Décision

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Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, Compagnie d'assurance-vie

2021 QCCS 2455

 COUR SUPÉRIEURE

(Action collective)

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

 

No :

 

  200-06-000134-117

 

 

 

DATE :

 14 JUIN 2021

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE bernard godbout, J.C.S.

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

JEAN-PAUL DUPUIS

-et-

FRANCIS TREMBLAY

 

Demandeurs

 

c.

 

DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE, COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE

-et-

DESJARDINS GESTION INTERNATIONALE D’ACTIFS INC.

 

Défenderesses

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

JUGEMENT SUR DES OBJECTIONS

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

[1]          Les défenderesses, Desjardins Sécurité Financière, compagnie d’assurance-vie (DSF) et Desjardins Gestion Internationale d’Actifs inc. (DGIA), s’objectent à communiquer certains documents que requièrent les demandeurs, MM. Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay, dans le cadre d’une demande de préengagements[1] en vue des interrogatoires au préalable de Mme Julie Bouchard, M. André Langlois et M. Jacques Lussier respectivement tenus les 18 février, 24 février et 16 octobre 2020, au cours desquels d’autres objections à certaines demandes de documents ont aussi été formulées.

[2]          Ces objections ont été regroupées sous six thèmes, ce qui apparaît de deux tableaux des objections rédigés par les demandeurs et les défenderesses[2], soit :

I-          Demandes relatives au rendement;

II-         Demandes relatives au capital;

III-        Demandes relatives aux frais;

IV-       Demandes relatives aux fiches descriptives des produits;

V-        Demandes relatives à l’identité des représentants des défenderesses;

VI-       Demandes relatives aux membres de l’action collective.

[3]          Les représentations de part et d’autre des avocats sur ces objections font ressortir, une fois de plus, que l’une et l’autre des parties ne font pas la même lecture du litige qui les oppose. Ce qui, en soi, n’est pas anormal. Bien évidemment, chaque partie propose sa théorie de cause qui motive la preuve qu’elle entend présenter à l’instruction. C’est donc dans le contexte de la préparation de cette preuve que survient le présent litige.

[4]          Toutefois, à l’étape de la constitution et de la communication de la preuve avant l’instruction, il peut arriver que des précisions soient nécessaires de façon à bien encadrer le litige, ce qui, en principe, devrait aider l’une et l’autre des parties à circonscrire la preuve qu’elles entendent présenter et ainsi favoriser le déroulement de l’instance.

[5]          Quel est réellement le litige qui oppose les parties?

[6]          En matière d’action collective, la réponse à cette question devrait se retrouver à la fois dans le jugement d’autorisation du 30 novembre 2015 et bien évidemment, dans la demande introductive d’instance modifiée le 19 janvier 2018 et la défense du 29 juin 2018.

LE CONTEXTE

[7]          Le jugement d’autorisation d’exercer la présente action collective accorde à MM. Dupuis et Tremblay le statut de représentants des deux groupes décrits comme suit :

Groupe Principal

Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 16 juin 2011 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui, en date du 31 décembre 2008, détenaient le Placement Indices Plus Stratégique ou le Placement Indices Plus Tactique émis par l’intimée Desjardins Sécurité financière.

ET

Groupe Consommateur

Toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, qui, en date du 31 décembre 2008, détenaient le Placement Indices Plus Stratégique ou le Placement Indices Plus Tactique émis par l’intimée Desjardins Sécurité Financière.

[2]        MM. Dupuis et Tremblay précisent que le Groupe Consommateur est proposé aux fins de l’application de la Loi sur la protection du consommateur RLRQ, c. P-40.1 et que les membres de ce groupe font partie du Groupe Principal, les deux étant collectivement désignés le « Groupe ».[3]

[8]          Cette action collective regroupe donc les personnes physiques et morales de droit privé qui, en date du 31 décembre 2008, détenaient le Placement Indices Plus Stratégique (Placement IPS) ou le Placement Indices Plus Tactique (Placement IPT) émis par Desjardins Sécurité Financière (DSF).

