Décision

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Gabarit CMQ

Commission municipale du Québec _____________________________

 

 

 

Date :

31 août 2017                               

 

 

 

 

 

Dossier :

CMQ-65505   (29870-17)

 

                                                                                           

 

 

 

Juge administratif :

Thierry Usclat, vice-président

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Personne visée par l’enquête : Justin Bessette, conseiller

                                                        Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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ENQUÊTE EN ÉTHIQUE ET DÉONTOLOGIE

EN MATIÈRE MUNICIPALE

 

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DÉCISION

LA DEMANDE

[1]           La Commission municipale du Québec est saisie d’une demande d’enquête en éthique et déontologie transmise le 17 septembre 2015 par le ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire selon l’article 22 de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale[1] (LEDMM).

[2]           La demande d’enquête, déposée par Serge Boulerice (le plaignant), allègue que Justin Bessette, conseiller à la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu (la Ville), aurait contrevenu aux articles 12 et 6.2 du Code d’éthique et de déontologie applicable aux membres du Conseil municipal de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu[2] (le Code d’éthique et de déontologie), soit :

a)    Le ou vers le 27 juin 2015, lors d’une interception policière concernant un équipement de ferme conduit par un de ses employés, monsieur Bessette aurait été impoli ou aurait tenu des propos intimidants envers les policiers qui procédaient à cette interception, contrevenant ainsi à l’article 12 du Code d’éthique et de déontologie de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu;

b)    Le ou vers le 27 juin 2015, lors d’une interception policière concernant un équipement de ferme conduit par un de ses employés, monsieur Bessette se serait prévalu de sa fonction pour tenter d’influencer la décision des policiers de remettre un constat d’infraction au propriétaire de la remorque, contrevenant ainsi à l’article 6.2 du Code d’éthique et de déontologie révisé de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu.

[3]           Lors des journées d’audience, le conseiller Bessette est présent et représenté par Mes Alain Dubois et Frédéric Beaulne[3]. Me Nicolas Dallaire[4] agit à titre de procureur indépendant de la Commission.


[4]           Aux fins de son enquête, la Commission entend quatre témoins ainsi que monsieur Bessette.

[5]           La Commission examine également les documents produits au soutien de la demande et les pièces déposées au cours des audiences.

LA PREUVE

[6]           Monsieur Justin Bessette est conseiller à la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu depuis novembre 2009. Il y représente le district numéro 2.

[7]           Il exploite avec son frère une ferme (Ferme Bessette) en plus d’être propriétaire de plusieurs immeubles locatifs situés dans la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu.

[8]           Le 27 juin 2015, les policiers Caroline Saint-Louis et Yannick Lambert patrouillent à bord de l’auto-patrouille numéro 5.

[9]           À l’intersection de la rue 105 et du boulevard Croisetière-Nord, ils interceptent un tracteur tirant une remorque (immatriculée [...]). Après vérification, les policiers constatent que la plaque d’immatriculation de la remorque est périmée ou expirée depuis plus de trois ans.

[10]        La remorque est conduite par monsieur David Breault, un employé de la Ferme Bessette. La remorque est cependant immatriculée au nom de madame Louise Robitaille, une proche parente de monsieur Bessette.

[11]        Au cours de l’intervention, le conducteur du tracteur est mécontent et il appelle son employeur, Justin Bessette, pour s’en plaindre.

[12]        Les policiers émettent un constat d’infraction qui sera transmis ultérieurement à la propriétaire de la remorque.

[13]        Monsieur Breault qui est un ami de monsieur Bessette, a déposé une plainte en déontologie policière contre les deux policiers; c’est monsieur Bessette qui a rédigé ces deux plaintes.

[14]        Alors que l’employé Breault quitte les lieux de l’interception, un véhicule passe devant les policiers et la conductrice leur fait signe d’attendre.

[15]        Le passager de ce véhicule, monsieur Justin Bessette, vient alors discuter avec les policiers qui se trouvent dans leur auto-patrouille de l’autre côté de la rue, sur le bas-côté. Ils ignorent alors qu’il s’agit d’un conseiller municipal.


[16]        Celui-ci les aborde en leur faisant des reproches sur le constat qu’ils venaient d’émettre et leur demande des justifications.

[17]        Lorsqu'ils voient arriver monsieur Bessette, les policiers ne le reconnaissent pas et ignorent pourquoi il veut leur parler. Ils n’ont alors aucune indication que la remorque interceptée a un lien avec le conseiller municipal Bessette.

[18]        Afin d’assurer sa sécurité, l’agent Lambert demande à monsieur Bessette de le rejoindre du côté passager de l’auto-patrouille.

[19]        Monsieur Bessette se plaint alors de la contravention. Les policiers lui expliquent alors calmement les raisons du constat d’infraction.

[20]        Les policiers lui précisent que l’autorisation de circuler de la plaque d’immatriculation est périmée. Monsieur Bessette rétorque qu’il ne s’agit que d’une remorque à foin pour laquelle aucune plaque d’immatriculation n’est requise.

[21]        Lors de cette conversation, monsieur Bessette déclare « qu’il travaille pour la Ville et qu’il sait comment ça marche ». Il ajoute « qu’ils ont un pourvoir discrétionnaire et qu’ils ne devraient pas émettre la contravention ».

[22]        Monsieur Bessette est en colère, parle très fort, est très agressif et n’écoute pas les explications fournies par les policiers; il leur coupe régulièrement la parole.

