Perreault c. Paquette |
2016 QCCS 407 |
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JC0BS9 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-055242-096 |
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DATE : |
5 février 2016 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CHANTAL CHATELAIN, J.C.S. |
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CHANTAL PERREAULT |
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Demanderesse |
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c. |
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GUY PAQUETTE |
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Défendeurs |
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JUGEMENT RECTIFIÉ |
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VU certaines erreurs typographiques aux paragraphes 3, 74, 90, 94 et 111 du jugement du 3 février 2016;
VU l'article 338 C.p.c.
LE TRIBUNAL :
RECTIFIE le jugement du 3 février 2016 en corrigeant les erreurs typographiques aux paragraphes 3, 74, 90, 94 et 111 du jugement.
[1] Le 11 février 2008, Paquette Gadler Inc. (« PG Inc. ») congédie Me Chantal Perreault (« Me Perreault ») et lui donne un préavis de fin d’emploi de 10 ½ mois. Elle doit donc quitter le cabinet au plus tard le 31 décembre 2008 et, entretemps, elle continue de recevoir le même salaire de base que celui reçu précédemment.
[2] Au moment de son congédiement, Me Perreault exerce le droit sous la bannière de Paquette Gadler depuis le 14 mai 2001 : d’abord à titre contractuel auprès de Paquette Gadler s.e.n.c. (« PG s.e.n.c. ») du 14 mai 2001 au 31 décembre 2004 puis, à titre de salariée de PG Inc., du 1er janvier 2005 jusqu’à son congédiement, pour un total de 6 ans et 9 mois.
[3] Estimant les conditions de fin d’emploi injustes et abusives, Me Perreault réclame :
a) un délai de congé additionnel de 18 mois[1], débutant le 31 décembre 2008;
b) des augmentations de salaires pour les années 2006, 2007 et 2008, antérieurement à son congédiement;
c) le paiement d’une bonification additionnelle (« boni ») pour les années 2008 et 2009;
d) 50 000 $ à titre de dommages moraux; et
e) le remboursement de certaines dépenses engagées à la suite du congédiement.
[4] La réclamation totale de Me Perreault s’élève à 1 056 430,25 $, avant intérêts et indemnité additionnelle.
[5] Invoquant la confusion entre PG Inc. et PG s.e.n.c., de même que le soulèvement du voile corporatif, Me Perreault réclame une condamnation solidaire de l’ensemble des défendeurs (collectivement « PG »).
[6] Me Perreault obtient sa licence en droit en 1980 et une maîtrise en 1986. Elle est admise au Barreau du Québec en 1981.
[7] Elle débute sa pratique au sein du cabinet d’avocats Geoffrion & Prud'homme à titre de stagiaire puis d’avocate de 1981 à 1983, jusqu’à la dissolution du cabinet.
[8] Elle se joint ensuite au cabinet Leduc Leblanc où elle demeure pendant 18 ans. Elle est salariée de 1983 à 1990 et associée de 1990 à 2001, moment où le cabinet est dissout.
[9] À l’annonce de la dissolution de Leduc Leblanc en mars 2001, Me Perreault se met à la recherche d’une nouvelle position d’avocate dans le marché juridique montréalais. Au début mai 2001, elle répond ainsi à une annonce de PG s.e.n.c. qui paraît dans le Journal du Barreau.
[10] PG s.e.n.c. cherche alors à rebâtir une équipe de litige puisque le groupe qui y exerçait auparavant a récemment quitté en bloc pour former le cabinet Belleau Lapointe.
[11] À ce moment, Me Perreault possède déjà près de 20 ans d’expérience en litige civil et commercial et en droit de la responsabilité professionnelle. Elle jouit d’une bonne réputation à ce titre. Elle est une auteure prolifique, occupe une charge de cours à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et offre de la formation permanente à ses pairs sur de nombreux sujets liés à la pratique du droit.
[12] Me Perreault se joint à PG s.e.n.c. le 14 mai 2001 à titre d’avocate conseil contractuelle.
[13] Son contrat d’engagement prévoit les modalités selon lesquelles elle reçoit des honoraires de consultation.
[14] Hormis les honoraires de consultation qu’elle touche aux termes du contrat, il y est stipulé que Me Perreault n’a « pas le droit de participer dans les actifs et/ou les profits du Cabinet de quelque manière que ce soit ».
[15] Le contrat prévoit également le versement d’avances périodiques à Me Perreault de 5 000 $ deux fois par mois, pour un total annuel de 120 000 $.
[16] Par la suite, compte tenu d’amendements à la règlementation des cabinets d’avocats, le cabinet s’incorpore. Les parties conviennent alors que Me Perreault sera embauchée comme avocate salariée de PG Inc. à compter du 1er janvier 2005.
[17] Me Perreault et PG Inc. signent un contrat de travail à durée indéterminée.
[18] La rémunération de base est établie à 150 000 $. Me Perreault a également droit à une prime de performance qui tient compte de « votre performance personnelle au cours du dernier exercice complet du Cabinet et de la performance générale du cabinet durant cette même période ». En sus, le cas échéant, Me Perreault touche 10 % des honoraires facturés et perçus aux clients qu’elle introduit auprès de PG Inc.
[19] Le nouveau contrat prévoit finalement une clause remorque quant aux honoraires à pourcentage auxquels Me Perreault a droit pour les clients qu’elle aurait introduits auprès de PG s.e.n.c. avant l’incorporation de PG Inc., lesquels pourcentages s’élèvent à 20 % ou 50 %, selon le cas :
1. À compter du 1er janvier 2005, vous travaillerez dorénavant pour la Compagnie Paquette Gadler Inc. et ni vous ni la Société Paquette Gadler s.e.n.c. n'aura d'obligation envers l'autre sauf en ce qui concerne l'obligation de la Société Paquette Gadler s.e.n.c. de vous payer les Honoraires à Pourcentages, tel que cette expression était définie dans votre Lettre d'Entente avec la Société Paquette Gadler s.e.n.c., relativement au dossier que vous auriez pu introduire à la Société Paquette Gadler s.e.n.c. […]
(sic)
[20] Le cabinet PG est un petit cabinet boutique, n’ayant à son service, outre ses deux associés fondateurs Me Paquette et Me Gadler, qu’entre un et trois avocats salariés, selon les périodes. Les relations professionnelles entre les membres du cabinet sont donc des relations de proximité et le travail s’effectue en collégialité.