[9]          Elle fait suite au désinvestissement par Desjardins Gestion Internationale d’Actifs inc. (DGIA) à l’automne 2008 des actifs affectés spécifiquement au rendement des Placements IPS et IPT qui a eu pour conséquence la perte de toute possibilité de rendement sur ces placements.

[10]       L’action collective soulève donc à l’égard de DSF des questions de responsabilité contractuelle à titre d’émetteur des Placements IPS et IPT et à l’égard de DGIA des questions de responsabilité extracontractuelle à titre de gestionnaire de ces placements.

[11]       Ainsi, ce recours consiste essentiellement à une action en dommages-intérêts et en dommages-intérêts punitifs.

LES PLACEMENTS IPS ET IPT

[12]       Les Placements IPS et IPT sont deux options ou véhicules de placement à terme pouvant varier de 3 à 8,5 ans destinés aux personnes ayant adhéré à un contrat de rente auprès de DSF. Le Placement IPS est incorporé dans un contrat de rente d’un régime enregistré d’épargne retraite (REER) et le Placement IPT est incorporé dans un contrat de rente hors REER.

[13]       La première émission du Placement IPS a eu lieu le 1er avril 1998 et a été offerte sur une base trimestrielle les 1er janvier, 1er avril, 1er juillet et 1er octobre de chaque année jusqu’au 1er juillet 2008.

[14]       La première émission du Placement IPT a eu lieu le 1er novembre 2001 et a été offerte sur la même base trimestrielle que le Placement IPS jusqu’au 1er juillet 2008.

[15]       Au total, 113 émissions du Placement IPS ont été faites d’avril 1998 à juillet 2008, ainsi que 80 émissions du Placement IPT de novembre 2001 à juillet 2008.

[16]       C’est au cours de l’automne 2008 que DGIA procède au désinvestissement des sommes affectées au rendement des Placements IPS et IPT, causant ainsi la perte de toute possibilité de rendement.

[17]       Il y a eu 70 émissions d’options de placement IPS et IPT qui sont arrivées à échéance avant le 31 décembre 2008.

[18]       L’un et l’autre des Placements IPS et IPT présentent une caractéristique identique, à savoir que le capital investi est garanti à l’échéance du terme, mais que le rendement est variable.

[19]       Selon certaines allégations de la défense, ils sont constitués ainsi :

-       Lors d’une émission d’une option de placement IPS ou IPT, une large portion du capital versé par les preneurs, de l’ordre de 80 à 85 %, est déposée dans les fonds généraux de DSF, de manière à ce que DSF soit en mesure d’honorer la garantie de capital à l’échéance[4].

-       Le dépôt dans les fonds généraux de DSF d’une large portion du capital versé par les preneurs équivaut à la valeur à terme d’obligations à coupon zéro achetées par DSF, dont la valeur nominale totale est égale au capital garanti et dont l’échéance est identique à celle de l’option de placement IPS ou IPT. Cette obligation à coupon zéro constitue la garantie du capital[5].

[20]       Le rendement des options de placement IPS et IPT n’est pas garanti, il est variable et est lié au rendement de fonds de couverture constitué ainsi :

-       Lors de l’émission d’une option de placement IPS ou IPT, le reste du capital versé par les preneurs, soit environ 15 à 20 %, est déposé dans un compte de marché monétaire. Ces sommes sont investies principalement dans des titres de marché monétaire, c’est-à-dire des titres de créance à court terme facilement négociables d’émetteurs dont la cote de notation financière est des plus élevées[6].

-       Ce compte de marché monétaire sert à obtenir un emprunt auprès de La Banque de Nouvelle-Écosse approximativement équivalent au capital versé par les preneurs, lequel emprunt est investi dans des fonds de couverture[7].

