Saladexpress 1995 inc. |
2012 QCCLP 4655 |
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[1] Le 28 février 2011, Saladexpress 1995 inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 11 février 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 13 août 2010 et déclare qu’elle est justifiée de refuser de déterminer à nouveau l’imputation des coûts au dossier de l’employeur.
[3] L’employeur est absent à l’audience prévue à Salaberry-de-Valleyfield le 21 septembre 2011 mais dépose une argumentation écrite. Le délibéré de l’affaire est suspendu dans l’attente d’une décision d’une formation de trois juges administratifs portant sur l’une des questions soulevées par le présent dossier. Un délai supplémentaire est accordé à l’employeur pour qu’il dépose un complément d’argumentation à la suite de cette décision et l’affaire est mise en délibéré le jour de la réception de ce complément d’argumentation, soit le 19 juin 2012.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de retirer de son dossier financier les coûts reliés à de l’assistance médicale, à des traitements et à une indemnité de remplacement du revenu postérieurs à la date de consolidation de la lésion professionnelle subie par monsieur Simon Veillette-Brabant (le travailleur) le 22 mai 2009.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] Le travailleur est victime d’une lésion professionnelle le 22 mai 2009 pour laquelle un diagnostic d’entorse dorsolombaire est retenu. La CSST accepte sa réclamation le 25 juin suivant :
Nous avons reçu les documents relatifs à l’accident subi le 22 mai 2009 par la personne mentionnée ci-dessus et qui lui a causé une entorse dorsale. Cette réclamation pour accident du travail est acceptée par la CSST et la personne intéressée en a été avisée.
[Notre soulignement]
[6] Le 15 juillet 2009, le travailleur rencontre le docteur François Le Bire à la demande de l’employeur. Ce dernier consolide sa lésion professionnelle en date de son examen, sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente et sans limitations fonctionnelles.
[7] Le 30 septembre 2009, le travailleur rencontre le docteur Karl Fournier, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale. Ce dernier est chargé de se prononcer sur la date de consolidation et les traitements. Les résultats de son examen clinique sont normaux. Concernant la consolidation, il indique qu’il est préférable d’attendre le résultat d’une imagerie par résonance magnétique avant de fermer complètement le dossier, et de « modifier ses traitements avec exercices cardiovasculaires sous supervision d’ergothérapie et de physiothérapie ».
[8] Le 26 octobre 2009, la CSST rend une décision à la suite de l’avis rendu par le docteur Fournier. Étant liée par cet avis, elle indique que les soins ou traitements sont toujours nécessaires et que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu puisque sa lésion professionnelle n’est pas consolidée. Cette décision est contestée par l’employeur jusqu’à la Commission des lésions professionnelles.
[9] Le 11 janvier 2010, le docteur Fournier rédige un avis complémentaire sur lequel il indique que la présence d’une dégénérescence discale à D7-D8 peut donner au travailleur des douleurs dorsales. Il constate en outre l’absence de signe de hernie discale thoracique, ajoute que le travailleur peut en toute confiance augmenter son niveau d’exercices cardiovasculaires afin de refaire sa condition physique, et indique qu’il devra être réévalué après un entraînement d’environ six à huit semaines pour que sa lésion soit finalement consolidée.
[10] Le 16 février 2010, le travailleur rencontre le docteur Jean Rousseau, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. À l’instar du docteur Fournier, les résultats de son examen objectif sont normaux. Il est d’avis que le tableau douloureux n’a aucune connotation clinique et ne peut être relié à l’événement traumatique initial. Il consolide la lésion professionnelle du travailleur en date de son examen.
[11] Le 26 mars 2010, le docteur Pierre Ste-Marie suggère la poursuite des traitements de physiothérapie avec approche ostéopathique ainsi qu’un retour au travail régulier en raison de trois jours par semaine.
