Laflamme et Somavrac inc. |
2010 QCCLP 7971 |
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[1] Le 12 janvier 2010, M. Franco Laflamme, le travailleur, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 15 décembre 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette
décision, la CSST confirme en premier lieu une première décision rendue
initialement le 6 octobre 2009 et déclare qu’elle est justifiée de
refuser d’appliquer l’article
[3] La CSST confirme par ailleurs une seconde décision qu’elle a rendue initialement le 14 octobre 2009, déclare que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 6 juin 2009 et qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la loi.
[4] Une audience s’est tenue à Trois-Rivières le 19 octobre 2010, en présence du travailleur, lequel est représenté. L’employeur, Somavrac inc., bien que dûment convoqué est absent et non représenté.
[5]
La CSST, qui conformément à l’article
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[6]
Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles
d’infirmer la décision de la CSST rendue le 15 décembre 2009 à la
suite d’une révision administrative, de déclarer que l’article
[7] Le travailleur demande par ailleurs à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi le 6 juin 2009 une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 20 janvier 1993.
LES FAITS
[8] À l’époque pertinente, le travailleur exerce le métier de camionneur. Le 20 janvier 1993, le travailleur subit un accident du travail, alors qu’il fait une chute de la citerne d’un camion-citerne et se blesse au dos.
[9] Le 21 janvier 1993, le travailleur est examiné par la Dre Élisabeth Paradis, qui retient un diagnostic initial de douleur musculaire cervicale et de contusion lombaire.
[10] Par la suite, le travailleur est dirigé en orthopédie. Le Dr Martin Milot, chirurgien orthopédiste, qui voit le travailleur le 28 janvier 1993 parle d’entorse ilio-lombaire et suggère le port d’une bande pelvienne et un arrêt de travail jusqu’au 8 février 1993.
[11] Le 11 février 1993, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une blessure au dos.
[12] À cette même date, la CSST, qui constate que le travailleur est retourné à son emploi le 8 février 1993, rend une décision et déclare qu’il est redevenu capable d’exercer son travail et cesse de lui verser des indemnités de remplacement du revenu à compter du 7 février 1993.
[13] Au cours du suivi médical subséquent, le Dr Milot note la présence de radiculites L5-S1 bilatéralement.
[14] Le 1er juillet 1993, le Dr Milot parle de discopathie lombaire plus symptomatique et prescrit un arrêt total de travail en attendant les résultats d’une résonance magnétique.
[15] Le 16 juillet 1993, une résonance magnétique lombaire est effectuée et interprétée par la Dre Marie Dufour. Cette dernière note la présence d’une hernie discale centrale légèrement excentrique vers la droite qui est de volume modéré en L3-L4 et une hernie discale de volume léger à modéré au niveau L4-L5 à gauche et une petite hernie discale centro-latérale gauche au niveau L5-S1 s’appuyant sur la racine S1 gauche. Il existe également une sténose foraminale bilatérale L5.
[16] Le 2 août 1993, le Dr Milot émet le diagnostic de hernie discale L4-L5 gauche et dirige le travailleur au Dr Jean-François Roy pour une discoïdectomie percutanée.
[17] Le 4 juillet 1994, le travailleur est vu par le Dr Antonin Fréchette, neurochirurgien, qui confirme le diagnostic de hernie discale L5-S1 gauche et recommande une chirurgie décompressive, étant donné l’échec du traitement conservateur.
[18] Le 6 juillet 1994, le Dr Fréchette procède à la chirurgie de ce qu’il pense être une discoïdectomie L5-S1 gauche. Dans les semaines et les mois qui ont suivi, on se rendra compte qu’il a pratiqué une discoïdectomie L4-L5 gauche. À la suite de la chirurgie, le travailleur n’a ressenti aucune amélioration et s’est retrouvé avec un pied tombant gauche.
[19] Le 19 août 1993, la CSST accepte une réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 1er juillet 1993 pour un diagnostic de hernie discale.
[20] Le 30 décembre 1994, un examen par résonance magnétique de contrôle révèle en effet qu’il y avait eu discoïdectomie au niveau L4-L5 et non au niveau L5-S1 et que la hernie discale L5-S1 gauche était toujours présente.
