DÉCISION
[1] Le 2 octobre 2002, madame Doris Boudreault (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue, le 24 septembre 2002, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 25 juin 2002 en déclarant qu’elle était justifiée de suspendre, à compter du 10 juin 2002, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, et ce en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), puisque celle-ci a refusé d'exécuter le travail que l’entreprise « Michael Rossy ltée » (l’employeur) lui avait assigné temporairement conformément à l'article 179 de la loi.
[3] La travailleuse est présente à l’audience et elle est représentée. Le procureur de la CSST a, pour sa part, avisé le tribunal de son absence. Quant à l’employeur, il n’a délégué personne pour le représenter.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la CSST ne pouvait suspendre son indemnité de remplacement du revenu puisque, d’une part, l’assignation temporaire proposée par l’employeur ne respectait pas les conditions prévues à l’article 179 de la loi et, d’autre part, il n’y avait plus de lien d’emploi entre elle et l’employeur.
LES FAITS
[5] La preuve documentaire et testimoniale présentée à la Commission des lésions professionnelles révèle notamment les faits énoncés dans les paragraphes qui suivent.
[6] La travailleuse exerce les fonctions de commis caissière lorsqu’elle est victime d’un accident du travail le 8 novembre 2001.
[7] Le lendemain, le docteur Bourdua mentionne qu’elle souffre d’une douleur au pouce droit. Le docteur Labelle pose, quant à lui, un diagnostic d’entorse carpo-métacarpienne du pouce droit et il produit un rapport final indiquant que cette lésion sera consolidée le 19 novembre 2001, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique de la travailleuse, ni limitations fonctionnelles; il suggère une affectation à des travaux légers qui ne nécessitent pas l’utilisation de la main droite pendant 10 jours, puis un retour au travail normal.
[8] Par la suite, la travailleuse consulte les docteurs Phung et Brassard.
[9] Elle retourne au travail en décembre 2001 et elle est affectée à des travaux légers jusqu’au 24 janvier 2002, date qui correspond à sa dernière journée de travail au service de l’employeur, puisqu’elle décide alors de déménager de Sept-Îles à Baie-Comeau. L’employeur indique, dans un relevé d’emploi ou un avis de cessation d’emploi, que le motif de cette fin d’emploi est le déménagement de la travailleuse.
[10] Du 28 janvier au 7 février 2002, la travailleuse occupe un poste de femme de chambre chez un autre employeur.
[11] Le 12 février 2002, elle décide de se faire traiter par la docteure Danielle Bossé.
[12] Le 14 mai 2002, le docteur Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de la CSST. Selon lui, sa lésion initiale est guérie, mais il persiste une sésamoïdite interne post-traumatique du pouce droit. Il lui recommande de prendre des médicaments anti-inflammatoires pendant deux à quatre semaines et, s’il n’y a pas d’amélioration, il suggère une infiltration. Il prévoit que cette condition sera consolidée dans quatre à huit semaines. Il considère cependant que la travailleuse peut travailler à temps plein pour autant qu’elle n’ait pas à faire de mouvements répétés avec son pouce droit ni à faire d’effort avec ce pouce.
[13] Le 4 juin 2002, la docteure Bossé approuve l’assignation temporaire proposée par l’employeur qui consiste à servir les clients du magasin, à placer la marchandise sur les tablettes et à effectuer d’autres travaux à condition d’éviter de lever des boîtes et de se servir de sa main droite. Peu après, la docteure Bossé se montre d’accord avec l’opinion du docteur Fradet au regard des diagnostics en cause et du plan de traitement qui doit être appliqué.
[14] Le 7 juin 2002, l’agente d’indemnisation de la CSST informe la travailleuse de l’approbation de son assignation temporaire par son médecin traitant. L’employeur contacte la travailleuse pour lui demander de revenir au travail, en assignation temporaire, le 10 juin.
[15] La travailleuse ne donne pas suite à cette demande. Elle ne la conteste toutefois pas.
[16] Le 14 juin 2002, l’employeur confirme à la travailleuse son assignation temporaire au moyen d’une lettre transmise par courrier recommandé.
[17] Le 25 juin 2002, la CSST informe la travailleuse de sa décision de suspendre son indemnité de remplacement du revenu parce qu’elle a, sans raison valable, omis ou refusé d’exécuter le travail que son employeur lui a assigné temporairement depuis le 10 juin.
[18] Le 25 juillet 2002, la travailleuse demande à la CSST de réviser sa décision. Elle fournit, entre autres, les explications suivantes au soutien de sa demande :
« (…) Le directeur de Rossy me demande de rentrer le lundi. Moi j’ai essayer de lui faire comprendre que ça n’avait aucun sens tout les coûts que ça va me demander de redéménager à Sept-Îles juste pour aller essayer quand moi je le sais que je ne suis pas guérit. Je trouvais la situation très difficile. Car en plus j’avais eu ma cessation de travail qui était marqué (Déménagement). Dans ma tête je ne comprenais pas pourquoi un assignation temp. à Sept-Ïles et chez cet employeur. Pour moi je n’étais plus leur employée.
