Senay c. SSQ Assurances |
2019 QCCQ 3226 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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LOCALITÉ DE |
Magog |
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« Chambre civile » |
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N° : |
470-32-700120-189 |
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DATE : |
15 mai 2019 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GILLES LAFRENIÈRE, J.C.Q. |
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MICHÈLE SENAY |
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Demanderesse |
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c. |
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SSQ ASSURANCES |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse participante à un régime d’assurance collective offert par la défenderesse lui réclame 10 500 $ pour les frais qu’elle a encourus pour un séjour en maison de convalescence.
[2] La défenderesse conteste la réclamation au motif qu’elle est prescrite et subsidiairement, que les frais réclamés excèdent le montant maximum prévu au contrat d’assurance collective.
QUESTIONS EN LITIGE
1.- La réclamation est-elle prescrite ?
2.- Le cas échéant, le contrat d’assurance impose-t-il une limite pour des frais de séjour en maison de convalescence ?
LES FAITS
[3] La demanderesse est âgée de 87 ans. En 2014, elle se fracture une hanche et est hospitalisée du 9 au 26 septembre 2014.
[4] À cette dernière date, elle est transférée vers un centre de réadaptation.
[5] Vers le 21 octobre 2014, le centre de réadaptation informe la demanderesse que son séjour à cet endroit se terminera incessamment et qu’elle doit prendre les dispositions nécessaires pour séjourner dans une maison de convalescence, puisqu’elle ne pourra retourner à son domicile habituel, vu son état précaire.
[6] Dès lors, elle communique avec la défenderesse auprès de qui elle bénéficie d’une assurance collective, afin de l’aviser de la situation et de son intention de réclamer ultérieurement les frais à encourir pour un séjour en maison de convalescence.
[7] Le 5 novembre 2014, un document médical attestant l’incapacité de la demanderesse à retourner chez elle est transmis à la défenderesse et deux jours plus tard, la demanderesse est transférée en maison de convalescence.
[8] Le 28 janvier 2015, la demanderesse retrouve suffisamment de mobilité et quitte la maison de convalescence.
[9] Le 6 février 2015, la demanderesse reçoit une facture au montant de 10 375 $ pour son séjour en maison de convalescence et requiert aussitôt le remboursement auprès de la défenderesse.
[10] Le 13 mars 2015, la défenderesse refuse, en partie, la réclamation de la demanderesse, puisqu’elle ne lui verse que la somme de 504 $.
[11] La demanderesse conteste la décision de la défenderesse, mais celle-ci la maintient, en faisant valoir que le contrat d’assurance collective limite les soins en maison de convalescence à une période raisonnable, que la pratique courante détermine à six semaines.
[12] Le 22 avril 2015, la demanderesse dépose une plainte contre la défenderesse, puisqu’elle est d’avis que le contrat ne contient aucune limite quant aux soins en maison de convalescence.
[13] Le 23 avril 2015, la défenderesse écrit à la demanderesse :
Conformément à Notre politique de traitement des plaintes et de règlement des différends (notre Politique), vous devez, en premier lieu, vous adresser au service concerné afin qu’un cadre, un conseiller ou un supérieur étudie votre plainte. Une fois cette étape franchie et si la réponse donnée ne vous convient pas, je pourrai, à votre demande, étudier votre plainte. Pour ce faire, vous pourrez communiquer avec moi aux coordonnées apparaissant plus bas[1].
[14] Le 11 mai 2015, la demanderesse porte plainte auprès du responsable du traitement des plaintes.
[15] Le 12 mai 2015, la demanderesse est informée que sa plainte est sous évaluation et qu’une réponse finale lui sera envoyée à l’intérieur d’un délai de 30 jours et que si elle est insatisfaite de la décision, elle pourra alors s’adresser au service de règlement des différends de l’Autorité des Marchés financiers (AMF).
[16] La demanderesse n’attend pas la réponse de la défenderesse et requiert immédiatement les services de règlement des différends de l’AMF. Or, le 18 juin 2015, l’AMF l’informe que la défenderesse maintient sa position et qu’elle ne souhaite pas se prêter à une médiation.
[17] Le 23 juin 2015, la défenderesse informe la demanderesse que sa plainte du 11 mai 2015 n’est pas fondée.
ANALYSE
1.- La réclamation est-elle prescrite ?
[18] La prescription est un moyen d’opposer une fin de non-recevoir en recours judiciaire si celui-ci n’est pas intenté dans le délai prescrit par la loi.
[19] La Cour suprême du Canada résume en ces termes l’objectif visé par la prescription d’un recours :
Elle est « considérée comme indispensable à l’ordre social » en raison de deux rôles cruciaux qu’elle est appelée à jouer. D’une part, elle permet d’éviter « les constatations judiciaires qui, à cause de l’ancienneté des faits qui s’y rapportent, seraient caractérisées par la confusion et l’incertitude ». Cette considération est particulièrement importante « dans une société moderne, basée sur la rapidité et la stabilité des échanges économiques », où le droit doit, au bout d’un certain temps, acquérir une certitude permettant de cristalliser la situation juridique et de consolider le droit des parties et des tiers ». D’autre part, elle permet de sanctionner la négligence du titulaire de droit, dont le silence « équivaut à un abandon »[2].