[23]        Monsieur Bessette accuse les policiers d’abuser de leur pouvoir, invoque son statut de membre du conseil municipal et insiste afin que les policiers changent d’avis et n’émettent pas de contravention. Il ajoute qu’il trouve « ridicule d’avoir des policiers comme eux et qu’il va régler ça lundi matin ». Il demande le nom des deux agents et les note sur son cellulaire.

[24]        Monsieur Bessette quitte les lieux de l’interception en répétant aux policiers « qu’il règlerait leur cas lundi matin et qu’ils réentendront parler de lui, c’est certain ».

[25]        Les policiers ont alors l’impression que monsieur Bessette les menace de leur faire perdre leur emploi.

[26]        L’agent Lambert affirme avoir dialogué avec monsieur Bessette sur un ton calme et posé pour que celui-ci se calme.

[27]        Le rapport d’évènement des policiers St-Louis et Lambert décrit leur intervention et le comportement de monsieur Bessette envers eux. Lors de l’audience, ceux-ci confirment l’exactitude des notes qu’ils ont prises. Ils ajoutent qu’ils ont rédigé chacun leur rapport, sans se consulter.

[28]        Tout au long de la conversation, monsieur Bessette fait allusion au fait qu'il est conseiller municipal.


[29]        L’agent Yannick Lambert, décrit dans son rapport d’évènement, l’intervention de monsieur Bessette comme suit :

« … L’homme me demande de m’identifier. Je lui mentionne mon nom complet et mon matricule. Il me demande de lui écrire sur un papier et dit que je suis obligé. Je lui dis que je dois lui mentionné mais je n’ai aucune obligation de lui écrire. L’homme semble très en colère et me pointe à plusieurs reprises. Après l’avoir répété à plusieurs reprises il finit par prendre son cellulaire et semble le noter. Il pointe l’agente St-LOUIS et dit : « Je veux son nom à lui aussi ». L’agente St-LOUIS dit : « Elle ! » et s’identifie elle aussi. L’homme dit alors : Je travaille pour la ville, chu conseillé pis je vais vous arranger ça lundi matin. » Je me souviens alors qu’un des conseillé municipale d’Iberville est un BESSETTE et je fais le lien. Toujours en parlant très fort inutilement il nous parle de pouvoir discrétionnaire disant que nous ne devrions pas donner de constat pour ce genre de situation et dit que nous perdons notre temps. À ce moment je comprends qu’il veut nous influencer avec son statut de conseillé pour se sauver du constat. Je lui dis que la perte de temps se passe en ce moment même alors qu’il nous fait rester sur place bloquant partiellement une voie à l’écouter. Je lui suggère d’aller vérifier à la SAAQ à la place. Il parle qu’on « écœure » le monde qui travail un samedi matin. Je tente de lui expliquer que nous devons respecter le CSR même si on est samedi matin au travail mais il est très en colère et crie par-dessus moi. Il termine en disant encore une fois qu’il travaille à la ville et dit : « vous aller entendre parler de moi ! ». Une fois qu’il fut partie j’ai fait la vérification sur le site de la ville où l’on voit une photo du conseillé Justin BESSETTE posé devant des champs et l’homme qui est venu me parler lui. »

             (Cité tel que rédigé)

[30]        De son côté, l’agente Caroline St-Louis note dans son rapport :

« … L’agent Lambert lui dit qu’il devrait rappeler à la SAAQ pour régler le tout puisqu’à notre niveau on ne pouvait savoir s’il y avait erreur. M. Bessette en colère, cri après mon collègue en lui disant que nous abusions de notre pouvoir en répétant qu’il travaillait pour la ville. Il est très agressif et n’écoute pas, il nous coupe à chaque fois qu’on tente de lui expliquer quelque chose. Il a demandé le nom de mon collègue qui lui a donné ainsi que son matricule. M. Bessette prend le tout en note sur son cellulaire en criant que c’est du « niaisage », que l’on ne devrait pas lui donné et qu’il va régler ça. Il déclare que nous devrions utiliser notre pouvoir discrétionnaire avec lui. Il déclare qu’il a des droits et répète encore travailler pour la ville et qu’il sait que nous avons ce pouvoir. Je lui dis que nous avons parfaitement le droit d’émettre un constant et que rien n’est inscrit nulle part à propos du pouvoir discrétionnaire, il me coupe en criant que ce n’est pas vrai qu’il le sait très bien, que ça existe parce qu’il travaille au conseil de ville et que c’est écrit et que nous devrions l’utilisé dans un cas comme ça. À chaque fois que l’on essaie de lui parler, il répéter que ça n’a pas de bon sens qu’il doit payer 57$ pour une remorque à foin. Il a dit qu’il payait déjà assez. Il trouvait ridicule de payer pour avoir de la police comme nous. Comme s’il essayait nous faire changer d’avis par son statut d’employé siégeant au conseil de ville. Il est partie en déclarant qu’il règlerait note cas lundi matin et que nous allons réentendre parler de lui c’est certain. J’ai eu l’impression qu’il menaçait de nous faire licenciée. Je trouve qu’il a essayé de profiter de son emploi pour nous menacer et éviter un constat d’infraction. Il était irrespectueux, toujours à la limite de l’insulte. Je considère son attitude comme inacceptable envers nous qui sommes restés polis tout au long de l’intervention. »

                                                                                                        (Cité tel que rédigé)

[31]        Lors de son témoignage, monsieur Bessette admet s'être rendu sur les lieux de l'interception à la suite d’un appel de monsieur Breault, un employé occasionnel de la Ferme Bessette. Il relate que monsieur Breault lui a dit au téléphone que les policiers ont fait référence à son statut de conseiller lors de l’interception; cela est nié par les policiers.

