DÉCISION
[1] Le 19 mai 1999, monsieur Alexandre Leclerc (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 avril 1999, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 26 novembre 1998 et déclare que le travailleur n’a pas été victime d’une maladie professionnelle le 29 avril 1991.
[3] Bien que dûment convoquée, la partie intervenante est absente à l’audience. Le travailleur est présent et représenté et l’employeur est représenté à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que l’encéphalopathie dont il est victime est causée par son exposition professionnelle à des substances toxiques et constitue une maladie professionnelle au sens de l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la LATMP).
QUESTION PRÉLIMINAIRE
MOYENS SOULEVÉS
[5] Après que l’enquête fut déclarée close et à l’occasion de son argumentation écrite, le procureur de l’employeur fait valoir que la réclamation formulée par le travailleur le 20 février 1996 est irrecevable parce que produite hors du délai de six mois prévu par l’article 272 de la LATMP.
[6] La procureure du travailleur soumet à la Commission des lésions professionnelles que le procureur de l’employeur est forclos de plaider ce moyen de non-recevabilité après la fin de l’enquête.
[7] Quand au bien-fondé du hors-délai soulevé, elle soumet que la production d’attestations médicales en 1991 était suffisante aux fins de formuler une réclamation et que le défaut du travailleur d’avoir formulé une réclamation sur les formulaires prescrits par la CSST ne peut lui faire perdre ses droits puisque l’article 353 de la LATMP prévoit qu’aucune procédure ne doit être considérée nulle ou rejetée pour vice de forme ou irrégularité. Elle plaide finalement que si la réclamation du travailleur est hors-délai, la CSST a implicitement relevé le travailleur de son défaut en se prononçant sur l’admissibilité de sa réclamation pour encéphalopathie le 26 novembre 1998.
LES FAITS RELATIFS À LA QUESTION PRÉLIMINAIRE :
[8] Le travailleur est hospitalisé à l’Hôpital Saint-Luc du 17 septembre au 3 octobre 1990 pour neutropénie[2]. Le résumé de l’hospitalisation du docteur René Lecours du 22 octobre 1990, rapporte qu’on a découvert fortuitement une neutropénie à l’occasion d’une investigation pour une douleur de l’abdomen. Le diagnostic final émis est celui de lithiases vésiculaires (pierres à la vésicule biliaire) et de neutropénie d’origine indéterminée. Le médecin soulève la possibilité d’une hypertension portale[3] d’origine inconnue et donne congé au travailleur avec la recommandation d’un bilan de contrôle dans six mois.
[9] Le travailleur consulte de nouveau le docteur Lecours le 21 janvier 1991 qui constate que le patient a la jaunisse et recommande une biopsie hépatique. Le travailleur est hospitalisé pour cette biopsie hépatique du 25 mars au 4 avril 1991. Le docteur Lecours pose le diagnostic de cirrhose postnécrotique d’étiologie indéterminée.
[10] Le 29 avril 1991, le travailleur remplit un formulaire de « Réclamation du travailleur » et donne la description suivante de l’événement :
« J’ai une cirrhose du foie avec hypertension portale me causant maux de tête, étourdissement, maux de cœur, qui me demande un suivi médicale continu. Je dis que cela ma été causé par les différents produits chimique que j’ai respiré à l’usine qui est sans ventilation. » (sic)
[11] Le 12 juin 1991, le docteur Jean-Louis Létourneau du bureau médical de la CSST, transmet au docteur René Lecours une étude industrielle effectuée en 1985 chez l’employeur et lui demande d’établir ou non la relation entre le travail du travailleur et sa maladie.
[12] Le 4 décembre 1991, le docteur Auger pose les diagnostics d’encéphalopathie aux solvants et de cacosmie sur les formulaires prescrits par la CSST et réfère le travailleur en évaluation neuropsychologique. Les notes médicales du docteur Auger du 4 décembre 1991 rapportent l’existence chez le travailleur à la fois d’un problème d’origine hépatique, possiblement une cirrhose et un second problème d’encéphalopathie aux solvants avec cacosmie[4].
[13] Le 24 février 1992, le docteur Létourneau réitère sa demande du 12 juin 1991 au docteur René Lecours qui n’y a pas donné suite.
[14] Le 18 juin 1992, le docteur Serge Turmel, du bureau médical de la CSST, transmet une demande d’expertise au docteur Pierre Paré afin de déterminer si la cirrhose diagnostiquée chez le travailleur est en relation ou non avec son exposition à des solvants au travail.
[15] Le 12 août 1992, le docteur Pierre Paré conclut qu’il lui est impossible de décider de la relation et qu’il y a lieu préalablement de déterminer de façon précise la nature de la maladie du patient. En effet, il rapporte qu’un diagnostic de cirrhose d’origine inconnue peut être porté chez un bon pourcentage de patients sans qu’il y ait d’exposition industrielle mais qu’une hypertension portale intrahépatique présinusoïdale peut être associée à une exposition à des substances toxiques au travail. Il recommande que le médecin traitant se prononce clairement sur le diagnostic afin que la CSST puisse établir une relation causale ou non avec le travail.
[16] Les notes évolutives au dossier du 3 septembre 1992 rapportent l’analyse du docteur Gélinas du bureau médical de la CSST qui conclut que la relation entre les produits utilisés dans l’entreprise et le diagnostic retenu par le médecin du travailleur n’est pas démontrée. Ses notes rapportent que l’hypertension portale peut être associée à l’exposition à l’arsenic et au chlorure de vinyle mais que ces substances n’ont pas été retrouvées dans l’entreprise. Il ajoute qu’après une conversation téléphonique avec le docteur Lecours, celui-ci ne peut conclure à un autre diagnostic que celui de cirrhose postnécrotique d’origine indéterminée.
[17] Le 9 septembre 1992, la CSST refuse de reconnaître la cirrhose du foie du travailleur comme constituant une maladie professionnelle. Le 17 septembre 1992, le travailleur conteste cette décision. Cette décision fera l’objet d’une décision du Bureau de révision paritaire, puis d’une contestation à la Commission des lésions professionnelles dont le travailleur se désistera à l’audience.
[18] Le 18 mars 1993, la procureure du travailleur transmet une lettre à la CSST lui demandant de se prononcer quant au diagnostic d’encéphalopathie émis par le docteur Auger le 4 décembre 1991.
[19] Le 23 décembre 1993, le docteur Lecours pose le diagnostic de syndrome cérébral organique et recommande à la CSST d’effectuer des tests neuropsychologiques.
[20] Le 14 décembre 1995, la procureure du travailleur transmet une lettre à la CSST lui demandant de se prononcer sur la relation entre le diagnostic d’encéphalopathie chronique et l’exposition du travailleur à des solvants dans le cadre de son travail.
[21] Le 20 décembre 1995, monsieur Claude Boulay, directeur de la région Mauricie/Bois-Francs, accuse réception de la demande de la procureure du travailleur et l’informe qu’il fait parvenir sa demande à monsieur Jean Rivard, directeur santé et sécurité à la CSST afin d’y donner suite.
[22] Le 24 janvier 1996, une note manuscrite au dossier de Jean Rivard rapporte qu’il a contacté la procureure du travailleur qui doit faire parvenir un formulaire de « Réclamation du travailleur » accompagné d’un document du docteur Serge Lecours du 4 janvier 1995 et d’une expertise neuropsychologique du 27 avril 1995.
[23] Le 20 février 1996, le travailleur remplit un formulaire de réclamation du travailleur.
[24] Le 28 février 1996, madame Sylvie Proulx, agente d’indemnisation au dossier, rapporte qu’elle reçoit un formulaire de réclamation du travailleur en relation avec le diagnostic d’encéphalopathie chronique, lequel diagnostic est connu depuis 1991.