[21] La relation professionnelle entre Me Perreault et Me Paquette se développe bien pendant les premières années mais des tensions commencent à se faire sentir en 2006, lesquelles s’accentuent au cours de l’année 2007.
[22] À ce moment, Me Perreault a l’impression qu’on ne veut plus d’elle et qu’on cherche à l’écarter. Elle sollicite une augmentation de ses émoluments, ce qu’elle n’obtient pas. Un différend survient également quant à l’application de la clause remorque prévue dans son contrat d’emploi relativement aux honoraires à pourcentage auxquels elle a droit. Ce différend sera réglé, mais non pas sans laisser une certaine amertume de part et d’autre. Me Perreault est démotivée et devient méfiante. Malgré des tentatives pour rétablir les ponts à l’automne 2007, la relation continue à se détériorer. Me Perreault admet à l’audience que la bonne entente n’existait tout simplement plus.
[23] Un événement déterminant se produit au début de 2008 alors que Me Perreault et Me Paquette divergent d’opinion quant à l’orientation à donner à un dossier et quant à la recommandation devant être formulée au client. À l’occasion d’une rencontre avec ce client, Me Perreault fait part au client de son opinion. Elle sait avant même la tenue de la réunion que cette situation créera un profond malaise puisqu’elle prend la précaution de demander à un jeune avocat, qui n’est pas autrement impliqué dans le dossier, d’assister à la réunion afin de prendre des notes détaillées. À l’évidence, cet événement marque un point de non-retour quant à la qualité de la relation professionnelle entre Me Paquette et Me Perreault.
[24] Me Perreault est formellement avisée de son congédiement le 11 février 2008 à l’occasion d’une rencontre de courte durée en présence de Me Paquette et Me Gadler.
[25] Comme motif de congédiement, Me Paquette se fait avare de commentaires lors de la rencontre mais explique à Me Perreault qu’il n’y a tout simplement plus de magie entre eux et qu’ils ne semblent plus en accord sur les stratégies et les orientations à donner à certains dossiers.
[26] Malgré le choc que lui occasionne l’annonce de son congédiement, Me Perreault confirme que la rencontre est courtoise.
[27] Le congédiement est confirmé par écrit le 14 février 2008. La lettre de congédiement indique que Me Perreault doit quitter définitivement le cabinet au plus tard le 31 décembre 2008 et qu’elle continuera de recevoir son salaire de base jusqu’au moment de son départ.
[28] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :
a) la durée du délai de congé de 10 ½ mois est-elle raisonnable?
b) Me Perreault a-t-elle droit à des augmentations de salaire pour les années 2006 à 2008?
c) Me Perreault a-t-elle droit à des bonis pour les années 2008 et 2009?
d) Me Perreault a-t-elle droit à des dommages moraux?
e) Me Perreault a-t-elle droit au remboursement de certaines dépenses engagées à la suite du congédiement?
f) y a-t-il confusion entre les défendeurs justifiant leur condamnation solidaire?
[29] Il est établi que lorsqu’un contrat d’emploi est à durée indéterminée, les parties peuvent y mettre fin unilatéralement et sans motif sérieux, à condition de donner à l’autre partie un préavis ou délai de congé raisonnable[2]. Les articles 2091 et 2094 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») le stipulent clairement :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.
2094. Une partie peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le contrat de travail.
[30] Ici, les parties conviennent que le contrat d’emploi de Me Perreault est à durée indéterminée et que le congédiement est fait sans cause. Il faut donc se pencher sur le caractère raisonnable du préavis de fin d’emploi.
[31] La lettre de congédiement du 14 février 2008 indique que Me Perreault doit avoir quitté définitivement le cabinet à la fin de l’année 2008. Me Perreault affirme que lors de la rencontre du 11 février 2008, Me Paquette lui dit de prendre tout son temps pour se trouver un emploi comparable, suggérant que la durée du préavis serait indéfinie. Cela est invraisemblable. À tout événement, la lettre du 14 février remise trois jours plus tard est sans équivoque à cet égard.
[32] Le Tribunal retient donc que le préavis débute officiellement le 14 février 2008 pour se terminer le 31 décembre 2008 et la durée du préavis de fin d’emploi octroyé à Me Perreault est de 10 ½ mois.
[33] La question est de savoir si ce préavis est suffisant.
[34] Les arguments de Me Perreault à ce titre sont de deux ordres.
[35] Premièrement, elle reproche à PG de l’avoir contrainte à travailler durant le préavis de fin d’emploi et évoque le contexte émotif difficile dans lequel elle a dû livrer sa prestation de travail. Elle cite en exemple le comportement distant de Me Paquette à son endroit, le retrait de son profil du site Internet du cabinet et certaines remarques désobligeantes qu’il lui a faites sur sa vie personnelle. Ces remarques visent notamment le différend matrimonial de Me Perreault avec son ex-conjoint et la conduite d’un dossier en matière de bail commercial impliquant sa sœur. Me Perreault soumet que l’ensemble de ces circonstances la justifie de requérir un délai de congé plus long.
[36] Ces événements doivent être examinés sous l’angle de la faute extracontractuelle ou des dommages moraux plutôt qu’à titre de motifs pour prolonger la durée du délai de congé. En effet, il ne faut pas confondre les objectifs du délai de congé avec ceux de la compensation d’un dommage subi[3] :
[…] nous croyons qu’il serait pour le moins étrange d’assujettir la durée d’un délai de congé, qui a pour objectif premier de permettre au salarié de se trouver un nouveau travail tout en demeurant employé, à des circonstances qui pourraient justifier l’octroi de dommages pour abus de droit! Il y aurait là contradiction dans les objectifs recherchés.
[37] Le Tribunal abordera donc ces éléments dans le cadre de la question des dommages moraux.