-       La taille de l’investissement dans les fonds de couverture représente ainsi un multiple du solde du compte de marché monétaire et est appelée « levier »[8].

-       Le terme levier désigne donc cette technique utilisée dans le contexte de la gestion d’un produit à capital garanti qui permet d’acquérir des actifs en ne mettant à contribution qu’une portion du capital afin de générer le rendement[9].

[21]       Cette technique est décrite de la façon suivante dans un document que DSF a mis à la disposition des conseillers qui vendaient ces produits :

 

Une portion du dépôt est investie dans une obligation à coupon zéro dans le but d’en garantir la valeur à l’échéance. Le reste est placé dans des titres du marché monétaire et sert de garantie à l’égard d’un prêt d’un montant équivalant à celui du dépôt initial qui est accordé par une institution financière. Cette somme est investie dans des fonds de couverture. Ainsi, la valeur du dépôt à l’échéance est non seulement garantie, mais elle augmente grâce au rendement des titres du marché monétaire et à la performance des stratégies des fonds de couverture.[10]

[22]       Ce sont donc les sommes placées dans des titres du marché monétaire, ainsi que les sommes empruntées et investies dans les fonds de couverture qui auraient fait l’objet du désinvestissement, provoquant ainsi la perte de toute possibilité de rendement.

CE QUE REPROCHENT LES DEMANDEURS

[23]       La demande introductive d’instance reproche essentiellement à DSF, dans le cadre de ses obligations contractuelles, ce qui suit :

Malgré (les) mises en garde non équivoques des (Autorités canadiennes en valeurs mobilières), la défenderesse DSF a manqué à ses obligations d'informer adéquatement les membres du groupe ayant souscrit aux Placements IPS et lPT.

La défenderesse DSF a présenté aux membres du groupe les Placements IPS et IPT comme étant axés sur la sécurité et la performance, tout en occultant des faits importants concernant les risques qu'ils comportaient.

Par ailleurs, les représentants qui ont vendu les Placements IPS et IPT n'étaient pas suffisamment instruits par la défenderesse DSF des risques associés à ces placements, de sorte qu'ils ne pouvaient juger adéquatement de leurs avantages et de leurs inconvénients.

L'information dispensée par les représentants aux membres du groupe s'est avérée incomplète, inadéquate, voire fausse et trompeuse[11].

De ce qui précède, il faut conclure que contrairement à ses obligations, la défenderesse DSF :

a)             n'a pas informé adéquatement les membres du groupe;

b)             s'est livrée à des représentations fausses ou trompeuses auprès des membres du groupe;

c)             a attribué aux Placements IPS et IPT un avantage particulier;

d)             a omis de divulguer des faits importants; et

e)             a déformé le sens de l’information dans le cadre des représentations faites aux membres du groupe[12].

[24]       Par ailleurs, les demandeurs reprochent à DGIA, dans le cadre de ses obligations extracontractuelles, ce qui suit :

Dans le cadre de la gestion des Placements IPS et lPT, la défenderesse DGIA avait notamment les devoirs suivants :

a)             agir avec prudence, diligence et compétence;

b)             s'acquitter de ses fonctions avec honnêteté, bonne foi, équité et loyauté;

c)             respecter les normes de probité et d'équité reconnues; et

d)             faire fructifier les sommes investies dans les Placements IPS et IPT.

Or, la défenderesse DGIA a fait défaut d'agir avec soin, diligence et compétence et d'adopter de saines et prudentes pratiques de gestion.

La défenderesse DGIA s'est livrée à des stratégies d'investissement et de gestion risquées et inappropriées, compte tenu des représentations formulées aux demandeurs et aux membres du groupe concernant les Placements IPS et IPT.