[21] Le 20 avril 1995, le travailleur rencontre le Dr Alain Bilocq, neurochirurgien, qui recommande un traitement conservateur de deux mois.
[22] Le 20 septembre 1995, le Dr Jean-François Roy rédige un Rapport d’évaluation médicale par lequel il accorde un déficit anatomophysiologique de 37 %[2] et les limitations fonctionnelles suivantes :
« Monsieur Laflamme doit éviter dans un premier temps la flexion-extension répétée du rachis, travailler en position penchée ou accroupie. Il devrait éviter de soulever des charges de plus de 30 livres. Il devrait éviter de maintenir une position assise de plus de 45 minutes et debout plus de 15 minutes. Il devrait modifier ses postures de façon régulière. Monsieur Laflamme devrait éviter les positions assises avec vibrations de basse fréquence pour des durées le moindrement prolongées plus de 45 minutes. Il devrait éviter de pousser, tirer des charges de plus de 30 livres. Il devrait éviter la marche de plus de 550 pieds, éviter la marche sur terrain inégal, dans les pentes ou dans les escaliers. Monsieur Laflamme devrait éviter tout échafaudage ou échelle. »
[23] Le 18 janvier 1996, Dr Bilocq consolide la lésion du travailleur à cette date et prévoit qu’elle entraînera des séquelles permanentes. Il indique qu’il ne fera pas l’évaluation des séquelles, mais que l’expertise est déjà faite.
[24] Le 22 avril 1996, le Dr Roy rédige un nouveau Rapport d’évaluation médicale dans lequel il en vient aux mêmes conclusions.
[25] Le 14 février 1996, la CSST informe le travailleur qu’elle procède à l’évaluation de sa capacité à exercer son emploi habituel.
[26] Le 27 juin 1996, après avoir conclu que le retour au travail dans son emploi habituel laissait entrevoir des problèmes, la CSST informe le travailleur qu’il est accepté en réadaptation.
[27] Le 2 octobre 1996, la CSST refuse une réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation qui serait survenue le 24 avril 1996. Cette décision est devenue finale à la suite de la production d’un désistement d’une demande de révision par le travailleur.
[28] Le 6 décembre 1996, la CSST détermine que l’emploi de préposé aux voitures est un emploi convenable que le travailleur pourrait occuper à compter du 4 décembre 1996.
[29] Le 27 février 2004, une résonance magnétique révèle une importante récidive discale au niveau L4-L5 et une disparition de la hernie au niveau L5-S1.
[30] Le 23 mars 2004, le travailleur soumet à la CSST une nouvelle réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 21 février 2004. Cette réclamation est acceptée par la CSST pour un diagnostic de radiculopathie L5 gauche.
[31] Le 24 septembre 2004, à la demande de la CSST, le Dr Richard Delisle, neurologue, produit une expertise médicale dans laquelle il conclut à un examen essentiellement superposable à celui du Dr Roy du 20 septembre 1995 et accorde le même déficit anatomophysiologique et les mêmes limitations fonctionnelles. Il conclut que le travailleur est en mesure de reprendre un travail qui respecterait ses limitations fonctionnelles.
[32] Le 18 novembre 2004, la CSST rend une nouvelle décision de capacité à exercer l’emploi convenable de préposé aux voitures. La CSST estime que le travailleur est capable d’exercer cet emploi à compter du 11 novembre 2004.
[33] Le 23 novembre 2004, la CSST à la suite de l’évaluation faite par le médecin du travailleur détermine que le travailleur ne souffre d’aucune atteinte permanente supplémentaire à son intégrité physique ou psychique et qu’il n’a pas droit à une nouvelle indemnité pour préjudice corporel.
[34] Les décisions des 18 et 23 novembre 2004 sont devenues finales à la suite d’un désistement du travailleur de ses demandes de révision.
[35] Le 6 avril 2006, la CSST refuse une nouvelle réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 13 janvier 2006 qui lui aurait causé une lombalgie chronique. Cette décision n’est pas contestée.