[32]        Il admet avoir interpellé les policiers en mentionnant dès le départ qu'il est le « boss » de l'individu intercepté et avoir mentionné « c'est quoi le rapport avec le fait que je suis conseiller ».

[33]        Monsieur Bessette confirme qu'il était en colère et parlait fort. Il affirme avoir dit aux policiers à trois reprises qu'il est conseiller de la Ville.

[34]        Les policiers étaient calmes et n’ont jamais fait référence en sa présence à son poste de conseiller.

[35]        Monsieur Bessette admet avoir demandé le matricule des policiers et leur avoir dit en quittant les lieux qu'il allait « régler ça lundi matin ».

[36]        Il précise qu’il était fâché car l’employé lui avait dit au téléphone que les policiers ont vérifié la plaque de sa remorque parce qu’il est conseiller municipal.

[37]        Selon lui, les policiers ne semblaient pas connaître la réglementation en matière de véhicules agricoles. Il trouvait injustifié de recevoir une contravention parce qu’une remorque qui est utilisée exclusivement pour un usage agricole, ne nécessite pas de plaque d'immatriculation.

[38]        Monsieur Bessette mentionne n'avoir jamais utilisé son statut de conseiller pour influencer la décision des policiers de lui remettre une contravention. Il ajoute qu’il n’a pas été impoli ou intimidant dans le cadre de ses fonctions de conseiller envers les policiers.

[39]        Monsieur Bessette croit être ciblé par les policiers et précise qu’il s’en est déjà plaint dans le passé à monsieur Fortier, le directeur du Service de police.

[40]        Pour sa part, la conjointe de monsieur Bessette, affirme qu’elle a entendu la conversation de son conjoint avec les policiers et confirme la version de celui-ci. Elle est assise dans son véhicule situé dans un stationnement près de la rue alors que monsieur Bessette discute avec le policier du côté passager de l’auto-patrouille. Le véhicule des policiers se trouve stationné sur le bas-côté de l’autre côté de la rue.


OBSERVATIONS

Observations du procureur indépendant

[41]        Me Nicolas Dallaire, procureur indépendant de la Commission, rappelle les manquements reprochés au conseiller Bessette, la jurisprudence sur le degré de preuve requis et l’application de la règle relative au respect.

[42]        Il soumet à la Commission, les décisions pertinentes en matière de conflits d’intérêts et établit les liens avec les manquements reprochés à monsieur Bessette.

[43]        Il rappelle qu’en matière de conflits d’intérêts, l’intérêt de l’élu doit être distinct de l’intérêt général, ce qui, selon lui, est le cas ici.

Observations du procureur de l’élu

[44]        Me Frédéric Beaulne réfère la jurisprudence de la Commission qui a établi que la preuve retenue doit être claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté[5].

[45]        Selon lui, monsieur Bessette n’était ni dans le cadre de ses fonctions ni dans l’exercice de celles-ci. De plus, les propos qu’il a tenus ne démontrent pas de façon claire et sans ambiguïté un cas d’impolitesse, un manque de respect ou un acte d’intimidation.

[46]        Enfin, Me Beaulne soumet que la preuve prépondérante établit que monsieur Bessette ne s’est pas prévalu de son statut de conseiller pour éviter une contravention. Selon lui, les policiers ont pu avoir une impression erronée, en l’absence de toute l’information contextuelle, soit que monsieur Bessette pensait avoir reçu la contravention en raison de son statut de conseiller municipal.

ANALYSE

[47]        Dans le cadre d’une enquête en vertu de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, la Commission doit s’enquérir des faits afin de décider si l’élu visé par l’enquête a commis les actes ou les gestes qui lui sont reprochés et si ces derniers constituent une conduite dérogatoire au Code d’éthique.

[48]        Pour ce faire, elle doit conduire son enquête dans un esprit de recherche de la vérité qui respecte les règles d’équité procédurale et le droit de l’élu visé par l’enquête à une défense pleine et entière.

[49]        Pour conclure qu’un élu a commis un manquement à ses obligations déontologiques, la Commission doit être convaincue que la preuve qui découle des témoignages, des documents et des admissions a une force probante suffisante suivant le principe de la balance des probabilités. Toutefois, la preuve retenue doit être claire, précise, sérieuse, grave et sans ambiguïté[6].

[50]        Enfin, elle doit analyser la preuve en tenant compte de l’article 25 de la LEDMM qui précise que :

« 25.     Les valeurs énoncées dans le code d’éthique et de déontologie ainsi que les objectifs mentionnés au deuxième alinéa de l’article 5 doivent guider la Commission dans l’appréciation des règles déontologiques applicables ».

L’ÉLU A-T-IL COMMIS DES MANQUEMENTS AU CODE D’ÉTHIQUE ET DE DÉONTOLOGIE DE LA VILLE ?

[51]        Pour conclure que l’élu visé par la demande d’enquête a enfreint certaines règles du Code d’éthique, la Commission doit d’abord être convaincue que les actes reprochés au conseiller Bessette se sont effectivement produits. Ensuite, elle doit être convaincue que ses agissements, propos ou comportements constituent des manquements à une règle du Code d’éthique.

[52]        Les articles pertinents du Code d’éthique sont les suivants :

« ARTICLE 6 : Conflits d’intérêts

 

[…]

 

6.2     Il est interdit à tout membre du Conseil de se prévaloir de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision d’une autre personne de façon à favoriser ses intérêts personnels ou, d’une manière abusive, ceux de toute autre personne.

 

             Le membre du Conseil est réputé ne pas contrevenir au présent code lorsqu’il bénéficie des exceptions prévues aux quatrième et cinquième alinéas du paragraphe 6.7.