Les stratégies d'investissement de la défenderesse DGIA ont eu pour effet d'entraîner une perte de 100 % des actifs affectés au rendement, alors qu'aucun des actifs sous-jacents n'a enregistré une perte d'une telle ampleur. [13]

[25]       Pour résumer, le litige repose sur des allégations de fautes contractuelles reprochées à DSF qui a offert et vendu les Placements IPS et IPT et de fautes extracontractuelles reprochées à DGIA qui a géré ces placements, ayant entraîné un préjudice que l’on veut compenser par des dommages-intérêts et dommages-intérêts punitifs.

[26]       Selon la demande introductive d’instance, le préjudice et les pertes subis par les demandeurs et les membres du groupe consistent essentiellement en ce qui suit :

a)      la différence entre le rendement obtenu ou à obtenir et le rendement qui aurait normalement dû être obtenu par des placements gérés avec soin et compétence, incluant les frais de gestion prélevés et non remboursés par les défenderesses;

b)      la privation du capital investi pour une période allant jusqu’à 8 ans, et

c)      les troubles, ennuis et inconvénients.[14]

[27]       Les documents requis par les demandeurs dans leur demande de préengagements et lors des interrogatoires au préalable devraient donc, en principe, leur permettre d’évaluer le montant de ces dommages-intérêts.

LA POSITION DES PARTIES

[28]       De façon générale, le dossier se situant à une étape préliminaire à l’instruction, l’une et l’autre des parties semblent soutenir une théorie de cause qui lui est propre et qui a une incidence sur l’identification de la cause d’action.

 

[29]       Selon les demandeurs, la cause d’action repose sur le fait qu’ils n’ont pas été informés des risques inhérents aux Placements IPS et IPT, risques essentiellement reliés au fait que ces placements, selon leur conception, utilisaient un levier trop important visant à obtenir un rendement.

[30]       Faute de ne pas avoir réagi en temps utile en 2007, les Placements IPS et IPT n’ont pas été en mesure de passer la crise financière de 2008.

[31]       Pour les demandeurs, la période du recours s’étend donc de 2001 à 2016, soit toute la période au cours de laquelle les Placements IPS et IPT ont procuré ou auraient dû procurer un rendement, la première émission d’une option de placement IPS le 1er avril 1998 venant à échéance après 3 ans.

[32]       Selon les défenderesses, l’effondrement du rendement est dû à la seule crise financière de 2008, sans plus. Ainsi, la période pertinente à ce recours devrait se limiter aux années 2007 et 2008.

[33]       Quelle que soit la cause d’action, ce que recherchent les demandeurs est précisé au jugement d’autorisation du 30 novembre 2015[15]. Il est écrit :

[58]       La deuxième conclusion vise essentiellement à récupérer, à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel que MM. Dupuis et Tremblay allèguent avoir subi, un montant correspondant au rendement sur le capital qu’ils ont investi et dont ils prétendent avoir été privés.

[59]       C’est le cœur du litige.

[34]       Pour résumer, les demandeurs, qui, au 31 décembre 2008, détenaient des Placements IPS ou IPT, reprochent à la défenderesse DSF d’avoir occulté des faits importants concernant les risques que comportaient les Placements IPS et IPT et de ne pas les avoir informés de ces risques. Ils reprochent également à la défenderesse DGIA de ne pas avoir géré ces placements avec soins et compétence. Ces deux fautes ayant eu pour conséquence de les priver d’un rendement sur le capital qu’ils ont investi dans ces Placements IPS et IPT.

LES OBJECTIONS

[35]       Les avocats de l’une et l’autre des parties ont regroupé les objections dans un tableau. Six thèmes ont ainsi été prévus et les plaidoiries ont porté sur chacun de ces thèmes, sans traiter spécifiquement de l’une ou l’autre des 31 objections que comporte le Tableau des objections et des réponses des défenderesses.

[36]       Qu’en est-il pour chacun de ces thèmes?

I-  Demandes relatives au rendement

[37]       Ce que vise à compenser l’action collective, c’est la perte de rendement du capital investi dans les Placements IPS et IPT de 2008 à 2016, n’eut été le désinvestissement des fonds affectés au rendement au cours de l’automne 2008.

