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[1] Le 13 octobre 2004, la succession de monsieur Gérard Garneau dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la réclamation pour indemnités de décès déposée par madame Myrella Galarneau, conjointe de feu monsieur Gérard Garneau.
[3] À l’audience tenue le 22 juin 2005, madame Galarneau est présente et elle est représentée. Le dossier est pris en délibéré le jour de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Madame Myrella Galarneau demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa réclamation pour indemnités de décès est recevable. Elle demande également à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a droit aux indemnités de décès prévues à la loi à la suite du décès de son époux, monsieur Gérard Garneau.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont d’avis que la réclamation de madame Myrella Galarneau est déposée hors le délai prévu à la loi. Toutefois, elle a fait valoir des motifs qui doivent être considérés raisonnables pour la relever de son défaut de respecter le délai pour déposer sa réclamation. Les membres sont d’avis qu’une telle situation aurait été évitée si la CSST, sur réception des informations concernant le décès de monsieur Garneau, avait apporté tout le soutien normalement attendu dans de telles circonstances.
[6] Toutefois, il n’est pas démontré que monsieur Gérard Garneau est décédé de la silicose pour laquelle une rente lui était versée en vertu des dispositions de la Loi sur les accidents du travail[1] (la LAT). En conséquence, aucune indemnité de décès ne peut être versée dans la présente affaire.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la réclamation pour indemnités de décès déposée par madame Myrella Galarneau est recevable et, dans l’affirmative, si elle a droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
[8] Afin de disposer de l’objet de la contestation, la Commission des lésions professionnelles réfère aux dispositions suivantes de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
58. Malgré le paragraphe 2° de l'article 57, lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle, cette indemnité continue d'être versée à son conjoint pendant les trois mois qui suivent le décès.
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1985, c. 6, a. 58.
95. Le travailleur qui décède alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu par suite d'une maladie professionnelle pouvant entraîner le décès est présumé décédé en raison de cette maladie.
Cette présomption ne s'applique que si la Commission a la possibilité de faire faire l'autopsie du travailleur.
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1985, c. 6, a. 95.
97. Le décès d'un travailleur en raison d'une lésion professionnelle donne droit aux indemnités prévues par la présente section.
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1985, c. 6, a. 97.
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
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1985, c. 6, a. 272.
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
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1985, c. 6, a. 352.
553. Sous réserve de l'article 555, les dispositions de la présente loi s'appliquent aux accidents du travail et aux décès qui surviennent à compter de la date de leur entrée en vigueur.
Sous réserve de l'article 555 et du premier alinéa de l'article 576, ces dispositions s'appliquent aux maladies professionnelles pour lesquelles une réclamation est faite à compter de la date de leur entrée en vigueur.
Ces dispositions s'appliquent en outre à la classification et à la cotisation faites pour l'année 1986 et les années subséquentes et à l'imputation faite à compter de la date de leur entrée en vigueur.
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1985, c. 6, a. 553.
[9] Le premier alinéa de l’article 553 stipule que les dispositions de la loi s’appliquent aux décès qui surviennent à compter de la date de leur entrée en vigueur, soit depuis 1985. La Commission des lésions professionnelles a donc compétence pour disposer de la présente affaire.
[10] Les dispositions du premier alinéa de l'article 272 de la loi précisent que le bénéficiaire doit produire une réclamation dans les six mois de la date où il est porté à sa connaissance que le travailleur est décédé de la maladie professionnelle dont il est reconnu porteur.
[11] Il n’est pas contredit que la réclamation, signée par madame Myrella Galarneau est déposée le 15 avril 2004 et que le décès de monsieur Gérard Garneau, son époux, est survenu le 27 décembre 2002.
[12] La Commission des lésions professionnelles est d’avis de relever madame Myrella Galarneau de son défaut de déposer tardivement sa réclamation pour indemnités de décès puisque que son représentant fait valoir les motifs raisonnables qui suivent.
[13] Madame Galarneau est une dame de 73 ans peu instruite et peu autonome. Feu monsieur Gérard Garneau veillait aux affaires du couple. Madame Galarneau s’occupait de la maison pendant les trente et une années de vie commune.
[14] Elle est très affectée par le décès de son époux et elle est traitée avec une médication importante et soutenue, dont le Clonazépam, à compter du 16 janvier 2003. Elle n’est pas réellement en mesure de s’occuper de façon diligente et assidue des affaires, dont elle ne s’est jamais préoccupée auparavant, à cause des effets des médicaments d’une part, mais par ignorance et inexpérience d’autre part. Angoissée, elle arrive péniblement à prendre le dessus et à vivre son deuil.