[38] Deuxièmement, prenant appui plus directement sur l’article 2091 C.c.Q., Me Perreault plaide que le délai de congé est clairement insuffisant compte tenu notamment de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
[39] Afin d’apprécier le caractère raisonnable d’un délai de congé, le Tribunal doit tenir compte des circonstances de chaque cas. L’évaluation du délai de congé raisonnable est une question de faits que le Tribunal analyse à partir d’un certain nombre de paramètres établis en jurisprudence[4] :
[52] En guise de rappel théorique, je propose de revenir en premier lieu sur la vocation indemnitaire du délai-congé, lequel a pour but, en ce qui concerne l'employé, « de lui permettre d'avoir un temps raisonnable pour se retrouver un emploi [équivalent] sans encourir de perte économique ». Ceci ne signifie pas que le délai-congé doit équivaloir au temps requis pour se replacer sur le marché du travail. Le délai-congé doit s'apprécier également au regard du droit de l'employeur de mettre fin au contrat de travail, lequel droit pourrait être compromis si le délai-congé octroyé est trop long.
[53] L'article 2091 C.c.Q. parle plutôt d'un délai raisonnable, chaque cas étant un cas d'espèce devant être évalué en fonction des différents critères énumérés à cet article et développés par la jurisprudence. Les plus souvent invoqués sont les suivants :
▪ la nature et l'importance du poste occupé par l'employé, l'idée étant que plus le poste sera important, plus le délai-congé sera long;
▪ le nombre d'années de service de l'employé. Plus ce dernier sera ancien dans l'entreprise, plus le délai-congé sera long;
▪ l'âge de l'employé. Plus l'employé sera âgé, plus on présume qu'il lui faudra du temps pour se replacer sur le marché du travail et plus son délai-congé sera long;
▪ les circonstances ayant mené à son engagement. Un employé, par exemple, qui est sollicité et qui laisse un emploi rémunérateur et certain aura droit à un délai-congé plus long que celui qui est sans emploi ou dont l'emploi est incertain;
▪ la difficulté de se trouver un emploi comparable. Plus cette difficulté sera grande, plus le délai-congé sera long.
[54] Chose fondamentale à ne pas oublier, aucun de ces critères ne doit être examiné isolément. C'est dans une perspective globale qu'ils doivent être pris en compte, ce qui constitue un délai-congé raisonnable étant « essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce ».
(citations omises)
[40] L’absence de motifs sérieux de congédiement n’est pas un facteur pertinent puisqu’il s’agit d’un droit prévu à l’article 2091 C.c.Q.[5]
[41] Le juge Baudouin rappelle dans Standard Broadcasting Corporation Ltd. c. Stewart qu’il faut chercher un équilibre entre la durée requise pour que l’employé se retrouve une occupation lucrative et le respect du droit de congédiement de l’employeur[6] :
Le délai-congé doit être suffisamment long pour permettre à l’employé de retrouver une occupation lucrative, mais pas long au point de rendre illusoire l’exercice même du droit de congédiement de l’employeur.
[42] Me Perreault est avocate, œuvrant essentiellement en litige civil et commercial général.
[43] Quoique le cabinet PG vise une niche particulière en matière de litige entre actionnaires, la pratique de Me Perreault y est diversifiée et comprend, outre les litiges civils et commerciaux, le droit professionnel et disciplinaire de même que les actions collectives.
[44] Le Tribunal retient que Me Perreault n’occupe pas un emploi dans un sous-secteur spécialisé, mais fait plutôt preuve d’une certaine polyvalence dans l’exercice de la profession d’avocate.
[45] Ce facteur milite en faveur d’un délai de congé plus court que long.
[46] Le nombre d’années de service est un facteur important à considérer en vue de déterminer le caractère raisonnable d’un délai de congé.
[47] En l’espèce, Me Perreault a été au service de PG s.e.n.c. à titre de contractuelle du mois de mai 2001 au 31 décembre 2004, c.-à-d. pendant 3 ans et 7 mois, puis de salariée de PG Inc. du 1er janvier 2005 jusqu’à son congédiement, c.-à-d. pendant 3 ans et 2 mois, pour un total de 6 ans et 9 mois.
[48] Même si PG estime qu’elle aurait pu se limiter à considérer uniquement la période durant laquelle Me Perreault était véritablement salariée, elle plaide que la durée du délai de congé octroyé est raisonnable même en considérant la totalité de la période de 6 ans et 9 mois.
[49] D’ailleurs, c’est la durée totale qui a guidé sa décision quant à la durée du délai de congé octroyé dans les faits. En effet, dans un courriel du 19 février 2009, Me Paquette écrit ce qui suit à Me Perreault :
[…] Cette documentation confirme quant à nous qu’un préavis d’un (1) mois et demi ½ par année de services est très raisonnable et conforme aux meilleurs standards applicables en l’instance.
(sic)
[50] Par ailleurs, durant la période pendant laquelle elle était contractuelle, Me Perreault était néanmoins au service exclusif de PG Inc.
[51] Dans les circonstances, aux fins des présentes, le Tribunal retient que la durée de service de Me Perreault est de 6 ans et 9 mois. Il n’est pas nécessaire de trancher la question de savoir si la durée pendant laquelle une personne est sujette à un contrat de service avant de devenir salariée doit être comprise dans le calcul de la durée de service d’un employé.
[52] La durée de service de Me Perreault est importante, mais ce facteur, à lui seul, ne peut justifier un délai de congé qui se rapproche des durées maximales de 24 mois que l’on retrouve en jurisprudence.
[53] La jurisprudence a tendance à accorder un délai de congé plus long lorsque l’employé congédié sans cause est dans la quarantaine ou la cinquantaine et justifie plusieurs années de service. En revanche, l’âge peut revêtir une importance moins considérable lorsque l’employé ne justifie pas plusieurs années de service[7].
[54] Par ailleurs, le nombre d’années d’expérience dans un domaine en particulier ne doit pas être confondu avec le nombre d’années de service auprès de l’employeur en cause[8].
[55] Me Perreault a 48 ans au moment de son congédiement. Elle n’est ni au début, ni en fin de carrière, quoiqu’elle ait dépassé le cap de la mi-carrière. À la lumière de son cheminement professionnel, elle possède des bases solides et peut se présenter comme une avocate sénior d’expérience.
