée comme suit : «Nous croyons que l'évaluation du Docteur Blondin ne correspond pas du tout à la réalité de ce patient, du moins à l'examen que nous avons aujourd'hui.
Notre examen est beaucoup plus près de celui du Docteur Goulet et de celui du Docteur Gaudet.
Cependant, ce patient présente, dès qu'il fait des mouvements répétitifs du rachis cervical une douleur qui irradie au niveau du membre supérieur gauche, douleur qu'il n'avait pas ressentie jusqu'à trois mois avant la déclaration d'accident de mars 91.
De plus, ce patient s'il fait des efforts avec le membre supérieur gauche ressent une sensation de douleur qui irradie surtout à la portion proximale du membre supérieur gauche c'est-à-dire à la région de l'épaule et à la face antérieure du bras.
Ceci est un signe d'irritation radiculaire et si l'on se réfère au rapport exact de la myélographie faite à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, l'on note que le patient présente une fusion C6-C7, suite de son accident de 1977 et qu'il présente une arthrose C5-C6 avec sténose spinale à ce niveau mais à C4-C5 qui est le 1er segment vraiment mobile puisque le segment C6-C7 est fusionné et le segment C5-C6 est atteint d'arthrose, il présente à C4-C5 une image de compression bilatérale plus évidente à gauche qu'à droite avec une empreinte d'origine discale à la face antérieure du sac dural en C4-C5 et une empreinte d'origine disco ostéophytique à C3-C4 sans compression radiculaire.
En conséquence, ce patient en date du 28 mars 1991 a subi une aggravation de sa condition engendrée par son accident de 1977 et si l'on évalue les séquelles antérieures par rapport aux séquelles actuelles, l'évaluation se fait de la façon suivante: Séquelle antérieure, discoïdectomie cervicale à un espace, séquelle antérieure non-latéralisée 3% 203 755.
Perte de moins de 50% de l'extension, séquelle antérieure non-latéralisée 1.5% 207 421.
L'évaluation des séquelles actuelles se fait de la façon suivante: Discoïdectomie avec greffe, séquelle actuelle non-latéralisée 3 % 203 755.
Hernie discale prouvée par test spécifique mais non opérée, séquelle actuelle non-latéralisée 2 % 203 693.
Perte de moins de 25% de la flexion latérale droite, séquelle actuelle droite 1% 207 449.
Il n'est pas surprenant que ce patient ait développé une hernie discale avec irritation radiculaire à C4-C5 puisque le niveau C5-C6 est arthrosique et donc hypomobile et que le segment fusionné à C6-C7 est aussi hypomobile et donc C4-C5 est le 1er segment mobile après la greffe faite en 1977 et c'est l'évolution naturelle d'une colonne greffée que de développer des pathologies discales aux étages supérieurs au segment greffé.
En conséquence, en relation avec l'augmentation de l'atteinte permanente que ce patient a subie, qui est une aggravation de l'accident de 1977 et non pas un accident de novo, les limitations fonctionnelles sont celles d'éviter les mouvements répétitifs de flexion- extension, de flexion-rotation du rachis cervical et d'éviter les efforts avec les membres supérieurs de plus de 7 kg et d'éviter les positions statiques de flexion de la tête.
Nous croyons que la situation actuelle de Monsieur St- Jean est en relation directe avec l'aggravation de la condition engendrée par son accident de travail de 1977.» Le 16 novembre suivant, ce médecin, dans une lettre adressée à Me Laporte, ajoute à son rapport les commentaires suivants : «En référence à votre lettre du 29 octobre 1993, étant donnée l'aggravation de la condition cervicale de Monsieur St-Jean et les limitations fonctionnelles découlant de cette aggravation, soit d'éviter les mouvements répétitifs de rotation et de flexion du rachis cervical et étant donné que ce patient doit aussi éviter l'exposition aux vibrations de basse fréquence induites par les véhicules automobiles avec mauvaise suspension, nous croyons que ce patient est définitivement inapte à faire le travail de camionneur livreur et qu'il devrait s'orienter dans un travail respectant les limitations fonctionnelles que nous avions mentionnées à notre expertise du 8 juillet 1993.» À l'audience, le travailleur est entendu et il soutient qu'après son accident initial il a pu reprendre des activités de travail sans trop de problème, ne ressentant que de petites douleurs.
