Décision

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COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

214861

Cas :

CM-2010-5437, CM-2010-5439, CM-2011-1207 et CM-2011-1208

 

Référence :

2012 QCCRT 0419

 

Montréal, le

5 septembre 2012

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Mylène Alder, juge administrative

______________________________________________________________________

 

 

Sylvain Duval

Plaignant

c.

 

Elopak Canada inc.

Intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]          Le 25 octobre 2010, Sylvain Duval (le plaignant) dépose des plaintes pour pratique interdite et pour congédiement sans cause juste et suffisante survenu trois  jours plus tôt, le tout prenant appui sur les articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 (la LNT). Le 7 décembre 2010, il dépose deux autres plaintes de même nature, alléguant cette fois avoir été congédié le 2 décembre 2010. Ces quatre plaintes sont dirigées contre Elopak Canada inc. (l’employeur).

[2]          L’employeur conteste le bien-fondé des plaintes. Il prétend avoir congédié le plaignant le 2 décembre 2010 au motif qu’il s’est absenté de son travail sans motif valable, en feignant la maladie, ce qui constitue une cause juste et suffisante de congédiement au sens de la LNT.

[3]          Le plaignant s’objecte à la recevabilité d’une partie de la preuve présentée par l’employeur, soit celle relative à une filature effectuée par la compagnie Garda. Il estime que cette filature viole son droit à la vie privée, qu’elle a été commandée par l’employeur sans motif valable et qu’elle déconsidère l’administration de la justice. L’employeur conteste cette objection et plaide qu’il existait à l’époque des motifs sérieux et raisonnables l’autorisant à prendre la décision de faire cette filature.

[4]          Cette objection à la preuve est prise sous réserve à l’audience. La Commission en dispose dans la présente décision.

LES FAITS

L’EMPLOYEUR

[5]          L’employeur est une compagnie fabriquant des cartons qu’elle vend pour la production de contenants de lait et de jus. Elle compte 250 employés à son établissement de Montréal.

[6]          Une cinquantaine d’usines situées un peu partout au Canada, principalement au Québec et en Ontario, sont clientes à cet établissement.

L’EMBAUCHE DU PLAIGNANT

[7]          Le 14 avril 2008, le plaignant est embauché comme coordonnateur au support commercial pour cet établissement de Montréal. Son supérieur immédiat est Jason Giuliani, alors directeur commercial pour le Canada.

[8]          Le poste de coordonnateur au support commercial est nouveau. Il est créé pour assurer la satisfaction des clients situés au Canada. Le coordonnateur doit les visiter régulièrement, répondre à leurs appels de service, vérifier la source des problèmes qui lui sont rapportés et trouver rapidement une solution.

[9]          Monsieur Giuliani recrute le plaignant, car il cumule plusieurs années d’expérience dans le domaine agroalimentaire et connaît bien des équipements utilisés par les clients. Il a d’ailleurs déjà travaillé pour l’un d’entre eux, Natrel. L’employeur espère ainsi réduire la période d’apprentissage et avoir un employé rapidement fonctionnel à ce nouveau poste.

[10]       Durant les premiers mois, le plaignant bénéficie d’une période d’orientation et de familiarisation avec le service de production, les installations et les équipements de l’employeur, de même qu’avec ceux des clients. Monsieur Giuliani visite ces derniers avec le plaignant pour établir un premier contact entre eux et expliquer le rôle du nouveau coordonnateur au support commercial.

[11]       Le plaignant passe la majorité de son temps de travail en visite chez les clients. La plupart du temps, il s’y rend avec sa voiture. Il conduit entre 3 000 à 4 000 kilomètres par mois, à cette fin. En moyenne, il travaille à son bureau d’une à deux journées par semaine.

LA PREMIÈRE ÉVALUATION DU RENDEMENT DU PLAIGNANT

[12]       Le 5 janvier 2009, l’employeur effectue une première évaluation du rendement du plaignant pour l’année 2008.

[13]       Monsieur Giuliani s’aperçoit rapidement que son attente de voir le plaignant complètement fonctionnel de quatre à six mois après l’embauche n’est pas réaliste. Au moment de cette première évaluation, huit mois se sont écoulés et il estime que le plaignant est toujours en période d’apprentissage.

[14]       Malgré tout, l’évaluation qu’il fait du plaignant est bonne. Il conclut que pour 18 des 22 compétences observées, le plaignant est « competent and efficient », et qu’il est « superior » pour trois autres. Une mention « amelioration is required » apparaît pour la compétence des relations avec la clientèle. À ce sujet, monsieur Giuliani écrit que le plaignant « needs to build customer confidence + internal confidence in what he can do ».