[56] En somme, elle est au sommet de sa carrière et se retrouve sur un plateau qui peut encore durer de nombreuses années, ce qui milite en faveur d'un délai de congé plus court que long[9].
[57] Au moment où Me Perreault se joint à PG s.e.n.c., elle est à la recherche d’un poste d’avocate puisque son ancien cabinet dont elle était associée se dissout. À ce moment, elle a peu de clientèle lucrative.
[58] Pour sa part, PG s.e.n.c. est à la recherche d’une avocate pour établir et diriger une équipe de litige puisqu’elle a décidé de développer une niche qui lui paraît alors prometteuse, soit le litige entre actionnaires.
[59] Me Perreault ne quitte donc pas un emploi certain et rémunérateur pour se joindre à PG s.e.n.c. Au contraire, elle est en situation de besoin et PG s.e.n.c. lui offre une opportunité qu’elle recherche depuis un certain temps. Même si elle était auparavant associée de son cabinet, elle accepte volontairement et en toute connaissance une position plus précaire d’avocate contractuelle. Chacun y trouve son compte.
[60] Par ailleurs, quoique Me Perreault se joigne au cabinet à titre d’avocate conseil contractuelle, dans une perspective de marketing, il est décidé de publiciser son arrivée comme étant celle d’une « associée-responsable de la section litige » du cabinet. Cette décision purement commerciale ne change pas la nature contractuelle de leur relation.
[61] Tant PG s.e.n.c. que Me Perreault souhaitent que cet engagement soit à long terme et il est même envisagé que Me Perreault devienne un jour associée, ce qui n’est pas inhabituel dans le domaine juridique.
[62] Aucune promesse n’est toutefois faite en ce sens et on ne peut reprocher à l’une ou l’autre des parties le fait que leur relation professionnelle n’ait pas évolué dans la direction souhaitée.
[63] Les circonstances de l’engagement de Me Perreault militent ainsi en faveur d’un délai de congé plus court que long.
[64] Ce facteur n’exige pas qu’un poste analogue soit nécessairement disponible ni que la durée du délai de congé corresponde au temps requis pour se retrouver une occupation lucrative[10].
[65] Ainsi, le fait que Me Perreault n’ait pas retrouvé un emploi analogue à la date de la fin du délai de congé au 31 décembre 2008 n’est pas déterminant.
[66] S’il fallait retenir cette approche, on en viendrait à rendre illusoire l’exercice par l’employeur de son droit de mettre fin à un contrat d’emploi en lui imposant dans tous les cas de payer son ex-employé jusqu’à ce que cette personne se trouve un autre emploi.
[67] Par ailleurs, un poste analogue ne signifie pas un poste identique, mais doit plutôt se comprendre comme signifiant la possibilité pour Me Perreault d’obtenir un emploi dans le domaine juridique qui corresponde à son expérience, sa formation et ses compétences.
[68] Me Perreault met beaucoup d’emphase à l’audience sur la difficulté pour une avocate d’expérience de se bâtir une clientèle. Or, cette réalité, qui est le propre de tout avocat œuvrant en pratique privée et à laquelle elle était aussi confrontée lorsque son cabinet antérieur s’est dissout en 2001 avant qu’elle ne se joigne à PG s.e.n.c., ne peut à elle seule justifier un délai de congé plus long.
[69] En l’espèce, tenant compte de ces considérations, le Tribunal estime qu’il était possible pour Me Perreault d’obtenir un poste analogue pendant la durée du délai de congé octroyé.
[70] Dans l’ensemble, en regard de chacun des facteurs pertinents considérés globalement, le Tribunal est d’avis que la durée du délai de congé accordé à Me Perreault est suffisante.
[71] La présente se distingue des situations citées par Me Perreault où des délais pouvant aller jusqu’à 24 mois ont été octroyés. Il n’est pas nécessaire de relater les circonstances de chacune des nombreuses décisions citées par Me Perreault puisque chaque cas est un cas d’espèce. Néanmoins, il convient de rappeler que ce n’est qu’exceptionnellement qu’un délai de congé pourra aller jusqu’à 24 mois lorsque l’employeur exerce son droit de mettre fin sans motif à un contrat d’emploi à durée indéterminée comme en l’espèce[11].
[72] Le Tribunal souligne notamment que dans l’affaire Allstate du Canada c. Daunais[12], la Cour d’appel juge que le délai de congé de 18 mois offert par l’employeur est raisonnable alors que l’employée, âgée de 52 ans, justifie plus de 32 ans de service auprès de l’entreprise.
[73] Dans l’affaire Trudeau c. Pépin, Létourneau[13], la Cour octroie un délai de congé de 24 mois à l’employée alors que cette dernière a été au service de l’employeur depuis plus de 30 ans, y ayant débuté son emploi à l’âge de 17 ans, et qu’il est acquis qu’elle ne pourrait probablement jamais retrouver un emploi lui procurant le même revenu et les mêmes avantages.
[74] Dans l’affaire Aksich c. Canadian Pacific Railway[14], l’employé justifie plus de 27 ans d’ancienneté et est âgé de 51 ans. Il avait accepté cet emploi à la suite de représentations lui laissant croire que son avenir professionnel y était assuré. La Cour d’appel accorde un délai de congé de 24 mois en soulignant qu’il se situe à la limite supérieure du spectre des possibilités raisonnables.
[75] Dans l’affaire Hemens c. Sigvaris Corp.[15], l’employée compte plus de 17 années de service et était à la source du succès de son employeur au Canada, sa locomotive. Il est également acquis qu’elle ne pourra se retrouver un emploi comparable en raison d’une maladie dont les symptômes ont commencé à se faire sentir pendant la durée de son délai de congé. La Cour d’appel souligne que le 21 mois de délai de congé octroyé se situe dans la limite supérieure dans l’échelle des délais de congé raisonnables pouvant être octroyés.