Je me suis inscrite a une formation qui débutera le 26 août, car moi j’avais décidé au mois d’avril et j’en avais parlé avec Louise Boudreau (l’agente d’indemnisation) car je ne veux plus faire ce métier. Car moi je veux améliorer ma vie.
Mon inscription est payé. Secrétariat comptabilité. » (sic) (caractères gras ajoutés)
[19] La CSST confirme, à la suite d’une révision administrative, sa décision initiale du 25 juin 2002, d’où la contestation de la travailleuse qui fait l’objet de la présente décision.
[20] Par ailleurs, le procureur de la travailleuse écrit ce qui suit pour justifier une demande de remise de l’audience initialement prévue le 28 février 2003 dans le présent dossier :
« Une demande de révision a été introduite le 10 février 2003, suite à la décision rendue le 5 février 2003 par le directeur de la Santé et sécurité intérimaire Monsieur Alain Labrie, à l’effet de maintenir l’assignation temporaire d’emploi de notre cliente. Cette décision a été rendue à la suite d’une procédure en mandamus que nous lui avons signifiée. Le litige qui devait être entendu le 28 février concerne l’assignation temporaire au travail. Advenant le cas où l’agent de révision ne nous donne pas raison, nous devrons introduire un recours devant votre commission … » (sic)
[21] Le 21 mars 2003, la CSST rend une autre décision à la suite d’une révision administrative. Aucune requête n’est déposée à la Commission des lésions professionnelles pour contester cette décision par laquelle la CSST « déclare que l’assignation temporaire offerte par l’employeur n’est pas conforme puisqu’elle ne respecte pas les dispositions prévues à l’article 179 de la LATMP. »
[22] Au cours de son témoignage, la travailleuse confirme qu’elle n’a pas contesté, selon la procédure prévue à la loi, son assignation temporaire. Elle précise, par ailleurs, qu’elle se sent limitée, parce que ses capacités ont changé; elle reconnaît toutefois qu’elle ne reçoit aucun soin ou traitement médical depuis le mois de juin 2002.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[23] Le procureur de la travailleuse soumet que celle-ci n’était pas raisonnablement en mesure d’exécuter les tâches proposées par l’employeur, que ces tâches comportaient des risques d’aggraver sa lésion et que ce travail n’était pas favorable à sa réadaptation. Il soutient donc que cette assignation temporaire ne répondait pas aux conditions prévues à l’article 179 de la loi. Il en conclut que la travailleuse n’était pas tenue de faire ce travail et que, par conséquent, la CSST ne pouvait pas suspendre son indemnité de remplacement du revenu en vertu du paragraphe 142 (2) (e) de la loi.
[24] Il ajoute que, le contrat de travail liant l’employeur et la travailleuse ayant été rompu par cette dernière, il était par ailleurs impossible de lui assigner un travail temporaire.
L'AVIS DES MEMBRES
[25] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que le lien d’emploi entre l’employeur et la travailleuse ayant été rompu, il n’était plus possible de procéder à une assignation temporaire.
[26] Par contre, ils estiment que la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse parce c’est sa décision unilatérale de démissionner qui a rendu impossible son assignation à un travail temporaire.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[27] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre, à compter du 10 juin 2002, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.
[28] Premièrement, le tribunal constate que l’employeur a proposé à la travailleuse une assignation temporaire et que cette assignation a été approuvée par le médecin traitant de cette dernière, comme l’exige l’article 179 de la loi qui se lit ainsi :
« 179. L'employeur d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle peut assigner temporairement un travail à ce dernier, en attendant qu'il redevienne capable d'exercer son emploi ou devienne capable d'exercer un emploi convenable, même si sa lésion n'est pas consolidée, si le médecin qui a charge du travailleur croit que :
1 le travailleur est raisonnablement en mesure d'accomplir ce travail;
2 ce travail ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion; et
3 ce travail est favorable à la réadaptation du travailleur.
Si le travailleur n'est pas d'accord avec le médecin, il peut se prévaloir de la procédure prévue par les articles 37 à 37.3 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S - 2.1), mais dans ce cas, il n'est pas tenu de faire le travail que lui assigne son employeur tant que le rapport du médecin n'est pas confirmé par une décision finale. »
[29] Deuxièmement, la travailleuse ne s’est pas prévalue de la procédure prévue à la loi pour contester cette assignation. Elle ne peut donc, comme a voulu le faire son procureur à l’audience, remettre en cause cette assignation en alléguant qu’elle n’était pas raisonnablement en mesure d’exécuter les tâches proposées par l’employeur, que ces tâches comportaient des risques d’aggraver sa lésion et que ce travail n’était pas favorable à sa réadaptation.