[25] Le 7 mars 1996, madame Martine Boulay, agente d’indemnisation à la CSST, rapporte qu’elle reçoit une demande pour que la CSST se prononce concernant le diagnostic d’encéphalopathie posé par le médecin traitant le 4 décembre 1991 sur lequel la CSST ne s’est jamais prononcée. Elle décide de soumettre le dossier pour un avis médical au docteur Christophe Nowakowski et lui transmet le dossier le 13 mars 1996.
[26] Le 15 décembre 1997, le docteur Nowakowski informe le médecin du Bureau médical de la CSST qu’il fera une évaluation pour le compte du travailleur et non pour celui de la CSST.
[27] Suivant la réception des expertises des docteurs Nowakowski (expert du travailleur) et Osterman (expert de l’employeur), la CSST refuse la réclamation du travailleur le 26 novembre 1998, au motif qu’elle ne peut établir de lien de causalité entre l’encéphalopathie retenue par le docteur Nowakowski et les produits auxquels le travailleur a été exposé dans le cadre de son travail.
L'AVIS DES MEMBRES SUR LE MOYEN PRÉLIMINAIRE
[28] Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales sont d’avis que le moyen de forclusion soulevé par la procureure du travailleur à l’encontre du moyen d’irrecevabilité pour hors délai en vertu de l’article 272 de la LATMP soulevé par l’employeur ainsi que ce dernier moyen d’irrecevabilité pour hors délai, sont non fondés et devraient être rejetés.
LES MOTIFS SUR LE MOYEN PRÉLIMINAIRE
[29] Le chapitre III du Code de procédure civile du Québec[5] prévoit les moyens préliminaires (art. 159 à 171) qui peuvent être opposés à une demande en justice et les délais (art. 161 et 162 C.p.c.) de rigueur (art. 170 C.p.c.) dans lesquels ils doivent être proposés.
[30] La Commission des lésions professionnelles est, quant à elle, un tribunal administratif chargé par le législateur d’interpréter en dernière instance des lois à caractère social et d’ordre public, soit la Loi sur la santé et la sécurité du travail[6] et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[7] qui s’est doté de Règles de preuve, de procédure et de pratique[8] qui donnent vie aux règles de justice naturelle reconnues par notre droit administratif. L’article 2 de ces Règles de preuve, de procédure et de pratique précise que la Commission des lésions professionnelles n’est pas tenue à l’application des règles de procédure civile[9].
[31] Bien qu’il soit souhaitable, pour des fins d’administration de la preuve par le Tribunal, qu’un moyen préliminaire d’irrecevabilité soit soulevé en début d’audience, aucune obligation n’est faite à une partie quant au moment où il doit faire valoir un tel moyen. La Commission des lésions professionnelles n’étant pas liée par les règles de preuve et de procédure en matière civile et ses Règles de preuve, de procédure et de pratique ne prévoyant pas d’obligation quant au moment de présenter un tel moyen, elle est d’avis qu’une partie peut faire valoir un moyen préliminaire en tout temps lors de la détermination de la recevabilité d’une réclamation auprès de toutes les instances[10].
[32] La Commission des lésions professionnelles rejette, en conséquence, le moyen soulevé par la procureure du travailleur de forclusion de plaider la non-recevabilité d’une réclamation pour hors délai au sens de l’article 272 de la LATMP, lorsque la preuve est close.
[33] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant se prononcer quant au moyen soulevé par l’employeur de hors délai de la réclamation du travailleur au sens de l’article 272 de la LATMP. L’article 272 de la LATMP prévoit ce qui suit :
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
________
1985, c. 6, a. 272.
[34] En l’instance, la preuve révèle que le travailleur produit un formulaire de réclamation du travailleur le 20 février 1996, pour un diagnostic d’encéphalopathie émis la première fois le 4 décembre 1991 sur les formulaires d’attestations médicales prescrits par la CSST.
[35] La Commission d'appel en matière de lésions professionnelles a déjà décidé que le caractère impératif ou non de l’obligation de produire un formulaire de réclamation doit être apprécié en fonction du caractère social de la loi, qui procède plus de l’équité que du droit strict et qui doit être interprété largement[11]. Elle a également décidé que le fait de ne pas avoir complété le formulaire de réclamation pourrait être considéré comme un vice de forme qui ne doit pas être fatal au travailleur[12].
[36] La Commission des lésions professionnelles rappelle que l’article 353 de la LATMP prévoit qu’aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être considérée nulle ou rejetée pour vice de forme ou irrégularité. Elle a, à cet égard, déjà décidé qu’on ne saurait reprocher au travailleur de ne pas avoir fourni une réclamation formelle à la CSST, car l’article 353 de la LATMP mentionne bien qu’aucune procédure ne doit être considérée invalide pour vice de forme[13].
[37] De plus, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé que la seule production de rapports médicaux adressés et expédiés à la CSST, est suffisante pour conclure que la CSST doit rendre une décision écrite sur le nouveau diagnostic posé[14]. À cet égard, elle souligne qu’il est de pratique courante pour la CSST d’être amenée à se prononcer sur l’existence ou non d’une relation entre différents diagnostics émis dans le cadre d’une réclamation et l’événement décrit par un travailleur à sa réclamation d’origine.
[38] En l’espèce, la preuve révèle que le travailleur produit une réclamation à la CSST le 29 avril 1991 et y décrit qu’il présente une cirrhose du foie, une hypertension portale, des maux de tête, des étourdissements, des maux de cœur et que ces conditions sont causées par les différents produits chimiques auxquels il a été exposé. Or, à compter du 4 décembre 1991, les diagnostics d’encéphalopathie aux solvants et de cacosmie sont posés sur les formulaires prescrits par la CSST par le docteur Auger qui recommande une évaluation neuropsychologique. Les notes médicales du docteur Auger rapportent que le travailleur présente deux problèmes, un d’ordre hépatique et un second relié à une encéphalopathie aux solvants.
[39] La preuve révèle également que la CSST a obtenu des avis médicaux aux fins de se prononcer sur la relation causale entre l’exposition du travailleur à des substances chimiques et un diagnostic de cirrhose du foie, mais ne s’est pas préoccupée de rendre une décision sur la relation causale entre le diagnostic d’encéphalopathie et l’exposition du travailleur à des solvants au travail. Ce n’est qu’après une seconde demande formelle des procureurs du travailleur en décembre 1995 que la CSST communique avec la procureure du travailleur le 24 janvier 1996 afin de donner suite à sa demande. C’est suite à cette conversation que la procureure du travailleur transmet à la CSST le formulaire de « Réclamation du travailleur » du 20 février 1996.
[40] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le fait pour le travailleur de produire un formulaire «Réclamation du travailleur » en février 1996 n’était qu’une formalité sans conséquence puisque la CSST était déjà saisie du diagnostic d’encéphalopathie dans le cadre de la réclamation du travailleur pour maladie professionnelle d’avril 1991 sur lequel elle avait omis et devait se prononcer, qu’elle avait accès au dossier médical du travailleur et à toutes les informations nécessaires pour se prononcer sur l’admissibilité de la réclamation[15] et qu’elle connaissait depuis décembre 1991 l’intention du travailleur de faire reconnaître ses problèmes d’encéphalopathie à titre de maladie professionnelle.
[41] Elle est de plus d’avis que la production d’un formulaire de réclamation pour maladie professionnelle par le travailleur en février 1996 n’était qu’une formalité administrative, puisque la seule production de l’attestation médicale du 4 décembre 1991 sur les formulaires prescrits par la CSST peut être considérée comme une demande du travailleur à la CSST de reconnaître son encéphalopathie comme constituant une maladie professionnelle.
[42] La Commission des lésions professionnelles conclut qu’il y a lieu de rejeter le moyen préliminaire de non-recevabilité pour hors délai de la réclamation du travailleur soulevé par le procureur de l’employeur.
