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Éconauto (1985) ltée et Berger

2010 QCCLP 7753

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

Le 25 octobre 2010

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

418147-05-1008

 

Dossier CSST :

136125978

 

Commissaire :

François Ranger, juge administratif

 

Membres :

Nicole Girard, associations d’employeurs

 

Patrick Gauthier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Éconauto (1985) ltée

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Gilles Berger

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 24 août 2010, Éconauto (1985) ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 28 juillet 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par celle-ci, la CSST confirme sa décision initiale du 4 mai 2010 en déclarant que monsieur Gilles Berger (le travailleur) a subi, le 12 avril 2010, une lésion professionnelle.

[3]           Le 22 octobre 2010, en présence du travailleur, l’audience se déroule à Sherbrooke. De son côté, la représentante de l’employeur a soumis une argumentation écrite.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande de déclarer que le travailleur n’a pas été victime d’une lésion professionnelle.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Estimant que la chute du travailleur est due à la manifestation d’une condition personnelle, le membre issu des associations d’employeurs considère que la CSST a eu tort d’indemniser le travailleur.

[6]           S’étant blessé alors qu’il était au travail, le membre issu des associations syndicales pense que le travailleur a subi une lésion professionnelle.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           À l’époque pertinente, le travailleur occupe l’emploi d’homme de maintenance pour l’employeur.

[8]           Le 12 avril 2010, il s’affaire à effectuer le ménage d’une remise. À un moment donné, il explique que tout devient noir et qu’il perd conscience. Quand il retrouve ses sens, il est au sol et blessé à la tête.

[9]           Peu après, il consulte un médecin qui diagnostique un « trauma crânien mineur » et des abrasions au nez.

[10]        À l’audience, le travailleur dit n’avoir jamais vécu un épisode semblable. Il pense qu’une chute de pression ou qu’un effet secondaire à un médicament explique sa perte de conscience.

[11]        Le 19 avril 2010, il recommence à exercer ses occupations professionnelles usuelles.

[12]        Le 4 mai 2010, en fonction des diagnostics de « trauma crânien mineur » et d’abrasions au nez,  la CSST reconnaît que le travailleur a subi, le 12 avril précédent, une lésion professionnelle.

[13]        Le 28 juillet 2010, après une révision administrative, la CSST confirme sa décision initiale du 4 mai précédent, d’où le dépôt de la requête qui nous occupe.

[14]        Vu ce qui est survenu le 12 avril 2010 et les diagnostics retenus, il s’agit de déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle en fonction des dispositions suivantes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[15]        Pour nier le caractère professionnel de la lésion, l’employeur fait valoir que le « travailleur a chuté à la suite d’une baisse de pression survenue pour une raison inconnue ». S’appuyant sur des décisions de la Commission des lésions professionnelles, il conclut qu’il ne peut s’agir d’une lésion professionnelle. Entre autres, il réfère à cet extrait :

[…]

 

[26] Or, en l’espèce, selon l’histoire de la maladie notée par le premier médecin, la travailleuse a fait une crise convulsive qui a provoqué une chute au sol et a entraîné une commotion cérébrale et une lésion à l’épaule gauche.

 

[27] Aucun événement relié au travail n’a provoqué la crise convulsive et la chute, ou en a aggravé les conséquences. Il n’y a aucune prétention à l’effet que les conditions environnementales ou autres conditions reliées à l’exercice du travail ont pu jouer quelque rôle que ce soit dans la survenance de la crise convulsive. Par ailleurs, rien dans la preuve ne permet de dire qu’un fait accidentel relié au travail est responsable des conséquences de la chute.

 

[28] Le seul lien qui existe entre le travail, la commotion cérébrale et la capsulite à l’épaule gauche est le fait que la travailleuse se trouvait sur les lieux du travail au moment où elle a fait une crise convulsive d’où origine la chute. Or, la crise convulsive correspond en l’espèce à la manifestation d’une condition personnelle au travail. La travailleuse n’a pas été victime d’un accident du travail car la preuve ne démontre pas que les lésions découlent d’un événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail.

