[1] Le requérant Louis-Jacques Perreault, qui se représente seul, demande l'autorisation d'appeler d'un jugement de la Cour supérieure (l'honorable Clément Samson), rendu le 21 janvier 2014[1], qui rejette sa demande de révision judiciaire de quatre décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles (« CLP ») les 12 mai 2010, 14 mars 2011, 6 juillet 2012 et 15 août 2013, lesquelles confirment une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (« CSST ») le 26 septembre 2006, elle-même entérinée par la même instance le 5 décembre 2006.
[2] Le requérant en est rendu à une septième décision, alors qu'aucune juridiction spécialisée n'a voulu confirmer ce qu'il tente d'établir depuis le 5 octobre 2006, c'est-à-dire qu'il souffre d'une lésion professionnelle.
[3] Pour une bonne compréhension du cheminement de ce dossier, il est nécessaire d'en faire la chronologie.
[4] La CSST refuse, le 20 octobre 2006, d'accepter la proposition du requérant selon laquelle il a subi une lésion professionnelle. Le 5 décembre 2006, une révision administrative de cette décision confirme le résultat. Insatisfait, il demande à la CLP d'infirmer cette décision et de le déclarer victime d'une lésion professionnelle.
[5] La commissaire Marie Beaudoin assistée d'un représentant des associations d'employeurs et d'un représentant des associations syndicales auxquels s'est joint un médecin accesseur conviennent unanimement que la requête du requérant doit être rejetée.
[6] Ils expriment l'avis suivant[2] :
[6] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales recommandent de rejeter la requête du travailleur. Ils estiment que la prépondérance de la preuve ne permet pas de conclure que le syndrome du canal carpien bilatéral et la tendinite aux deux épaules constituent des maladies professionnelles contractées par le fait ou à l'occasion du travailleur de briqueteur-maçon.
[…]
[81] Après considération de l’ensemble de la preuve, la Commission des lésions professionnelles vient à la conclusion que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle car ni le syndrome du canal carpien bilatéral ni la tendinite aux deux épaules ne constituent des maladies professionnelles au sens de l’article 2 de la loi.
[Soulignement ajouté]
[7] Leurs conclusions sont rédigées, le 12 mai 2010, de la façon suivante[3] :
Par ces motifs, la Commission des lésions professionnelles :
Rejette la requête de monsieur Jacques Perreault;
Confirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 5 décembre 2006 à la suite d'une révision administrative;
Déclare que monsieur Jacques Perreault n'a pas été victime d'une lésion professionnelle.
[8] Insatisfait et résolu à faire reconnaître son droit, le requérant s'adresse à nouveau devant la CLP pour lui demander de révoquer la décision du 12 mai 2010 en raison de vices de fond que la CLP résume ainsi[4] :
[32] Le 7 janvier 2011, la représentante du travailleur produit une requête en révocation dans laquelle elle soumet que le travailleur n’a pas pu se faire entendre sur la question du nombre d’heures travaillées au cours des 20 dernières années. Elle soumet de plus que la décision comporte une erreur puisque le travailleur n’a pas travaillé seulement 6 semaines par année. La décision comporte de plus une erreur de fait puisque le travailleur a travaillé 5454 heures de 1986 à 2006 et non 2500 heures, tel que mentionné.
[33] Enfin, elle allègue que la décision comporte une erreur de droit puisque la Commission des lésions professionnelles a décidé que l’employeur avait renversé la présomption de l’article 29 de la loi au motif qu’il aurait démontré que la majorité des gestes du travailleur étaient effectués en deçà des amplitudes péjoratives alors que l’annexe I ne fait aucunement mention d’amplitudes, mais seulement de répétition de mouvements sur des périodes de temps prolongées.
[9] La CLP conclut unanimement au rejet de cette demande puisque, à ses yeux, aucune erreur de droit ou de fait déterminant n'a été démontrée. Elle conclut également qu'aucun fait nouveau n'a été mis en preuve par le requérant. On peut y lire que[5] :
[81] Force est de constater que le travailleur a eu tout le loisir et l’occasion de témoigner sur les heures travaillées à chaque année. Le travailleur était représenté lors de la première audience et il appartenait alors à son représentant de soumettre les arguments qu’il jugeait pertinents quant au nombre d’heures travaillées.