C'est vers les années 1987-1988 que ses malaises actuels ont plutôt commencé alors qu'il effectuait la livraison du courrier.
Il avait de la difficulté à soulever des boîtes de papier.
Lorsqu'il est entré au service de l'employeur au dossier, les premiers mois, il n'avait pas de problème, il livrait du fromage mais lorsqu'il a commencé le chargement et le déchargement du "smoke meat", une boîte pouvant peser jusqu'à 150 livres, il ne pouvait plus se servir de son bras gauche qui manquait de force et il devait donc utiliser uniquement son bras droit. Il en a parlé à son patron et il situe le début de cette condition difficile à environ quatre à cinq mois avant le 28 mars 1991.
Depuis cette date, le travailleur n'est pas retourné au travail.
Il a bien fait une tentative de retour au travail sur un camion pour l'employeur, d'un jour et demi en juin 1994, qui s'est avérée un échec. Il affirme ne plus être capable de travailler sur un camion comme il le faisait antérieurement, soit douze à quatorze heures par jour.
Le travailleur fait aussi entendre le docteur Tremblay qui réitère et explique plus amplement son opinion déjà versée au dossier. Pour ce médecin, la condition actuelle du travailleur est reliée à l'accident initial et constitue une aggravation de ses séquelles. Le travailleur ne présentait en 1977 qu'une empreinte discale à C6-C7 et des signes de dégénérescence discale à C5-C6, sans rien d'autre à C4-C5 ou à C3-C4, selon la myélographie au dossier.
Selon le docteur Tremblay, une pathologie discale aux niveaux C3- C4 et C4-C5, dont une hernie discale prouvée par test spécifique mais non opérée à C4-C5, comme présente le travailleur, est plutôt rare et ne peut s'expliquer uniquement par le vieillissement normal, comme le pourrait une pathologie discale à C6-C7. Pour ce médecin, la chirurgie antérieure et le travail exigeant pour sa colonne cervicale, exercé par le travailleur après sa chirurgie, expliquent l'apparition de pathologies discales aux étages supérieurs au segment greffé.
À la demande de l'assesseur de la Commission d'appel, le docteur Tremblay soumet de la littérature médicale pour appuyer cette théorie qu'il expose1.
Cette documentation est reçue par elle le 29 août 1994. Une lecture de cette étude permet toutefois de constater que celle-ci porte essentiellement sur la greffe lombaire. Ce n'est donc que par analogie et tenant compte de son expérience clinique, comme spécialiste, que le docteur Tremblay nous cite cette étude.
ARGUMENTATION Essentiellement, le travailleur argumente préliminairement que l'arbitrage fondant la décision de la Commission est irrégulier et que la décision doit donc être cassée pour cause d'illégalité.
À l'examen des documents au dossier, il soutient que le rapport du docteur Goulet a été soumis à la Commission par l'employeur, en dehors du délai de trente jours prévu à l'article 212 de la loi. Il soumet que ce délai en est un de rigueur.
Sur le fond du dossier, le travailleur fonde sa contestation sur l'avis de son expert, le docteur Tremblay, qu'il demande de retenir afin que lui soient reconnues une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles telles que décrites par ce médecin et résultant de sa lésion professionnelle du 28 mars 1991. Il soumet que la hernie C4-C5 a été prouvée par la myélographie et que les examens cliniques des docteurs Goulet et Gaudet, constatant une perte de 10 degrés des inclinaisons latérales droite et gauche, corroborent celui de son expert, qui ne la constate toutefois qu'à droite, ce qui permet de retenir une aggravation dans son cas, avec atteinte permanente établie à 1,6 %. Quant aux limitations fonctionnelles, le médecin de l'employeur lui en reconnaissait, tout comme les docteurs Poirier, Blondin et Tremblay. C'est celles décrites par le docteur Tremblay qui sont les plus complètes en fonction de sa condition et comme il l'a expliqué à l'audience.