[12] À la suite d’une audience tenue le 10 juin 2010, la Commission des lésions professionnelles rend une décision le 18 juin 2010 par laquelle elle déclare que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 30 septembre 2009[1]. Elle indique ceci :
[42] Ainsi, le tribunal est d’avis que l’entorse dorsale reconnue chez le travailleur était consolidée le 30 septembre 2009, soit lors de l’examen du docteur Fournier. Le tribunal en arrive à cette conclusion parce que cet examen s’est avéré normal, parce que la résonance magnétique n’a pas montré de signe de hernie et parce que les douleurs dorsales du travailleur peuvent s’expliquer par de discrets signes de dégénérescence discale. En outre, lors de son examen du 16 février 2010, le docteur Rousseau est d’avis que le tableau douloureux que présente alors le travailleur ne peut être relié à l’événement traumatique initial.
[43] Il est vrai que le docteur Fournier indique, dans son avis complémentaire du 11 janvier 2010, qu’après un entraînement d’environ six à huit semaines, le travailleur devra être réévalué pour être finalement consolidé. Cependant, le docteur Fournier fait référence à des exercices cardiovasculaires visant l’amélioration de la condition physique du travailleur. Le tribunal est d’avis qu’une telle suggestion ne fait pas obstacle à la consolidation de l’entorse dorsale du travailleur en date de l’examen du 30 septembre 2009.
[13] Le 22 juin 2010, l’employeur demande à la CSST de retirer de son dossier financier la totalité des frais reliés aux traitements reçus par le travailleur postérieurement au 30 septembre 2009 en raison de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 juin 2010.
[14] Le 6 juillet 2010, le docteur Ste-Marie complète un rapport final sur lequel il consolide la lésion professionnelle du travailleur sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il note que le travailleur est de retour au travail régulier.
[15] Le 12 juillet 2010, l’employeur demande à la CSST de retirer de son dossier financier tous les frais et indemnités postérieurs au 30 septembre 2009, et ce, en raison de la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 18 juin 2010 et du rapport final du docteur Ste-Marie.
[16] Le 13 août 2010, la CSST rend une décision. Elle indique :
Après avoir analysé votre demande du 22 juin 2010, nous ne pouvons y donner suite puisqu’elle n’est appuyée sur aucun fait essentiel nous permettant de procéder à une nouvelle détermination de l’imputation.
[17] Le 11 février 2011, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle confirme celle qu’elle a rendue le 13 août 2010 et déclare qu’elle est justifiée de refuser de déterminer à nouveau l’imputation des coûts au dossier de l’employeur. Cette décision est à l’origine du présent litige.
[18] La Commission des lésions professionnelles constate que la décision rendue par la CSST le 13 août 2010 ne fait pas mention de la demande de l’employeur du 12 juillet 2010 même si cette demande lui avait alors déjà été présentée. À la suite d’une révision administrative, le 11 février 2011, la CSST réitère qu’aucun élément n’est susceptible de l’amener à modifier sa décision initiale d’imputation, mais ne précise pas à l’égard de quels coûts. Dans ce contexte, la conclusion générale indiquée dans les décisions des 13 août 2010 et 11 février 2011 permettent au présent tribunal de se prononcer sur l’opportunité de retirer tous les coûts imputés au dossier financier de l’employeur postérieurement à la date de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur, c'est-à-dire ceux reliés à des traitements, aux visites médicales ou relatifs à l’indemnité de remplacement du revenu.
[19] L’employeur présente ses demandes de retrait de coûts de son dossier financier en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) qui édicte le principe général en matière d’imputation :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[20] La loi est muette quant au délai pour présenter une demande en vertu du premier alinéa de cet article 326[3].
[21] Le 5 avril 2012, une formation de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision portant sur l’imputation du coût des visites médicales effectuées après la date de la consolidation d’une lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Dans le cadre de cette affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Mailloux et Commission de la santé et de la sécurité du travail[4] (l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal), la Commission des lésions professionnelles a notamment indiqué ceci quant au délai pour agir en vertu de l’article 326 de la loi :
[307] Toutefois, dans la perspective où, comme dans les présents dossiers, les employeurs, lors de leurs vérifications, croient que le coût d’une prestation n’aurait pas dû être imputé parce que la prestation n’est pas due «en raison de» l’accident du travail en cause, la présente formation doit permettre une façon de procéder qui vient pallier une lacune dans le processus d’analyse qui doit être fait par la CSST.