 

[…]

 

« ARTICLE 12 : Devoir de respect

Dans le cadre de ses fonctions, tout membre du conseil municipal doit agir avec respect envers les personnes avec lesquelles il traite. »

[53]        Dans le cadre de son analyse, la Commission devra déterminer si le conseiller Justin Bessette a tenu dans le cadre de ses fonctions, des propos intimidants ou irrespectueux envers les policiers; elle devra également déterminer si monsieur Bessette s’est prévalu de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision des policiers de remettre une contravention à la Ferme Bessette, de façon à favoriser ses intérêts personnels.

Propos irrespectueux et intimidation

[54]        La demande d’enquête reproche à monsieur Bessette d’avoir été impoli ou d’avoir tenu des propos intimidants envers les policiers qui procédaient à la remise d’une contravention concernant une remorque. Selon la plainte, monsieur Bessette aurait contrevenu à son devoir de respect prévu à l’article 12 du Code d’éthique et de déontologie.

[55]        Cette règle du Code d’éthique de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu nécessite la preuve qu’un membre du conseil municipal qui agit dans le cadre de ses fonctions, n’a pas été respectueux envers une personne avec qui il traite.

[56]        Cette disposition est différente des règles sur le respect que l’on retrouve habituellement dans les codes d’éthique d’autres municipalités et qui ont fait l’objet de décisions de la Commission. En effet, dans le cas qui nous occupe, on exige que l’élu agisse avec respect « dans le cadre de ses fonctions ».

[57]        Dans cette optique, il est nécessaire pour la Commission de déterminer à quel moment un élu municipal agit dans le cadre de ses fonctions.

[58]        Le Code d’éthique n’utilise pas les termes « exercice de ses fonctions » comme dans les Codes d’éthique des élus d’autres municipalités, mais plutôt « dans le cadre de ses fonctions ». La Commission doit donc déterminer la signification de ces mots.

[59]        Le Multi-dictionnaire[7] de la langue française définit ainsi « dans le cadre de » :

« Dans le cadre de : Dans les limites de. Dans le contexte de. Dans le cadre de ses fonctions. »

[60]        La Commission est d’avis que les termes « dans le cadre de ses fonctions » et « dans l’exercice de ses fonctions » ont la même finalité. L’exercice d’une fonction se fait dans le cadre de celle-ci.

[61]        En conséquence, doit-on conclure que dès qu’un élu municipal, agit irrespectueusement, il contrevient à son devoir de respect? La Commission ne le pense pas. En effet, le Code d’éthique précise qu’il régit le comportement des élus municipaux dans l’exercice de leurs fonctions et non dans le cadre de leur vie privée.

[62]        Il est nécessaire d’établir à quelle occasion un élu agit dans le cadre ou dans l’exercice de ses fonctions.

[63]        Selon le Juge Pierre Dalphond de la Cour d’appel[8], l’expression « exercice de ses fonctions » signifie :

« [30]  En d’autres mots, l’expression « dans l’exercice de ses fonctions» est indicative selon ma collègue la juge Thibault de l’intention du législateur d’accorder la protection aux actes ou omissions suivants :

i)  ceux qui découlent de l’exécution par une élue des fonctions et responsabilités conférées expressément ou implicitement par la loi;

ii) ceux qui sont inhérents à sa charge; et

iii)  ceux qui sont en lien avec les situations dans lesquelles l’exercice de ses fonctions place l’élue.

Dans tous ces cas, il y a un lien de pertinence suffisant avec les affaires municipales et les actes qui ont une nature plus altruiste que personnelle (même s’ils contribuent à une réélection de l’élue!) »

[64]        La Cour d’appel dans Beaulieu c. Packington[9], sous la plume de l’honorable juge Thibault, s’exprimait ainsi :

« [42]  À mon avis, la proposition de l'intimée cherche à rouvrir un débat qui a été clos il y a plus d'un demi-siècle, dans l'arrêt Houde c. Benoît.

« [43]  La Cour [dans Houde. Benoit[10]] a conclu que le conseiller municipal était dans l'exercice de ses fonctions municipales même si celles-ci n'ont pas été exercées lors d'une séance du conseil, à la condition que l'acte posé résulte de son mandat.

Les fonctions municipales, comme les autres fonctions publiques, ne s'exercent pas seulement autour d'une table de délibérations. Elles suivent l'officier public dans tous les actes qu'il pose, en tant qu'officier public, et ses actes revêtent et gardent le même caractère d'autorité ou de responsabilité lorsqu'ils sont faits en raison même des fonctions qu'il exerce ou, si l'on veut, lorsqu'ils sont posés ou exercés dans l'intérêt public. Ainsi le maire d'une municipalité, quelles que soient les circonstances de lieu, de temps et de personnes, n'abdique nullement son caractère d'officier public, lorsqu'il prend une initiative ou accomplit un devoir inhérent à sa fonction. Il en est de même d'un conseiller municipal, d'un commissaire d'écoles ou d'un syndic de fabrique. En d'autres termes, pour déterminer le caractère de ces fonctions publiques, il suffit de se demander si l'acte accompli résulte du mandat confié à cet officier ou si ce dernier n'a fait qu'agir en une qualité purement personnelle.

[…]

Je dirai davantage. Si le maire d'une municipalité va rencontrer chez lui un conseiller, ou si encore, un conseiller municipal va rencontrer un de ses collègues pour connaître ses vues sur un problème municipal, j'estime que ce conseiller garde toujours son caractère d'officier public et qu'il est, dans une telle occurrence, dans l'exercice de ses fonctions publiques.

