Décision

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94011509 COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No: 500-09-001807-924
(500-05-008227-926)


Le 26 avril 1994


CORAM: LES HONORABLES VALLERAND
ROTHMAN
MAILHOT, JJ.C.A.



COMMUNICATIONS VOIR INC.,

APPELANTE - défenderesse

et

ÉRIC BARBEAU,

APPELANT - défendeur

c.

PELCOM MARKETING INC.,

INTIMÉE - demanderesse



_______________
LA COUR , statuant sur le pourvoi contre un jugement prononcé le 16 septembre 1992 par l'honorable Kevin Downs de la Cour supérieure du Québec, intimant par voie d'injonction interlocutoire aux appelants de ne pas publier ou disséminer l'un ou l'autre de deux articles écrits par l'appelant Barbeau et publiés par l'appelante Communications Voir inc.;

               Après étude du dossier et audition, séance tenante.

               Pelcom Marketing inc., ici intimée, exploite une entreprise à but exclusivement lucratif qui consiste à déterminer par le moyen de sondages ce qu'elle qualifie du meilleur commerce au Canada dans divers secteurs d'activités pour ensuite, contre rémunération de la part des gagnants, faire la promotion de leur entreprise sur la foi de l'expression de la faveur publique.

               D'aucuns mettent en question l'ensemble de l'activité de Pelcom, tant la valeur des sondages dont les gagnants seraient, par la force des choses, non pas les meilleurs commerces mais plutôt les plus connus, que les droits que se réserve Pelcom, contre rémunération, de faire la promotion des entreprises choyées par les sondages.

               Barbeau, journaliste de profession, s'intéresse au dossier et entreprend une longue et minutieuse enquête qui confirme les réserves qu'on a, dans certains milieux autorisés, sur le sujet des procédés de Pelcom de même qu'incidemment, la condamnation de celle-ci en 1990 à une amende importante à Winnipeg après qu'elle eût plaidé coupable à une accusation de publicité trompeuse, un comportement qu'elle a, depuis, redressé.

               Son enquête complétée, y compris la recherche de l'avis du principal intéressé de Pelcom, Barbeau rédige deux articles queCommunications Voir inc. publie. Pelcom s'indigne et dépose en Cour supérieure une demande d'ordonnance d'interdiction de publication ou de dissémination de l'un et l'autre des deux articles, des conclusions auxquelles le jugement ici entrepris fait droit pour fins interlocutoires. Communications Voir inc. et Barbeau se pourvoient et nous sommes tous trois d'avis qu'il y a lieu de faire droit à l'appel.

* * *


               Pelcom, au soutien de sa demande, plaide que les articles sont trompeurs, malhonnêtes et libelleux et mettent en cause l'honnêteté de son entreprise. Elle signale quelques erreurs ou demi-vérités sur les faits, proteste contre l'interprétation qu'on en fait et soutient que la légitime exploitation de son entreprise est mise en péril.

               Le premier juge reprend les faits, récite les longues et sérieuses démarches du journaliste aux fins de se renseigner, relève les divergences d'opinions sur le sujet des activités de Pelcom, affirme que [...] le Tribunal ne doute pas de la bonne foi du journaliste soucieux d'informer adéquatement et objectivement le public sur les activités d'une entreprise., pose néanmoins que les articles contiennent des demi-vérités pour ne pas dire des faussetés et que leur forme et leur ton causent à larequérante un préjudice à ce point sérieux auquel le jugement final ne pourra remédier.

* * *


               Notre collègue Gendreau écrivait:

«Une société transparente et démocratique», rappelle la Commission de réforme du droit du Canada, «exige non seulement la liberté de recueillir et de communiquer les informations, mais également un moyen de les diffuser autrement que par la conversation privée. Sans quoi des informations touchant le public ne seraient connues que de cercles restreints de citoyens informés. Seuls les médias peuvent porter à la connaissance du public les faits qui peuvent le concerner et lui faire prendre conscience de la diversité des opinions. Par conséquent, la liberté des médias de rassembler et de diffuser des informations, des idées et des opinions est étroitement liée à la transparence de la société dans son ensemble».



Southam Inc. c. Sa Majesté la Reine, [1988] R.J.Q. 307 , p. 312.


               

               En revanche, le juge Dickson, à l'époque juge puîné à la Cour suprême du Canada:

The law of defamation must strike a fair balance between the protection of reputation and the protection of free speech...



Chernesky c. Armadale Publishers, [1979] 1 R.C.S. 1067 , p. 1095.


               Les articles sont-ils, ainsi que le plaide l'intimée, trompeurs, malhonnêtes et libelleux et, à ce titre, de nature à faire échec à la traditionnelle et quasi-sacrée liberté d'expression. C'est là une question de qualification où notre Cour peut intervenir sans pour autant passer outre à la règle du respect de l'appréciation des faits par le premier juge.

               L'étude des articles et des preuves soumises fait voir, qu'au-delà de la bonne foi que le premier juge a concédée au journaliste, il s'agit de propos tenus sans malice aucune, fruits d'une enquête sérieuse et honnête, qui font état d'une question controversée sur laquelle des voix autorisées expriment de sérieuses réserves, le tout portant sur une activité qui intéresse le public puisque la demanderesse, ici intimée, dans l'essence même de son activité commerciale, cherche à agir sur l'opinion et le comportement du public. Il est vrai que le titre qui coiffe le premier article «Qui paie gagne» donne à comprendre que les sondages sont corrompus. Or le texte dissipe toute équivoque: les sondages sont honnêtes quoique la méthodologie employée soit sujette à caution. En revanche, le prix gagné est, tout compte fait, le droit d'utiliser efficacement le fruit du sondage pour faire la promotion de son entreprise et seul celui qui paie a droit au prix. C'est ainsi qu'à tout prendre il est exact que «Qui paie gagne ... le prix.» On pourrait souhaiter que ce titre accrocheurfut moins ambigu. Mais compte tenu du texte qui dissipe l'équivoque, cela ne suffit pas à supprimer l'article. Bref, les défendeurs ici appelants satisfont à toutes les exigences imposées à celui qui s'autorise de la liberté d'expression et du droit à l'information pour débattre une question d'intérêt public et c'est, soit dit avec égards, à tort que le premier juge a conclu à une apparence de droit à l'ordonnance qui allait réduire les défendeurs au silence.

               PAR CES MOTIFS :

               ACCUEILLE avec dépens le pourvoi;

               REJETTE, là encore avec dépens, la requête pour ordonnance d'injonction interlocutoire.



CLAUDE VALLERAND, J.C.A.





MELVIN L. ROTHMAN, J.C.A.





LOUISE MAILHOT, J.C.A.



Me Ronald Fecteau
Pour l'appelante - défenderesse

Me Marc-André Blanchard
Pour l'appelant - défendeur

Mes Allan Adel et Michel Langevin
Pour l'intimée - demanderesse


AUDITION: le 26 avril 1994

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.