[36] Le 22 novembre 2007, le Dr Roy note une mobilité lombaire restreinte avec une flexion à 80°, une extension à 20°, des flexions latérales droite et gauche à 30° et des rotations droite et gauche à 30°. Il émet des limitations fonctionnelles de classe III de l’IRSST.
[37] Le 19 mai 2009, le travailleur commence un travail de préposé aux voitures chez J. R. Auto inc. à Trois-Rivières.
[38] Trois semaines après avoir commencé le travail de préposé aux voitures, le travailleur note une aggravation de sa condition et consulte le 6 juin 2009 le Dr Maxime Lamirande. Dans une attestation médicale à l’intention de la CSST il écrit :
« Lombalgie augmentées avec travail connu pour hernies discales multiples Arrêt de travail ad nouvel ordre sera vu par Dr J-F Roy X 3 jrs » [sic]
[39] Le 8 juin 2009, le Dr Roy voit le travailleur. Il écrit dans son attestation médicale :
« Aggravation lombaire Travail incompatible avec limitations à réorienter » [sic]
[40] Le 24 août 2009, le Dr Roy, à la demande du représentant du travailleur rédige une note médicale. Il rappelle dans un premier temps les limitations qu’il avait émises en novembre 2007 et du fait que le travailleur a été réorienté comme préposé aux voitures. Après avoir résumé les tâches comme préposé aux voitures, il écrit :
« ]…]
Monsieur Laflamme a travaillé trois semaines à cet emploi. Il fallait qu’il inspecte le véhicule, soit sortir les tapis du véhicule pour inspecter l’intérieur de la cabine et examiner le véhicule en dessous, sans lift. Il avait à déplacer le véhicule jusqu’au point de lavage, le stationner et l’inspecter de nouveau. La moyenne était de 5 à 6 véhicules par jour, chiffres qui pouvaient monter à 8 à 10 selon les journées.
Monsieur Laflamme a dû cesser de travail le 6 juin 2009, et ce, sur la recommandation du docteur Maxime Lamirande compte tenu que la douleur lombaire était progressive et s’était amplifiée jusqu’au point où il ne pouvait plus effectuer son travail. Ce qu’il trouvait le plus difficile, c’était de s’asseoir et de se relever des véhicules régulièrement et de travailler penché dans le véhicule et sous le véhicule.
À l’examen physique de ce jour, monsieur Laflamme présente une mobilité lombaire restreinte. Il présente une incapacité à maintenir les positions assises et debout plus de 10 minutes.
Nous notons, à l’examen du rachis lombaire, la mobilité suivante, mesurée à l’aide de l’inclinomètre et de la boussole :
Flexion antérieure : 50 degrés
Extension : nulle
Flexion latérale droite : 20 degrés
Flexion latérale gauche : 20 degrés
Rotation droite : 20 degrés
Rotation gauche : 20 degrés
Nous notons que l’attitude lombaire est une cyphose.
L’examen neurologique des membres inférieurs est strictement normal du point de vue sensitif, moteur et réflexes.
[…] » [sic]
[41] Le Dr Roy conclut que le travailleur présente une aggravation de sa condition physique suite au travail effectué entre le 18 mai 2009 et le 6 juin 2009 qui à son avis « va au-delà des restrictions qui ont été émises au dossier. »
[42] Il ajoute que le travailleur n’est pas en mesure d’exercer l’emploi de préposé aux voitures sans risquer d’aggraver sa condition de façon permanente et doit être réorienté vers un autre travail.
[43]
À la suite d’une demande du représentant du travailleur, le
6 octobre 2009, la CSST l’informe que l’article
[44] Le 14 octobre 2009, la CSST refuse une réclamation du travailleur pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 6 juin 2009 au motif qu’il n’y a pas détérioration de son état de santé.
[45] Le 27 octobre 2009, le travailleur demande la révision des décisions des 6 et 27 octobre 2009. Ce sont ces deux décisions que la CSST confirme dans sa décision rendue le 15 décembre 2009 à la suite d’une révision administrative et qui fait l’objet du présent recours du travailleur.
[46] Le 11 août 2010, à la demande de la CSST, le travailleur a été examiné par le Dr Jacques Potvin, neurochirurgien, afin qu’il réponde aux questions suivantes :
« 1. Est-ce que la condition du travailleur au 6 juin 2009 est reliée à l’événement d’origine du 20 janvier1993?