Je conclus donc en disant que le barème qui doit nous guider dans une telle matière est celui-ci : si la personne dans l'intérêt de la municipalité, fait, étant un officier municipal, une communication qu'elle a intérêt à faire et qu'elle la fait à une personne qui a un intérêt correspondant à la recevoir, il y a, par la coexistence de ces divers éléments, une preuve que la personne a agi dans l'exercice de ses fonctions. […]. »

[65]        Dans l’affaire Benedetti[11], la Commission a décidé :

« [41]  La Commission est d’avis qu’il ressort clairement de ces dispositions que le Code d’éthique et de déontologie s’applique à un élu lorsqu’il agit dans l’exercice de ses fonctions d’élu municipal. Ainsi, les manquements reprochés doivent concerner l’élu alors qu’il agissait dans le cadre de ses fonctions de membre du conseil de la Ville. »

[66]        Le professeur Jean-François Gaudreault-Desbiens[12] dans son article « Le traitement juridique de l'acte individuel fautif de l'élu municipal, source d'obligations délictuelles ou quasi délictuelles », après avoir rappelé que chaque cas constitue un cas d’espèce, propose un cadre d’analyse qui mérite d’être retenu :

« […]  il faut retenir de cette étude de la notion d'exercice des fonctions que le critère de base de cette notion est le bénéfice ou l'intérêt que la municipalité tire de l'acte posé par l'élu municipal. Ceci impose, d'une part, d'examiner la finalité de l'acte et, d'autre part, d'en étudier la pertinence au regard des affaires municipales. Ainsi, l'acte posé pour des motifs strictement personnels à l'élu et n'ayant aucun lien de pertinence avec les affaires municipales sera le plus souvent posé hors de l'exercice des fonctions. L'examen consiste en fait à vérifier l'existence d'un lien logique entre l'acte posé et l'intérêt ou le bénéfice que la municipalité en retire. Pour établir ce lien, il sera évidemment utile, sinon nécessaire, de voir si l'acte posé peut se rattacher à un devoir inhérent aux fonctions de l'élu, de façon à en identifier la justification juridique. C'est donc d'abord et avant tout en fonction de l'acte lui-même qu'est résolue la question de savoir si l'élu agissait dans l'exercice de ses fonctions. Dans ce contexte, le forum où est posé l'acte ne revêt pas une importance déterminante. […]. »

(Je souligne)

[67]        La Commission est d’avis qu’afin de déterminer si un élu pose un acte dans l’exercice ou dans le cadre de ses fonctions trois éléments sont requis :

·        L’acte accompli résulte du mandat confié à l’élu municipal où celui-ci agit personnellement;

·        La finalité de l’acte posé par l’élu municipal;

·        La pertinence de l’acte à l’égard des affaires municipales.

[68]        Ces trois éléments doivent être examinés sous l’angle du bénéfice que peut en retirer la Ville.


[69]        On doit tenir compte du fait que les élus municipaux exercent pour la plupart des fonctions à temps partiel. Pour la plupart, ils ont un emploi, exerce des activités commerciales ou sont retraités. Ils ont aussi une vie privée à l’extérieur de laquelle, ils posent divers actes.

[70]        Bien que le conseiller Bessette n’exerçait pas un acte dans le cadre de ses fonctions lors de l’altercation qu’il a eue avec les policiers, agissait-il ou donnait-il l’impression qu’il agissait à titre de conseiller municipal aux policiers?

[71]        Dans le cas à l’étude, la preuve démontre que lorsque monsieur Bessette est intervenu auprès des policiers, il ne l’a pas fait dans l’exercice des fonctions habituelles d’un conseiller municipal.

[72]        Même si monsieur Bessette a fait référence au moins à trois reprises à son statut de conseiller municipal, la Commission ne croit pas dans les circonstances de cette affaire, qu’il exerçait à ce moment-là ses fonctions de conseiller municipal ou agissait dans le cadre de celles-ci.

[73]        Le but recherché par monsieur Bessette lors de la discussion avec les policiers était l’annulation de la contravention. La tentative de faire annuler la contravention n’a aucune pertinence avec les affaires municipales.

[74]        Dans ces circonstances, la Commission est d’avis que même si elle estimait que les propos tenus par monsieur Bessette sont irrespectueux ou intimidants envers les policiers, elle ne peut conclure qu’il a commis un manquement à la règle 12 du Code d’éthique et de déontologie.

Influencer ou tenter d’influencer la décision des policiers

[75]        Pour conclure à un manquement en vertu de l’article 6.2 du Code d’éthique et de déontologie, la preuve doit démontrer que monsieur Bessette était membre du conseil municipal au moment des faits reprochés, qu’il a fait valoir sa fonction de conseiller aux policiers et qu’il l’a fait dans le but d’influencer ou de tenter d’influencer la décision de ceux-ci relativement à la remise d’une contravention, de façon à favoriser ses intérêts personnels.

[76]        Lorsqu’il rencontre les policiers, monsieur Bessette se présente pour les questionner sur les motifs de l’interception et la raison de la contravention. Il leur mentionne à trois reprises qu’il est conseiller municipal de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il ajoute qu’ils ne semblent pas connaître la réglementation applicable et les règlements et lois agricoles.


[77]        L’article 6.2 du Code d’éthique n’exige pas la preuve que l’intervention de monsieur Bessette ait effectivement influencé la décision des policiers. Le tribunal doit simplement être convaincu que l’élu en se prévalant de sa fonction, a tenté d’influencer la décision des policiers.