[15]       Cette évaluation ne contient aucune cote « non satisfying ». Dans l’ensemble, le plaignant est jugé « competent and efficient », et monsieur Giuliani écrit ceci : « Sylvain’s performances since joining Elopak have been acceptable but more is expected in 2009. Further training is required and more tangible results are required. »

L’ANNÉE 2009

[16]       Depuis 2007, l’établissement de Montréal appartenant à l’employeur connaît une croissance importante de sa clientèle et de son chiffre d’affaires, laquelle s’accélère en 2009. Dès le mois de mai, l’employeur embauche un second coordonnateur au support commercial pour mieux servir tous ses clients.

[17]       Monsieur Giuliani relate qu’à partir de ce moment, certains clients commencent à lui dire qu’ils préfèrent l’autre coordonnateur au plaignant. Il affirme en parler au plaignant au fur et à mesure que les plaintes surviennent, ce que nie ce dernier.

[18]       Un des clients qui se plaint est l’usine Natrel Saint-Laurent, le plus gros client de l’employeur au Québec : son directeur voudrait qu’un autre coordonnateur lui soit attitré. C’est un problème important pour monsieur Giuliani qui en discute avec le plaignant. Il rapporte que ce dernier lui explique avoir déjà travaillé à cet endroit et ne pas s’être bien entendu avec ce directeur, ce qui est toujours le cas. Monsieur Giuliani insiste auprès du plaignant pour qu’il travaille cette relation, vu l’importance du client.

[19]       Le plaignant ne nie pas cette conversation, mais la situe au tout début de son embauche : il affirme avoir tout de suite avisé monsieur Giuliani de ses différends avec ce directeur.

[20]       Monsieur Giuliani concède que cette discussion peut avoir eu lieu en 2008, lorsqu’il informe le plaignant des premières plaintes de ce client à son endroit.

[21]       Quoi qu’il en soit, l’employeur embauche un troisième coordonnateur au support commercial en septembre 2009. Ce nouvel employé s’occupe de l’usine Natrel Saint-Laurent autant que faire se peut et le plaignant est affecté le plus possible à d’autres usines.

[22]       Ayant accès dorénavant à trois coordonnateurs, les clients deviennent de plus en plus exigeants. Selon monsieur Giuliani, certains continuent de se plaindre, toujours verbalement, du travail du plaignant. Il en parle régulièrement avec ce dernier pour l’aider à corriger la situation, maintient-il. Toutefois, il ne lui fera pas d’évaluation formelle de son rendement pour l’année 2009, car il n’en a pas le temps.

LA DEUXIÈME ÉVALUATION DU RENDEMENT DU PLAIGNANT

[23]       Le 30 août 2010, monsieur Giuliani rencontre le plaignant pour lui remettre une deuxième évaluation de son rendement. Il explique que cette évaluation s’impose en milieu d’année parce que la situation est maintenant sérieuse : trois clients importants ne veulent plus le voir et il doit régler ce problème rapidement.

[24]       Cette fois, l’employeur utilise une nouvelle grille d’analyse très concise, qui tient sur une page, conçue spécialement pour cette évaluation par un nouveau directeur du Service des ressources humaines, Pat Penna. Dix compétences au niveau du comportement de l’employé, de son intégration et de son rendement sont évaluées sur une échelle de 1 (inacceptable) à 5 (excellent). Une colonne « commentaires » est prévue pour chacune des compétences évaluées.

[25]       Cette deuxième évaluation du plaignant est catastrophique. Il obtient plusieurs 1 et même deux 0, cote qui n’apparaît pas dans la légende du document. On lui reproche son manque d’autonomie et d’initiative, son absence de sens de l’organisation et des responsabilités, ses mauvaises relations avec la clientèle et ses collègues. Il y est inscrit que les points à améliorer sont : « Initiative, Engagement, Responsabilité et Manque de respect de notre clientèle envers l’employé ». Les commentaires sont aussi très négatifs.

[26]       En conclusion, l’évaluation prévoit que le plaignant est mis en probation pour une période d’un mois. Il est écrit : « Une amélioration significative est nécessaire pour combler ce poste ». Une rencontre est prévue le 29 septembre 2010 pour faire le point.

[27]       Le plaignant est surpris et ne peut croire ce qu’il entend. Il ne se reconnaît pas dans cette évaluation, dit-il, et n’en a jamais eu une aussi négative. Il demande s’il va être congédié. Monsieur Giuliani lui répond qu’une nette amélioration est requise d’ici le 29 septembre, sinon ce sera le cas.