[76] Dans Musitechnic Services Éducatifs Inc. c. Ben-Hamadi[16], même si la Cour d’appel n’intervient pas pour modifier le préavis de 18 mois accordé par la juge de première instance, le juge Dalphond estime que considérant les années de service de l'intimé (près de 8 ans), son âge (début de la quarantaine), son champ d'expertise, sa bonne réputation dans le domaine de l'enseignement privé et son poste de cadre supérieur, un préavis de 10 à 12 mois aurait normalement été suffisant.
[77] Ces situations se démarquent de l’espèce et ne peuvent s’y assimiler. Le délai de congé de 28 mois réclamé ici par Me Perreault suppose que son cas soit parmi l’un des plus graves dans les annales judiciaires, conclusion que ne supporte aucunement la preuve.
[78] Le Tribunal retient également que PG s’est assurée que Me Perreault avait suffisamment de temps à sa disposition pour chercher un autre emploi[17]. En effet, même si elle recevait son plein salaire pendant la durée du délai de congé, elle a dans les faits assumé environ la moitié de sa prestation habituelle de travail, et ce, du consentement de son employeur[18].
[79] Le contrat d’emploi de Me Perreault prévoit que sa rémunération de base est établie à 150 000 $ pour l’année 2005 et qu’elle « sera révisée pour les années subséquentes en tenant compte des politiques du Cabinet et de votre performance personnelle ».
[80] Or, le salaire de base de Me Perreault est demeuré inchangé pour les années 2006, 2007 et 2008[19] alors qu’un autre employé de la firme voit pour sa part son salaire augmenter entre 2007 et 2008.
[81] Me Perreault en tire la conclusion qu’elle a été injustement traitée et que PG Inc. l’a privée des augmentations de salaires auxquelles elle avait droit pour ces trois années.
[82] Elle réclame une augmentation de 10 % pour chacune des années 2006 et 2007, à savoir respectivement 15 000 $ et 16 500 $, et une augmentation de 16 500 $ pour 2008, pour un total de 48 000 $.
[83] L’autre employé auquel Me Perreault se compare est un jeune avocat ayant été reçu au Barreau en 2007. Son salaire est augmenté de 8 000 $ en 2008 lors de sa première année complète à titre d’avocat. Comme l’explique Me Paquette, il est notoire que le salaire des jeunes avocats en début de pratique augmente à un rythme plus régulier que celui d’un avocat de plus de 20 ans d’expérience.
[84] Le Tribunal ne peut ainsi retenir la proposition de Me Perreault qui compare son évolution à celle de ce jeune avocat pour en tirer une inférence négative.
[85] Le Tribunal ne dispose par ailleurs d’aucune autre preuve concernant les politiques du cabinet relativement aux augmentations de salaire pouvant être consenties. Au contraire, hormis le jeune avocat en question, aucun autre avocat salarié du cabinet n’a obtenu d’augmentation de salaire entre 2006 et 2008.
[86] La réclamation de Me Perreault à ce titre est donc rejetée.
[87] Il est reconnu que l'indemnité tenant compte du délai de congé à laquelle un employé congédié a droit doit être déterminée sur la rémunération totale de l'employé, comprenant le salaire de base et les autres avantages et bénéfices financiers rattachés à son emploi[20].
[88] Le contrat applicable du 14 mai 2001 au 31 décembre 2004 relativement au mandat de Me Perreault à titre d’avocate conseil contractuelle ne prévoit pas le paiement de bonis.
[89] Quant au contrat d’emploi applicable à compter du 1er janvier 2005, outre le traitement de base, on y prévoit la possibilité d’un boni en ces termes :
En supplément de votre Rémunération de Base, vous aurez droit de recevoir une prime de performance annuelle (la « Prime de Performance ») qui tiendra compte de votre performance personnelle au cours du dernier exercice complet du Cabinet et de la performance générale du cabinet durant cette même période. Le cas échéant, la Prime de Performance vous sera payée dans les 90 jours du début de l’année suivante.
[90] Il est admis que Me Perreault n’a reçu aucun boni à titre d’employée à compter du 1er janvier 2005. Me Perreault admet également qu’elle ne connaît pas la formule ni les critères utilisés pour le versement de quelque boni antérieur que ce soit.
[91] Néanmoins, elle se livre à un exercice visant à faire une comparaison entre la rétribution qu’elle a reçue antérieurement au 1er janvier 2005 et les honoraires perçus en 2002 et 2004 par PG s.e.n.c. en regard de trois dossiers d’envergure.
[92] Selon ses calculs, elle en déduit qu’elle a reçu en 2002 et en 2004 des bonis représentant entre 10 % et 15 % des honoraires perçus dans ces trois dossiers, à savoir un boni de 50 000 $ en 2002 et deux bonis en 2004, l’un de 150 000 $ et l’autre de 300 000 $.
[93] Se fondant sur cet historique, elle réclame des bonis correspondant à 10 % des honoraires perçus en 2008 et en 2009 en regard de deux autres dossiers d’envergure. Le boni réclamé pour 2008 est d’environ 300 000 $. Celui réclamé pour 2009 est de 350 000 $. À l’audience, à l’occasion de sa contre-preuve, Me Perreault amende sa réclamation et le mode de calcul quant à l’établissement des bonis réclamés. Elle demande maintenant 251 356 $ pour le dossier terminé en 2008 et 364 390 $ pour le dossier terminé en 2009. Elle ajoute par ailleurs une demande de boni de 81 604 $ pour un troisième dossier, également terminé en 2009.
[94] PG admet avoir octroyé deux bonis à Me Perreault en 2004, à savoir l’un de 50 000 $ et l’autre de 108 830 $. PG soumet toutefois qu’il s’agit de versements discrétionnaires pour tenir compte du succès lié à deux dossiers en particulier dont les honoraires ont été perçus en 2004. PG n’a pas retrouvé la trace du paiement de quelque boni que ce soit en 2002 et n’en a aucun souvenir.
[95] Le Tribunal est d’avis que Me Perreault n’a pas droit à un boni pour les années 2008 et 2009.