[15] Au moment du décès de monsieur Garneau, une rente pour incapacité partielle permanente lui est versée depuis 1979 pour une silicose reconnue comme maladie pulmonaire professionnelle.
[16] Entre le moment du décès de son époux et le printemps 2004, madame Galarneau est convaincue que la rente versée à son époux décédé sera reconduite. À ce sujet, le docteur F. Grégoire lui avait confirmé que, compte tenu de la maladie professionnelle dont était porteur son époux, qu’elle recevrait des indemnités à son décès. Selon elle, le docteur était une source digne de confiance.
[17] Dans la décision de la CSST rendue à la suite de la révision administrative, il est indiqué que madame Galarneau s’est renseignée à la CSST seize mois après le décès de son époux, ce qui lui est fatal au plan de sa réclamation. Certes, le délai est important. Toutefois, madame Galarneau n’a jamais pris connaissance des causes du décès. Elle a bien reçu divers documents, mais inexpérimentée à s’occuper des affaires courantes, elle n’a pas pris connaissance des documents reçus. De plus, il ne transparaît pas des éléments au dossier que la CSST a pu fournir une quelconque assistance à madame Galarneau après le 17 janvier 2003, date où elle a mis fin au versement de la rente pour incapacité partielle permanente. L’employeur, entreprise minière fermée au décès de monsieur Garneau, ne pouvait constituer non plus une source d’aide et d’information.
[18] Finalement, le bulletin de décès est porté à la connaissance du représentant de madame Galarneau aux alentours du 28 juin ou 2 juillet 2004. Entre temps, sur les conseils d’un de ses fils, madame Galarneau dépose une réclamation pour indemnités de décès le 15 avril 2004.
[19] Contrairement à la CSST, la Commission des lésions professionnelles considère que l’âge avancé de madame Galarneau, son état de santé précaire, la gestion de son angoisse et les effets secondaires de la médication importante prise, son inexpérience totale de la gestion des affaires courantes, la confiance aux propos du docteur F. Grégoire sur le versement éventuel des indemnités de décès, l’absence d’assistance de l’employeur et de la CSST, constituent des circonstances particulières qui expliquent raisonnablement l’attitude passive de madame Galarneau quant au versement d’éventuelles indemnités de décès.
[20] Vu les motifs raisonnables invoqués plus avant, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il y a lieu de relever madame Galarneau des conséquences de son défaut de déposer une réclamation dans le délai prévu à l’article 272 de la loi.
[21] La Commission des lésions professionnelles déclare donc recevable la réclamation déposée par madame Galarneau le 15 avril 2004.
[22] Il reste maintenant à déterminer si madame Galarneau a droit au versement des indemnités de décès prévues à la loi. En d’autres mots, si la silicose est la cause du décès de monsieur Garneau.
[23] D’abord, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la présomption de l’article 95 de la loi ne peut s’appliquer dans les circonstances. Cet article prévoit qu’un travailleur qui décède alors qu’il reçoit une indemnité de remplacement du revenu à la suite d’une maladie professionnelle pouvant entraîner le décès est présumé décédé en raison de cette maladie à la condition que la CSST ait la possibilité de faire faire l’autopsie du travailleur.
[24] À la revue des éléments au dossier de monsieur Garneau, la Commission des lésions professionnelles constate que, le 11 février 1971, la CSST l’informe qu’une compensation pour incapacité totale temporaire lui sera versée sous forme de rente mensuelle. Le 7 mai 1971, la CSST l’informe que sa rente mensuelle, pour une incapacité partielle permanente de 25 %, est de 97,54 $ payable le dernier jour de chaque mois. Le 18 mai 1972, monsieur Garneau est informé que, à la suite de l’augmentation de son incapacité à 30 %, sa rente mensuelle est de 99,49 $. Le 10 janvier 1980, il est indiqué que la rente mensuelle est de 262,98 $ à la suite de son incapacité de 30 % pour silicose, laquelle demeure inchangée depuis 1974. Le 18 février 1981, un ajustement rétroactif de la rente mensuelle est annoncé pour compenser une augmentation du pourcentage d’incapacité
[25] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la rente mensuelle versée à monsieur Garneau pour compenser son incapacité partielle permanente ne constitue pas une indemnité de remplacement du revenu. En effet, cette dernière est versée lorsque le travailleur devient incapable d’exercer son emploi selon les dispositions de l'article 44 de la loi, cité plus avant. L’indemnité de remplacement du revenu vise à compenser l’incapacité de gains en raison de la lésion professionnelle. Or, la rente mensuelle versée au travailleur en vertu de la loi vise à compenser une atteinte à son intégrité physique qui résulte de sa maladie pulmonaire professionnelle, soit la silicose.