[28]       La rencontre se termine sans qu’il n’y ait de discussion sur les moyens à prendre pour améliorer son rendement. Monsieur Giuliani explique qu’il lui restait à développer un plan à ce sujet avec le plaignant dans les prochains jours.

[29]       Quant au plaignant, il affirme que c’est à cette rencontre qu’il apprend que des clients se sont plaints de lui. Il veut faire tout ce qu’il peut pour améliorer son rendement et garder son travail. Il repart sur la route faire ses visites et, deux jours plus tard, envoie un courriel à monsieur Giuliani et aux autres coordonnateurs les informant qu’il annule ses vacances prévues la semaine suivante. Messieurs Penna et Giuliani sont ravis et estiment que « leur message a passé ».

[30]       Pourtant, le plaignant ne travaillera pas cette semaine-là, ni les suivantes d’ailleurs. Il est mis en arrêt de travail par des médecins en raison de l’aggravation de problèmes de santé qu’il éprouve depuis un certain temps.

L’ÉTAT DE SANTÉ DU PLAIGNANT

[31]       Le plaignant est suivi depuis 2006 par Dr Lucien Villeneuve, omnipraticien.

[32]       À l’audience, il relate qu’en janvier 2010, il commence à moins bien aller. Il se sent fatigué et dort mal. En février 2010, il consulte Dr Villeneuve pour ce problème de fatigue. Celui-ci soupçonne une apnée du sommeil et le dirige en pneumologie. Ce diagnostic est confirmé au printemps 2010.

[33]       Le plaignant ajoute qu’à partir du mois de mai 2010, il sent ses jambes de plus en plus lourdes, trébuche dans les escaliers et se réveille la nuit, car il a mal au dos. Ses douleurs s’estompent environ une heure après le réveil, mais reprennent lorsqu’il conduit ou demeure couché longtemps.

[34]       À cette époque, le plaignant vit dans un appartement au 4e étage d’un immeuble et dit avoir de la difficulté à prendre les escaliers pour s’y rendre. Il relate avoir demandé et obtenu de son propriétaire une résiliation de son bail pour déménager dans un plain-pied.

[35]       Le plaignant affirme avoir eu, dès le début du mois d’août 2010, une conversation informelle avec monsieur Giuliani sur son état de santé. Il l’informe de ses problèmes de santé, dit se sentir épuisé, s’endormir partout et ne plus avoir de qualité de vie. Il lui assure qu’il va se prendre en main, consulter et régler tout cela.

[36]       Le plaignant explique qu’il était épuisé et avait de plus en plus mal à la jambe droite lorsqu’il conduisait ou marchait beaucoup, ou lorsqu’il était étendu plus qu’une heure. Parfois, elle devenait engourdie à un point tel qu’il ne la sentait presque plus. Il craignait de conduire sa voiture dans le trafic à cause de cela.

[37]       Le 11 août 2010, le plaignant consulte à nouveau Dr Villeneuve pour fatigue, insomnie et douleurs lombaires. Dr Villeneuve lui prescrit un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) de la colonne lombaire. Il souhaite vérifier si il peut y avoir une cause autre que l’apnée du sommeil à l’insomnie et la fatigue du plaignant.

[38]       Le 16 août 2010, le patient subi l’examen d’IRM prescrit. Le protocole radiologique du Dr Chantal Dubé, radiologiste, conclut à la présence de signes d’une discopathie dégénérative multi-étagée lombaire, de plusieurs hernies discales, dont une en L3-L4 accompagnée d’une légère sténose spinale.

[39]       Le 19 août 2010, Dr Villeneuve reçoit ce rapport et demande à revoir le plaignant pour en discuter avec lui. Il le rencontre le 2 septembre suivant et l’examine sommairement. Étant donné ce rapport, de même que l’historique d’hernie discale du plaignant, il le réfère à un orthopédiste, Dr Gilles Maurais.

[40]       En concluant cette visite médicale du 2 septembre 2010, Dr Villeneuve ne prescrit pas d’arrêt de travail. Il explique que même si les examens effectués révèlent des problèmes de santé, l’arrêt de travail immédiat n’est pas nécessairement indiqué : lorsqu’un patient veut continuer à travailler et se dit capable de le faire, il le laisse aller. Ce fut le cas du plaignant ce jour-là.

[41]       Le plaignant confirme avoir refusé un arrêt de travail ce jour-là en raison de la mauvaise évaluation qu’il vient de recevoir le 30 août et de sa période de probation. Il veut continuer à travailler dans les circonstances. Cependant, en relisant une copie de son rapport d’IRM ce soir-là, il explique réaliser que sa santé ne va pas bien du tout et comprendre pourquoi il a de la difficulté à conduire sa voiture.

