Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

Le 30 avril 2004

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

214036-03B-0308-R

 

Dossier CSST :

123540239

 

Commissaire :

Pierre Simard, avocat

 

Membres :

Jean-Guy Guay, associations d’employeurs

 

Ulysse Duchesne, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Fernand Bédard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Transport R.Gingras inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 24 mars 2004, monsieur Fernand Bédard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par cette instance, le 23 février 2004.

[2]                Par cette décision, la première commissaire disposait d’un moyen préliminaire portant sur l’irrecevabilité de la contestation déposée à la Commission des lésions professionnelles, conformément aux articles 359 et 429.19 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), et déclarait irrecevable la contestation déposée par le travailleur, le 12 août 2003, à la Commission des lésions professionnelles.

[3]                La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Lévis, le 26 avril 2004. Les parties étaient présentes et représentées.

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                Le travailleur soulève les dispositions de l’article 429.56, paragraphe 3, de la loi en ce qu’il allègue que la décision attaquée comporte des vices de fond ou de procédure qui sont de nature à l’invalider.

[5]                Plus spécifiquement, on allègue que la première commissaire a commis des erreurs manifestes, de faits et de droit, qui ont un effet déterminant sur l’issue du litige.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont unanimes pour recommander à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir la requête en révision au motif que la prépondérance de preuve révèle que le travailleur avait un motif raisonnable d’excuse en ce qu’il était démontré que sa représentante légale a commis une erreur en toute bonne foi, erreur qui, si elle avait été évitée, aurait permis l’introduction d’une contestation à la Commission des lésions professionnelles dans les délais impartis.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si la requête en révision déposée par le travailleur, le 24 mars 2004, est bien fondée en faits et en droit.

[8]                L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :

 

 

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]                Cependant, les dispositions contenues à l’article 429.56 de la loi prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue.

[10]           L’article 429.56 de la loi stipule :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°  lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2°  lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3°  lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[11]           Le travailleur doit démontrer, par une prépondérance de la preuve, que la décision rendue par la première commissaire est sujette à l’application de l’un ou l’autre des motifs prévus à cet article.

[12]           Le travailleur invoque les dispositions du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi en ce qu’il reproche à la décision rendue par la première commissaire de comporter des vices de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

[13]           De jurisprudence constante, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le travailleur doit démontrer que la décision attaquée comporte une erreur manifeste, de faits ou de droit, qui est déterminante sur l’issue du litige[2].

[14]           D’autre part, le tribunal ajoute qu’il y a erreur manifeste lorsque la décision méconnaît une règle de droit, applique un faux principe, statue sans preuve, néglige un élément de preuve important ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine.  Ces critères, bien qu’étant non exhaustifs, permettent de mieux situer cette notion[3].

[15]           Le pouvoir de révision ne permet pas au commissaire de substituer son interprétation de la loi ou de la preuve à celle retenue par la première commissaire. Le recours en révision ne constitue pas un appel déguisé[4].

[16]           Quant aux faits de ce dossier, la Commission des lésions professionnelles réfère le lecteur à la décision contestée, décision qui a l’insigne avantage d’en résumer l’essentiel aux paragraphes 7 à 32.

[17]           Plus spécifiquement, à la lecture du paragraphe 3 de la décision, on constate que la première commissaire a soulevé d’office une question portant sur les délais d’introduction de la contestation à la Commission des lésions professionnelles.

[18]           En effet, selon la preuve non contestée, la première commissaire en arrive à la conclusion que le travailleur a reçu la décision qu’il entendait contester, le 26 juin 2003, le tout tel qu’il appert de son paragraphe 11.

[19]           En second lieu, la preuve offerte démontre de façon claire et non équivoque que le travailleur a pris un rendez-vous pour retenir les services d’un représentant légal, rendez-vous qui ne pouvait se tenir que le 11 août 2003 puisque le représentant légal était en vacances jusqu’au 10 août de la même année.

[20]           Le travailleur rencontre donc son représentant légal auquel il confie un mandat écrit d’introduire une contestation de la décision du 18 juin 2003, à la Commission des lésions professionnelles.

 

[21]           La représentante légale du travailleur dépose cette contestation le 12 août 2003, tel qu’il appert de la preuve de réception du fac-similé électronique à la Commission des lésions professionnelles.