[96] D’abord, un changement important survient en 2005 alors que Me Perreault, qui était jusqu’alors contractuelle auprès de PG s.e.n.c., devient une employée salariée de PG Inc. Le contrat d’emploi de Me Perreault établit de nouvelles modalités de rémunération et la méthode utilisée antérieurement au 1er janvier 2005 ne peut tout simplement être transposée dans la nouvelle réalité contractuelle des parties.
[97] À compter de 2005, Me Perreault est assujettie à un contrat d’emploi qui prévoit spécifiquement le paiement de bonis, ce qui n’était pas le cas auparavant. Malgré cela, de 2005 jusqu’au moment de son congédiement le 11 février 2008, aucun boni n’est versé à Me Perreault.
[98] Elle ne peut donc s’appuyer sur la pratique passée pour réclamer des bonis pour les années 2008 et 2009.
[99] Mais il y a plus. Le contrat d’emploi de Me Perreault prévoit que le boni qui peut être versé le sera en tenant compte de la performance de Me Perreault et de celle du Cabinet[21] « au cours du dernier exercice complet ». Ainsi, c’est à tort que Me Perreault se réfère aux honoraires importants ayant pu être perçus en 2008 et 2009 dans certains dossiers pour justifier son droit à un boni pour ces années. Le droit à un boni pour l’année 2008 doit plutôt prendre en compte la performance de 2007, et ainsi de suite.
[100] Or, la preuve ne permet pas de conclure que la performance de Me Perreault et du Cabinet en 2007 justifiaient l’attribution d’un boni en 2008. Il en est de même pour sa performance en 2008, l’année du congédiement.
[101] Ne serait-ce qu’au chapitre des heures facturables et sans remettre en cause que cette performance était justifiée par les circonstances, en 2007, Me Perreault effectue un peu moins de 1 500 heures facturables, et ce, contrairement à son rythme habituel d’environ 1 800 à 2 000 heures facturables annuellement. En 2008, elle effectue un peu plus de 700 heures facturables.
[102] Au surplus, en ce qui a trait au boni réclamé pour 2009, comme le Tribunal retient que la période du délai de congé se terminant le 31 décembre 2008 est raisonnable, la réclamation pour un boni en 2009 ne peut de toute manière être retenue puisque Me Perreault n’est plus employée en 2009 et le droit au boni se cristallise dans l’année en cours tenant compte de la performance de l’année antérieure.
[103] Compte tenu de ce qui précède, il ne serait pas nécessaire de déterminer si les bonis versés en 2002 et 2004 totalisent 500 000 $ comme le plaide Me Perreault ou 158 830 $ comme le soutient PG. Mais si cela était nécessaire, le Tribunal retient plutôt les explications de PG à cet égard, lesquelles sont appuyées par une preuve documentaire et financière crédible et fiable contrairement aux hypothèses non vérifiées de Me Perreault. Cette dernière a d’ailleurs admis ne pas s’être intéressée à l’époque aux modalités de sa rétribution et ne pas comprendre les relevés qui lui étaient régulièrement remis par le service de comptabilité du cabinet pour l’expliquer. Son changement de cap lors de la contre-preuve quant à sa façon de calculer le boni auquel elle prétend avoir droit en est d’ailleurs un exemple éloquent.
[104] Le calcul et la méthode élaborés par Me Perreault à l’audience ne correspondent tout simplement pas à la réalité contractuelle des parties.
[105] En effet, selon le contrat applicable avant le 1er janvier 2005, les honoraires de consultation auxquels Me Perreault a droit sont variables et sont établis en multipliant différents taux de pourcentage par les honoraires nets perçus par PG s.e.n.c. auprès des clients. La formule est la suivante :
taux de pourcentage x honoraires nets perçus = honoraires de consultation
[106] Le taux de pourcentage applicable pour un dossier donné varie de 20 % à 50 %. Il dépend essentiellement de deux variables, à savoir qui introduit le client au cabinet et qui lui offre des services.
[107] Aux fins du calcul des honoraires de consultation, toute prime facturée à un client sur les travaux en cours (communément appelée un mark up) est considérée comme étant des honoraires nets au moment où cette prime est perçue et le taux de pourcentage s’applique également à ce mark up.
[108] PG a produit à l’audience les relevés de compte de l’ensemble des clients concernés, y compris les honoraires facturés et perçus et le détail des heures facturées par chacun des avocats ayant œuvré dans ces dossiers, dont par Me Perreault.
[109] Cette preuve documentaire et les explications fournies par Me Paquette convainquent le Tribunal que la différence entre les montants soumis par Me Perreault et ceux admis par PG quant aux bonis reçus en 2002 et 2004 correspond tout simplement aux honoraires de consultation auxquels Me Perreault a droit au terme du contrat signé en mai 2001, non pas à un boni.
[110] En somme, Me Perreault ne peut non plus s’appuyer sur la pratique passée pour exiger que la méthode de rémunération antérieure s’applique postérieurement au 1er janvier 2005.
[111] Plus particulièrement, quant au mode de rémunération, le nouveau contrat d’emploi précise que la seule modalité du contrat antérieur qui est continuée concerne les honoraires de consultation payables relativement aux clients que Me Perreault a introduits au cabinet antérieurement au 1er janvier 2005, ce qui n’est pas le cas pour les clients visés par sa réclamation de bonis :
1. À compter du 1er janvier 2005, vous travaillerez dorénavant pour la Compagnie Paquette Gadler Inc. et ni vous ni la Société Paquette Gadler s.e.n.c. n'aura d'obligation envers l'autre sauf en ce qui concerne l'obligation de la Société Paquette Gadler s.e.n.c. de vous payer les Honoraires à Pourcentages, tel que cette expression était définie dans votre Lettre d'Entente avec la Société Paquette Gadler s.e.n.c., relativement au dossier que vous auriez pu introduire à la Société Paquette Gadler s.e.n.c. De plus, vous vous engagez à garder strictement confidentiel et à ne pas dévoiler à personne tous renseignements dont vous pourriez avoir obtenu connaissance dans le cadre de votre emploi au près de la Société Paquette Gadler s.e.n.c.