[26] D’ailleurs, dans d’autres décisions, il fut reconnu que la rente reçue par un travailleur pour compenser une incapacité partielle permanente, comme celle que reçoit monsieur Garneau au moment de son décès, ne constitue pas une indemnité de remplacement du revenu[3].
[27] De plus, la revue des éléments au dossier ne permet pas de conclure que la CSST a eu la possibilité de faire faire l’autopsie du travailleur. Or, ce n’est qu’à cette condition que la présomption de l’article 95 de la loi peut s’appliquer.
[28] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles conclut que la présomption de l’article 95 ne peut s’appliquer. Puisque monsieur Garneau ne reçoit pas d’indemnité de remplacement du revenu, mais plutôt une rente pour compenser une atteinte à son intégrité physique au moment de son décès, les dispositions de l'article 58 de la loi ne peuvent s’appliquer et il n’est pas requis de poursuivre le versement de la rente dans les trois mois qui suivent le décès.
[29] En l’espèce, le décès de monsieur Garneau, tel qu’il ressort du bulletin de décès complété le 27 décembre 2002, est attribuable à une maladie pulmonaire obstructive chronique sévère terminale, à une maladie cardiaque artéro-sclérotique et à une insuffisance cardiaque et rénale. Ces diagnostics sont retenus d’ailleurs depuis plusieurs années.
[30] Le représentant de madame Galarneau allègue que les causes du décès sont reliées directement à la silicose dont est reconnu porteur feu monsieur Garneau à titre de maladie pulmonaire professionnelle.
[31] À la lecture de la brochure sur la maladie pulmonaire obstructive chronique[4], la Commission des lésions professionnelles retient que cette maladie est le résultat de lésions causées aux poumons sur une période de plusieurs années. Elle entraîne une obstruction chronique du passage de l’air, dont le symptôme principal est la dyspnée ou l’essoufflement, qui s’accompagne souvent d’une toux et d’une respiration sifflante. Cette maladie évolue lentement et s’aggrave avec le temps. Elle est incurable. À ce sujet, le 9 août 1974, le docteur F. Grégoire, président du Comité de pneumoconiose, indique que les tests respiratoires laissent croire que le syndrome obstructif de feu monsieur Garneau est irréversible.
[32] D’après les informations fournies dans la brochure, le tabagisme étalé sur plusieurs années apparaît être une cause de la maladie pulmonaire obstructive chronique. Or, le 1er novembre 1979, il est reconnu que monsieur Garneau est un fumeur de 40 paquets/année et qu’il se plaint de dyspnée ou d’essoufflement, de toux et d’expectorations matinales bien qu’il a cessé de fumer en 1976. D’ailleurs, les trois pneumologues du Comité de pneumoconiose considèrent alors que le bilan fonctionnel respiratoire montre un syndrome obstructif modéré avec trapping gazeux.
[33] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, déjà en 1979, la maladie obstructive chronique apparaît plus importante que la silicose qui est davantage un syndrome restrictif qui peut aggraver le syndrome obstructif. Toutefois, aucune preuve médicale prépondérante n’est offerte à la Commission des lésions professionnelles pour démontrer que la silicose constitue un facteur aggravant de la maladie pulmonaire obstructive chronique à tel point qu’elle constitue un facteur significatif du décès de monsieur Garneau. D’ailleurs, sur le bulletin de décès, il n’est pas indiqué que la silicose est une cause du décès de monsieur Garneau.
[34] La simple allégation que la silicose s’apparente à une maladie pulmonaire obstructive chronique ne constitue pas une preuve médicale prépondérante qu’il y a une relation entre le décès de monsieur Garneau et la silicose pour laquelle une rente lui est versée en vertu de la Loi sur les accidents du travail (la LAT).
[35] Sans exiger une preuve scientifique absolue, la Commission des lésions professionnelles est en droit de requérir une preuve médicale prépondérante qui établit, selon la prépondérance des probabilités, une relation causale entre la silicose et le décès de monsieur Garneau. Or, faute d’une telle preuve, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure, comme le voudrait la partie requérante, à une telle relation.
[36] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que madame Myrella Galarneau n’a pas droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête de madame Myrella Galarneau déposée le 13 octobre 2004;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 septembre 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la réclamation de madame Galarneau déposée le 15 avril 2004 est recevable;
DÉCLARE que madame Galarneau n’a pas droit aux indemnités de décès prévues à la loi.
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Me Pierre Prégent |
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Commissaire |
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Donald Fournier |
Représentant de la partie requérante |
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Carole Côté |
ASSOCIATION MINIÈRE DU QUÉBEC |
Représentante de la partie intéressée |
AVIS :
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