LES FAITS
[43] Le travailleur exerce le métier de journalier pour le compte de l’employeur de 1979 à 1991. Le 29 avril 1991, il complète un formulaire de « Réclamation du travailleur » et donne la description suivante de l’événement :
« J’ai une cirrhose du foie avec hypertension portale me causant maux de tête, étourdissement, maux de cœur, qui me demande un suivi médicale continu. Je dis que cela ma été causé par les différents produits chimique que j’ai respiré à l’usine qui est sans ventilation. » (sic)
[44] Le travailleur allègue que l’encéphalopathie dont il est victime est reliée au fait d’avoir été exposé aux vapeurs de la colle utilisée par les assembleurs de la section du collage ainsi qu’à d’autres vapeurs nocives.
[45] Le dossier révèle que le département de santé communautaire du Centre hospitalier Sainte-Marie élabore et transmet à l’employeur en décembre 1984, le premier Programme de santé spécifique de l’entreprise, suite à l’identification et l’évaluation de différents contaminants mesurés dans l’entreprise par le département de santé communautaire. L’objectif du Programme de santé spécifique est établi par l’article 113 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la LSST) et vise l’identification et l’évaluation des risques, la surveillance médico-environnementale et l’information des travailleurs. Il vise tous les travailleurs exposés ou susceptibles de l’être, à un contaminant ou à un agresseur potentiel.
[46] Deux agresseurs sont identifiés dans le Programme de santé spécifique de 1984 (tests effectués en novembre 1983) dans les endroits suivants :
Agresseurs 1. Solvants 1.1.1 Trichloroéthane 2.4 Diisocyanates de toluène |
Sources À la table de collage À la section des moules |
[47] Le rapport établit que la concentration moyenne admissible du trichloroéthane est au - dessus de la normale permise aux tables de collage et qu’en conséquence, le programme de santé devra comprendre une stratégie de surveillance environnementale de ce produit ainsi qu’une surveillance médicale des travailleurs qui y sont exposés.
[48] Quant au 2.4 diisocyanate de toluène (2.4 TDI), aucune mesure de surveillance médicale n’est prévue en regard de cette substance puisque les concentrations dans la section des moules sont environ cinq fois inférieures à la concentration moyenne admissible. Rappelons que le 2.6 TDI n’est pas identifié comme un agresseur potentiel.
[49] Le Programme de santé spécifique de 1985 (tests effectués le 14 juin 1984) identifie comme agresseurs le 1.1.1 trichloroéthane, le 2.4 TDI et le 2.6 TDI. Ces agresseurs sont identifiés à la table de collage et à la cuve de la section du moulage.
Agresseurs 1. Solvants 1.1.1 Trichloroéthane 2.4 et 2.6 Diisocyanates de toluène |
Sources À la table de collage Cuve de mélange aux moules |
[50] Le Programme de 1985 souligne que l’employeur a modifié les postes de travail depuis les tests effectués par le service d’hygiène et que le Programme présenté se base sur les résultats des analyses effectuées le 14 juin 1984 par un inspecteur de la CSST.
[51] Le rapport établit que le 1.1.1 trichloroéthane échantillonné est mesuré auprès des assembleurs à la table de collage et dans l’air ambiant de ce département et que les résultats sont de 655 mg/m3 et à 855 mg/m3 auprès des assembleurs et se retrouve à 280 mg/m3 dans l’air ambiant près du collage alors que la norme légale à ne pas dépasser est de 1900 mg/m3. Le programme de santé écarte cette exposition de sa liste des agresseurs à surveiller considérant les concentrations mesurées.
[52] Quant aux deux formes de diisocyanates de toluène (2.4 et 2.6 TDI), les concentrations ont été évaluées au niveau du plancher près du baril de colle. Celles-ci sont de 0,14 à 0,35 mg/m3 pour le 2.4 TDI (dont la valeur maximale ne peut dépasser 0,14 mg/m3). Une mesure de surveillance est prévue pour les travailleurs exposés. Quant au 2.6 TDI il ne fait l’objet d’aucune norme et aucune mesure de surveillance n’est prévue.
[53] Le Programme de santé de 1990 (tests effectués en octobre 1989) rapporte que le département de santé communautaire effectue de nouveaux échantillonnages d’isocyanates en octobre 1989. L’étude révèle la présence de 2.4 TDI et de 2.6 TDI chez les travailleurs du département du moulage. L’exposition moyenne des travailleurs au 2.4 TDI est de 21% inférieure à la norme québécoise. Elle est toutefois supérieure à la norme permise pour le travailleur posté en haut de la passerelle et nécessite le port d’un masque. Aucune mesure de surveillance n’est prévue pour le 2.4 TDI, non plus que pour le 2.6 TDI qui ne fait l’objet d’aucune norme québécoise.
[54] Les fiches du répertoire toxicologique produites sous la cote T-5 révèlent que l’exposition au 1.1.1 trichloroéthane ou à ses vapeurs peut causer une faible irritation de la peau, des yeux et des voies respiratoires. Il peut également causer des rougeurs, de la desquamation et des fissurations de la peau. Ses effets aigus peuvent causer une dépression du système nerveux central se traduisant par des nausées, des maux de tête, des vomissements, de la faiblesse, une perte d’équilibre, de la paresthésie et de l’ataxie. Quant aux effets chroniques, les études épidémiologiques n’ont pas associé d’effets neurotoxiques au 1.1.1. trichloroéthane.
[55] Quant au répertoire toxicologique relatif au TDI déposé sous la cote E-4, il révèle que ce produit est un irritant modéré à grave des yeux et de la peau et que son exposition aux vapeurs cause l’irritation des yeux et des voies respiratoires supérieures. Au chapitre des effets chroniques, il y a possibilité d’une diminution de la fonction pulmonaire.
[56] À l’audience, le travailleur dépose sous la cote T-1 le plan de l’usine de 1979 à 1984. L’entreprise ayant effectué des modifications de certains postes de travail en 1985, un second plan des lieux est contenu au dossier pour la période de 1985 à 1991.
[57] Le plan de l’usine révèle que celle-ci est divisée en deux grandes sections que nous appellerons pour les fins de la discussion, les sections du Collage (à gauche du plan) et de l’Entrepôt (à droite du plan). La section du Collage comporte trois sous-sections : l’entreposage, le collage et le garage. La section de l’Entrepôt comporte trois sous-sections : le sciage, le moulage et la déchiqueteuse. Les sections du Collage et de l’Entrepôt sont divisées par un mur qui comporte trois ouvertures.
[58] Le travailleur explique qu’à son embauche en 1979, il travaille à la déchiqueteuse (section Entrepôt) pendant une période de six mois. Son travail consiste à faire des boîtes de résidus de mousse de caoutchouc. Il explique qu’il est alors peu exposé aux vapeurs de colle de la section du Collage, puisque le poste à la déchiqueteuse se trouve dans l’autre section de l’usine à l’extrémité de la section de l’Entrepôt et que son travail s’accomplit dans un environnement aéré puisque la porte de garage située près de son poste de travail reste ouverte.
[59] Il est ensuite affecté à l’emballage des sous-tapis (section Collage) pour une période de deux à trois ans, soit jusqu’au printemps 1983. Ses fonctions consistent à emballer les sous-tapis dans des plastiques et à les déposer sur un chariot. Le travailleur explique que le poste d’emballage est situé dans la section du Collage et qu’il travaille à trois pieds des assembleurs de la table de collage qui effectuent l’assemblage de mousses de caoutchouc à l’aide d’un pistolet. Le travailleur explique que la table de collage est entourée d’un montant sur lequel est déposé un plastique.
[60] Il explique qu’il travaille de plus à environ vingt pieds d’une colleuse thermique qui est un équipement constitué d’un rouleau chauffant qui colle une pellicule plastique dessous le sous-tapis. Le travailleur explique qu’il est exposé à des vapeurs de plastique brûlé que dégage la colleuse environ une fois par semaine.