[78]        Cet article n’exige pas non plus que monsieur Bessette agisse dans l’exercice ou le cadre de ses fonctions au moment où il a commis les actes qui lui sont reprochés.

[79]        Afin de décider si le comportement de monsieur Bessette constitue un manquement aux règles du Code d’éthique, la Commission doit examiner le comportement qui lui est reproché et se demander si une personne raisonnablement informée en viendrait à la conclusion que celui-ci a manqué à ses obligations déontologiques.

[80]        Ce critère de la « personne raisonnablement informée » sert à évaluer les conflits d’intérêts. Il est utile dans le présent dossier afin d’évaluer l’influence qu’a tenté d’utiliser monsieur Bessette.

[81]        La preuve démontre que monsieur Bessette :

     est conseiller municipal de la Ville;

 

     intervient pour questionner les policiers sur les motifs de l’interception et de la contravention;

 

∙  fait valoir sa fonction de conseiller à au moins trois reprises;

 

     agit pour son propre bénéfice, ayant un intérêt pécuniaire distinct de l’intérêt général;

 

     mentionne aux policiers qu’ils ne connaissent pas la réglementation applicable;

 

     tente d’influencer les policiers afin qu’ils n’émettent pas de contravention;

 

     accuse les policiers d’abuser de leur pouvoir;

 

     menace les policiers de régler leur cas et d’en parler à une séance du conseil;

 

     quitte les lieux de l’interception en déclarant aux policiers qu’il règlerait leur cas lundi matin et qu’ils réentendraient parler de lui.

[82]        La preuve démontre également que les policiers se sentent menacés par monsieur Bessette et craignent de perdre leur emploi.

[83]        Le témoignage de l’employé du conseiller Bessette n’est pas crédible et la Commission ne le retient pas pour les raisons suivantes :

∙  son lien d’amitié avec monsieur Bessette;

 

     l’aspect nébuleux de sa rémunération;

 

     ses trous de mémoire quant aux événements qui se sont passés;

 

     la rédaction et le dépôt par monsieur Bessette de la plainte en déontologie policière signée par cet employé;

 

     l’utilisation par monsieur Bessette des mêmes mots ou expressions lors de leur témoignage et dans les plaintes en déontologie policière;

 

     l’utilisation par l’employé et monsieur Bessette de la phrase « On va voir si les affaires du conseiller Bessette sont en ordre »;

 

     l’affirmation de l’employé qu’il est demeuré calme lors de l’interception, alors que tous les autres témoins entendus mentionnent le contraire.

[84]        D’autre part, la Commission accorde très peu de crédibilité au témoignage de la conjointe de monsieur Bessette, et ne le retient pas, pour les motifs suivants :

     elle ne pouvait entendre de façon claire les propos du conseiller, étant à une distance de plus de 20 pieds;

     elle entend uniquement les propos de monsieur Bessette et pas ceux des policiers;

     elle décrit les faits en utilisant les mêmes mots, les mêmes gestes que ceux utilisés dans les plaintes en déontologie policière, plaintes qu’elle a elle-même retranscrites pour monsieur Bessette et l’employé;

     elle admet avoir discuté de son témoignage avec monsieur Bessette avant l’audience et avoir reconstitué les événements et discuté de l’endroit où elle était stationnée.

[85]        Après analyse, la Commission retient la version des deux policiers et leur accorde une très grande crédibilité; leurs témoignages sont clairs, précis, pondérés, concordants et « fidèles » à leurs rapports.

[86]        Il est clair que monsieur Bessette a tenté de dissuader les policiers d’émettre le constat d’infraction. La preuve démontre qu’il s’est prévalu de sa fonction de conseiller municipal pour tenter d’influencer la décision des policiers afin de favoriser ses intérêts personnels, qui sont ici distincts de l’intérêt général.

[87]        La menace qu’il a faite aux policiers « de régler cette situation dès lundi matin au conseil municipal » a eu pour effet de les intimider, de leur laisser croire qu’il utiliserait sa fonction pour obtenir l’annulation du constat d’infraction et qu’ils pourraient perdre leur emploi.

[88]        La preuve démontre que l’intention de monsieur Bessette était d’utiliser son statut de conseiller municipal dans le but d’obtenir l’annulation de la contravention.

[89]        La Commission conclut donc que monsieur Bessette a commis un manquement à l’article 6.2 du Code d’éthique et de déontologie.

SANCTION

[90]        Le 29 mars 2017, la Commission transmet à monsieur Bessette un avis d’audience sur sanction indiquant les conclusions de la Commission relativement aux manquements au Code d’éthique. L’audience sur sanction est tenue les 11 mai et 10 août 2017.

Observations du procureur indépendant

[91]        Me Dallaire soumet que lors de la détermination d’une sanction en matière d’éthique et de déontologie municipale, la Commission doit considérer la gravité du manquement, les dispositions de la LEDMM et les objectifs poursuivis par le législateur[13].

[92]        Après avoir rappelé les principes applicables en matière disciplinaire et les sanctions imposées par la Commission dans des cas semblables, Me Dallaire énumère les facteurs qui lui semblent aggravants et ceux qui sont atténuants.

[93]        Me Dallaire rappelle que monsieur Bessette s’est prévalu de sa fonction afin de favoriser ses intérêts.

[94]        Comme sanction devant être imposée, le procureur indépendant recommande que monsieur Bessette soit suspendu pour une période de 90 jours.

[95]        Selon Me Dallaire, le remboursement du salaire et des avantages reçus pour la durée du manquement ou une réprimande ne serait pas une sanction suffisante pour permettre de renforcer la confiance des citoyens envers les institutions et les élus municipaux, ni pour satisfaire aux critères d’exemplarité et de dissuasion.