[20]
Le recours de la demanderesse fait valoir un droit personnel et se
prescrit par trois ans, selon l’article
Art. 2925 : L’action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n’est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[21] En matière d’assurance, le point de départ du délai de prescription commence à compter du refus de l’assureur d’exécuter son obligation :
Il y a relativement peu de jurisprudence sur la question du point de départ du délai en assurance de personnes, mais on constate qu’elle semble fixer celui-ci au moment du refus de l’assureur d’exécuter ses obligations[3].
[22] Cela dit, il n’est pas toujours facile de déterminer le moment précis du refus de l’assureur. À cet égard, Geneviève Cotnam, aujourd’hui juge à la Cour d’appel du Québec, écrit :
[…] En cas de refus répétés, le point de départ de la prescription sera le moment où il devient clair que le refus de l’assureur est définitif. Ceci requiert généralement une étude de la teneur des lettres de refus et du comportement des parties. S’il est permis de croire que le refus n’est que temporaire ou que l’assureur démontre une ouverture à reconsidérer sa décision, il serait illogique d’exiger de l’assuré qu’il este en justice avant d’avoir épuisé les possibilités offertes[4].
[23] Le Tribunal comprend des différentes correspondances entre les parties que bien que la défenderesse ait maintenu sa position tout au long de ses correspondances, elle a tout de même laissé entrevoir à la demanderesse qu’elle pourrait la modifier.
[24] Notamment, le 23 avril 2015, Julie Dubord, avocate chez la défenderesse, l’informe que si elle n’est pas satisfaite de la réponse qu’on lui donnera, elle pourra, à sa demande, étudier la plainte. De même, dans une lettre du 12 mai 2015, on lui indique qu’on lui fera part d’une réponse finale, laissant ainsi croire que les réponses précédentes ne l’étaient pas. D’ailleurs, cette réponse finale n’arrive que le 23 juin 2015.
[25] Dans les circonstances, la poursuite ayant été intentée le 5 juin 2015, le Tribunal conclut qu’elle l’a été à l’intérieur du délai de trois ans prévu au Code civil du Québec et conséquemment, la demande n’est pas prescrite.
2.- Le cas échéant, le contrat d’assurance impose-t-il une limite pour des frais de séjour en maison de convalescence ?
[26] L’assurance est un contrat par lequel l’assureur, moyennant une prime, s’oblige à verser à son assuré une prestation dans le cas où un sinistre couvert se réalise.
[27] L’assuré ne peut toutefois exiger plus de son assureur que ce qui a été convenu au contrat d’assurance. Il faut donc s’en remettre audit contrat pour connaître son contenu obligationnel pour les parties.
[28] L’article 17.2 du contrat d’assurance décrit les frais hospitaliers qu’une personne peut réclamer à la suite d’un accident. On y retrouve notamment les frais pour soins à domicile et plus particulièrement ceux pour un séjour en maison de convalescence (Pièce D-1 : art. 17.2 c) 1) b) iv)).
[29] Ces frais sont toutefois limités à ceux engagés dans les 30 jours suivants l’hospitalisation pour un montant maximal admissible de 125 $ par jour et sous réserve d’une franchise de 20 % pour les 3 000 premiers dollars réclamés.
[30] À la suite de son hospitalisation, la demanderesse a fait un séjour dans deux établissements distincts. Elle a d’abord été en centre de réadaptation du 26 septembre au 7 novembre 2014 puis en maison de convalescence, du 7 novembre 2014 au 28 janvier 2015.
[31] Le Tribunal exclut du calcul le premier séjour en centre de réadaptation, puisque la défenderesse a elle-même reconnu que cette période serait considérée comme une période d’hospitalisation :
[…] je vous confirme que son séjour en centre de réhabilitation (Hôpital St-Lambert) sera considéré comme une hospitalisation et les frais de 15 $ par jour seront couverts à 100 %[5].
[32] Conséquemment, la demanderesse a été en maison de convalescence pour une période de 82 jours. Toutefois, le contrat limite les frais à une période de 30 jours, mais à l’audience, la défenderesse a maintes fois exprimé qu’elle consentait à reconnaître une période de 42 jours. Dans les circonstances, le montant maximal que pourrait obtenir la demanderesse serait de 5 250 $.
[33] Le Tribunal doit toutefois retrancher de ce montant une somme de 20 % pour les 3 000 premiers dollars, soit 600 $.
[34] La demanderesse a donc droit à la somme de 4 650 $, de laquelle elle a déjà reçu 504 $ de la défenderesse, laissant alors un solde impayé de 4 146 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] ACCUEILLE en partie la demande;
[36]
CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 4
146 $, avec intérêts au taux légal de 5 % l’an et l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
[37] CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse les frais de justice au montant de 202 $.
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__________________________________ GILLES LAFRENIÈRE, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
4 mars 2019 |
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Retrait et destruction des pièces
Les parties doivent reprendre possession des pièces qu’elles ont produites, une fois l’instance terminée. À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l’acte mettant fin à l’instance, à moins que le juge en chef n’en décide autrement.
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[1] Extrait pièce P-11.
[2] Pellerin Savitz c. Guindon, [2017] 1 R.C.S. 575.
[3] Céline Gervais, La Prescription, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais ltée, 2009, p. 46.
[4] Geneviève Cotnam, Commentaires sur le droit des assurances, textes législatifs et réglementaires, 3e éd., Chapitre VI, LexisNexis, Canada, p. 105.
[5] Extrait pièce P-18.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.