[61] De 1983 à 1991, il est affecté à la scie à ruban horizontale dans la section de l’Entrepôt. Ses fonctions consistent à trancher des rouleaux de sous-tapis. Le travailleur témoigne qu’il est exposé aux poussières de mousse de caoutchouc qui brûlent sur la lame de la scie à ruban qu’il opère et qu’à compter de 1985, il est exposé aux fumées d’huile qui coulent de la colleuse thermique qui est déménagée dans la section Entrepôt. Le travailleur ajoute qu’il est également exposé aux vapeurs de la section du Collage.
[62] Le travailleur rapporte de plus avoir respiré des vapeurs nocives lors de trois incendies et se souvenir de deux de ces événements. Une première fois, à la scie numéro 19 alors que l’usine est évacuée et qu’il reste pour éponger de l’huile et une seconde fois alors qu’un bout de rouleau de sous-tapis prend feu.
[63] Le travailleur témoigne qu’à compter de 1980, il présente des maux de tête, fonctionne au ralenti et a le sommeil agité. Ses symptômes se sont par la suite aggravés l’amenant à ressentir un changement de son caractère, à avoir moins de patience, être stressé, à avoir un sommeil agité, des nausées, une perte de goût, des maux de tête, avoir toujours faim et être frileux. Il dit également présenter une hypersensibilité aux odeurs. Depuis 1990, le travailleur dit que sa situation est stable et qu’il est devenu végétarien strict (c’est-à-dire qu’il ne mange ni lait, ni viande) depuis la fermeture de l’usine en 1991. Avant cette date, il prenait des vitamines et utilisait des produits naturels. Depuis la fermeture de l’usine en 1991, le travailleur témoigne ne pas avoir cherché d’emploi. Il explique qu’il fait du jardinage, qu’il coupe son bois de chauffage et fait du bénévolat dans le cadre de deux associations d’horticulture.
[64] En contre-interrogatoire, le travailleur témoigne qu’il est originaire du Nouveau-Brunswick et a vécu une adaptation difficile au Québec après le déménagement de ses parents. Il ajoute qu’il n’a jamais aimé l’école et a cessé l’école à l’âge de 16 ans au niveau du secondaire III. Le travailleur témoigne qu’il n’avait « pas tellement » de symptômes en 1983. Il précise qu’il a construit sa maison entre 1977 et 1987.
[65] L’employeur fait entendre monsieur Raymond Dubord, mécanicien pour l’entreprise de 1978 à 1983, responsable des achats de 1983 à 1986 et directeur d’usine à compter de cette date. Monsieur Dubord témoigne qu’il a installé la table d’emballage à laquelle travaillait monsieur Leclerc qui se trouve de trois à quatre pieds du mur central de l’usine. Il ajoute que la table d’encollage est située de douze à treize pieds de celle de l’emballage.
[66] Il explique qu’en 1985, il y a eu un changement de configuration de l’usine et que les tables de collage au milieu de la section du Collage ont été installées sur le mur extérieur de l’usine à l’opposé du mur où se trouvait l’emballage et que des ventilateurs ont été installés pour améliorer la ventilation de l’usine. Il ajoute que la colleuse thermique a été déplacée dans la section Entrepôt. Il explique que les tables de collage ont seize pieds de long et sont entourées d’un montant de quatre pieds de haut où sont déposées des couches de feuilles de plastique. Monsieur Dubord témoigne également qu’il se souvient de l’incendie à la colleuse et dit se souvenir qu’il s’est produit le matin et que monsieur Leclerc n’était pas là.
[67] Le 4 décembre 1991, le docteur Auger pose les diagnostics d’encéphalopathie aux solvants et de cacosmie sur les formulaires prescrits par la CSST et réfère le travailleur en évaluation neuropsychologique. Les notes médicales du docteur Auger du 4 décembre 1991 rapportent l’existence chez le travailleur à la fois d’un problème d’origine hépatique, possiblement une cirrhose et d’un second problème d’encéphalopathie aux solvants avec cacosmie.
[68] Le 18 juin 1992, le docteur Serge Turmel, du bureau médical de la CSST, transmet une demande d’expertise au docteur Pierre Paré afin de déterminer si la cirrhose diagnostiquée chez le travailleur est en relation ou non avec son exposition à des solvants au travail.
[69] Le 12 août 1992, le docteur Pierre Paré conclut qu’il lui est impossible de décider de la relation et qu’il y a lieu préalablement de déterminer de façon précise la nature de la maladie du patient. En effet, il rapporte qu’un diagnostic de cirrhose d’origine inconnue peut être porté chez un bon pourcentage de patients sans qu’il y ait d’exposition industrielle. Toutefois, une hypertension portale intra-hépatique présinusoïdale peut être associée à des expositions à des substances toxiques au travail. Il recommande que le médecin traitant se prononce clairement sur le diagnostic afin que la CSST puisse établir une relation causale ou non avec le travail.
[70] Les notes évolutives au dossier en date du 3 septembre 1992 rapportent l’analyse du docteur Gélinas du bureau médical de la CSST qui conclut que la relation entre des produits utilisés dans l’entreprise et le diagnostic retenu par le médecin du travailleur n’est pas démontrée. Les notes évolutives rapportent également que l’hypertension portale peut être associée à l’exposition à l’arsenic et au chlorure de vinyle mais que ces substances n’ont pas été retrouvées dans l’entreprise. Il ajoute qu’après une conversation téléphonique avec le docteur Lecours, celui-ci ne peut conclure à un autre diagnostic que celui de cirrhose post-nécrotique d’origine indéterminée.
[71] Le 9 septembre 1992, la CSST refuse de reconnaître la cirrhose du foie du travailleur comme constituant une maladie professionnelle. Le 17 septembre 1992, le travailleur conteste cette décision qui fera l’objet d’une décision par le Bureau de révision paritaire que le travailleur contestera auprès de la Commission de lésions professionnelles, mais dont il se désistera à l’audience.
[72] Le 16 septembre 1993, le docteur Christophe Nowaskowki, psychiatre, rencontre le travailleur à la demande du docteur Lecours. Le rapport de consultation qu’il transmet au docteur Lecours rapporte que le travailleur a été exposé pendant douze ans à de la colle, du varsol, de l’essence, des gaz de combustions ainsi que divers autres solvants. Il rapporte que le travailleur a présenté au cours de son emploi des céphalées, des faiblesses, des points à la poitrine et au dos, des douleurs articulaires ainsi que des pertes de mémoire et de l’irritabilité. Il ajoute que le travailleur présente encore des perturbations occasionnelles du sommeil ainsi que des pertes de mémoire malgré le fait qu’il a cessé de travailler depuis 1991. Il émet l’hypothèse que l’histoire du travailleur est compatible avec une exposition à des solvants et une encéphalopathie chronique aux solvants et recommande de procéder à une évaluation neuropsychologique complète du travailleur afin de vérifier cette hypothèse.
[73] Le 23 décembre 1993, le docteur Lecours pose le diagnostic de syndrome cérébral organique et demande à la CSST de faire effectuer des tests neuropsychologiques au travailleur.
[74] Le 4 janvier 1995, le docteur Lecours transmet une lettre à la procureure du travailleur l’informant que le patient présente une fibrose hépatique, une hypertension portale, une neutropénie ainsi qu’une thrombocytopénie[16]. Il ajoute que le diagnostic de cirrhose a été posé mais il n’a pas de certitude à cet effet et qu’il n’a pas de preuve à l’effet que le travailleur ait été exposé à du chlorure de vinyle ou à du benzène qui pourrait expliquer certains de ses problèmes de santé.
[75] Le 26 avril 1995, le travailleur est expertisé par madame Louise Bérubé, docteure en neuropsychologie. Elle conclut qu’il y a présence de quelques indices neuropsychologiques caractéristiques d’une sémiologie frontale ayant une implication plus sous-corticale que franchement corticale et est d’avis que le bilan neuropsychologique qu’elle fait actualise des séquelles au plan de la mémoire, des capacités d’apprentissage et de l’organisation spatiale. Elle suggère un diagnostic de syndrome cérébral organique et est d’avis que les séquelles objectivées au bilan neuropsychologique sont compatibles avec un tableau d’encéphalopathie toxique.
