Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
COUR SUPÉRIEURE

 

 

JB 2820

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

CHICOUTIMI

 

N° :

150-17-000539-038

 

 

 

DATE :

9 juin 2003

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

J. ROGER BANFORD, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

9039-3463 QUÉBEC INC.

personne morale légalement constituée ayant son siège social au 300, boul. de la Grande-Baie Nord, La Baie, Québec, G7B 3J3

Demanderesse

c.

LUC VAILLANCOURT

68, rue d’Anjou, Chicoutimi, Québec, G7H 6Z9

Défendeur

et

GILLES GRENON

600, rue de l’Intendant, Chicoutimi, Québec, G7H 7J8

et

JEAN-MARIE GRENON

402, rue des Erables, La Baie, Québec, G7B 3C7

et

JEAN-JULIEN GRENON

602, rue Chanoine-Gaudreault, La Baie, Québec, G7B 3C7

et

CHRISTINE GRENON

1112, rue Duberger, Chicoutimi, Québec, G7B 4H7

et

LOUISE GRENON

5460, rue des Sapins, Montréal, Québec, H1T 2P8

et

MARTINE GRENON

1583, rue des Épinettes, La Baie, Québec, G7B 2V5

 

et

ADAM LAPOINTE

459, place Einstein, Chicoutimi, Québec, G7H 6A9

et

JEAN-PHILIPPE HARVEY

532, rue Marguerite-Tellier, Chicoutimi, Québec, G7H 6C1

Mis en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT SUR REQUÊTE EN IRRECEVABILITÉ

______________________________________________________________________

 

[1]                La rupture du lien d’emploi entre la demanderesse (Groupe Alba) et son ex-directeur général, le défendeur Luc Vaillancourt, laisse entrevoir un large contentieux en raison, notamment, du fait que le défendeur détient aussi les qualités d’administrateur et actionnaire de son ex-employeur.

[2]                Ainsi, est déjà amorcée la procédure d’arbitrage prévue à la clause compromissoire contenue à la convention unanime d’actionnaires, intervenue entre les parties, afin de déterminer la valeur des actions détenues par le défendeur.  Des mises en demeure transmises par ce dernier aux autres parties, laissent entrevoir d’éventuels recours en dommages et intérêts ainsi qu’une possibilité de recours en oppression.

[3]                Dans ce contexte, les administrateurs de la demanderesse ont adopté, le 15 mars 2003, trois résolutions (R-7), nommant la firme d’avocats Gauthier, Bédard, procureurs de la compagnie pour les fins du dossier d’arbitrage, du dossier en réclamation pour dommages et d’un autre dossier identifié «réclamation additionnelle de Luc Vaillancourt».  Il est à noter toutefois, que dans chaque cas, le mandat accordé à la firme d’avocats est assujetti d’une condition qui exige, en substance, que pour chacun de ces dossiers, les procureurs désignés se déclarent habiles à représenter la demanderesse.

[4]                Cette précaution paraît découler d’un avis transmis le 5 mars 2002, par les procureurs du défendeur à ceux du Groupe Alba (R-8) dans lequel, il était spécifié que le défendeur se réservait le droit de faire déclarer le cabinet Gauthier, Bédard, inhabile à agir dans le cadre d’éventuelles procédures judiciaires ou d’arbitrage reliées à ce dossier.

[5]                La situation inconfortable que provoque cet avertissement, entraîne la présentation, par la demanderesse, d’une requête en jugement déclaratoire, signifiée le 28 avril 2003.  Dès le lendemain, le défendeur transmettait à la demanderesse une requête en irrecevabilité et exception déclinatoire.

[6]                C’est de cette procédure de rejet que le Tribunal est saisi, pour le moment.

[7]                La position du défendeur repose simplement sur la non-conformité de la procédure introductive d’instance avec les conditions prescrites par l’article 453 C.p.c.  Pour sa part, la demanderesse plaide qu’il s’agit d’un cas où la Cour supérieure doit exercer le pouvoir de contrôle et de surveillance que lui confère l’article 33 C.p.c.

[8]                Au Titre VI du C.p.c., le législateur a prévu des mécanismes de règlement expéditifs des différends qui relèvent de questions de droit seulement, c’est le cas de décisions sur un point de droit en vertu de l’article 448 C.p.c, ou de questions mixtes de droit et de fait, c’est le jugement déclaratoire sur requête de l’article 453 C.p.c. qui dit :

Celui qui a intérêt à faire déterminer, pour la solution d'une difficulté réelle, soit son état, soit quelque droit, pouvoir ou obligation pouvant lui résulter d'un contrat, d'un testament ou de tout autre écrit instrumentaire, d'une loi, d'un arrêté en conseil, d'un règlement ou d'une résolution d'une municipalité, peut, par requête introductive d'instance, demander un jugement déclaratoire à cet effet.