[…]
Vous convenez finalement que n'aurez le droit à aucune compensation ou indemnité quelqu'elle soit lors de la terminaison de votre emploi auprès du Cabinet pour les clients que vous aurez introduit au Cabinet autre que de vous faire payer les Honoraires à Pourcentage pour les services qui auront été rendus à ces clients jusqu'à la date de terminaison votre emploi auprès du Cabinet lorsque ceux-ci auront été collectés et ce, nonobstant le fait que cette terminaison soit due à notre décision ou à la vôtre.
(sic)
[112] Me Perreault plaide que PG a contrevenu à son obligation d’agir de bonne foi et réclame, en conséquence, l’octroi de dommages moraux de 50 000 $. Les manquements reprochés à PG concernent :
a) le refus de PG de négocier un montant global de fin d’emploi;
b) le contexte émotif difficile dans lequel elle a dû livrer sa prestation de travail pendant la durée du délai de congé; et
c) certains événements survenus pendant la durée du délai de congé.
[113] D’abord, le Tribunal ne peut faire droit à la prétention de Me Perreault voulant que PG aurait dû négocier son départ immédiat avec compensation financière plutôt que de la contraindre à travailler durant le préavis de fin d’emploi. Y faire droit reviendrait à nier le droit de l’employeur de se prévaloir de l’article 2091 C.c.Q.
[114] En effet, lorsqu’il décide de congédier un employé, l’employeur peut, à son choix, donner un délai de congé pendant lequel l’employé continue de travailler ou, s’il décide de ne pas donner un délai de congé, mais de mettre fin au contrat de façon immédiate, verser à l’employé une indemnité équivalente au délai de congé raisonnable[22].
[115] La preuve ne supporte pas la prétention de Me Perreault voulant que PG se soit prévalue de ce droit de façon abusive.
[116] Au contraire, PG a octroyé un délai de congé à Me Perreault que le Tribunal juge raisonnable. Au surplus, PG a fait preuve de souplesse quant à la prestation de travail de Me Perreault alors que cette dernière a livré, en termes d’heures facturables, moins que la moitié de sa prestation usuelle durant la période du délai de congé. PG a aussi accepté qu’elle effectue du développement de clientèle à son propre compte alors qu’elle était encore en principe à son emploi.
[117] Le Tribunal estime que loin d’avoir abusé de son droit, PG a fait preuve d’un comportement tout à fait juste dans les circonstances.
[118] Par ailleurs, la perte d’un emploi est toujours un événement traumatisant et elle est souvent la cause de séquelles morales, de vexations et de troubles émotifs[23].
[119] En l’absence de mauvaise foi, de faute intentionnelle ou d’un abus de droit, le traumatisme découlant de la perte d’un emploi ne peut donner ouverture à des dommages.
[120] Certains événements additionnels sont également évoqués par Me Perreault pour justifier sa réclamation.
[121] Elle reproche ainsi à PG d’avoir retiré son profil du site Internet du cabinet à la fin de l’automne 2008. PG avoue qu’il s’agit d’un geste indélicat et soumet qu’il résulte d’une inadvertance dans le cadre du remaniement du site Internet de la firme.
[122] Les parties n’ont pu situer la date précise de cet événement, mais conviennent qu’il est survenu près de la fin du délai de congé, en octobre ou novembre 2008. Or, à ce moment, Me Perreault est à la recherche d’une autre position depuis un certain temps. Dès mars 2008, elle sollicite déjà de nombreuses personnes, tant dans le domaine juridique que dans le monde des affaires. S’il en est, le fait qu’elle quitte PG est un secret de polichinelle.
[123] Ainsi, quoique le Tribunal reconnaisse que cet événement ait pu blesser Me Perreault et qu’il était imprudent, il ne constitue pas une faute civile donnant ouverture à l’octroi de dommages.
[124] Il en est de même pour deux remarques désobligeantes de Me Paquette dont Me Perreault se plaint. Quant à la première remarque, Me Paquette a commenté de façon péjorative les procédures engagées par Me Perreault dans le cadre du différend matrimonial l’opposant à son ex-conjoint. À ce moment, quant à sa situation personnelle, Me Perreault est divorcée et elle a la garde de ses deux enfants.
[125] Quant à la deuxième remarque, alors qu’ils avaient une vision différente quant à l’orientation à donner à un dossier de nature commerciale dont la cliente était la sœur de Me Perreault, Me Paquette dit à Me Perreault qu’elle ne veille pas correctement aux intérêts de sa sœur.
[126] À l’audience, Me Paquette dit regretter ces deux remarques et être conscient du fait qu’il aurait dû être plus respectueux.
[127] Il les situe toutefois dans le contexte où Me Perreault et lui-même avaient alors une relation ouverte et franche et ils discutaient souvent à bâtons rompus, y compris sur des questions d’ordre personnel. En regard plus particulièrement de sa remarque visant le différend matrimonial de Me Perreault, Me Paquette explique que ces mots lui ont échappés dans le feu de la discussion alors que Me Perreault ne cessait de le questionner en vue de remettre en question la décision de la congédier.
[128] À nouveau, même si ces deux remarques étaient blessantes pour Me Perreault et n’auraient pas dû être formulées, le Tribunal estime qu’elles ne constituent pas une faute ni la manifestation d’un abus de droit donnant ouverture à des dommages.
[129] En terminant, le Tribunal constate que le véritable reproche de Me Perreault à l’endroit de PG est le fait de l’avoir congédiée. À l’audience et malgré le passage du temps depuis son congédiement, elle témoigne avec beaucoup d’émotivité et répète à plusieurs reprises ne pas comprendre et ne pouvoir accepter cette décision. Elle en veut manifestement à PG d’avoir bouleversé sa vie et de l’avoir rendue vulnérable. Même si sa peine et son désarroi peuvent se comprendre, le fait qu’aucun motif sérieux ne justifie l’exercice par l’employeur de son droit de résilier un contrat d’emploi n’est pas constitutif d’un abus de droit, sinon, on enlèverait tout sens aux articles 2091 et 2094 C.c.Q.[24]
[130] En somme, le Tribunal est d’avis que PG n’a commis aucun abus ou faute dans le cadre de la terminaison de l’emploi de Me Perreault. Particulièrement, sa décision n’a pas été motivée ni exercée avec malice, méchanceté, intention de nuire, malveillance ou négligence.