[82] Le travailleur n’a démontré d’aucune façon qu’il n’a pas pu être entendu sur ce sujet ni exposer ses arguments.
[83] Le tribunal en vient à la conclusion que la décision du 12 mai 2010 ne comporte pas d’erreur de droit ou de faits dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révocation.
[…]
[87] En l’espèce, le travailleur allègue comme fait nouveau qu’il n’a pas consulté le docteur Doucet le 23 juillet 2004. La première consultation médicale date selon lui de 2006.
[88] Le présent tribunal estime que le travailleur n’a pas démontré la découverte postérieure d’un fait nouveau, impossible à obtenir au moment de l’audience initiale et dont le caractère déterminant aurait eu un effet sur le sort du litige.
[10] Nourri d’insatisfaction, le requérant dépose une troisième requête en révision alléguant cette fois que : « la lecture d'une décision rendue le 14 mars 2011 par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision lui a permis de découvrir un fait nouveau faisant en sorte que la décision rendue le 12 mai 2010 par le tribunal contient une erreur déterminante »[6].
[11] Encore une fois, la Commission, formée des membres issus des associations syndicales et d'employeurs, et d’un commissaire, est d'avis que le requérant n'a pas démontré que la décision originelle contient une erreur déterminante équivalente à un vice de fond. À cette occasion, la CLP rappelle le caractère final de ses décisions, en référant à l'affaire Industries Cedan inc. et CSST[7] :
[20] […] une requête en révision ne constitue pas un processus de contestation en plusieurs tomes et l'on ne peut multiplier les requêtes autant de fois qu’on le juge à propos en invoquant à chaque fois un nouvel argument ou un argument présenté sous une autre forme.
[…]
[24] […] c’est vicier le processus de finalité des décisions et celui de la révision que de multiplier indûment le nombre de requêtes en révision.
[12] Au final, la CLP constate que le requérant n'a démontré aucun fait nouveau ou quelque vice de fond de nature à invalider la décision du 12 mai 2010[8].
[13] L’acharnement du requérant à faire valoir son point de vue se manifeste par une quatrième demande à la CLP.
[14] Les membres issus des associations d'employeurs et des associations syndicales sont d'avis de rejeter la requête du requérant puisqu'elle ne fait pas voir de faits nouveaux donnant ouverture à la révocation recherchée, pas plus qu’il ne leur est démontré que les décisions entreprises sont entachées d'erreurs manifestes et déterminantes. Le membre issu des associations d'employeurs ajoute que, selon lui, la procédure présentée par le requérant constitue un appel déguisé et qu'il s'agit d'un recours abusif.
[15] Force est de constater à la lecture de cette décision que les choses ne vont pas en se simplifiant. La commissaire Séguin y écrit particulièrement que[9] :
[4] Le 14 août 2012, le travailleur présente une requête en révision ou en révocation et le 26 janvier 2013, son représentant rédige une requête détaillée. Il amende cette requête lors de l’audience du 14 juin 2013 et fait parvenir une requête corrigée et amendée au tribunal après l’audience. Cette requête se décline sur douze pages, comprend 70 paragraphes et est accompagnée de différents documents dont certains sont déjà au dossier de la Commission des lésions professionnelles.
[…]
[16] Il s’agit ici de la troisième requête en révision ou en révocation présentée par le travailleur. La jurisprudence nous enseigne qu’une deuxième requête en révision ou en révocation est possible dans la mesure où il existe une nouvelle cause de révision en rapport avec la décision rendue en révision. C’est ainsi que s’exprime la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Leclair et Montacier inc. :
[13] Selon la jurisprudence, l’exercice du recours en révision ne peut être répété pour invoquer un nouvel argument ou présenter les mêmes arguments mais sous une autre forme. Pour avoir gain de cause, le travailleur doit démontrer une nouvelle cause de révision en rapport avec la décision rendue en révision.
[…]
[19] Donc, le présent tribunal doit se demander si le travailleur, présentant une troisième requête en révision ou en révocation, a démontré « l’existence de circonstances à ce point inusitées, que leur seule démonstration aurait permis de constater que le fait de refuser la requête en révision aurait entraîné un réel déni de justice »; la soussignée estime que tel n’est pas le cas.