[76] À l’audience, le travailleur fait entendre la docteure Louise Bérubé, neuropsycholoque. La docteure Bérubé témoigne que la dissociation entre le quotient intellectuel et le quotient de mémoire qui est inférieur à ce qu’il devrait être est significatif. Elle rapporte que lorsqu’elle voit le travailleur, celui-ci se plaint de problèmes de mémoire depuis 1991 et a plus de préoccupation en relation avec sa condition organique. Elle est d’avis que le travailleur présente essentiellement trois problèmes. Le premier constitue un problème de stratégie de rappel. Le second est un problème de sélectivité mnésique qui, selon elle, est pathognomonique d’une exposition à des produits neurotoxiques et est le signe d’une dysfonction sous-corticale. Le troisième élément est la susceptibilité à l’interférence constituée par une difficulté de tissage et un problème à gérer deux activités de façon simultanée. En contre-interrogatoire, la docteure Bérubé précise toutefois que ses conclusions sont basées sur la grande classe des solvants et non pas sur un solvant en particulier.
[77] Le 9 décembre 1997, le travailleur est expertisé par le docteur Christophe Nowaskowki, psychiatre, qui complète un rapport le 2 avril 1998. Le docteur Nowaskowki rapporte que le travailleur a été exposé à divers produits chimiques pendant douze ans particulièrement au 1.1.1 trichloroéthane et au diisocyanate de toluène. Il ajoute que le travailleur a été exposé à ces substances dans des concentrations supérieures à celles qui sont légalement permises avant 1985.
[78] Considérant l’exposition du travailleur pendant douze ans au 1.1.1 trichloroéthane et qu’avant 1985, il aurait été exposé à des concentrations au-dessus des normes permises et considérant qu’il est documenté dans la littérature médicale que les effets neurotoxiques du 1.1.1 trichloroéthane prennent la forme de troubles de mémoire et d’encéphalopathie, le docteur Nowakowski conclut au diagnostic d’encéphalopathie chronique secondaire aux solvants.
[79] À l’audience, le travailleur fait également entendre le docteur Nowakowski. Docteur Nowakowski est d’avis que l’évaluation de la docteure Bérubé démontre des anomalies significatives et confirme un tableau compatible avec une exposition aux solvants. Il explique que le 1.1.1 trichloroéthane est un composé halogène organique aliphatique. Bien que la concentration de 1.1.1 trichloroéthane au poste de travail de monsieur Leclerc n’ait pas été évaluée, il est d’avis que le travailleur a été exposé au 1.1.1 trichloroéthane de façon importante de 1979 à 1983 lorsqu’il travaille à l’emballage et qu’il a par la suite été exposé de façon minime. Il ajoute que le travailleur peut présenter une atteinte chronique même si son exposition a été minime après 1983.
[80] Il est d’avis qu’il n’y a pas de signe de localisation franche et spécifique mais qu’il y a une lésion corticale. À cet égard, il est d’avis que la discordance entre le quotient intellectuel et le quotient de mémoire est anormale, que la susceptibilité à l’interférence et les résultats des tests De Rey et de Lausanne complètent un tableau d’atteinte cérébrale diffuse dont on peut penser que les lobes frontaux sont atteints.
[81] Dans le cas du 1.1.1 trichloroéthane, il rapporte que la littérature est mince mais existante et que la relation est possible. Pour ce qui est du TDI, il ajoute qu’il n’y a pas de littérature médicale relative à des problèmes neuropsychologiques.
[82] Le 22 septembre 1998, le travailleur est expertisé par le docteur John W. Osterman, médecin spécialiste en santé communautaire et en santé au travail. Le docteur Osterman est détenteur d’une maîtrise en santé au travail et d’un doctorat en science environnementale / santé au travail de l’Université d’Harvard. Il a effectué sa thèse en toxicologie pulmonaire et a travaillé particulièrement sur l’intoxication aux solvants. Il a de plus occupé le poste de directeur de santé communautaire à l’Hôpital du Lakeshore de 1985 à 1994 et était à ce titre, responsable de la mise sur pied des programmes de santé au travail des entreprises pour l’Ouest de l’île de Montréal.
[83] Sur la question de la relation entre l’exposition du travailleur au 1.1.1 trichloroéthane et l’encéphalopathie diagnostiquée, le docteur Osterman est d’avis que le travailleur a pu être exposé à de faibles concentrations mais que la littérature médicale ne reconnaît pas qu’une faible exposition à ce produit chimique puisse occasionner une encéphalopathie toxique. Il rapporte que la littérature scientifique indique clairement que cette pathologie est provoquée par l’exposition répétitive à de fortes concentrations pendant longtemps.
[84] Relativement au 2.4 TDI, il est d’avis que ce produit chimique est connu pour ses effets respiratoires et que monsieur Leclerc ne s’est jamais plaint de tels problèmes. Quant au 2.6 TDI, il rapporte que ce produit n’est pas considéré comme un produit toxique important et n’est l’objet d’aucune norme au Québec.
[85] Il est d’avis que l’existence d’une encéphalopathie chronique n’est pas établie en ce que le travailleur se plaint de malaises très généraux tels la fatigue, l’apathie et le manque d’énergie qui sont non spécifiques et peuvent être expliqués par la cirrhose et la neutropénie dont il a été victime. Il conclut que le travailleur ne souffre pas d’une encéphalopathie organique causée par une exposition aux solvants en milieu de travail. Le docteur Osterman rapporte un examen physique entièrement à l’intérieur des limites de la normale et conclut qu’il y a absence de toute preuve d’encéphalopathie cérébrale et que le diagnostic à être retenu est celui d’une condition personnelle de cirrhose post-nécrotique inactive d’étiologie indéterminée.
[86] À l’audience, l’employeur fait également entendre le docteur Osterman. Le docteur Osterman expose préliminairement qu’il est d’avis que monsieur Leclerc n’a pas été exposé de façon importante au 1.1.1 trichloroéthane, que l’exposition au 1.1.1 trichloréthane n’est pas reconnue comme pouvant causer des encéphalopathies et que les expertises des docteurs Bérubé et Nowakowski ne présentent pas d’éléments compatibles avec une encéphalopathie aux solvants. Il est d’avis que le travailleur ne présente pas une encéphalopathie.
[87] Il rappelle ensuite que les deux Programmes de santé spécifiques effectués n’ont pas identifié les postes de travail où monsieur Leclerc travaillait comme constituant des postes comportant un risque d’être exposé à des agresseurs chimiques. Quant au poste occupé par monsieur Leclerc à l’emballage, le docteur Osterman rappelle que le taux d’exposition diminue au carré à chaque deux pieds de distance et que plus on s’éloigne de la source plus l’exposition diminue.
[88] Il rappelle que, selon le témoignage du travailleur, il a débuté en 1979 à la déchiqueteuse où il n’est pas exposé. En 1979, lorsqu’il travaille à l’emballage des sous-tapis il est, selon son témoignage, à trois pieds des tables d’encollage et, selon le témoignage de monsieur Dubord, à douze pieds de ces tables d’encollage. Il rappelle qu’à la table d’encollage, il y a de plus une barrière de plastique qui empêche la circulation du produit. Il ajoute que même en retenant qu’il n’y avait pas de barrière de plastique et que le travailleur est à trois pieds de distance de la table d’encollage, il n’aurait été exposé qu’à la moitié de l’exposition évaluée au poste d’encollage. En retenant qu’il est à dix pieds, il n’aurait été exposé qu’au seizième de l’exposition des assembleurs. Il ajoute que seuls les assembleurs au collage étaient à risque et que monsieur Leclerc n’était pas exposé de façon suffisamment significative ni de façon intense pendant une longue période de temps.