2. Est-ce que la condition du travailleur au 6 juin 2009 est aggravée en comparaison avec le REM du Dr Richard Delisle effectué le 22 septembre 2004?
3. Est-ce que les tâches de l’emploi convenable déterminé de voiturier, décrites à la page 156 du dossier, vont au-delà des limitations fonctionnelles émises au travailleur? »
[47] À l’examen objectif, le Dr Potvin rapporte que l’examen global du rachis ne révèle aucune anomalie de type cyphose ou scoliose, la démarche dénote une légère boiterie au détriment du membre inférieur gauche. La marche sur les pointes est possible, mais il note une faiblesse de planti-flexion à gauche. La marche sur les talons est impossible à gauche en raison d’un pied tombant complet.
[48] Le Dr Potvin mesure quant à lui la flexion lombaire à 20° et l’extension limitée à 10°. Les mouvements de flexion latérale droite atteignent 15°, à gauche 20° et les rotations droite et gauche atteignent 15°.
[49] Le Dr Potvin note une douleur à la pression des épineuses L5 et S1 et à la pression des deux régions iliaques. La musculature paraspinale lombaire est légèrement « spasmée ».
[50] Le tripode est positif à la région lombaire à 60° de chaque côté. Il n’y a pas de Lasègue, mais cette manœuvre provoque une douleur lombaire à 10° de chaque côté.
[51] Il y a hypoesthésie des territoires L5 et S1 à gauche. Il y a absence de dorsiflexion et d’inversion du pied gauche et une faiblesse modérée de plantiflexion et d’éversion du pied gauche. Le réflexe ostéotendineux achilléen gauche n’est pas mis en évidence. Les cutanés plantaires sont indifférents et il n’y a pas de clonus.
[52] En annexe à son expertise, le Dr Potvin joint un tableau comparatif des amplitudes articulaires du rachis lombo sacré :
|
22 septembre 2004 Dr. R. Delisle |
22 novembre 2007 Dr J.-F. Roy |
8 juin 2009 Dr J.-F. Roy |
11 août 2010 Dr J. Potvin |
Flexion antérieure |
80° |
80° |
50° |
20° |
Extension
|
10° |
20° |
0° |
10° |
Flexion latérale droite |
30° |
30° |
20° |
15° |
Flexion latérale gauche |
30° |
30° |
20° |
20° |
Rotation droite
|
30° |
30° |
20° |
15° |
Rotation gauche
|
30° |
30° |
20° |
15° |
[53] En réponse aux questions qui lui sont posées le Dr Potvin conclut quant à la première :
« Je crois que l’on doit accepter le lien entre la condition de Monsieur Laflamme à cette époque (2004 et 2009) et l’événement d’origine de 1993. »
[54] Il ajoute quant à la seconde question :
« Si l’on considère les quatre tableaux décrits précédemment, on remarque que , le 22 novembre 2007, la condition de Monsieur Laflamme paraissait stable.
Toutefois, si l’on compare avec l'examen du Dr Jean-François Roy, le 8 juin 2009, il semble bien que les limitations fonctionnelles des mouvements du tronc étaient nettement plus importantes.
Accessoirement, on peut dire qu’en date d'aujourd’hui, 11 août 2010, la condition de Monsieur Laflamme semble s’être à nouveau dégradé. »
[55] Quant à la dernière question, le Dr Potvin écrit :
« En regard des examens cliniques des Drs Delisle et Roy des 22 septembre 2004 et 22 novembre 2007, cet emploi paraissait tout à fait convenable.
Toutefois en regard des constatations d’aujourd’hui, il ne paraît plus convenable. »
[56] À l’audience, le tribunal a entendu le témoignage du travailleur. Ce dernier explique qu’il a commencé un emploi de préposé aux voitures chez J. R. Auto inc., un concessionnaire d’automobiles usagées. Il explique qu’il est responsable de 5 employés, 4 préposés au nettoyage (laveurs de voitures) et un mécanicien. Il est engagé pour travailler 40 heures par semaine, du lundi au vendredi et a travaillé du 19 mai 2009 au 5 juin 2009 inclusivement.