1 The Adult Spine: Principle and Practice, J.W. Frymoyer, Editor-in-chief, Raven Press Ltd, New York 1991, chapter 98: Failures after Spinal Fusion Causes and Surgical Treatment Results, John P. Kostuik and John W. Frymoyer.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit décider si le travailleur demeure avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles résultant de sa lésion professionnelle du 28 mars 1991 et dans l'affirmative, si les évaluations du docteur Tremblay doivent être retenues conformément aux dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.
A-3.001) et du Règlement sur le barème des dommages corporels (Décret 1291-87, 19 août 1987, (1987) 119, G.O.II 5576).
Préliminairement toutefois, le travailleur a prétendu que la décision de la Commission devait être cassée pour cause d'illégalité, l'arbitrage la fondant étant irrégulier. C'est essentiellement sur la question du délai de trente jours que repose l'argumentation d'illégalité du travailleur.
Il faut d'abord examiner les dispositions des articles 212, 215 et 352 qui se lisent comme suit : 212. L'employeur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge de son travailleur victime d'une lésion professionnelle s'il obtient un rapport d'un médecin qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions du médecin qui en a charge quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants: 1 le diagnostic; 2 la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion; 3 la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits; 4 l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur; 5 l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester, pour que celle-ci le soumette à l'arbitrage prévu par l'article 217.
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports médicaux qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
Certes pour contester un rapport, l'employeur doit en être informé. La jurisprudence de la Commission d'appel reconnaît que le délai de trente jours prévu à l'article 212 ne commence à courir qu'à compter du moment où l'employeur a pris connaissance du rapport qu'il désire contester2.
De la preuve soumise, la Commission d'appel constate que la Commission a reçu le rapport d'évaluation du docteur Blondin le 27 septembre 1991. Le 8 octobre suivant, l'employeur est informé par la Commission de l'existence de cette évaluation et fait part de son intention de faire expertiser le travailleur par un médecin de son choix. Le même jour, il avise la Commission avoir choisi le docteur Goulet et, à cette fin, il lui demande de transmettre à ce médecin le dossier médical du travailleur, dont ladite évaluation, le tout conformément à l'article 215 de la loi. Il n'y a aucune preuve au dossier établissant la date à laquelle le docteur Goulet a pu prendre connaissance de ce rapport d'évaluation. C'est à cette date toutefois que le délai de trente jours a pu commencer à courir. Selon le rapport de l'examen fait par le docteur Goulet, rédigé le jour de son examen du travailleur, soit le 6 novembre 1991, ce médecin avait toutefois en sa possession le rapport du docteur Blondin. Ce rapport eut-il été expédié ce jour là, à la Commission plutôt qu'à l'employeur, il aurait définitivement été transmis par l'employeur dans le délai. À cette date, selon les notes d'évolution au dossier, l'employeur informe la Commission être en attente du rapport de son médecin. Le 3 décembre suivant, selon ces mêmes notes, il est toujours en attente de ce rapport. Enfin le 5 décembre, l'employeur vient lui-même déposer à l'accueil le rapport de son médecin. La Commission, malgré les délais courus, achemine par la suite à l'arbitrage la contestation de l'employeur, qui lui est confirmée par écrit dans une lettre du 10 décembre 1991.
2 Latour et Fonderie C.S.F., [1988] CALP 499 .
Latour et Fonderie C.S.F., 01229-60-8609, 1989-05-23, A. Suicco, commissaire.
Caron et Dalcon inc. [1992] CALP 460 .