[30] Par contre, l’article 179 de la loi exige que le lien contractuel unissant un employeur et un travailleur existe pour qu’une telle assignation temporaire puisse se réaliser. Ainsi, dans l’affaire Denis Harvey Chaput[2], la Commission des lésions professionnelles affirmait ceci :
« L'employeur peut donc assigner temporairement un travail à un travailleur victime d'une lésion professionnelle non consolidée, dans la mesure où ce dernier est toujours à son emploi. Lorsque le lien d'emploi est rompu, l'employeur ne peut plus assigner le travailleur à un travail temporaire. (…) » (caractères gras ajoutés)
[31] La travailleuse ayant ni plus ni moins donné sa démission, à compter du 24 janvier 2002, pour des raisons de nature purement personnelle, c’est-à-dire qu’elle a décidé de déménager, de ne plus exercer son métier de commis caissière et de parfaire sa formation, le tribunal conclut que l’employeur ici en cause n’était plus son employeur et ne pouvait plus lui assigner temporairement quelque travail que ce soit. Cette rupture du lien d’emploi est à la fois admise par la travailleuse et formalisée par l’employeur qui a produit un relevé d’emploi qui en fait état.
[32] Par ailleurs, qu’advient-il de son indemnité de remplacement du revenu?
[33] Le droit à une telle indemnité naît, se poursuit et s’éteint dans les circonstances prévues à la loi qui énonce ce qui suit :
« 44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
(…)
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
(…)
« 57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante‑huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui‑ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi. »
[34] Il est établi, dans le présent cas, que la travailleuse est devenue incapable d’exercer les attributions de son emploi à cause de sa lésion professionnelle; par conséquent, elle a droit à une indemnité de remplacement du revenu, et ce tant que sa lésion n’est pas consolidée, à moins d’une preuve contraire. Par ailleurs, les causes d’extinction de ce droit, énoncées à l’article 57 de la loi, ne s’appliquent pas en l’instance.
[35] Cependant, la loi permet à la CSST de réduire ou de suspendre le paiement d’une indemnité si la travailleuse omet ou refuse, sans raison valable, de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement. Voici comment se lit la disposition pertinente de la loi :
« 142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
(…)
20 si le travailleur, sans raison valable :
(…)
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 (…) »
[36] Or, le tribunal est d’avis que la CSST était justifiée de suspendre, à compter du 10 juin 2002, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, parce que c’est exclusivement la décision de cette dernière qui a rendu impossible l’assignation temporaire que son employeur lui a proposée.
[37] Ce point de vue se dégage directement de cette disposition de la loi, ainsi que de décisions antérieures de la Commission des lésions professionnelles qui s’est prononcée en la matière.
[38] Ainsi, dans l’affaire Reeves[3], le lien d’emploi unissant l’employeur et la travailleuse a été rompu dans le contexte d’un programme de départs volontaires négocié par l’employeur - le gouvernement en l’occurrence - et les associations syndicales. On a conclu, en raison de cette rupture d’emploi, que l’employeur ne pouvait pas offrir à la travailleuse un travail en assignation temporaire. On précisait, toutefois, que cette conséquence n’était pas attribuable à la travailleuse, mais découlait des modalités de l’entente à laquelle l’employeur avait librement consenti. On concluait alors que l’employeur avait implicitement renoncé à la possibilité d’offrir à la travailleuse en cause une assignation temporaire. On ajoutait que ce n’était « donc pas principalement la travailleuse qui a omis ou refusé d’effectuer un travail offert en assignation temporaire mais l’employeur qui a mis fin à ladite assignation par le jeu des conséquences de l’entente volontairement signée. »
[39] Dans l’affaire Manning[4], la commissaire formulait la remarque suivante :
« La Commission des lésions professionnelles conclut ainsi que le travailleur avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 12 septembre 2001 parce qu’il ne pouvait plus y avoir d’assignation temporaire, sans que le travailleur ne l’ait volontairement compromise (…). » (caractères gras ajoutés)
[40] En l’instance, il est clair que l’employeur n’a jamais renoncé, ni implicitement ni explicitement, à la possibilité d’offrir à la travailleuse une assignation temporaire. C’est plutôt cette dernière qui a rendu impossible une telle assignation en démissionnant volontairement.
[41] Par conséquent, le tribunal conclut que la CSST pouvait suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, parce que celle-ci a omis ou refusé., sans raison valable, de faire le travail que son employeur voulait lui assigner temporairement.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Doris Boudreault;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue, le 24 septembre 2002, à la suite d’une révision administrative; et
DÉCLARE que la CSST était justifiée de suspendre, à compter du 10 juin 2002, l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.
|
|
|
Jean-Maurice Laliberté |
|
Commissaire |
|
|
|
|
CENTRE COMMUNAUTAIRE JURIDIQUE DE LA CÔTE-NORD (Me Stéphane Pouliot) |
|
|
|
Représentant de la partie requérante |
PANNETON, LESSARD
(Me Jean-Marc Hamel)
Représentant de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.