[57] Il décrit l’état des lieux et son travail. À partir d’une liste des tâches que le travailleur doit effectuer chez J. R. Auto inc. que son représentant a faite à l’intention de la CSST le travailleur résume ainsi celles-ci :
- Prendre les clés sur un panneau mural situé au niveau des épaules;
- Se déplacer à pied sur terrain pour aller chercher les automobiles, le travailleur ajoute qu’il peut marcher jusqu’à 800 pieds, soit environ 2 minutes de marche et ajoute que le terrain est à moitié pavé, le reste étant en gravier;
- Il déplace ensuite le véhicule jusqu’à l’aire de nettoyage. Il doit avant de déplacer l’auto ajuster le siège du conducteur;
- Il déplace ensuite le véhicule pendant environ quinze secondes;
- Il procède à une inspection visuelle intérieure et extérieure (pour identifier les égratignures, les bosses, la rouille, les tâches, les bris de garniture, etc.), debout et penché. La durée de l’inspection visuelle est d’environ 10 minutes au total. Il inspecte pendant environ 5 à 10 secondes le dessous de la voiture (état du silencieux, des fils pendants, etc.);
- Il supervise et coordonne par la suite le travail des préposés au nettoyage;
- Après que le véhicule soit lavé, il procède à une seconde inspection extérieure et intérieure. Il précise qu’il n’a pas à se repencher pour faire cette seconde inspection;
- Il recommande ou prend des dispositions pour obtenir des services additionnels, tels que de la mécanique;
- Il complète la fiche du véhicule (2 feuilles). Ce travail se fait debout ou assis dans le véhicule;
- Par la suite, le travailleur déplace le véhicule, selon qu’il doit aller à une vente à l’encan ou le stationne sur le terrain pour sa vente;
- Il remet la fiche dans le bureau du patron et remet les clés sur le panneau prévu à cet effet.
[58] Le travailleur précise qu’il n’a pas eu à faire le recrutement de personnel et de formation pour le nettoyage, ni effectué lui-même le nettoyage de véhicule. Il mentionne enfin qu’il a eu à deux occasions à livrer des véhicules chez un autre concessionnaire.
[59] Le travailleur ajoute que le garage dans lequel il travaille est muni de deux portes et qu’au cours d’une journée de 10 à 20 véhicules sont nettoyés.
[60] Il précise qu’il a aussi à déplacer d’autres véhicules au cours d’une journée. Le travailleur mentionne que ce qui est le plus difficile dans le travail effectué c’est de descendre des véhicules.
[61] Questionné par le tribunal, le travailleur confirme qu’entre 2006 et le début de 2009, il a fait de la livraison de pizza. Il ajoute que ce qui était le plus difficile était aussi de descendre et de monter de son véhicule. Monter au deuxième étage était également difficile. Il précise qu’il travaillait 20 à 25 heures par semaine pour faire 4 à 5 livraisons par heure.
[62] Le travailleur explique qu’en juin 2009, il a arrêté son travail de préposé aux voitures parce que son médecin l’avait arrêté de travailler. Il mentionne que lorsqu’il a vu le Dr Lamirande, il était « barré par en-avant » qu’il était « tout croche et incliné par en avant ».
[63] Quant à sa condition en 2009, par rapport à 2004, le travailleur mentionne que sa condition s’est détériorée. En 2004, il évalue sa douleur à 5/10, alors qu’en 2009 elle serait à 10/10.
[64] Le travailleur ajoute qu’en 2004, il prenait du Dilaudid à raison 1 à 2 fois par semaine et qu’en 2010, il en prend 2 par jour.
[65] Les membres issus des associations d'employeurs et des associations syndicales sont d’avis d'accueillir en partie la requête du travailleur.
[66]
Ils estiment d’une part que le travailleur ne respecte pas les
conditions d’application de l’article
[67] Les membres sont par ailleurs d'avis que la preuve médicale prépondérante démontre que la condition du travailleur s’est effectivement détériorée. À cet effet, ils retiennent l’opinion du Dr Roy du 24 août 2009 et celle 11 août 2009 du Dr Potvin, médecin désigné par la CSST, qui confirme sans l’ombre d’un doute l’aggravation de la condition du travailleur.