[…]
[343] Ici, les employeurs recherchent la reconnaissance d’un droit personnel, soit le retrait de coûts de leur dossier d’expérience et, en l’absence de délai prescrit dans la loi qui nous occupe, celui de trois ans décrit au Code civil peut être utilisé à titre supplétif.
[22] Les demandes initiales de l’employeur des 22 juin et 12 juillet 2010 ne sauraient donc être rejetées en raison du délai de leur présentation. Elles sont déposées suivant la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 18 juin 2010 qui déclare que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 30 septembre 2009, l’employeur s’apercevant que des sommes sont imputées à son dossier financier postérieurement à cette date de consolidation.
[23] Tel qu’indiqué précédemment, l’article 326 de la loi prévoit que la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi. Or, la loi définit ainsi la notion de « prestation » :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
[…]
« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[24] Les sommes dont l’employeur demande le retrait sont reliées à des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie, à des visites médicales et à une indemnité de remplacement du revenu. Dans les trois cas, nous sommes en présence de prestations au sens de la loi. Nous sommes également en présence d’un travailleur qui a subi un accident du travail et dont l’employeur peut demander le retrait de certains frais en vertu de l’article 326 de la loi, tel que l’indique la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal[5] :
[358] Le tribunal constate que la seule lésion professionnelle visée par l’article 326 de la loi est l’accident du travail et c’est donc uniquement dans le cadre d’une telle lésion professionnelle que cet article peut être invoqué par les employeurs afin de requérir le retrait de certains coûts de leur dossier d’expérience.
[25] La Commission des lésions professionnelles s’exprime également ainsi à l’égard du fardeau de preuve de l’employeur :
[413] Le tribunal est donc d’avis que le fardeau de preuve que doit respecter l’employeur se limite à démontrer que la lésion découlant de l’accident du travail est consolidée sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et que des coûts générés après cette date de consolidation sont imputés à son dossier d’expérience.
Les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie
[26] Le travailleur bénéficie de traitements de physiothérapie et d’ergothérapie postérieurement à la consolidation de sa lésion professionnelle, c'est-à-dire après le 30 septembre 2009. En effet, selon les informations consignées au dossier financier de l’employeur (ou au « commerce électronique »), le travailleur subi 30 traitements de physiothérapie du 30 novembre 2009 au 11 mai 2010. Il aurait également subi certains traitements d’ergothérapie après la consolidation de sa lésion professionnelle, puisqu’il apparait 43 de ces traitements aux informations consignées entre le 28 juillet et le 23 décembre 2009. En raison de ces traitements, des frais de déplacement sont également imputés au dossier de l’employeur.
[27] Les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie sont visés par les articles 188 et 189 de la loi :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[28] La lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 30 septembre 2009. Ainsi, conformément à la définition du terme « consolidation » prévue à l’article 2 de la loi, aucune amélioration de l’état de santé du travailleur n’est prévisible à compter de cette date. Il s’ensuit donc que les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie ne sont plus nécessaires à partir de ce moment-là. La preuve ne démontre pas qu’il s’agit de traitements de soutien, par exemple.
[29] À cet égard, la majorité des juges administratifs s’expriment ainsi dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal[6] :
[359] De même, il ressort des articles de loi cités précédemment que les frais relatifs aux visites médicales effectuées à la suite et en raison d’une lésion professionnelle constituent des prestations au sens de l’article 2 de la loi. Cette conclusion fait l’objet d’un consensus dans la jurisprudence, peu importe le courant adopté.