[38]       Les demandeurs sont justifiés de demander que leur soit communiquée l’information qui pourra leur permettre d’évaluer cette perte de rendement, prenant notamment en considération des rendements passés des Placements IPS et IPT, soit à compter de 2001.

[39]       C’est du produit tel que constitué, soit les Placements IPS et IPT, dont il est ici question. Alors, qu’auraient dû rapporter ces placements, n’eut été le désinvestissement. L’expérience passée est certes un élément pertinent.

II-  Demandes relatives au capital

[40]       Le capital investi par les preneurs des Placements IPS et IPT est garanti par une obligation à coupon zéro qui, à son terme, a la même valeur que celle du capital investi, garantissant ainsi la valeur de ce capital.

[41]       Les demandeurs prétendent que si l’obligation à coupon zéro a rapporté à terme plus que la valeur du capital qu’ils ont investi, ils auraient alors droit au surplus de ce rendement sur le capital.

[42]       Ainsi, les demandeurs cherchent à obtenir la communication de documents qui pourraient leur permettre d’établir ce que les obligations à coupon zéro ont effectivement rapporté.

[43]       Les défenderesses s’objectent, alléguant essentiellement que les demandeurs ont été intégralement remboursés du montant en capital qu’ils ont investi.

[44]       Dans la mesure où les demandeurs cherchent à être indemnisés de la perte du rendement sur le capital investi, il pourrait effectivement être intéressant pour eux de connaître la valeur du rendement des obligations à coupon zéro.

[45]       Toutefois, même si le montant du rendement de ces obligations à coupon zéro était supérieur au montant du capital investi, cela pourrait peut-être éventuellement servir à DSF et DGIA à compenser la perte de rendement, le cas échéant.

[46]       Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que les demandeurs puissent avoir droit à ces montants qu’ils réclament sur la base d’un surplus de rendement sur le capital dont ils ont été, par ailleurs, intégralement remboursés.

 

[47]       Tout au plus, les demandeurs ont droit à ce que leur soit communiquée l’information concernant le capital leur permettant d’évaluer le risque, l’une des fautes reprochées, mais pas ce qu’a rapporté les obligations à coupon zéro puisqu’ils ont été intégralement remboursés de leur capital.

III-  Demandes relatives aux frais

[48]       Les demandeurs ont investi dans les Placements IPS et IPT une somme d’argent qui devait leur procurer un rendement variable, sujet au paiement de certains frais.

[49]       Les demandeurs, qui ne demandent pas le remboursement des frais payés pour les fonds de couverture, mais seulement ceux payés à DSF et DGIA, sont en droit de savoir quels sont les montants des frais qui ont été imputés pour l’ensemble du terme d’un placement et à quel moment précisément ces frais ont été imputés.

[50]       Les défenderesses s’objectent au motif que le désinvestissement survenu à l’automne 2008 est la conséquence de la crise financière et ne constitue pas en soi une faute. Ainsi, selon elles, les demandeurs ne peuvent prétendre avoir droit au remboursement des frais, en tout ou en partie.

[51]       La question à savoir si les demandeurs ont droit en tout ou en partie au remboursement de ces frais sera une question qui devra être débattue et décidée au mérite, quoique dans l’intervalle, ils ont le droit à ce que leur soit communiquée cette information relative aux frais.

IV-  Demandes relatives aux fiches descriptives des produits

[52]       À l’audience, les demandeurs ont déclaré avoir obtenu l’information concernant cette demande.

V-  Demandes relatives à l’identité des représentants des défenderesses

[53]       En réponse à ces demandes, les défenderesses ont communiqué les organigrammes de DSF et de DGIA pour les années 2006 et 2007. Elles ont aussi communiqué la liste des employés de 1998 à 2016 pour ces deux entreprises.

[54]       Cette communication apparaît, à ce moment-ci, suffisante.