[68] Dans ce contexte, les membres sont d'avis de déclarer que le travailleur a subi une récidive, rechute ou aggravation le 6 juin 2009 et qu’il a droit en conséquence, aux bénéfices de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[69]
Le tribunal doit dans un premier temps déterminer si le travailleur a
droit de récupérer son indemnité de remplacement du revenu en vertu de
l’article
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
__________
1985, c. 6, a. 51.
[70] Selon cette disposition, le travailleur récupérera son droit à l’indemnité de remplacement du revenu et aux autres prestations prévues par la loi si :
- il abandonne un emploi convenable dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l’exercer à plein temps;
- il abandonne son emploi convenable selon l’avis de son médecin;
- l’avis du médecin est à l’effet que :
- le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable
ou
- l’emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.
[71] La jurisprudence[3] a depuis longtemps établi que l’avis du médecin doit précéder l’arrêt de travail pour que l’on puisse conclure que le travailleur a abandonné l’emploi en raison de cet avis.
[72] En outre, pour récupérer son droit aux indemnités, la jurisprudence[4] ajoute que l'avis du médecin qui a charge du travailleur doit être antérieur à l'abandon effectif de l'emploi convenable.
[73] La jurisprudence[5] a également établi que le travailleur doit produire un avis du médecin dont on peut raisonnablement apprécier qu’il respecte les critères établis à l’article 51. Il doit par conséquent en ressortir, à tout le moins de façon minimale, que le médecin connaît les antécédents médicaux et les limitations fonctionnelles du travailleur, sait de quel emploi il est question et ce qu’il comporte comme tâches et exigences physiques. Il doit motiver sa recommandation au travailleur d’abandonner cet emploi. Il faut donc qu’il y ait un véritable avis médical motivé et non un simple rapport des allégations d’incapacité d’un travailleur. L’impact de cet avis médical est trop important pour ne pas devoir s’assurer de façon minimale qu’il constitue véritablement une opinion médicale et que celle-ci est éclairée.
[74]
Dans le présent dossier, le tribunal constate que le travailleur a
arrêté d’occuper l’emploi chez J. R. Auto inc. à la suite de l’opinion du Dr
Lamirande du 6 juin 2009. Or, le Dr Lamirande ne fait que
parler de lombalgies augmentées et arrête le travailleur jusqu’à ce qu’il voit
le Dr Roy. De l’avis du tribunal, l’opinion du Dr
Lamirande est insuffisante pour conclure au respect des critères établis à
l'article
[75]
De l’avis du tribunal, il ne s’agit pas là du genre d’« avis »
médical auquel réfère l’article
[76] Quant à l’opinion du Dr Roy, du 8 juin 2009, le tribunal en arrive à la même conclusion. Ce dernier ne conclut qu’à une aggravation lombaire et que le travail est incompatible avec les limitations fonctionnelles. Il ajoute à « réorienter » Or, en l’espèce, le Dr Roy ne le précise pas dans son attestation médicale à quel travail il fait référence, ni quelles limitations ne sont pas respectées.
[77]
La note médicale du Dr Roy du 24 août 2009 est plus
complète, mais elle a été émise longtemps après que le travailleur ait quitté
son emploi chez J. R. Auto. inc. aussi, elle ne peut servir dans le cadre de
l'application de l'article
[78]
Dans les circonstances, le tribunal conclut que le travailleur n’a pas
soumis une preuve prépondérante relativement à l’application de l’article
[79] Le tribunal doit dans un second temps déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 juin 2009 sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation découlant de la lésion survenue initialement le 20 janvier 1993. Le travailleur soumet que sa condition s’est détériorée de façon importante.
[80]
La notion de « lésion professionnelle » est ainsi définie à l’article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[81] La loi inclut dans la définition de « lésion professionnelle » la récidive, rechute ou aggravation.
[82] Le tribunal rappelle qu’une telle relation médicale ne peut se présumer ou se déduire seulement en tenant compte du témoignage du travailleur ou de théories médicales sans assise dans la preuve et les faits du dossier.
[83] Cette notion n’est toutefois pas spécifiquement définie par la loi. C’est le sens courant des termes qu’il faut retenir, soit une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.