[131] Me Perreault réclame la somme de 7 033 $ pour diverses dépenses engagées à la suite du congédiement, à savoir des frais de consultation en psychologie (800 $), des frais de téléphonie cellulaire (1 800 $), des cotisations professionnelles (2 527 $) et des frais paramédicaux (1 905 $).
[132] Les services de consultation en psychologie ont été rendus entre les mois de février et juillet 2008 et les soins chiropratiques ont été reçus en septembre et décembre 2008. Quant aux autres dépenses, elles ont été faites en 2009.
[133] Comme le Tribunal retient que la période du délai de congé se terminant le 31 décembre 2008 est raisonnable, la réclamation pour les dépenses effectuées en 2009 doit être rejetée. En effet, Me Perreault n’a droit à aucune rétribution postérieurement au 31 décembre 2008.
[134] En ce qui concerne les consultations en psychologie et les soins chiropratiques, la preuve est silencieuse quant à savoir si le remboursement de tels services faisait partie des conditions de travail de Me Perreault et le Tribunal ne peut ainsi y faire droit.
[135] Par ailleurs, comme le Tribunal estime qu’aucune faute n’a été commise dans le cadre de la terminaison de l’emploi de Me Perreault, PG ne peut être tenue responsable de ces frais à titre de dommages.
[136] Compte tenu des conclusions du Tribunal, il n’est pas nécessaire de décider s’il y a confusion entre PG s.e.n.c. et PG Inc. ou si le voile corporatif doit être soulevé.
[137] PG indique dans sa défense qu’elle ne réclame pas de dépens (maintenant appelés frais de justice), ce qu’elle confirme à l’audience. Dans les circonstances, le Tribunal n’accorde pas de frais de justice.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[138] REJETTE la requête de la demanderesse, Chantal Perreault;
[139] SANS FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ CHANTAL CHATELAIN, J.C.S. |
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Me Céline Tessier |
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M. Valens Romila, stagiaire |
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Séguin Racine Avocats |
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Procureurs de Chantal Perreault |
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Me Pierre Latraverse |
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Latraverse Avocats Inc. |
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Procureurs de Guy Paquette, John A. Gadler, Paquette Gadler s.e.n.c. et Paquette Gadler Inc. |
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Dates d’audition : 23, 24, 25, 28 et 29 septembre 2015 |
[1] Le délai de congé réclamé s’ajoute au préavis de fin d’emploi reçu, de sorte que le délai de congé total réclamé par Me Perreault est de 28 mois, s’échelonnant du mois de février 2008 jusqu’au 30 juin 2010.
[2] Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., 2006 CSC 2, par. 171, motifs du juge LeBel, dissident sur une autre question.
[3] Georges AUDET et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2000, feuilles mobiles, à jour en décembre 2015, par. 5.2.3 et 5.2.10.
[4] Transforce inc. c. Baillargeon, 2012 QCCA 1495, par. 52-54. Voir également Georges AUDET et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2000, feuilles mobiles, à jour en décembre 2015, par. 5.2.8 et 5.2.9.
[5] IBM Canada ltée c. D.C., 2014 QCCA 1320, par. 34.
[6] Standard Broadcasting Corporation Ltd. c. Stewart, 1994 CanLII 5837 (QC CA), cité avec approbation par le juge Dalphond dans Musitechnic Services Éducatifs Inc. c. Ben-Hamadi, 2004 CanLII 3323 (QC CA), par. 74.
[7] Georges AUDET et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2000, feuilles mobiles, à jour en décembre 2015, par. 5.2.2.
[8] HMI Industries Inc. c. Santos, 2010 QCCA 606, par. 14-15.
[9] Transforce inc. c. Baillargeon, 2012 QCCA 1495, par. 61.
[10] Transforce inc. c. Baillargeon, 2012 QCCA 1495, par. 52; Bélanger c. Xerox Canada ltée, 2010 QCCS 2651, par. 56-57; Lauzon (Succession de) c. Gazaille, 2009 QCCS 5385, par. 84-86.
[11] Allstate du Canada c. Daunais, 2014 QCCA 586, par. 5; Aksich c. Canadien Pacific Railway, 2006 QCCA 931, par. 124.
[12] Allstate du Canada c. Daunais, 2014 QCCA 586.
[13] Trudeau c. Pépin, Létourneau, S. E. N. C., 2003 CanLII 34547 (QC CS).
[14] Aksich c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931.
[15] Hemens c. Sigvaris Corp., 2004 CanLII 42042 (QC CA).
[16] Musitechnic Services Éducatifs Inc. c. Ben-Hamadi, 2004 CanLII 3323 (QC CA), par. 76.
[17] Transforce inc. c. Baillargeon, 2012 QCCA 1495, par. 52. Georges AUDET et al., Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2000, feuilles mobiles, à jour en décembre 2015, par. 5.1.4.
[18] Au cours des années 2001 à 2006, Me Perreault effectue de 1 800 à 2 000 heures facturables annuellement. En 2007, elle effectue un peu moins de 1 500 heures facturables et, en 2008, elle effectue un peu plus de 700 heures facturables.
[19] Il convient toutefois de noter qu’aux termes de son contrat d’emploi, Me Perreault touche, en sus de son salaire de base, des honoraires à pourcentage découlant des honoraires perçus des clients qu’elle introduit au cabinet. Les honoraires touchés sont les suivants : 870 $ en 2006, 117 600 $ en 2007 et 2 360 $ en 2008.
[20] Transforce inc. c. Baillargeon, 2012 QCCA 1495, par. 72; Aksich c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931, par. 118 et 128.
[21] L’expression « le Cabinet » dans le contrat d’emploi est définie comme référant exclusivement à PG Inc. Ainsi, c’est également à tort que Me Perreault se réfère à la performance de PG s.e.n.c. pour justifier sa réclamation quant à des bonis pour les années 2008 et 2009.
[22] Une forme de compensation hybride peut également être octroyée.
[23] Wallace v. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 RCS 701, 1997 CanLII 332 (CSC), par. 95 et 103.
[24] Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329, par. 22.
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