[89] Il explique qu’en 1983 le travailleur devient opérateur de scie à ruban dans la section de l’Entrepôt et qu’en 1985, les tables de collage sont déplacées le long du mur de la section du Collage, qu’un système de ventilation supplémentaire est installé à la source et que le poste de travail de monsieur Leclerc est dorénavant dans la section de l’Entrepôt. Il rappelle que lorsque le DSC fait le suivi de son intervention en 1989 et fait de nouveaux échantillonnages, les mesures sont alors inférieures à la norme pour les assembleurs à la table de collage.
[90] Il conclut que le travailleur n’a pas été exposé à une intensité significative et que son exposition a pu être de « négligeable » à « modérée » de 2 à 3 ans entre 1980 et 1983. À partir du moment où le travailleur est envoyé à la scie à ruban de 1983 à 1991, il est d’avis que le travailleur n’est pas exposé au 1.1.1 trichloroéthane, considérant l’installation de ventilateurs et le fait que la scie à ruban est à une distance considérable des tables de collage.
[91] Il ajoute qu’il est exact de dire que l’exposition au 1.1.1 trichloroéthane provoque des effets aigus à de très fortes doses mais que le répertoire toxicologique déposé sous T-5 démontre explicitement que l’exposition au 1.1.1 trichloroéthane n’a pas d’effet chronique d’ordre neurotoxique. Il rapporte qu’il n’y a pas de littérature médicale importante permettant d’établir un lien entre l’encéphalopathie et l’exposition au 1.1.1 trichloroéthane.
[92] En effet, il rapporte que la littérature médicale soumise par le docteur Nowakowski et produite sous T-6, rapporte une étude qui discute de mélange de solvants et non pas de 1.1.1 trichloroéthane et ne peut en conséquence être retenue. Quant au document produit sous T-7, il est d’avis qu’il s’agit d’un rapport d’étude de cas qui ne peut être comparé au cas de monsieur Leclerc parce qu’il s’agit de cas comportant une exposition de niveau « modéré » à « élevé » sur une longue période de temps, au cours de laquelle les travailleurs devaient se laver les bras et les mains dans du solvant et utilisaient des pulvérisateurs à air comprimé.
[93] Il est d’avis que même en se fondant sur cette seule dernière étude, l’exposition possible du travailleur de négligeable à modérée au cours d’une période de deux à trois ans, est insuffisante pour pouvoir conclure à une relation avec un diagnostic d’encéphalopathie par intoxication aux solvants.
[94] Sur l’expertise du docteur Nowakowski, il est d’avis que celle-ci comporte des erreurs et des constats gratuits puisque le travailleur n’a pas été exposé au-delà de la norme et qu’une telle relation n’est pas documentée par la littérature médicale. Il est d’avis qu’il retient ces diagnostics en considération des tests effectués par la docteure Bérubé et d’une exposition qui est non existante. Il est également d’avis que son diagnostic qui se fonde sur les constatations de la docteure Bérubé est inexact en ce que cette dernière ne trouve pas de signes cliniques d’intoxication réelle aux solvants. En effet, il est d’avis que le bilan neuropsychologique effectué par la docteure Bérubé est non conforme à une encéphalopathie de type neurotoxique telle que constatée par la littérature. Il explique qu’il s’agit là d’un sujet controversé et que seulement cinq agents sont connus pour causer des effets neurotoxiques dont n’est pas le 1.1.1 trichloréthane. Il ajoute que les tests de Hooper et De Rey sont normaux à l’évaluation de la docteure Bérubé alors qu’ils ne le sont pas chez un travailleur exposé aux solvants. Il précise en contre-interrogatoire que le fait que le travailleur ait retourné la figure complexe De Rey n’est pas du tout reconnu en médecine comme étant caractéristique d’un syndrome cérébral organique. Il ajoute que la docteure Bérubé pose un diagnostic de dysfonction sous-corticale intéressant les systèmes frontaux et que ce diagnostic n’est mentionné nulle part dans la littérature sur l’intoxication au 1.1.1 trichloroéthane ou aux solvants. Il est d’avis que l’écart entre le quotient intellectuel et le quotient mémoire signifie possiblement une atteinte mais pas une atteinte reliée à une encéphalopathie.
[95] Il ajoute quant aux 2.4 et 2.6 TDI, que ceux-ci sont connus pour causer des problèmes de tissus, de peau et aux poumons et provoquer l’asthme professionnel, mais ne causent aucun problème d’ordre neurotoxique.
[96] Le 26 novembre 1998, la CSST refuse la réclamation du travailleur du 29 avril 1991 pour encéphalopathie. Le 23 décembre 1998, le travailleur conteste cette décision.
[97] Le 6 avril 1999, la révision administrative de la CSST maintient la décision initialement rendue le 26 novembre 1998 à l’effet de refuser la réclamation du travailleur pour encéphalopathie à titre de maladie professionnelle. Le travailleur conteste cette décision le 19 mai 1999, d’où le présent recours.
L'AVIS DES MEMBRES
[98] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu de rejeter la requête formulée par le travailleur en ce qu’il n’a pas fait la démonstration par preuve prépondérante que l’encéphalopathie dont il est victime constitue une maladie professionnelle au sens de la LATMP.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[99] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’encéphalopathie (ou syndrome cérébral organique) diagnostiquée chez le travailleur constitue une maladie professionnelle au sens de la LATMP.
[100] L’article 2 de la LATMP définit la maladie professionnelle comme suit :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
[101] L’article 29 de la LATMP énonce que les maladies énumérées dans l’annexe I de la Loi sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d’après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail. L’article 29 de la LATMP crée de plus une présomption de maladie professionnelle lorsqu’un travailleur est atteint d’une maladie visée dans l’annexe I et qu’il a exercé un travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe. L’article 29 de la LATMP édicte ce qui suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
________
1985, c. 6, a. 29.
[102] Le travailleur plaide que sa maladie constitue une forme d’intoxication aux hydrocarbures décrite au paragraphe 12 de la section I de l’annexe I de la LATMP. Les paragraphes pertinents sont les paragraphes 2 et 12 de la section I de l’annexe I de la LATMP, lesquels prévoient ce qui suit :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION I
MALADIES CAUSÉES PAR DES PRODUITS
OU SUBSTANCES TOXIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
(…) |
(…) |
2. Intoxication
par les halogènes et leurs composés toxiques organiques ou
inorganiques: |
un travail impliquant l'utilisation, la
manipulation ou une autre forme d'exposition à ces halogènes; |
12. Intoxication par les
hydro-carbures aliphatiques, alicycliques et aromatiques: |
un
travail impliquant l'utilisation, la manipulation ou une autre forme
d'exposition à ces substances. |
[103] La Commission des lésions professionnelles est liée par le diagnostic et les autres conclusions établies par le médecin qui a charge du travailleur[17], tel que le prévoit l’article 224 de la LATMP qui suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[104] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles souligne que le diagnostic posé par le médecin traitant, bien qu’il n’ait pas fait l’objet d’une contestation auprès du Bureau d'évaluation médicale en vertu de l’article 224.1 de la LATMP, ne constitue pas en soi une preuve de relation causale, laquelle constitue une question d’ordre juridique et non d’ordre médical[18].
[105] Le diagnostic posé en l’instance est celui d’encéphalopathie. La Commission des lésions professionnelles constate qu’elle n’est pas en présence d’un diagnostic d’intoxication proprement dit[19] et que le diagnostic d’encéphalopathie n’est pas une maladie énumérée à la section I de l’annexe I de la LATMP.
[106] Pour pouvoir bénéficier de la présomption l’article 29 de la LATMP, le travailleur doit donc faire la démonstration que l’encéphalopathie dont il est atteint constitue une intoxication par un produit ou une substance décrits à la section I ou une intoxication par le composé toxique organique ou inorganique de ce produit ou de cette substance. Dans le cas du paragraphe 12, il doit faire la démonstration que l’encéphalopathie constitue une intoxication par un hydrocarbure aliphatique, alicyclique et aromatique.