[84] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a, depuis longtemps, établi les critères qui permettent de reconnaître la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation. D’une part, il faut que la preuve démontre une détérioration objective de l’état de santé du travailleur au moment de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et, d’autre part, qu’elle établisse la relation entre cette détérioration et la lésion initiale. Le témoignage d’un travailleur est insuffisant et une preuve médicale est nécessaire pour établir cette relation[6].
[85] La jurisprudence[7] a indiqué qu’il y a lieu de considérer divers facteurs ou paramètres afin de déterminer si un lien de causalité existe entre la lésion initiale et la condition ultérieure. Les éléments à examiner sont les suivants :
- la gravité de la lésion initiale;
- la continuité des symptômes;
- l’existence ou non d’un suivi médical;
- le retour au travail, avec ou sans limitations fonctionnelles;
- la présence ou l’absence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique;
- la présence ou l’absence de conditions personnelles;
- la compatibilité entre les symptômes allégués au moment de la récidive, rechute ou aggravation avec la nature de la lésion initiale;
- le délai entre la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale.
[86] Aucun de ces facteurs n’est décisif à lui seul, mais c’est l’ensemble des facteurs qui permet de déterminer s’il y a ou non une récidive, rechute ou aggravation.
[87] Le tribunal retient de la preuve que le 24 août 2009 le Dr Roy, chirurgien orthopédiste du travailleur et le 11 août 2009 le Dr Potvin, médecin désigné par la CSST, confirment l’aggravation de la condition du travailleur en juin 2009 et que cette aggravation est en relation avec l’événement de janvier 1993.
[88] Par ailleurs, les critères reconnus par la jurisprudence pour déterminer l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation sont, pour la plupart, rencontrés dans la présente affaire.
[89] Le tribunal retient que la lésion professionnelle initiale est d’importance modérée, mais qu’elle a entraîné une atteinte permanente importante de 37 % et des limitations fonctionnelles. Ces séquelles ont permis au travailleur d’être admis en réadaptation et un emploi convenable de préposé aux voitures a été déterminé.
[90] Le tribunal constate par ailleurs que le travailleur conservait des séquelles et des douleurs significatives et qu’il a eu un suivi médical régulier depuis l’événement initial.
[91] Le tribunal retient également que le travailleur n’avait pas d’antécédents personnels impliquant le rachis lombaire avant son accident du travail de janvier 1993.
[92] Le tribunal considère aussi la période de plus de 13 ans qui s’est écoulée entre la consolidation du 18 janvier 1996 et la réclamation du travailleur déposée le 17 septembre 2009 ne fait pas échec à la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation en juin 2009 compte tenu de la preuve au dossier, notamment en raison de la récidive, rechute ou aggravation reconnue par la CSST en septembre 2004.
[93] Au cours de cette période, le tribunal constate que malgré plusieurs rapports médicaux faisant état d’aggravation, aucune des réclamations du travailleur n’a été acceptée par la CSST.
[94] Ainsi, en l’espèce, en présence d’une telle preuve prépondérante, notamment les conclusions des Drs Roy et Potvin, laquelle est par ailleurs non contredite, le tribunal ne peut que reconnaître que le travailleur a été victime d’une récidive, rechute ou aggravation le 6 juin 2009.
[95] Vu ce qui précède, le tribunal estime que la requête du travailleur doit être accueillie en partie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête du travailleur, M. Franco Laflamme, déposée le 12 janvier 2010;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 15 décembre 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur ne peut bénéficier de
l’article
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 juin 2009, à savoir une récidive rechute ou aggravation de sa lésion du 20 janvier 1993 ;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en raison de cette lésion professionnelle.
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J. André Tremblay |
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M. Dominique Le Sage |
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S.A.T.A. |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Evelyne Julien |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] À cette atteinte, il faut ajouter 11,10 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, pour un total de 48,10 %.
[3] C.S.S.T. et Mondoux,
[4] CSST et Mondoux,
[5] Grenier et Grands Travaux Soter inc., C.L.P.
[6] Boisvert et Halco
inc.,
[7] Boisvert et Halco inc., voir note précédente.
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