 

[…][2]

 

[16]        Par contre, nonobstant la présomption prévue à l’article 28 de la loi, il importe de rappeler que l’événement imprévu et soudain qui caractérise un « accident du travail » peut être attribué « à toute cause ». C’est pourquoi :

[…]

 

[35] À maintes reprises, le tribunal a affirmé qu’il ne fallait pas confondre l’événement imprévu et soudain avec la cause de cet événement et qu’il n’était pas nécessaire de procéder à l’identification de cette cause aux fins de conclure à la survenance d’un accident du travail2. Notamment, dans l’affaire Vilfort3, le tribunal s’exprime ainsi sur cette question :

 

La preuve non contredite révèle que le 22 mars 1990, la travailleuse a subi une blessure à son genou lors de sa chute dans les escaliers du centre hospitalier où elle travaillait.

 

La Commission d’appel considère que la chute de la travailleuse constitue l’événement imprévu et soudain. Par ailleurs, l’employeur prétend que la cause de la chute, l’étourdissement, est la conséquence de son anémie, condition strictement personnelle, et dès lors, ne peut qu’amener la Commission d’appel à conclure qu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle.

 

La Commission d’appel est d’avis qu’il n’y a pas lieu dans un tel cas, de rechercher la cause de la chute. La définition de l’expression « accident du travail » qu’on retrouve à l’article 2 de la loi indique clairement que l’événement imprévu et soudain peut être attribuable « à toute cause ». La Commission d’appel considère que même si la chute est attribuable à l’anémie de la travailleuse, il n’en reste pas moins qu’elle a fait une chute et qu’il y a lieu d’indemniser les conséquences découlant de la chute. Bien sûr, la loi ne vise pas à indemniser la travailleuse pour l’incapacité de travailler découlant de son anémie mais elle vise l’indemnisation de ce qui résulte de la chute, si l’accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail.

 

[…][3]

__________

2          Voir notamment : Savard et Général Motors du Canada ltée, [1987] C.A.L.P. 806 ; Vilfort et Hôpital Louis-H. Lafontaine, [1993] C.A.L.P. 1323 ; Toussaint et Manufacture de lingerie Château inc., C.L.P. 113556-71-9903, 14 juillet 1999, C. Racine; Gareau et CLSC Ahuntsic, C.L.P. 135991-72-0004, 21 décembre 2000, F. Juteau; Adam et Les Croisières Nouvelle Vague, C.L.P. 159777-72-0104, 30 novembre 2001, L. Crochetière; TST Solutions (Overland) et Olivier, C.L.P. 161083-71-0104, 5 mars 2003, B. Roy; Olymel Flamingo et Marier, C.L.P. 152565-62B-0012, 25 mars 2003, M.-D. Lampron; Perrier et Société coopérative agricole du sud de Montréal, C.L.P. 221865-62A-0311, 9 février 2005, S. Di Pasquale.

3     Précitée, note 2

 

 

[17]        Ainsi, étant d’avis que l’événement imprévu et soudain est la chute du travailleur, il importe peu que celui-ci soit dû à une « baisse de pression », comme le croit l’employeur, à l’effet secondaire d’un médicament ou à autre chose. Cette chute s’étant produite alors que le travailleur était au travail, il a droit d’être indemnisé de ses conséquences. En acceptant de lier à l’événement les diagnostics de « trauma crânien mineur » et d’abrasions au nez, c’est précisément ce qu’a fait la CSST.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur;

CONFIRME la décision rendue le 28 juillet 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi, le 12 avril 2010, une lésion professionnelle à savoir un trauma crânien mineur et des abrasions au nez.

 

 

 

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François Ranger

 

 

 

 

Me Céline Servant

BÉCHARD, MORIN ET ASS.

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Ministère de la Justice du Québec et Lemieux, C.L.P. 247092-31-0410, 2 août 2005, M. Beaudoin.

[3]           Les Industries Algo ltée et Succession de Mario Iapaolo, 13 avril 2007, G. Morin.

AVIS :
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