[360] Dès lors, l’effet combiné des articles 2, 188, 189 et 326 de la loi permet assurément au tribunal de conclure que les coûts reliés aux services d’un professionnel de la santé font partie des risques assurés et qu’ils doivent être imputés au dossier d’expérience de l’employeur, mais seulement lorsqu’ils sont dus en raison d’un accident du travail.
[…]
[385] Or, la preuve prépondérante révèle que, lorsqu’une lésion professionnelle est consolidée sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, que ce soit en raison d’un rapport final émis par le médecin traitant ou que ce soit en raison de décisions rendues à ce sujet, la CSST retire du dossier d’expérience de l’employeur les coûts relatifs aux soins ou aux traitements générés au-delà de la date de la consolidation. Elle soustrait également de ce dossier les frais de déplacement encourus pour se rendre chez le médecin ou pour recevoir ces soins ou ces traitements, elle détermine que la capacité de travail est acquise à compter de la date de la consolidation d’une telle lésion et elle met fin au droit à l’indemnité de remplacement du revenu à cette date.
[…]
[388] Le rétablissement du travailleur par la guérison de sa lésion rend donc cette assistance inutile. De plus, lorsque qu’une lésion est consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, la CSST retire du dossier d’expérience de l’employeur les coûts relatifs aux soins ou aux traitements ainsi que les frais de déplacement générés pour recevoir ces soins ou ces traitements parce qu’elle considère que l’effet du rapport final émis ou des décisions rendues est de nier toute relation entre ces coûts et la lésion professionnelle. Le tribunal s’explique donc mal comment la visite médicale effectuée pour recevoir ces soins ou ces traitements peut demeurer reliée à cette lésion.
[Nos soulignements]
[30] En l’espèce, les traitements prodigués au travailleur postérieurement à la consolidation de sa lésion professionnelle ne sont pas dus en raison d’un accident du travail. Il subit des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie alors que sa lésion professionnelle est consolidée depuis le 30 septembre 2009. Il s’ensuit donc que ces traitements ne sont plus utiles à l’amélioration de sa condition médicale à compter de ce jour-là. Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur ne doit pas en assumer les coûts, ni ceux des déplacements qu’ils ont entraînés. Ces coûts doivent être retirés de son dossier financier.
Les visites médicales
[31] Le dossier financier de l’employeur présente également une « liste des comptes de médecin du dossier » qui révèlent les montants autorisés en lien avec des consultations postérieures à la date de consolidation de la lésion professionnelle du travailleur, notamment.
[32] Dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal[7], la majorité des juges administratifs indiquent ceci à l’égard des situations où, comme en l’espèce, la date de consolidation d’une lésion professionnelle ne coïncide pas avec celle de la confirmation de l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles :
[430] Par ailleurs, lorsque la consolidation est décrétée à la suite d’un avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale et au terme de décisions rendues par la CSST ou par la Commission des lésions professionnelles, après audience ou en vertu d’une entente en conciliation entérinée par le tribunal, il arrive qu’il n’y ait pas coïncidence entre le moment où la lésion est consolidée, le moment où il est déterminé qu’il ne résulte aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et le moment où des décisions sont rendues à cet égard. Il arrive aussi qu’une décision modifie rétroactivement la date de la consolidation et la situe à une date antérieure à celle retenue précédemment.
[431] Or, durant ces intervalles, des visites médicales sont effectuées et des soins sont prodigués. Qu’advient-il des coûts relatifs à ceux-ci ?
[432] La preuve démontre que la CSST retire du dossier d’expérience de l’employeur les coûts reliés aux soins ou aux traitements ou aux frais de déplacement générés après la consolidation de la lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, mais elle laisse au dossier d’expérience de l’employeur les coûts engendrés par les visites médicales.
[433] De l’avis du tribunal, ces coûts doivent également être soustraits du dossier d’expérience de l’employeur. Dans l’affaire Rampes Alumi-Fibres inc., la Commission des lésions professionnelles explique bien pourquoi ces coûts doivent subir le même sort. Elle indique ce qui suit à ce sujet :
[39] Dans un système idéal, les décisions sur les concepts médicaux ou juridiques contenus à la Loi devraient être rendues le jour même de leur survenance. Un pareil système idéal ne peut pas, bien entendu, exister dans la réalité.
