Décision

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Gabarit EDJ

Texan Grill & Bar inc. c. Immeubles Yale ltée

2015 QCCS 1412

JB 3778

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

 

N° :

450-17-005588-158

 

 

 

DATE :

Le 9 avril 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MARTIN BUREAU, J.C.S.

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LE TEXAN GRILL & BAR INC.

Demanderesse

c.

LES IMMEUBLES YALE LIMITÉE

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT SUR MOYEN DÉCLINATOIRE (art. 163 et 68 C.p.c.)

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[1]           La demanderesse, une entreprise œuvrant dans le domaine de la restauration, poursuit la défenderesse qui œuvre dans le domaine de la gestion immobilière. La demanderesse invoque que la défenderesse a fait défaut de remplir ses obligations en vertu d’un bail intervenu entre les parties (pièce P-5) et, en conséquence, lui réclame des dommages pour une somme totale de 489 336,16 $ en plus de requérir la résiliation du bail.

[2]           La défenderesse, au stade de la présentation de la requête introductive d’instance, soulève l’absence de compétence de la Cour supérieure du district de Saint-François et demande que le dossier soit renvoyé devant la Cour supérieure du district de Montréal.

[3]           De façon plus spécifique, la défenderesse invoque qu’une clause du bail (P-5) détermine que les litiges entre les parties doivent être entendus dans le district judiciaire de Montréal. La clause soulevée par la défenderesse s’intitule et se lit comme suit :

« 16.7   Régime de la loi et élection de domicile

16.7.1    Les lois de la Province de Québec régissent le présent Bail et son interprétation. En outre, pour les besoins de toute procédure judiciaire découlant des présentes, les parties élisent domicile auprès du tribunal compétent dans le district judiciaire de Montréal, même si le présent Bail a été exécuté par l’une ou l’autre des parties à l’extérieur du district judiciaire de Montréal. De plus, le Locataire élit domicile dans les Locaux aux fins de signification des procédures judiciaires découlant du présent Bail. »

[4]           La demanderesse conteste cette demande de transférer le dossier dans le district judiciaire de Montréal. Elle invoque les dispositions spécifiques de l’article 68 C.p.c. et plaide que le recours qu’elle intente est de la nature d’une action purement personnelle et qu’elle pouvait, à son choix, le porter soit devant le Tribunal du domicile réel du défendeur ou celui de son domicile élu (art. 68.1o C.p.c.) ou encore devant le Tribunal du lieu où a été conclu le contrat tel que prévu à l’article 68.3o C.p.c.

[5]           Dans sa requête introductive d’instance, la demanderesse précise au paragraphe 24 « que la proposition de bail et le bail intervenus entre les parties ont été signés à Sherbrooke, district de Saint-François, la Cour supérieure siégeant dans le district est compétente à entendre le litige. »

[6]           Les parties reconnaissent qu’au stade du moyen déclinatoire les faits allégés dans la requête introductive doivent être tenus pour avérés.[1] De plus, aucune des parties ne conteste le fait que les négociations et la signature du contrat ont eu lieu à Sherbrooke dans le district de Saint-François.

[7]           Le bail est le contrat duquel découlent les obligations des parties. Il est indiqué dans l’entête de ce contrat que celui-ci est « intervenu dans la ville et le district de Montréal. » Cet élément est toutefois contredit par les affirmations de la demanderesse dans sa requête introductive d’instance.

[8]           La demanderesse plaide qu’en vertu des dispositions impératives de l’article 68 C.p.c., l’action purement personnelle peut être portée, « nonobstant convention contraire », soit devant le Tribunal du domicile réel ou élu du défendeur tel que prévu aux dispositions de l’article 68.1o C.p.c. ou encore devant le Tribunal du lieu où a été conclu le contrat qui donne lieu à la demande selon les dispositions de l’article 68.3o C.p.c.

[9]           La défenderesse considère pour sa part que la clause d’élection de domicile prévue à l’article 16.7.1 du bail restreint le droit de la demanderesse de choisir, pour intenter son recours, un district différent de celui du domicile de la défenderesse ou de son domicile élu et qu’elle doit nécessairement entreprendre ses recours dans le district de Montréal.

La jurisprudence

[10]        Dans deux décisions, prononcées à des époques différentes et lesquelles, en apparence semblent en partie contradictoires, la Cour d’appel d’abord en 1987 et ensuite en 2014 s’est penchée sur des cas semblables pour en arriver à des conclusions qui semblent, à première vue, différentes.

[11]        Dans l’arrêt Vidéo Jaklan[2] la Cour d’appel détermine que malgré une clause rédigée de la façon suivante :

« District  judiciaire : Les parties à la présente convention conviennent expressément que tout litige et toute procédure quelconque devra être soumis à la cour de juridiction compétente du district judiciaire de St-François à l’exclusion de tout autre district judiciaire. Les parties élisent domicile dans la province de Québec, district de St-François, plus précisément à Sherbrooke. »

il était quand même possible à la demanderesse d’intenter son recours non pas dans le district judiciaire de Saint-François, mais plutôt dans le district judiciaire de Hull puisque c’est l’endroit où le contrat liant les parties est intervenu et a été signé.