[55]       Ce que l’action collective recherche, c’est une compensation pour le rendement perdu.

[56]       Les demandes relatives à l’identité des représentants des défenderesses s’inscrivent difficilement dans ce contexte.

 

VI-  Demandes relatives aux membres de l’action collective

[57]       Également à ce chapitre, l’identification des membres de l’action collective, soit l’identification des personnes qui ont pu acquérir des Placements IPS ou IPT, ne pourrait servir à établir une perte de rendement sur ces produits.

[58]       Ce sont les informations financières qui sont à ce moment-ci pertinentes.

[59]       D’ailleurs, une demande visant à ce que leur soit communiquée la liste des membres du groupe a déjà été refusée aux demandeurs par le jugement du 21 décembre 2016[16].

LES DOCUMENTS CAVIARDÉS

[60]       Les défenderesses s’objectent à communiquer aux demandeurs certains documents sans qu’ils aient été préalablement caviardés.

[61]       Elles soulèvent trois motifs :

1)           Certains documents comportent des informations de nature commerciale qui concernent l’entreprise et qu’elles veulent garder confidentielles;

2)           D’autres documents à l’égard desquels elles soulèvent un intérêt légitime important concernent un autre dossier dans lequel les avocats des demandeurs sont impliqués;

3)           Enfin, d’autres documents, soit la correspondance avec les Autorités canadiennes en valeur mobilière (ACVM), sont privilégiés au sens de la loi.

[62]       Les demandeurs soutiennent, pour leur part, que :

1)            Aucune objection n’est fondée sur le secret professionnel;

2)            Les défenderesses n’ont aucunement fait la preuve d’un intérêt légitime important à l’égard des documents qu’elles veulent caviarder;

3)            Tout est ici question de pertinence, à savoir, les documents dont on veut caviarder certains passages sont-ils ou non pertinents au litige?

[63]       Étant donné la nature des objections des défenderesses à communiquer certains documents sans qu’ils aient été caviardés, ces objections seront examinées lors d’un processus de voire-dire, tenu à huis clos et ex parte de la présence des demandeurs et de leurs avocats.

***

[64]       Les avocats ont plaidé en fonction des six thèmes énoncés précédemment, sans se référer ou argumenter précisément l’une ou l’autre des 31 objections que ces thèmes comportent. Il n’y a donc pas lieu que le jugement en discute ou les analyse à ce moment-ci.

[65]       En effet, ce jugement précise aux parties et à leurs avocats ce qu’est, en principe, la nature de la présente action collective, ainsi que de façon très sommaire, on en convient, l’essence de ce que les procédures semblent vouloir démontrer.

[66]       Les avocats des demandeurs pourront donc ainsi revoir, préciser, modifier ou abandonner l’une ou l’autre de leurs demandes de communication de documents et les avocats des défenderesses pourront, pour leur part, réévaluer leur position à cet égard.

[67]       Quoi qu’il en soit, l’une et l’autre des parties, ainsi que leurs avocats, doivent considérer que la présente action collective est, avant tout, un recours en dommages-intérêts visant à compenser les personnes qui au 31 décembre 2008 détenaient des Placements IPS et IPT pour la perte de rendement sur un montant en capital investi dans ces placements offerts et vendus par DSF et gérés par DGIA.

[68]       Ce que les demandeurs reprochent à la défenderesse DSF, c’est d’avoir occulté certains faits et plus particulièrement de ne pas les avoir informés des risques associés à ces placements, privant ainsi les membres du groupe d’une information essentielle.

[69]       Par ailleurs, ils reprochent à DGIA une gestion déficiente de ces placements.

[70]       Ces deux fautes, de nature contractuelle à l’égard de DSF et de nature extracontractuelle à l’égard de DGIA, ont ainsi contribué et provoqué la perte de toute possibilité de rendement sur le capital investi dans ces placements.