[40] Ainsi, une date de consolidation sera souvent définitivement déterminée avant que la question de l’atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles ne soit fixée, comme en l’espèce. La CSST maintiendra entre-temps le versement de l’indemnité de remplacement du revenu et l’octroi de soins requis par le travailleur.
[41] Si plus tard la lésion est déclarée exempte d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, on cessera alors l’indemnité et l’octroi des soins sans en exiger le remboursement du travailleur.
[42] Cependant, légalement, le constat postérieur de l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles rétroagit à la date de consolidation de sorte que l’on doit constater qu’après une consolidation sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, aucune autre indemnité ne devrait être versée par la suite. Dans un système idéal où les décisions seraient rendues de façon instantanée, aucun argent ne serait déboursé après la date de consolidation. Dans notre système où les délais sont encourus notamment par l’exigence d’un rapport complémentaire et par les délais de renvoi au Bureau d’évaluation médicale, la solution à un problème vient souvent plusieurs mois plus tard. Ceci ne devrait pas avoir pour effet de pénaliser un employeur en imputant à son dossier des sommes qui n’auraient jamais dû être versées n’eut été les délais administratifs encourus en vertu de la Loi.
[43] Ainsi, si le membre du Bureau d’évaluation médicale avait vu le travailleur le jour même de la consolidation, aucune somme n’aurait été octroyée par la suite et le tribunal estime que l’employeur n’a pas à payer pour le versement de ces sommes, […]
[Nos soulignements]
[434] La Commission des lésions professionnelles tient des propos similaires dans la décision Ambulances St-Amour de Lanaudière:
[28] L’employeur ne doit pas non plus être imputé de ces frais parce qu’il a exercé des droits qui lui sont accordés par la Loi; il s’est prévalu de la procédure médicale prévue à la Loi, et lorsque la lésion professionnelle est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, donc avec une capacité de retour au travail, le dossier se termine à ce moment, sans quoi le principe même de la consolidation d’une lésion perdrait tout son sens. La travailleuse avait le droit à son tour de se prévaloir de ses droits de contestation, ce qu’elle n’a pas fait; la décision est alors devenue finale et doit être exécutée.
[Nos soulignements]
[435] De plus, dans l’affaire Mittal Canada Lachine inc., la Commission des lésions professionnelles estime qu’une décision consolidant une lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle a pour effet juridique de nier toute relation entre les visites médicales postérieures à la date de la consolidation et cette lésion. Elle note :
[38] Le fait de déclarer que l’employeur n’a pas à être imputé du coût des prestations reliées aux visites médicales postérieures à la consolidation ne constitue pas une négation du droit du travailleur de continuer à consulter son médecin.
[39] D’ailleurs, en l’espèce, la consolidation de la lésion au 18 juillet 2006 découle d’une décision ayant un effet rétroactif puisqu’au moment où les consultations ont été effectuées, la décision de la Commission des lésions professionnelles entérinant l’accord n’avait pas été rendue.
[40] Toutefois, par l’effet de cette dernière et en l’absence de preuve contraire, le tribunal se doit de conclure que ces visites, quoique semblant justifiées du point de vue médical, tant aux yeux du travailleur que des médecins consultés, ne sont tout de même pas juridiquement reliées à la lésion professionnelle selon la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 11 avril 2007.
[41] L’employeur ayant contesté la décision de la CSST faisant suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale en ce qui a trait à la date de consolidation de la lésion et la nécessité et la durée des soins et traitements, il est en droit de bénéficier des conséquences juridiques de la décision rendue à ce sujet et par conséquent d’obtenir que ces visites médicales postérieures à la consolidation de la lésion ne soient pas imputées à son dossier financier.