[107] En l’instance, le travailleur allègue que la maladie dont il est atteint constitue une forme d’intoxication à un hydrocarbure aliphatique, alicyclique et aromatique, tel que décrit au paragraphe 12 de la section I de l’annexe I.
[108] Or, la preuve offerte par le témoignage du docteur Nowakowski à l’audience est à l’effet que le 1.1.1 trichloroéthane constitue un composé toxique organique d’un halogène.
[109] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la démonstration n’a pas été faite que le 1.1.1 trichloroéthane constitue un hydrocarbure qui est alphatique, alicyclique et aromatique, tel que le prévoit le paragraphe 12 de la section I de l’annexe I de la LATMP et que le travailleur n’a en conséquence pas fait la démonstration que la maladie dont il est atteint constitue une forme d’intoxication par un hydrocarbure alphatique, alicyclique et aromatique.
[110] La Commission des lésions professionnelles est également d’avis que le travailleur n’a pas fait la démonstration que l’encéphalopathie dont il est atteint constitue une forme d’intoxication au 1.1.1 trichloroéthane. En effet, bien que le travailleur allègue que sa maladie est une conséquence chronique d’une exposition prolongée au 1.1.1 trichloroéthane, la Commission des lésions professionnelles retient que le répertoire toxicologique de la CSST relatif à cette substance et le témoignage du docteur Osterman, établissent que les études épidémiologiques n’ont pas associé à ce jour d’effets neurotoxiques chroniques et par conséquent d’effets sur le système nerveux central, à une exposition au 1.1.1 trichloroéthane.
[111] La Commission des lésions professionnelles conclut que la maladie dont est atteint le travailleur ne constitue pas une maladie décrite au paragraphe 12 de la section I de l’annexe I et que le travailleur ne peut en conséquence bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue par l’article 29 de la LATMP.
[112] La Commission des lésions professionnelles s’est également interrogée à savoir si l’encéphalopathie pouvait constituer une forme d’intoxication par les halogènes ou ses composés toxiques ou inorganiques au sens du paragraphe 2 de la section I de l’annexe I de la LATMP, considérant le témoignage du docteur Nowakowski à l’effet que le 1.1.1 trichloroéthane constitue un composé toxique organique d’un halogène.
[113] Encore une fois, le Tribunal rappelle qu’il n’est pas en présence d’un diagnostic spécifiquement décrit à la section I de l’annexe I de la LATMP et n’est pas en présence d’un diagnostic d’intoxication proprement dit[20]. Pour bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la LATMP, le travailleur doit donc faire la démonstration que sa maladie constitue une forme d’intoxication par les halogènes ou leurs composés toxiques organiques ou inorganiques.
[114] Pour les mêmes motifs que précédemment mentionnés et considérant l’absence de preuve d’existence d’effets neurotoxiques chroniques et par conséquent sur le système nerveux central, d’une exposition au 1.1.1 trichloroéthane, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur n’a pas fait la démonstration que l’encéphalopathie puisse être assimilée ou constitue une forme d’intoxication au 1.1.1 trichloroéthane.
[115] La Commission des lésions professionnelles conclut que la maladie dont est atteint le travailleur ne constitue pas une maladie décrite au paragraphe 2 de la section I de l’annexe I et que le travailleur ne peut en conséquence bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue par l’article 29 de la LATMP.
[116] La présomption de l’article 29 de la LATMP ne trouvant pas application, le travailleur doit démontrer qu’il est atteint d’une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail qui est caractéristique du travail qu’il a exercé ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail au sens de l’article 30 . L’article 30 de la LATMP édicte ce qui suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
________
1985, c. 6, a. 30.
[117] La notion de « maladie caractéristique du travail » fait référence à une maladie spécifique, distinctive ou typique du travail exercé. En l’instance, pour réussir à rencontrer ce critère, le travailleur doit faire la démonstration que son encéphalopathie est caractéristique du travail qu’il a exercé. À cet égard, la Commission des lésions professionnelles souligne que le travailleur n’a pas démontré l’existence d’études épidémiologiques établissant que l’encéphalopathie constitue une maladie caractéristique du travail qu’il a exercé ou que d’autres travailleurs de l’entreprise ont été victimes du même type de lésion. La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il y a absence de preuve à l’effet que l’encéphalopathie dont est victime le travailleur est caractéristique du travail qu’il a exercé chez l’employeur.
[118] Pour démontrer que sa maladie est directement reliée aux risques particuliers du travail qu’il a exercé, le travailleur doit démontrer, par preuve prépondérante, que son encéphalopathie est directement reliée aux risques particuliers de son travail.
[119] En l’instance, la preuve est à l’effet que le travailleur n’a jamais exercé une tâche identifiée comme étant à risque d’exposition à des agresseurs chimiques à l’occasion des trois Programmes de santé spécifiques effectués dans l’entreprise. Le travailleur allègue avoir été exposé indirectement au 1.1.1 trichloroéthane, au 2.4 TDI, au 2.6 TDI ainsi qu’à d’autres émanations toxiques à l’occasion d’incendies et de combustions de substances sur la lame de la scie qu’il opérait ainsi qu’à des vapeurs d’huile.
[120] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention du travailleur à l’effet qu’il ait été exposé à des émanations toxiques suite à des incendies, à la combustion de substances sur la lame de sa scie ainsi qu’à des écoulements d’huile provenant de la colleuse thermique. En effet, la seule allégation du travailleur d’une exposition à des substances toxiques, sans que celles-ci puissent même être identifiées ne peut permettre à la Commission des lésions professionnelles de conclure à une relation entre la maladie diagnostiquée et l’exposition à une substance qui demeure inconnue. Par ailleurs, aucune preuve médicale n’a été offerte par le travailleur établissant une quelconque relation entre la pathologie diagnostiquée et son exposition aux substances précédemment mentionnées.
[121] Quant à son exposition au 2.4 TDI et au 2.6 TDI, la preuve est à l’effet que ces substances ont été retrouvées près des cuves dans le département du moulage, endroit où le travailleur n’a jamais travaillé. La Commission des lésions professionnelles est par conséquent d’avis que le travailleur n’a pas démontré, par preuve prépondérante, qu’il a été exposé à des émanations de 2.4 TDI ou de 2.6 TDI.
[122] Non seulement le travailleur n’a-t-il pas fait la démonstration d’une exposition directe ou indirecte à ces deux dernières substances, mais le répertoire toxicologique déposé sous la cote E‑4 ne permet d’établir que le fait que le 2.4 TDI et le 2.6 TDI constituent des irritants modérés à graves des yeux et que leurs effets chroniques peuvent occasionner une diminution de la fonction pulmonaire ou de l’asthme. Il y a en conséquence absence de preuve médicale qu’une exposition à ces substances puisse causer une encéphalopathie ou une atteinte du système nerveux central. La Commission des lésions professionnelle est par conséquent d’avis que la preuve médicale prépondérante est à l’effet qu’il n’y a pas de relation entre une exposition au 2.4 et 2.6 TDI et le diagnostic d’encéphalopathie.
[123] Finalement, le travailleur allègue avoir été exposé au 1.1.1 trichloroéthane tout au cours de son emploi chez l’employeur et que cette exposition est la cause de l’encéphalopathie dont il est atteint.
[124] La Commission des lésions professionnelles rappelle que si l’exposition au 1.1.1 trichloroéthane provoque des effets aigus à de très fortes doses, elle est d’avis que la preuve prépondérante en l’instance est à l’effet qu’il n’existe actuellement pas de preuve ou d’étude scientifique lui permettant de conclure qu’il existe une relation entre une exposition chronique au 1.1.1 trichloroéthane et l’existence d’un effet neurotoxique, et par conséquent d’une encéphalopathie ou de toute autre pathologie reliée au système nerveux central.