[22]           Devant la première commissaire il est allégué :

a)    que la contestation fut déposée dans les délais;

 

b)    que s’il y a retard, ce retard s’explique par la non-disponibilité de la représentante légale pour rencontrer le travailleur avant la date du 11 août 2003 et qu’en conséquence on ne saurait reprocher au travailleur un retard strictement imputable à son représentant légal.

 

 

[23]           Rappelons que l’audience s’est tenue devant la première commissaire le 16 février 2004.

[24]           Or, la même journée, suite à la fin de l’audience, le représentant de Transport R. Gingras inc. (l'employeur) transmet de la jurisprudence à la Commission des lésions professionnelles ainsi qu’à la représentante du travailleur.

[25]           Celle-ci, par lettre datée du 16 février 2004, transmet à la même date, à la Commission des lésions professionnelles, une lettre dans laquelle elle allègue certaines décisions de la Cour supérieure ainsi que de la Commission des lésions professionnelles et ajoute :

«  (...)

 

Nous étions en vacances pour une longue période durant l’été 2003 et plus précisément durant la semaine du 4 au 10 août 2003. Monsieur étant peu familier avec la CSST, a voulu nous consulter. Ce qui fut fait le 11 août dernier. Nous vous soumettons que le 45ième jour tombe un dimanche. Si nous avions contesté à cette date, monsieur serait-il en dehors du délai permis? La décision a été contestée le 12 août en avant-midi. Nous croyons que monsieur a agi avec diligence.

 

(...)  »

 

 

[26]           La première commissaire, au paragraphe 12 de sa décision, cite les articles 41 et 42 des Règles de preuve, de procédure et de pratique[5] en vigueur à la Commission des lésions professionnelles, règles permettant le calcul des délais.

 

 

[27]           Or, la première commissaire oublie les termes de l’article 43 du même règlement, article qui se lit comme suit :

43.   Lorsque la date fixée pour accomplir un acte correspond à un jour non juridique, cet acte peut être valablement fait le premier jour juridique suivant.

 

 

[28]           Tel qu’il appert de cette disposition, lorsque le jour de l’échéance du délai tombe un jour non juridique, cette échéance est prolongée au jour juridique suivant.

[29]           Après vérification, la Commission des lésions professionnelles constate que ce délai fut échu le 11 août 2003, à minuit.

[30]           En conséquence, la première commissaire commet effectivement une erreur de calcul de son délai, au paragraphe 14, lorsqu’elle conclut que la contestation déposée par le travailleur le fut hors des délais prescrits par la loi pour une période de deux jours. Plutôt, elle aurait dû conclure que la contestation était effectivement hors délai mais pour une seule journée, l’échéance du délai tombant le lundi 11 août 2003.

[31]           Par la suite, à partir du paragraphe 15 de sa décision, la première commissaire s’attarde à décider si le travailleur avait un motif raisonnable pour excuser son retard à agir.

[32]           S’intéressant à la jurisprudence, elle rapporte que les critères s’appliquant en semblable matière impliquent que l’on doit apprécier, dans les faits, si le travailleur a un motif raisonnable d’excuser son retard à agir. Lors de cette étude, l’on observe le comportement du travailleur pour décider s’il a fait diligence. D’autre part, on analyse les faits pertinents à l’inaction de son représentant en reconnaissant qu’un travailleur n’a pas à être pénalisé lorsque le retard à agir est dû strictement à la faute et négligence du représentant juridique.

[33]           Ajoutons que lorsque la preuve permet d’établir la négligence, le désintéressement, l’indifférence ou encore l’insouciance de la partie, celle-ci ne pourra être excusée par ailleurs.

[34]           La première commissaire, à son paragraphe 20, introduit donc la question suivante : « Pourquoi le travailleur n’a-t-il pas déposé sa requête dans le délai de 45 jours alors que, par le passé, il a contesté en respectant le délai prescrit à la loi, d’autant plus que la décision du 18 juin 2003 contenait toutes les informations requises?  »

 

[35]           S’intéressant aux notes manuscrites des médecins, la première commissaire conclut que le travailleur n’a pas contesté la décision du 18 juin 2003, dès la réception de cette dernière, parce qu’il voulait obtenir une opinion médicale validant le lien de causalité.

[36]           Par la suite, la première commissaire s’intéresse à la jurisprudence sur ce sujet pour conclure qu’indépendamment de la durée du « hors délai », le travailleur n’a pas fait valoir de motif raisonnable.