Observations du procureur de l’élu

[96]        Lors des observations sur la sanction, monsieur Bessette témoigne sur la conscientisation qu’il a effectuée relativement au comportement éthique qu’il doit adopter dans l’avenir et les moyens qu’il a pris au cours des derniers mois pour y parvenir. Notamment, le recours à un conseiller à l’éthique.

[97]        Me Dubois rappelle qu’en raison des différentes activités commerciales et agricoles de monsieur Bessette, il n’était pas toujours facile pour celui-ci de savoir quel comportement éthique adopter pour ne pas franchir la ligne déontologique.

[98]        Après avoir attiré l’attention du Tribunal sur les décisions de la Commission en matière de sanctions et certaines en déontologie policière, Me Dubois énumère les facteurs atténuants et aggravants dont le Tribunal devrait tenir compte.

[99]        Finalement, il ajoute que la sanction imposée doit être juste et privilégier la prise de conscience de l’élu sur l’importance de l’éthique et doit aussi avoir un effet pédagogique sur l’importance d’adopter une conduite qui respecte les règles déontologiques et les valeurs éthiques.

[100]     Il suggère donc au Tribunal d’imposer à son client une suspension sans salaire ni allocation d’une durée de 5 jours.

Analyse sur sanction

[101]     Les dispositions suivantes de la LEDMM sont pertinentes :

            « 26.  Si la Commission conclut que la conduite du membre du conseil de la municipalité constitue un manquement à une règle prévue au code d'éthique et de déontologie, elle décide, en prenant en considération la gravité du manquement et les circonstances dans lesquelles il s'est produit, notamment du fait que le membre du conseil a ou non obtenu un avis écrit et motivé d'un conseiller à l'éthique et à la déontologie ou pris toute autre précaution raisonnable pour se conformer au code, d'imposer une ou plusieurs des sanctions prévues à l'article 31 ou qu'aucune sanction ne soit imposée.

            31.  Un manquement à une règle prévue à un code d'éthique et de déontologie visé à l'article 3 par un membre d'un conseil d'une municipalité peut entraîner l'imposition des sanctions suivantes:

1° la réprimande;

2° la remise à la municipalité, dans les 30 jours de la décision de la Commission municipale du Québec :

a)  du don, de la marque d'hospitalité ou de l'avantage reçu ou de la valeur de ceux-ci;

b)  de tout profit retiré en contravention d'une règle énoncée dans le code;

3° le remboursement de toute rémunération, allocation ou autre somme reçue, pour la période qu'a duré le manquement à une règle prévue au code, comme membre d'un conseil, d'un comité ou d'une commission de la municipalité ou d'un organisme;

4° la suspension du membre du conseil pour une période dont la durée ne peut excéder 90 jours, cette suspension ne pouvant avoir effet au-delà du jour où prend fin son mandat. »

Cette formation doit notamment viser à susciter une réflexion sur l'éthique en matière municipale, favoriser l'adhésion aux valeurs énoncées par le code d'éthique et de déontologie et permettre l'acquisition de compétences pour assurer la compréhension et le respect des règles prévues par celui-ci.

Le défaut de participer à cette formation constitue aux fins de l'article 26 un facteur aggravant.

Le membre d'un conseil doit, dans les 30 jours de sa participation à une telle formation, déclarer celle-ci au greffier ou au secrétaire-trésorier de la municipalité, qui en fait rapport au conseil. »

[102]     Cette loi prévoit aussi :

« 15. Tout membre d'un conseil d'une municipalité qui n'a pas déjà participé à une formation sur l'éthique et la déontologie en matière municipale doit, dans les six mois du début de son mandat, participer à une telle formation. »

[103]     Les objectifs de la sanction en matière d’éthique et de déontologie municipale sont les suivants :

« [101]  […] la sanction doit permettre de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux et avoir un effet dissuasif[14]. »

[104]     L’objectif de la sanction en matière disciplinaire est « d’assurer la protection du public et de satisfaire aux critères d’exemplarité et de dissuasion[15] », ce qui se rapporte aux objectifs en matière d’éthique et de déontologie en matière municipale.

[105]     Dans les deux décisions Plourde[16], la Commission établit qu’en matière de déontologie municipale, la sanction doit être établie en fonction de différents facteurs, dont la parité, la globalité et la gradation des sanctions.

[106]     Ces principes se résument ainsi :

-         La parité des sanctions : Des sanctions semblables devraient être infligées pour des manquements semblables;

 

-         La globalité des sanctions : Lorsqu’il y a imposition de plusieurs sanctions pour plusieurs manquements, l’effet cumulatif des sanctions imposées ne doit pas résulter dans une sentence disproportionnée par rapport à la culpabilité générale du contrevenant;

 

-         La gradation des sanctions : En matière disciplinaire, ce principe prévoit également la notion qu’un professionnel qui a déjà été condamné pour une infraction devrait se voir imposer une peine plus sévère lors d’une deuxième condamnation, à plus forte raison s’il s’agit d’une récidive[17].

[107]     La sanction doit tenir compte de la gravité du manquement ainsi que des dispositions de la LEDMM et des objectifs de celle-ci[18]. Elle doit également avoir un effet dissuasif.

[108]     La Commission est d’avis aussi que la sanction doit permettre de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux.

[109]     La Commission tient compte des facteurs atténuants suivants :

§  Monsieur Bessette n’a aucun antécédent déontologique;

 

§  Au cours des derniers mois, monsieur Bessette a pris conscience de l’importance d’adopter un comportement éthique et de faire preuve de prudence en demandant un avis à un conseiller à l’éthique.