[12]        Toutefois, en 2014 dans une décision partagée qui mettait en cause une clause d’un contrat intervenu entre un entrepreneur général et Hydro-Québec, rédigée ainsi :

« LIEU DE PASSATION DU CONTRAT

Les parties conviennent que le contrat a été conclu à Montréal et est régi par les lois applicables au Québec et que tout litige découlant de son exécution est soumis à la juridiction exclusive des tribunaux du Québec.

les juges de la majorité concluent, (c’est du moins ce que le Tribunal comprend de cette décision) que puisque les parties « conviennent que le contrat a été conclu à Montréal » il faut considérer que c’est le lieu où a été conclu ce contrat même si selon l’opinion dissidente et compte tenu des dispositions de l’article 1387 C.c.Q., le contrat semble avoir été réellement conclu ailleurs qu’à Montréal.

 

Analyse et discussion

[13]        Le Tribunal est d’avis qu’en fonction des dispositions claires de l’article 68 C.p.c. et des termes « nonobstant convention contraire » qui apparaissent dans cet article, il n’est pas permis aux parties à un contrat d’empêcher conventionnellement l’une d’elles d’intenter un recours fondé sur ce contrat dans l’un ou l’autre des endroits prévus à cette disposition c’est-à-dire soit dans le district du domicile de la défenderesse ou de son domicile élu d’une part ou dans le district où le contrat a été véritablement conclu.

[14]        La demanderesse avait l’option, en vertu des dispositions de l’article 68 C.p.c., d’intenter son recours dans le district du domicile de la défenderesse, ou dans le district judiciaire de Montréal ou encore compte tenu des allégations de la requête introductive, quant à l’endroit où a eu lieu la signature du contrat dans le district judiciaire de Saint-François.

[15]        L’insertion dans le contrat d’une élection de domicile et même d’une clause spécifique précisant que pour les besoins de toute procédure judiciaire découlant du bail, les parties élisent domicile auprès du Tribunal compétent dans le district judiciaire de Montréal, ne permet pas d’aller à l’encontre des dispositions impératives de l’article 68 C.p.c. Cet article prévoit spécifiquement que « nonobstant convention contraire », l’action purement personnelle peut être portée soit devant le Tribunal du domicile réel du défendeur ou de son domicile élu ou encore devant le Tribunal du lieu où a été conclu le contrat.

[16]        L’élection de domicile ou la reconnaissance que même si le bail a été exécuté par l’une ou l’autre des parties à l’extérieur du district judiciaire de Montréal, elles élisent domicile dans le district judiciaire de Montréal, ne peut empêcher l’application de l’article 68.3o C.p.c.

[17]        Si une distinction doit être faite entre le présent dossier et celui qu’opposait Hydro-Québec et l’un de ses fournisseurs dans l’arrêt Hydro-Québec c. Canmec Industriel et Construction Euler[3], elle se justifie dans la rédaction du contrat et de la clause pertinente dans chacun des deux dossiers. Dans le dossier Hydro-Québec les parties ont reconnu dans le contrat que celui-ci avait été conclu à Montréal. Dans le présent dossier, il n’y a aucune reconnaissance aussi spécifique à ce sujet si ce n’est que l’entête du contrat indique qu’il a été signé à Montréal. Cela est toutefois contredit par les allégations de la requête lesquelles doivent, à ce stade-ci, être tenues pour avérées d’autant qu’aucune preuve contraire n’a été présentée, ce qui aurait été possible.[4]

[18]        Bien que cela n’apparaisse peut-être pas essentiel au présent jugement compte tenu des distinctions à faire entre ce dossier et celui dans lequel la Cour d’appel a rendu jugement en mai 2014 le Tribunal ne peut ignorer l’importante dissidence de l’honorable Dominique Bélanger ainsi que les principes émis par la Cour d’appel en 1987 dans l’arrêt Vidéo Jaklan Inc. c. Cadieux. Ces principes bien que soulignés par l’honorable juge Bélanger ne semblent toutefois pas avoir été discutés par les juges majoritaires dans l’arrêt Hydro-Québec.

[19]        Quoi qu’il en soit, le Tribunal considère que les parties ne peuvent par contrat aller à l’encontre des dispositions de l’article 68 C.p.c. quant au lieu d’introduction de l’action et que malgré les termes du contrat (P-5), la défenderesse conservait l’option d’intenter son recours soit dans le district du domicile réel de la défenderesse, ou encore celui du domicile élu par les parties aux fins du contrat ou dans le district judiciaire où le contrat a été réellement conclu.

[20]        Cette option, ouverte à la demanderesse, lui permettait donc d’intenter son recours dans le district judiciaire de Saint-François, ce qu’elle a fait et aucune entente ne pouvait l’empêcher de le faire.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]        REJETTE le moyen déclinatoire invoqué par la défenderesse et REFUSE de renvoyer les parties devant la Cour supérieure du district de Montréal.

[22]        LE TOUT AVEC dépens.

 

 

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MARTIN BUREAU, J.C.S.

 

Me Marcel Després

Procureur de la demanderesse

 

Me Audrey-Julie Dallaire

Procureure de la défenderesse

 

Date d’audience :

Le 7 avril 2015

 



[1] Spar Aerospace c. American Mobile Satellite 2002 4 RCS 205 (page 223, par. 31).

[2] Vidéo Jaklan Inc. -vs- Louise Cadieux, [1987] R.D., 312.

[3] 2014, QCCA 919.

[4] Op. cit. 1, page 223 par. 32.

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