[9]                En l’instance, les conclusions recherchées par la demande déclaratoire, introduite par Groupe Alba sont rédigées comme suit :

DÉCLARER QUE le défendeur Luc Vaillancourt est un administrateur en situation de conflit d’intérêts en regard de toute décision prise ou à prendre par la demanderesse 9039-3463 Québec Inc. relativement à tous les recours, poursuites ou réclamations intentés ou devant être intentés par ce dernier contre la demanderesse et à l’égard desquels la demanderesse a retenu les services de ses procureurs Gauthier Bédard, société d’avocats s.e.n.c., en vertu des résolutions du 15 mars 2003 (pièce R-7)

DÉCLARER QUE Gauthier, Bédard, société d’avocats s.e.n.c., n’est pas tenue de fournir quelque rapport, information ou renseignement que ce soit au défendeur Luc Vaillancourt lors de ou à l’occasion de l’exécution de ses services professionnels pour lesquels la demanderesse 9039-3463 Québec Inc a retenu ses services en vertu des résolutions du 15 mars 2003 (pièce R-7);

DÉCLARER QUE Gauthier, Bédard , société d’avocats s.e.n.c., a le droit d’agir comme procureurs de la demanderesse 9039-3463 Québec Inc. dans l’instance d’arbitrage intentée par le défendeur Luc Vaillancourt contre la demanderesse et dans tout autre recours ou procédure initié ou à être initié par le défendeur Luc Vaillancourt, et ce, conformément aux trois (3) résolutions des administrateurs de la demanderesse adoptées le 15 mars 2003 (pièce R-7);

DÉCLARER QUE Gauthier, Bédard, société d’avocats s.e.n.c., en sa qualité de procureurs de la demanderesse 9039-3463 Québec Inc, n’a pas à rendre compte de l’exécution de ses mandats au défendeur Luc Vailllancourt vu qu’il est la partie adverse dans les procédures où Gauthier, Bédard, société d’avocats s.en.c. agit pour sa cliente 9039-3463 Québec Inc;

[10]            Quant à la première conclusion, le défendeur soutient qu’elle ne repose sur aucune difficulté réelle au sens de l’article 453 C.p.c., aucun fait spécifique n’étant allégué pour la justifier.  Quant à la deuxième et quatrième conclusions, il plaide qu’il
s’agit d’une demande d’opinion juridique qui n’entre pas dans le cadre prévu à l’article 453 C.p.c.  Enfin, et surtout, il allègue que la troisième conclusion s’avère prématurée et relève de la compétence du forum judiciaire devant lequel la question de l’inhabilité d’agir des procureurs pourrait éventuellement être soulevée.

[11]            Depuis l’arrêt Duquet[1] émis par la Cour suprême du Canada, il suffit pour que soit entendue une requête pour jugement déclaratoire, que cette dernière entre dans le cadre de l’article 453 C.p.c.[2]  À l’examen du texte juridique pertinent, on note que le législateur a prévu un encadrement constitué de notions tels l’intérêt d’agir et la difficulté réelle, le tout en relation avec des actes juridiques particuliers, ce qui constitue autant de conditions d’ouverture au recours pour jugement déclaratoire.

[12]            À l’examen de la procédure introduite par la demanderesse, le Tribunal constate d’abord qu’elle réfère à une situation de fait qui ne relève en aucune façon des écrits énumérés à l’article 453 C.p.c.  De toute évidence, la demanderesse voudrait se servir du véhicule procédural prévu à l’article 453 C.p.c. pour faire établir le droit des parties sur la base de questions factuelles seulement.

[13]            Avec déférence pour l’opinion contraire, le Tribunal estime qu’un tel objectif ne cadre pas avec les exigences de l’article 453 C.p.c.  L’examen des faits pertinents aux divers éléments litigieux sur lesquels la demanderesse veut lier le Tribunal, requerrait nécessairement une enquête spécifique à tous les cas d’application qu’elle suggère et sont susceptibles de générer de longs débats, ce qui ne répond certes pas aux objectifs de simplification et de célérité de la procédure préconisée par le législateur lors de l’introduction du chapitre VI du Code de procédure civile québécois.