Il est clair que la Commission, en agissant ainsi, a implicitement accepté de prolonger le délai de contestation de l'employeur en vertu de l'article 352 et les motifs qui semblent avoir été retenus par elle reposent essentiellement sur les délais encourus pour la transmission du rapport du docteur Goulet à l'employeur. Ce dernier, pour sa part, semble s'être lui-même occupé de transmettre sans délai à la Commission le rapport de son médecin le jour qu'il l'a reçu. Même si l'employeur n'est pas présent à l'audience pour corroborer ces faits, la Commission d'appel, faute d'une preuve contraire, les croit probables et suffisants pour maintenir la décision implicite rendue par la Commission, en s'autorisant de ses pouvoirs conférés par l'article 400 de la loi. En effet, la Commission d'appel a déjà décidé, dans l'affaire Bérubé et Société Canadienne Métaux Reynolds3, qu'un employeur, ayant lui-même agi avec diligence dans le traitement de son dossier en posant les gestes nécessaires et en manifestant clairement son intention de contester, ne peut être pénalisé du fait de son médecin qui lui a transmis son rapport que tardivement, ce qui était hors de sa volonté. Elle avait alors accepté de prolonger le délai de l'employeur pour produire le rapport de son médecin qui fondait sa contestation et ce faisant, permettait ainsi de soumettre sa contestation à l'arbitrage conformément à l'article 212. La Commission d'appel fait siens ces propos qui peuvent tout aussi bien s'appliquer au présent cas.
La Commission d'appel s'est aussi interrogée sur la légalité pour la Commission de soumettre la question de l'existence des limitations fonctionnelles à l'arbitrage puisque le médecin de l'employeur formulait lui-même des limitations fonctionnelles dans le cas du travailleur. Elle note toutefois que ces limitations semblent être rattachées par lui à une condition préexistante d'arthrose cervicale et non à sa lésion professionnelle. Or la Commission d'appel a maintes fois décidé que la détermination du lien entre les limitations fonctionnelles ou l'atteinte permanente d'un travailleur et sa lésion est une question qui relève du médecin qui a charge du travailleur et partant, du médecin de l'employeur ainsi que de l'arbitre4.
Cette question pouvait donc également être soumise à l'arbitrage.
De tout ce qui précède, la Commission d'appel doit rejeter le moyen préliminaire du travailleur et examiner au fond son appel.
Après examen de toute la preuve soumise, la Commission d'appel croit devoir retenir, sur le fond, les prétentions du travailleur ainsi que l'opinion de son expert, le docteur Tremblay, qu'une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles lui résultent de sa lésion professionnelle subie le 28 mars 1991 ainsi que l'évaluation faite par ce médecin.
La Commission d'appel note d'abord que la question du diagnostic de la lésion professionnelle n'a pas été soumise à l'arbitrage et elle ne peut conclure, comme le prétend au dossier le médecin de l'employeur, que la lésion du travailleur n'était qu'une entorse cervicale. La preuve qui lui a été soumise tend plutôt à démontrer que le travailleur présente une hernie cervicale en C4- C5. En effet, l'examen myélographique a révélé une discrète image de compression radiculaire bilatérale un peu plus évidente à gauche qu'à droite, à la face antérieure du sac dural en C4-C5.
L'avis du docteur Tremblay en fait d'ailleurs état dans le rapport qui a été soumis à la Commission d'appel. Selon ce médecin, cette lésion découle à la fois du travail exigeant pour sa colonne cervicale qu'il a exercé après sa greffe cervicale ainsi que de l'évolution naturelle d'une colonne greffée, qui est de développer des pathologies discales aux étages supérieurs au segment greffé.
De la preuve soumise, il appert de plus que le travailleur a vu sa réclamation traiter comme une maladie professionnelle puis comme une aggravation d'une condition préexistante, par son travail dans une «Éconoline», et accepter comme telle par la Commission, comme en font foi les notes de l'intervenant de la Commission et de son médecin au dossier en date des 25 avril et 25 mai 1991, bien qu'aucune décision écrite ne fut rendue par elle à cet effet. On ne peut donc, en l'absence d'une contestation de l'employeur sur l'acceptation de la réclamation 3 dossier 18855-09-9005, 1992-03-26, Jean-Marc Dubois, commissaire, 4 Cunningham et Messagerie de presse Benjamin inc., CALP 03280-60-8705, 1990-04-04, G. Lavoie, commissaire.
du travailleur, remettre en cause l'existence d'une lésion professionnelle le 28 mars 1991.