[125] Quant à la preuve offerte par le travailleur sur l’existence d’une relation entre l’exposition au 1.1.1 trichloroéthane et le diagnostic d’encéphalopathie, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas la conclusion du docteur Nowakowski à l’effet que l’encéphalopathie diagnostiquée chez le travailleur est secondaire à son exposition au 1.1.1 trichloroéthane. En effet, ses conclusions partent de la prémisse que le travailleur a été exposé à divers produits chimiques pendant une période de douze ans et qu’il a été particulièrement exposé au 1.1.1 trichloroéthane et à des diisocyanates de toluène dont les concentrations dépassaient les concentrations permises avant 1985 et que son exposition a été importante de 1979 à 1983. Le Tribunal ne retient également pas la conclusion du docteur Nowakowski quant à l’existence d’une relation possible entre le problème neuropsychologique du travailleur et son exposition au 1.1.1 trichloroéthane, puisque celle-ci se fonde sur une étude (T-6) qui rapporte des cas d’expositions « modérées » à «élevées » pendant une longue période de temps au cours de laquelle les travailleurs devaient se laver les bras et les mains dans du solvant et utilisaient des pulvérisateurs à air comprimé et sur une étude qui discute de mélanges de solvants (T-7).
[126] Or, la preuve révèle que le travailleur n’a jamais eu à manipuler ou à travailler directement avec le 1.1.1 trichloroéthane et que les trois Programmes de santé spécifiques effectués dans l’entreprise n’ont jamais identifiés les postes de travail occupés par le travailleur comme constituant des postes à risque d’être exposé à cette substance.
[127] La Commission des lésions professionnelles élimine d’emblée que le travailleur ait pu être exposé au 1.1.1 trichloroéthane lorsqu’il travaillait à la déchiqueteuse ou à la scie à rubans considérant la distance qui le séparait de la table de collage et considérant que le 1.1.1 trichloroéthane n’a jamais été reconnu comme un agresseur à ces postes de travail.
[128] Dans le cas du travail à l’emballage des sous-tapis, le 1.1.1 trichloroéthane n’a pas non plus été reconnu comme un agresseur chimique potentiel par l’ensemble des Programmes de santé spécifique effectués. Or, le travailleur allègue qu’il y était exposé de façon importante sur une période de deux à trois ans alors qu’il travaillait à trois pieds de cette table.
[129] La preuve est contradictoire sur la distance entre les deux tables de travail, puisque monsieur Dubord, gérant d’usine de l’époque, témoigne avoir lui-même installé la table d’emballage à laquelle travaillait monsieur Leclerc, laquelle était plutôt située à douze pieds de la table de collage.
[130] En considérant que la table d’emballage était à douze pieds de la table de collage, que le travailleur était à dix pieds de la table de collage et le témoignage non contredit du docteur Osterman à l’effet que le travailleur était à environ un seizième de l’exposition des assembleurs, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’exposition du travailleur a été négligeable au cours d’une période de deux à trois ans alors qu’il travaillait au poste d’emballage.
[131] En considérant le témoignage non contredit du docteur Osterman à l’effet que le taux d’exposition à une substance diminue au carré à chaque deux pieds de distance et le témoignage du travailleur à l’effet qu’il était à trois pieds de la table de collage, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’exposition du travailleur était à moins de la moitié de celle retrouvée chez les assembleurs de la table de collage.
[132] Dans les deux cas, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le degré d’exposition du travailleur au 1.1.1 trichloroéthane n’a pu être que de négligeable à modéré pendant une période de deux à trois ans et qu’aucune démonstration n’a été faite qu’une telle exposition ait pu occasionner l’encéphalopathie diagnostiquée.
[133] La Commission des lésions professionnelles conclut que l’encéphalopathie diagnostiquée chez le travailleur ne constitue pas une maladie professionnelle en vertu de la LATMP.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE recevable la réclamation du travailleur pour maladie professionnelle;
REJETTE la requête de monsieur Alexandre Leclerc, le travailleur, du 19 mai 1999;
DÉCLARE que l’encéphalopathie diagnostiquée chez le travailleur le 4 décembre 1991 ne constitue pas une maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
|
|
|
Me Francine Mercure |
|
Commissaire |
|
|
BERGERON, LANGELIER, LEMIEUX, AVOCATS (Me Marie-Annik Gagnon) 746, rue Notre-Dame Ouest Victoriaville (Québec) G6P 1T8 |
|
|
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
|
STIKEMAN, ELLIOTT, AVOCATS (Me Patrick Essiminy) 1155, René-Lévesque Ouest, 40e étage Montréal (Québec) H3B 3V2 |
|
|
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
PANNETON, LESSARD (Me Lise Matteau) 1055, boul. Des Forges, bureau 200 Trois-Rivières (Québec) G8Z 4J9 |
|
|
|
Représentante de la partie intervenante |
[1]
L.R.Q.,
chapitre A-3.001.
[2] Diminution du nombre des globules blancs dans le sang.
[3] Syndrome regroupant l'ensemble des
manifestations pathologiques liées à une élévation
permanente de la pression sanguine dans le système porte.
[4] Perception d’odeurs désagréables.
[5] Code de procédure civile, L.R.Q., c. C-25.
[6] Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1.
[7] Supra
note 1.
[8]
Commission
des lésions professionnelles (Règles de preuve, de procédure et de pratique de
la), Décret 217‑2000 du 01-03-2000, (2000) 132G.O.II 1627.
[9]
Barthelemy
Charles et Revêtement Varo inc. et CSST Laval, CLP 132547-61-0002, 2001-02-06,
Mme Ginette Morin; Fayek Habib et Cie de la Baie d’Hudson, CLP
131784-61-0002, 2001-02-09, Me Santina Di Pasquale; Jean-Marc
Dallaire et Marcel Lauzon inc. et CSST Estrie, CLP 133710-05-0003, 2001-02-08,
Me Luce Boudreault.
[10]
Katherine
Whitehead et CALP et Centre hospitalier de St Mary’s et CSST, Cour supérieure
500‑05‑033322-973, 1998-01-07, Juge Anatole Lesyk (désistement de
l’inscription en appel).
[11]
Succession
Fernand Tremblay et Mines Camchib inc. et Minnova inc., CALP 56179-02-9401,
1997‑03‑21, Me Louise Turcotte.
[12]
Villeneuve
et St-Raymond Paper, CALP 19779-02-9006, 1993-12-14, Me Pierre Brazeau.
[13]
Henri
Cantin et Otis Canada inc. et CSST, CLP 91532-03-9710, 1998-07-03, Me Jean-Guy
Roy; Métal Laurentide inc. et Jean-Claude Rodrigue et CSST, CLP 101407-03-9806,
1998-11-23, Me Marie-Andrée Jobidon.
[14]
Lucie
Fillion et Les Restaurants Pizza Délices inc. et CSST Chaudière-Appalaches, CLP
123060‑03B‑9909, 2000-06-01, Me Robin Savard.
[15]
La
Compagnie minière Québec Cartier et Succession Liliane Desjardins, CLP
117728-09-9906, 2000‑05‑29, Me Guylaine Tardif.
[16] Réduction de la teneur en plaquettes dans le sang.
[17]
Michel
Roy et Hawker Siddley Canada inc., CLP 100090-62-9804, 1999-06-25, Me Lucie
Couture, commissaire.
[18]
C.U.M. et Blouin,
[1987] C.A.L.P. 62
; Welch c. C.A.L.P.,
[1998]
C.A.L.P. 553
(C.A.); Delisle et Ispat-Sidbec inc.,
[1999] C.L.P. 929
.
[19]
Wen
Yan Zheng et CHUL Pavillon Notre-Dame, CLP 76906-71-9602, 1999-03-18, Me
Bertrand Roy, commissaire.
[20]
Voir
supra note 19.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.