[14]            En outre, il faut reconnaître le bien-fondé des moyens de non-recevabilité allégués par le défendeur.

[15]            En effet, la seule véritable difficulté à laquelle est exposée la demanderesse, selon les allégations de sa procédure déclaratoire et des pièces produites, notamment la correspondance échangée entre les procureurs, découle de la capacité des procureurs Gauthier, Bédard d‘agir pour le compte du Groupe Alba dans le contentieux qui l’oppose au défendeur.

[16]            Or, cette question relève de la compétence du tribunal d’arbitrage ou des tribunaux judiciaires devant lesquels devront comparaître les parties et les procureurs qu’elles auront retenus à ce moment.


[17]            Dans le contexte où une procédure d’arbitrage a déjà été initiée par l’avis R-5, il existe une forme de litispendance qui soulève la possibilité de décisions contradictoires sur la question de l’inhabilité à agir des procureurs.  Il ne serait donc pas approprié de créer une pareille incertitude chez les parties. 

[18]            En outre, comme le Tribunal d’arbitrage constitué conformément à la volonté des parties, dispose du pouvoir de statuer sur sa compétence (article 941 C.p.c.) et qu’il devra le faire si la question de l’inhabilité à agir lui est soumise, le Tribunal pourrait à nouveau être saisi de la même question, en vertu de l’article 943.1 C.p.c.  Cela laisse bien voir que le jugement déclaratoire recherché ne mettrait pas nécessairement fin à l’incertitude ou la controverse entre les parties.

[19]            Dans ces conditions, il est reconnu en droit que le Tribunal peut user de la discrétion judiciaire qui lui appartient, pour refuser de se prononcer (art. 462 C.p.c.).

[20]            Ainsi, le Tribunal estime qu’il n’appartient pas à la Cour supérieure, dans le cadre de la requête sous 453 C.p.c. présentée de répondre à la condition de l’attribution de mandat posée par les résolutions R-7.  Il appartient aux procureurs concernés de le faire et à cette fin, ils peuvent même bénéficier d’un conseil nommé par le Barreau (art. 3.06.06, Code de déontologie des avocats).

[21]            En ce qui concerne les trois autres conclusions recherchées par la requête introduite par le Groupe Alba, il faut souligner l’absence d’intérêt immédiat à disposer des sujets soulevés, puisque rien dans la preuve ne permet de soutenir que le défendeur ne se conformera pas aux obligations que lui imposent les articles 321 et ss. du Code civil du Québec, notamment l’article 324 C.c.Q qui lui commande d’éviter de se placer en situation de conflit.

[22]            Enfin, soulignons que toute séduisante que puisse paraître l’invitation adressée par la demanderesse au Tribunal, afin qu’il use du pouvoir de réforme que lui confère l’article 33 C.p.c., il faut l’écarter, pour le moment.

[23]            En effet, d’une part, l’article 33 interdit au Tribunal d’agir dans les matières qui relèvent du ressort exclusif d’un autre Tribunal, ce qui nous ramène à l’impasse déjà mentionnée plus haut, et d’autre part, le pouvoir de contrôle que confère à la Cour supérieure l’article 33, vise la légalité des décisions judiciaires ou administratives[3] et non l’opportunité de ces dernières.  Il serait donc prématuré, en l’instance, de recourir à cette disposition tant que des actes juridiques relevant du pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure n’auront pas été posés.


[24]            POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[25]            ACCUEILLE la requête en irrecevabilité du défendeur, Luc Vaillancourt;

[26]            REJETTE la requête introductive d’instance de la demanderesse 9039-3463 Québec inc en jugement déclaratoire;

[27]            LE TOUT avec dépens.

 

 

 

__________________________________

J. ROGER BANFORD, J.C.S.

 

Me Estelle Tremblay

Gauthier, Bédard et ass.

Procureurs de la demanderesse

 

Me Chantal Perreault

Paquette, Gadler

Procureurs du défendeur

 

Date d’audience :

14 mai 2003

 



[1]    Duquet c. Ste-Agathe des Monts (ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132 .

 

[2]    Id.; Garderie Blanche-Neige inc. c. Office des services de garde à l’enfance, [1993] R.J.Q. 729 (C.A.).

 

[3]    Denis FERLAND, Benoît EMERY, Précis de procédure civile du Québec, 2e éd., volume 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, p.53, no 48.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.