Quant aux questions médicales dont la Commission d'appel est saisie, soit l'existence d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, la preuve soumise par le travailleur le démontre, à son avis, de façon prépondérante.
D'abord examinant la première question, en plus de la hernie discale prouvée par test spécifique en C4-C5 et qui n'existait pas antérieurement, si l'on se réfère aux constatations cliniques faites par les docteurs Blondin, Goulet, Gaudet et Tremblay, tous ont constaté une ankylose à la région cervicale et donc une perte de la mobilité particulièrement aux flexions latérales droites et gauches pour l'arbitre et à la seule flexion latérale droite pour le docteur Tremblay, le dernier médecin à avoir examiné le travailleur. Par contre, le docteur Tremblay ne constate pas, lors de son examen, une diminution de l'amplitude à presque tous les mouvements comme notée par le docteur Blondin, ni une mobilité réduite à l'extension, comme le notait le docteur Goulet. Quant à l'évaluation de ces séquelles, la Commission d'appel retient celle du docteur Tremblay qui a constaté une ankylose du rachis cervical moins sévère que les docteurs Blondin et Gaudet, ce qui renforce la crédibilité de cette évaluation qui n'apparaît donc pas exagérée ni partiale mais plutôt honnête et crédible. Des séquelles actuelles ont été déduites les séquelles antérieures, ce qui donne comme le précise le docteur Tremblay dans son rapport, un pourcentage additionnel de 1,5 % de déficit anatomo-physiologique (DAP) auquel on doit ajouter un pourcentage de 0,1 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie qui résultent du DAP. L'atteinte permanente résultant de la lésion professionnelle subie le 28 mars 1991 s'établit donc à 1,6 % de l'avis de la Commission d'appel.
Contrairement à la Commission, on doit conclure que le travailleur a droit à une indemnité pour dommages corporels que cette dernière devra établir en tenant compte d'un pourcentage de 1,6 % d'atteinte permanente.
Examinant maintenant la question des limitations fonctionnelles, encore ici leur existence doit être reconnue, selon la prépondérance de la preuve médicale versée au dossier. Seul l'arbitre opine dans le sens contraire. Les docteurs Poirier, Blondin, Tremblay et Goulet ont tous reconnu l'existence de limitations fonctionnelles chez le travailleur. La Commission d'appel, après examen de l'évaluation qui a été faite de ces limitations, croit que celles décrites par le docteur Tremblay sont les plus complètes et tiennent compte particulièrement des pathologies discales que le travailleur présente actuellement et pour lesquelles seul un traitement conservateur est recommandé pour ne pas aggraver davantage l'hypomobilité du segment cervical. La Commission ne s'étant pas prononcée sur la question du droit du travailleur à l'indemnité de remplacement du revenu ni sur son droit à la réadaptation dans la décision en appel, la Commission d'appel ne peut se prononcer sur ces questions comme le demandait le travailleur. Toutefois, en fonction des limitations fonctionnelles et de l'atteinte permanente présentement reconnues au travailleur, une décision devra être rendue par la Commission sur ces questions et à cette fin, la Commission d'appel lui retourne le dossier du travailleur.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES ACCUEILLE l'appel du travailleur, monsieur Georges St-Jean; INFIRME la décision rendue par la Commission le 1er juin 1991; DÉCLARE qu'il découle pour le travailleur, de la lésion professionnelle subie le 28 mars 1991, une atteinte permanente de 1,6 % lui donnant droit à une indemnité pour dommages corporels, et des limitations fonctionnelles qui sont les suivantes : - éviter les mouvements répétitifs de flexion-extension, de flexion-rotation du rachis cervical et les efforts avec les membres supérieurs de plus de 7 kg ainsi que les positions statiques de flexion de la tête; - éviter l'exposition aux vibrations de basse fréquence induites par les véhicules automobiles avec mauvaise suspension.
Francine Dion-Drapeau, commissaire Me André Laporte (Laporte, Larouche) 596, boul. Manseau Bureau 2 Joliette (Québec) K6E 3E4 Représentant de la partie appelante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.