[110]     Les facteurs aggravants retenus par la Commission sont les suivants :

§  Monsieur Bessette a commis un manquement à l’égard de policiers qui agissaient dans le cadre de leurs fonctions;

§  Monsieur Bessette est impulsif lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il désire;

§  Monsieur Bessette n’a pas agi avec modération dans ses relations avec les policiers de la Ville. Il mentionne à plusieurs reprises qu’il est conseiller municipal;

§  Par ses interventions, monsieur Bessette a tenté de mettre de la pression sur deux agents de la paix dans le but d’éviter une contravention et obtenir certains avantages qu’un autre citoyen n’aurait pas obtenus;

 

§  Il mentionne aux policiers « qu’il va régler ça lundi matin »;

 

§  Monsieur Bessette n’a pas respecté les valeurs d’équité et d’intégrité.

[111]     La Commission écarte l’imposition d’une suspension de cinq jours proposée par Me Dubois, puisque cette sanction ne rencontre pas les objectifs de la Loi.

[112]     D’autre part, imposer le remboursement du salaire, des avantages et allocations pour la durée du manquement ne constituerait pas une sanction ayant un effet dissuasif suffisant en regard de l’acte reproché.

[113]     Le devoir des policiers est d'appliquer les lois et les règlements pris par les autorités municipales. Ce devoir est codifié à l'article 48 de la Loi sur la police :

« 48.  Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 289.6, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d'en rechercher les auteurs.

Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu'ils desservent[19]. »

[114]     L'indépendance de la police est à la base de la primauté du droit. La police doit demeurer indépendante du pouvoir exécutif pour remplir le rôle qui lui est propre dans le système de justice pénale[20].

[115]     Les citoyens s’attendent à ce que les élus ne profitent pas de leur fonction pour obtenir un avantage que n’aurait pas un simple citoyen, placé dans la même situation. Ces derniers doivent toujours agir dans l’intérêt de la municipalité.

[116]     Le respect des lois est primordial dans une société démocratique et ce principe s’applique à tous sans exception. Un élu ne peut tenter de s’y soustraire en utilisant son statut ou en faisant valoir son pouvoir ou son influence. De tels gestes sont hautement répréhensibles.

[117]     Après avoir tenu compte de la gravité des actes reprochés, des éléments atténuants dans ce dossier et des facteurs devant la guider lors de l’imposition de sanctions tels que soumis par le procureur indépendant, la Commission est d’avis que l’imposition d’une suspension de 30 jours, est juste et appropriée en regard du manquement et des circonstances dans lequel il s’est produit.

[118]     Cette sanction permettra de rétablir la confiance que les citoyens doivent entretenir envers les institutions et les élus municipaux et aura un effet dissuasif suffisant.

EN CONSÉQUENCE, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

-     CONCLUT QUE JUSTIN BESSETTE a commis un manquement à l’article 6.2 du Code d’éthique et de déontologie applicable aux membres du Conseil municipal de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, lorsqu’il s’est prévalu de sa fonction pour influencer ou tenter d’influencer la décision de deux policiers de façon à favoriser ses intérêts personnels.

-     IMPOSE à JUSTIN BESSETTE à l’égard de ce manquement : une suspension de 30 jours, sans rémunération, allocation ou toute autre somme provenant de la Ville ou d’un autre organisme sur lequel il siège à titre de membre du conseil.

-     DÉCLARE QUE cette suspension prendra effet le 16 octobre 2017, et ce, jusqu’à la fin de son mandat.

 

 

 

                                                                                      ________________________________

                                                                                      THIERRY USCLAT, vice-président

                                                                                      Juge administratif

 

Me Alain Dubois

Me Frédéric Beaulne

DUBOIS ET ASSOCIÉS

Procureur de Justin Bessette

 

Me Nicolas Dallaire

D’ARAGON DALLAIRE

Procureur indépendant de la Commission municipale

 

Audience : 18 au 22 juillet, 24, 25 et 31 août 2016,

13 au 17 octobre 2016, 11 mai et 10 août 2017

 

TU/ll



[1].   RLRQ, chapitre E-15.1.0.1.

[2].   Règlement no 1222 : Règlement édictant un code d’éthique et de déontologie révisé applicable aux membres du Conseil municipal de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu et abrogeant le Règlement no 1039.

[3].   Dubois et Associés.

[4].   D’Aragon Dallaire.

[5].   Savoie, CMQ-64248, 11 septembre 2013.

[6].   Bourassa, CMQ-63969, 30 mars 2012.

[7].   2009 Éditions Québec-Amérique.

[8].   Berniquez St-Jean c. Boisbrand (Ville de), 2013 QCCA 2197.

[9].   Beaulieu c. Packington (Municipalité de), 2008 QCCA 442.

[10][1943] B.R. 713.

[11].  CMQ-64360, 23 février 2013.

[12].  [1993] 24 R.G.D. 469, 494.

[13].  Belvedere, CMQ-65002 (28599-14), 5 décembre 2014.

[14]Idem.

[15]Jean-Guy VILLENEUVE, Nathalie DUBÉ et Tina HOBDAY, Précis de droit professionnel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 244.

[16]Plourde, CMQ-65262, 30 septembre 2015, par. 68; CMQ-65329, 30 septembre 2015, par. 81.

[17]J.-G. Villeneuve, N. Dubé et T. Hobday, préc., note 6, p. 249-250.

[18].  Belvedere, CMQ-65002 (28599-14), 5 décembre 2014.

[19].  RLRQ, chapitre P-13.1.

[20]R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565.

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