[Références omises]
[16] Cette décision fait bien comprendre que la stratégie persistante adoptée par le requérant consiste à reprendre sans cesse les mêmes arguments, en les réaménageant de façon à les présenter comme des faits nouveaux. La commissaire Séguin la réprouve de façon non équivoque lorsqu’elle écrit[10] :
[21] Le travailleur prétend qu’une lettre du docteur Gaétan Doucet du 7 juin 2013 confirmant la lettre du 21 décembre 2011 adressée à la Commission des lésions professionnelles voulant qu’il ait rédigé le Rapport médical sur le formulaire prescrit par Emploi Québec le 23 avril 2007 et non pas le 23 juillet 2004 et donnant la chronologie des évènements constitue un fait nouveau.
[…]
[30] Or, la lecture de la requête détaillée de 70 paragraphes permet de constater que ce que recherche le travailleur c’est une nouvelle interprétation de la preuve et du droit. Dans cette troisième requête en révision, le travailleur reprend, d’une part, les mêmes allégations qui ont déjà été tranchées et, d’autre part, de nouveaux arguments ou les mêmes arguments sous une autre forme.
[…]
[32] Quant à la Cour d’appel, elle souligne que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Elle invite donc la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue, c’est ce que souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation alors qu’elle s’exprime ainsi :
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
[…]
[35] Pour paraphraser la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Industries Cedan inc. et C.S.S.T. Montérégie précitée, le travailleur ne peut multiplier à l’infini le nombre de requêtes espérant peut-être qu’à l’usure, il finira par avoir raison. Le moment est survenu où on doit réfréner ses ardeurs et l’inviter à s'adresser à une autre instance, si malgré les décisions défavorables, il estime toujours que la décision initiale comporte une erreur que personne d'autre n'a pu constater.
[Références omises]
[17] C'est sans surprise que cette quatrième requête en révision est rejetée.
[18] Le requérant ne se compte toutefois pas pour battu. Voilà qu'il s'adresse maintenant à la Cour supérieure et demande la révision judiciaire des quatre décisions rendues par la CLP. La lecture de sa requête en révision judiciaire constitue une invitation au juge de la Cour supérieure à reprendre l'analyse des décideurs administratifs, espérant pouvoir en tirer cette fois des conclusions différentes. Il allègue notamment[11] :
[26] […]
· Le docteur Doucet n’aurait pas rencontré le demandeur le 23 juillet 2004, mais le 23 avril 2007. Cette erreur de chiffres (23/4/7 au lieu de 23/7/4) aurait fait débuter les symptômes de tendinite aux épaules plus tôt que ce qui était en réalité, ce qui aurait un lien direct sur la relation causale de la maladie dont souffre le demandeur. Cette erreur d’écriture aurait donc un impact majeur sur les conclusions de la CLP;
· Les mouvements des mains gauche et droite lors de la pose de briques et lors du jointement sont différents et font chacun porter aux épaules des charges différentes. Le demandeur prétend que la CLP a mal apprécié cette preuve et a conséquemment tiré les mauvaises conclusions;
· La CLP n’a pas tenu compte dans sa décision de 2010 d’un texte qu’elle a elle-même fait paraître sur son site Internet relativement au syndrome du nerf carpien.
[Référence omise]
[19] Le juge Samson de la Cour supérieure retient, à raison d'ailleurs, la déférence dont il doit faire montre à l'égard d'un tribunal spécialisé et décrit ainsi le rôle limité qui lui est dévolu[12] :
[31] La détermination d’une lésion professionnelle est de la juridiction exclusive de la CLP qui siège en révision d’une décision de la CSST. La Cour supérieure doit démontrer une grande déférence envers un tribunal spécialisé qui jouit d’une clause privative.
[…]
[33] Il n'appartient pas à ce tribunal de procéder à un réexamen de la preuve; il lui suffit de se demander si la décision rendue fait partie des conclusions possibles acceptables et que le processus pour y parvenir démontre une intelligibilité et une transparence, sans égard à la décision que ce tribunal aurait pu autrement rendre.
[…]
[37] Mais il y a plus, cette question de date n’emmène pas la CLP à conclure erronément pour autant car elle n’en fait pas une question déterminante. En d’autres termes, si erreur il y avait, cela ne changerait pas la décision. Pour preuve, dans CLP-1, cette mention de juillet 2004 à titre d’élément de décision ne survient qu’au paragraphe 95 et cela apparaît comme un argument supplémentaire. Le texte commence par : « D’ailleurs ».