[37]           Elle reconnaît, au paragraphe 31, que le travailleur était en désaccord avec le refus de sa réclamation et qu’indépendamment de la disponibilité de sa représentante, il a décidé de garder le plein contrôle de son dossier jusqu’au 11 août 2003, date à laquelle le délai était échu selon ses conclusions.

[38]           C’est donc pour ces motifs que la première commissaire rejette la contestation du travailleur.

[39]           Or, la Commission des lésions professionnelles souligne que la première commissaire ne pouvait ignorer ce que la preuve lui révélait, c’est-à-dire que le 11 août 2003 le travailleur ainsi que sa représentante pouvait introduire validement une contestation à la Commission des lésions professionnelles puisqu’il s’agissait du dernier jour juridique où une telle action pouvait se poser, conformément à la règle 43 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles.

[40]           Cette situation change complètement la dimension factuelle du dossier puisque, à tout escient, si l’on peut reprocher au travailleur d’avoir attendu la dernière journée juridique pour déposer sa contestation, il n’en demeure qu’il a consulté et confié un mandat en bonne et due forme à sa représentante légale à l’intérieur du délai de contestation de la loi.

[41]           Comme le reconnaît la représentante légale du travailleur, rien ne l’empêchait d’introduire la contestation à la Commission des lésions professionnelles, le 11 août 2003, par télécopieur, comme elle l’a fait d’ailleurs le 12 août de la même année.

[42]           Soulignons que la consultation est survenue en matinée alors qu’elle avait tout le temps utile pour transmettre une telle contestation, le 11 août 2003, pendant les heures d’ouverture de la Commission des lésions professionnelles.

 

 

[43]           De l’humble avis de la Commission des lésions professionnelles, voilà toute l’importance que prend l’erreur commise par la première commissaire lorsqu’elle oublie les dispositions de l’article 43 des Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission des lésions professionnelles et conclut que le délai était échu le 10 août 2003, c’est-à-dire le dimanche.

[44]           En effet, dans la situation qu’analysait la première commissaire, le délai étant échu le 10 août 2003, la consultation auprès du représentant juridique n’avait plus aucun impact, le travailleur ne pouvait plus introduire validement une contestation.

[45]           Dès lors, l’on ne pouvait parler de l’erreur du représentant mais plutôt strictement du comportement du travailleur.

[46]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le retard dans l’introduction de la contestation est strictement et uniquement attribuable à l’erreur du représentant.

[47]           Conformément à la jurisprudence citée à la décision ainsi que celles soumises par le travailleur, celui-ci n’a pas à être pénalisé par la simple et unique inaction de son représentant alors qu’un mandat clair lui a été confié quant au dépôt d’une contestation.

[48]           Pour ces motifs, la Commission des lésions professionnelles doit donc conclure que la première commissaire a commis une erreur manifeste, de droit, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[49]           Comme ce litige portait strictement sur la recevabilité de la contestation du travailleur, la Commission des lésions professionnelles conclut donc que cette contestation est recevable et qu’en conséquence les parties devront être convoquées à nouveau pour que l’on procède à l’audition sur le fond.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision pour cause déposée par monsieur Fernand Bédard, le 24 mars 2004;

RÉVOQUE la décision rendue par la première commissaire, le 23 février 2004;

DÉCLARE la contestation introduite par monsieur Fernand Bédard à la Commission des lésions professionnelles, le 12 août 2003, recevable; monsieur Fernand Bédard ayant fait valoir un motif raisonnable permettant d’excuser son retard à agir dans les délais prescrits par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

RETOURNE le présent dossier au greffe du tribunal afin que l’on convoque à nouveau les parties en audience pour disposer du fond du litige.

 

 

__________________________________

 

 

PIERRE SIMARD

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Lu Chan Khuong

BELLEMARE & ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 

 

Monsieur Simon Dumas

SST GROUPE CONSEIL

Représentant de la partie intéressée

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

 

[2]          Produits Forestiers Donohue et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783 .

[3]          Communauté urbaine de Montréal et Les propriétés GuenterKaussen et Ville de Westmount [1987] R.J.Q. 2641 à 2648.

[4]          Vicenzo Fierimonte et C.L.P. et Béliveau, C.S. Montréal, 500-05-000451-948, j. Journet; Poitras et Christina Canada Inc., C.L.P. 100370-62-9803, 7 mars 2000, M. Zigby, commissaire.

[5]          (2000) 132 G.O. II, 1627.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.