[Nos soulignements]
[…]
[437] Le tribunal est donc d’avis qu’il faut donner un sens aux décisions finales cristallisant les conséquences médicales d’une lésion professionnelle et fixer à la date de la consolidation, sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle, la responsabilité incombant aux employeurs en ce qui concerne les coûts relatifs aux visites médicales, à moins d’une preuve prépondérante spécifique permettant d’écarter un tel constat.
[…]
[447] En conclusion, le tribunal rappelle que :
[…]
f) l’article 2 de la loi énonce qu’une lésion professionnelle peut faire l’objet d’une guérison ou d’une stabilisation;
g) une lésion professionnelle guérie est celle qui entraîne un rétablissement complet du travailleur et, donc, une non-nécessité de soins ou de traitements et une absence d’atteinte permanente et de limitation fonctionnelle;
h) une lésion professionnelle guérie ne génère plus de conséquences médicales et n’est donc plus sujette à l’indemnisation, sauf si la preuve révèle des situations particulières permettant d’écarter un tel constat;
i) la consolidation d’une lésion professionnelle sans nécessité de traitements, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle entraîne la fin de l’imputation des coûts relatifs aux visites médicales au dossier d’expérience des employeurs, sans égard au fait que cette consolidation soit déterminée par le médecin qui a charge du travailleur ou qu’elle soit acquise au terme d’un processus d’évaluation médicale et de décisions rendues par la CSST ou par la Commission des lésions professionnelles;
j) le fardeau de la preuve qui incombe à l’employeur est donc de démontrer que les coûts des visites médicales dont il requiert le retrait de son dossier d’expérience émanent d’un accident du travail et sont générés après la date de la consolidation de la lésion professionnelle sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle;
[…]
[Références omises]
[33] En l’espèce, la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 30 septembre 2009 mais ce n’est que le 6 juillet 2010, par un rapport final émis par le docteur Ste-Marie, médecin du travailleur, que l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles en lien avec cette lésion est connue. Le présent tribunal conclut donc que les visites médicales postérieures à la consolidation de la lésion professionnelle du travailleur ne doivent pas être imputées au dossier financier de l’employeur, cette lésion n’ayant entraîné aucune atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
Les indemnités de remplacement du revenu
[34] Les informations consignées au dossier financier de l’employeur démontrent que le travailleur a reçu des indemnités de remplacement du revenu postérieurement à la consolidation de sa lésion professionnelle, jusqu’à ce que son médecin qui a charge se prononce quant à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, en lien avec celle-ci, le 6 juillet 2010, même s’il a effectué ponctuellement des tâches en assignation temporaire. Du 23 septembre au 12 octobre 2009, le travailleur a reçu une indemnité de remplacement du revenu de 939,49 $ tandis que du 8 au 30 janvier 2010, il a reçu 1080,31 $ à ce titre.
[35] Tel que souligné dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal[8], selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, le constat postérieur de l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles rétroagit à la date de consolidation. Ainsi, aucune indemnité ne doit être versée par la suite, ce qui inclut les indemnités de remplacement du revenu.
[36] Dans l’affaire Hôpital Notre-Dame de la Merci inc.[9], la lésion professionnelle d’une travailleuse est consolidée le 5 février 2004 mais ce n’est que le 30 juin suivant qu’un membre du Bureau d'évaluation médicale émet un avis quant à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles en lien avec celle-ci. Suivant cet avis, la CSST rend une décision le 8 juillet 2004 par laquelle elle conclut que cette travailleuse est en mesure de reprendre son emploi. La Commission des lésions professionnelles s’exprime alors comme suit, d’abord en ce qui concerne les visites médicales :
[23] Dans ce dossier, le médecin qui a charge de la travailleuse consolide la lésion le 5 février 2004. De plus, le 8 juillet 2004, la CSST détermine, conformément à l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale à cet égard, qu’il ne résulte aucune atteinte permanente ou limitation fonctionnelle de cette lésion professionnelle et que la travailleuse est donc en mesure de reprendre son emploi à cette date. Or, l’article 2 de la loi édicte que la consolidation d’une lésion est sa guérison ou l’atteinte d’un état stable au-delà duquel aucune amélioration de l’état de santé n’est prévisible. Une consolidation, sans atteinte permanente ou limitations fonctionnelles, correspond donc à la guérison de cette lésion et, dès lors, les visites médicales et les soins ou les traitements, postérieurs à la date de cette consolidation et visant à guérir ou à améliorer l’état de santé de la travailleuse, ne sont plus justifiés par la lésion professionnelle et ne peuvent être imputés à l’employeur.