[38] Quand la question de la soi-disant erreur de date refait surface dans CLP - 2, la CLP rappelle, notamment aux paragraphes 44, 88 et 90 de cette décision, que cette consultation n’est pas déterminante eu égard à la décision. Dans CLP-3, le caractère non déterminant de cette erreur, si erreur il y avait, est rappelé aux paragraphes 44, 49 et 51 de cette décision. La CLP-4 constitue davantage une décision qui traite du droit à la révision et qui, dans les faits, reproduit ces mêmes paragraphes où, pour une quatrième fois, la CLP rappelle sa position.
[39] Le demandeur a eu l'occasion de présenter sa preuve et faire valoir ses arguments, les décisions de la CLP sont intelligibles et la conclusion fait partie des issues possibles raisonnables que pouvait rendre la CLP.
[Référence omise]
[20] Pour conclure que[13] :
[49] Le langage des décisions est clair, l'analyse intelligible et les conclusions font partie du spectre de conclusions possibles et raisonnables.
[21] La requête pour permission d'appeler qui m'est présentée constitue une copie sans nuance des arguments qui ont été avancés, répétés et réaménagés devant les instances administratives et ensuite réitérés en Cour supérieure. Ces arguments ont été rejetés tant devant les instances administratives que devant la Cour supérieure.
[22] Le juge de la Cour supérieure a appliqué aux décisions contestées la bonne norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable pour conclure que les décisions administratives contestées faisaient partie des issues possibles. Sans vouloir usurper le rôle réservé à une formation de la Cour, cette conclusion me semble incontestable.
[23] Malgré toute la sympathie que peut susciter la demande de M. Perreault et tout en constatant la conviction qu’il nourrit dans les efforts qu’il met de l’avant pour faire reconnaître ce qu’il prétend être son droit, il me faut bien reconnaître que la décision de la Cour supérieure dont on veut appeler ne comporte aucune erreur de droit révisable et que la requête soumise n’entre pas dans le cadre bien limité de l’article 26, alinéa 2 du Code de procédure civile du Québec[14] :
[…] La permission n’est accordée qu’à l’égard du jugement de la Cour supérieure qui soulève une question de principe ou d’intérêt général ou « s’inscrit dans une controverse au sein des instances inférieures ou apparaît entaché d’une faiblesse grave qui pourrait en justifier la révision tout en respectant le principe de la proportionnalité ».
Pour ces motifs, le soussigné :
[24] Rejette la requête pour permission d’appeler;
[25] SANS FRAIS.
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JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
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Louis-Jacques Perreault |
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Personnellement |
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Me Marie-Claude Delisle |
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Vigneault, Thibodeau |
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Pour l'intimée |
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Me Marie-France Bernier |
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Verge, Bernier |
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Pour la mise en cause |
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Date d’audience : |
4 mars 2014 |
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[1] Perreault c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2014 QCCS 125.
[2] Perreault et Brikon Maçonnerie inc., 2010 QCCLP 3578 (« CIP-1 »), paragr. 6 et 81.
[3] Ibid.
[4] Perreault et Brikon Maçonnerie inc., 2011 QCCLP 1876, paragr. 32-33 (« CIP-2 »).
[5] Ibid, paragr. 81-83 et 87-88.
[6] Perreault et Allas Construction inc., 2012 QCCLP 4226, paragr. 4 (« CIP-3 »).
[7] Industries Cedan inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 75963-62-9512, 26 mai 1999, N. Lacroix, paragr. 20 et 24.
[8] CIP-3, supra, note 6, paragr. 45.
[9] Perreault et Allas Construction inc., 2013 QCCLP 4957 (« CIP-4 »), paragr. 4, 16 et 19.
[10] Ibid., paragr. 21, 30, 32 et 35.
[11] Perreault c. Commission de la santé et de la sécurité du travail, supra, note 1, paragr. 26.
[12] Ibid., paragr. 31, 33 et 37-39.
[13] Ibid., paragr. 49.
[14] André Rochon, Guide des requêtes devant le juge unique de la Cour d’appel, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 50.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.