[71]       Dans ce contexte, est donc pertinente :

Ø   L’information qui peut permettre aux demandeurs d’évaluer le risque que comportaient les Placements IPS et IPT;

Ø   L’information qui peut permettre aux demandeurs d’évaluer la perte de rendement, l’expérience passée des Placements IPS et IPT étant un élément qui peut, à ce moment-ci, être considéré;

Ø   L’information au sujet des frais que les demandeurs ont payés pour ces Placements IPS et IPT, ainsi que les périodes pour lesquelles ces frais ont été payés.

 

[72]       POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[73]       DÉCLARE que les demandeurs peuvent demander aux défenderesses que leur soient communiquées les informations pouvant leur permettre d’évaluer l’effet de levier des Placements IPS et IPT, étant compris que cet effet de levier est associé, selon eux, aux risques de ces placements;

[74]       DÉCLARE que les demandeurs peuvent demander aux défenderesses que leur soient communiquées les informations pouvant leur permettre d’évaluer la perte de rendement sur les Placements IPS et IPT pour les années 2008 à 2016, cette information pouvant comprendre des données financières passées, notamment à compter de 2001;

[75]       DÉCLARE que les demandeurs peuvent demander aux défenderesses que leur soient communiquées les informations au sujet des frais qui leur ont été facturés à compter de l’achat des Placements IPS et IPT, plus particulièrement, le montant de ces frais et les périodes pour lesquelles ils ont été payés;

[76]       DÉCLARE sans objet les demandes relatives aux fiches descriptives des produits;

[77]       ACCUEILLE l’objection des défenderesses portant sur les demandes relatives à l’identité des représentants, celles-ci ayant été répondues;

[78]       ACCUEILLE l’objection des défenderesses concernant les demandes visant à obtenir la liste des membres de l’action collective, cette question ayant fait l’objet d’une décision dans le jugement du 21 décembre 2016;

[79]       ORDONNE que les objections des défenderesses à communiquer aux demandeurs certains documents sans qu’ils aient été caviardés pour les motifs énoncés ci-dessus, soient examinées lors d’un processus de voire-dire, tenu à huis clos et ex parte de la présence des demandeurs et de leurs avocats.

[80]       LE TOUT frais à suivre.

 

 

 

__________________________________

BERNARD GODBOUT, J.C.S.

 

Pour les demandeurs

 

Me Philippe Hubert Trudel

Me Mathieu Charest-Beaudry

Me Marianne Dagenais-Lespérance

Trudel Johnston & Lespérance

 

Me Serge Létourneau

Me Audrey Létourneau

Me Julien Delisle

LLB Avocats s.e.n.c.r.l. 

 

Me Guy Paquette

Mme Annie Montplaisir, stagiaire

PAQUETTE GADLER INC.

 

Pour les défenderesses

 

Me Mason Poplaw

Me Isabelle Vendette

Me Samuel Lepage

Mc Carthy Tétrault

 

 

Dates d’audience :

13 et 14 avril 2021

 



[1]     Le 20 décembre 2018, les demandeurs ont transmis aux défenderesses une version consolidée de leurs demandes de préengagements des 21 septembre et 30 novembre 2018.

[2]     Tableau des objections des demandeurs et Tableau des objections et des réponses des défenderesses, produits lors de l’audience des 13 et 14 avril 2021.

[3]     Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie, 2015 QCCS 5828, par. 1, 2, 89 et 90.

[4]     Défense du 29 juin 2018, par. 85.

[5]     Id., par. 86.

[6]     Id., par. 91.

[7]     Id., par. 92.

[8]     Id.

[9]     Id., par. 93.

[10]    Id., par. 97.

[11]    Demande introductive d’instance de l’action collective précisée modifiée le 19 janvier 2018, par. 109-112.

[12]    Id., par. 126.

[13]    Id., par. 127-130.

[14]    Id., par. 143.

[15]    Préc., note 3.

[16]    Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie, 2016 QCCS 6349.

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