[24] Les frais relatifs aux visites médicales postérieures au 5 février 2004 (25,00 $, 16,10 $, 16,10 $, 16,10 $) ne doivent donc pas être supportés par l’employeur.
[37] En ce qui concerne plus spécifiquement l’indemnité de remplacement du revenu, la Commission des lésions professionnelles indique :
[57] Enfin, dans l’éventualité où un litige existe toujours au sujet de l’imputation des prestations relatives au versement de l’indemnité de remplacement du revenu, la Commission des lésions professionnelles rappelle que, même si ce n’est que le 8 juillet 2004 que la CSST statue sur la capacité de travail de la travailleuse, comme la lésion professionnelle n’a entraîné aucune atteinte permanente ou limitation fonctionnelle, cette capacité est acquise à la date de la consolidation de la lésion professionnelle, à savoir le 5 février 2004. Le droit à l’indemnité de remplacement du revenu s’éteint donc à cette dernière date conformément à ce qui est prévu à l’article 57 de la loi et, dès lors, les coûts relatifs au versement de cette indemnité ne peuvent plus être imputés à l’employeur à compter du 5 février 2004.
[38] Dans le présent dossier, la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le 30 septembre 2009. En date du 6 juillet 2010, l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles en lien avec cette lésion professionnelle est confirmée par un rapport final émis par le médecin qui a charge du travailleur. Appliquant le raisonnement de l’affaire Hôpital Notre-Dame de la Merci inc.[10] aux faits propres au présent dossier, le présent tribunal conclut qu’il y a lieu de retirer du dossier financier les sommes correspondant aux indemnités de remplacement du revenu reçues par le travailleur postérieurement au 30 septembre 2009, date de consolidation de sa lésion professionnelle du 22 mai 2009 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Saladexpress 1995 inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 février 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Saladexpress inc., l’employeur, ne doit pas supporter le coût des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie reçus par monsieur Simon Veillette-Brabant, le travailleur, après le 30 septembre 2009, date de la consolidation de sa lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de son accident du travail du 22 mai 2009;
DÉCLARE que Saladexpress inc., l’employeur, ne doit pas supporter les coûts relatifs aux visites médicales effectuées par monsieur Simon Veillette-Brabant, le travailleur, après le 30 septembre 2009, date de la consolidation de sa lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de son accident du travail du 22 mai 2009;
DÉCLARE que Saladexpress inc., l’employeur, ne doit pas supporter l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Simon Veillette-Brabant, le travailleur, après le 30 septembre 2009, date de la consolidation de sa lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de son accident du travail du 22 mai 2009.
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Pascale Gauthier |
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Madame Émilie Savard |
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MÉDIAL CONSEIL SANTÉ ET SÉCURITÉ INC. |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] Saladexpress 1995 inc. et Simon Veillette Brabant, C.L.P. 396371-62C-0912, 18 juin 2010, P. Gauthier.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Hôpital Laval, C.L.P. 154509-32-0101-R, 17 juillet 2002, D. Beauregard.
[4] 2012 QCCLP 2553 .
[5] Précitée, note 4.
[6] Précitée, note 4.
[7] Précitée, note 4.
[8] Précitée, note 4.
[9] C.L.P. 290891-71-0606, 30 novembre 2006, C. Racine. Cette décision est déposée par l’employeur.
[10] Précitée, note 9.
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