L’arrêt de travail du 3 septembre 2010

[42]       Le plaignant dort mal cette nuit-là et le lendemain, vendredi 3 septembre 2010, décide de retourner voir Dr Villeneuve, sans avoir de rendez-vous. En arrivant, il voit une pancarte sur la porte indiquant que ce dernier est absent pour vacances.

[43]       Le plaignant se rend alors au CLSC et voit un médecin en urgence. Il a en main son rapport d’IRM du 16 août et le remet à ce médecin. Celui-ci lui prescrit un « arrêt de travail pour hernie discale jusqu’au 17 septembre 2010 inclusivement ».

[44]       Le plaignant ne va pas au bureau cette journée-là, un vendredi. Il ne communique avec personne chez l’employeur. Il explique être retourné chez lui « pour avaler tout ça ».

[45]       Le lundi 6 septembre 2010 est un jour férié. Le plaignant reçoit un courriel d’un de ses collègues l’avisant qu’il doit visiter un client en Ontario le lendemain matin. Il lui répond qu’il lui est impossible d’accéder à sa demande, car il est en arrêt de travail pour deux semaines en raison d’une hernie discale. Il ajoute qu’il rencontre monsieur Giuliani le lendemain matin à ce sujet et envoie une copie de son courriel à ce dernier.

[46]       Le matin du 7 septembre, monsieur Giuliani prend connaissance du courriel du plaignant et le fait suivre à monsieur Penna. Il dit avoir appris ainsi la nouvelle de l’arrêt de travail du plaignant.

[47]       Une brève rencontre a lieu chez l’employeur ce matin-là. Le plaignant apporte le certificat médical du CLSC, auquel est annexé le protocole de radiologie de l’IRM du 16 août 2010. Monsieur Giuliani prend les documents et les remet à monsieur Penna. Ce dernier souhaite bonne chance au plaignant et la rencontre se termine ainsi.

[48]       Quoiqu’il trouve étrange la coïncidence de l’arrêt de travail du plaignant avec sa mise en probation, monsieur Giuliani décide de lui accorder le bénéfice du doute. Le plaignant lui a déjà fait part, à l’occasion, de problèmes d’apnée du sommeil et de haute pression. De même, il se rappelle que le plaignant lui a déjà mentionné avoir des raideurs au dos quand il conduisait pendant plus de quatre heures, par exemple lors des trajets Montréal-Toronto. Enfin, il croit avoir entendu, avant l’évaluation du 30 août 2010, que le plaignant devait passer des tests en cardiologie.

[49]       Toutefois, ce n’est qu’à cette rencontre du 7 septembre 2010 que messieurs Giuliani et Penna apprennent que le plaignant a subi un examen d’IRM le 16 août précédent. Le plaignant ne les contredit pas sur ce point, mais soutient avoir informé ses deux collègues coordonnateurs qu’il passerait cet examen.

[50]       Monsieur Penna relate avoir eu des doutes en partant : « Ça fait 20 ans [30 ans, dira-t-il lorsqu’il revient témoigner plus tard] que je suis aux ressources humaines. J’ai déjà vu des cas où il y a eu des mauvaises évaluations et la personne se déclarait inapte à travailler le lendemain. » Il s’abstient cependant de toute réaction devant le plaignant, mais partage son inquiétude avec monsieur Giuliani après la rencontre. Il croit que le plaignant feint la maladie pour prolonger son emploi.

[51]       Quoi qu’il en soit, l’employeur accepte le certificat médical et continue de verser le salaire au plaignant. Mentionnons que l’employeur agit comme auto-assureur pour l’invalidité à court terme de ses employés. C’est le Service des ressources humaines qui est responsable de ces dossiers, fait les vérifications, demande des renseignements au besoin et autorise ou non le versement des prestations.

Le second certificat médical du 15 septembre 2010

[52]       Le 15 septembre 2010, le plaignant revoit Dr Villeneuve. Il se dit de plus en plus souffrant et l’informe de son arrêt de travail. Ce dernier l’examine et conclut à la présence de signes d’hernies discales compliquées. Il ajuste sa médication, décide de prolonger l’arrêt de travail et d’attendre l’opinion de l’orthopédiste, Dr Maurais.

[53]       Le 17 septembre, messieurs Penna et Giuliani reçoivent, par télécopieur, un second certificat médical signé par Dr Villeneuve. Il est daté du 15 septembre 2010 et prescrit un arrêt de travail pour une durée indéterminée en raison d’une hernie discale lombaire.

[54]       En prenant connaissance de cette télécopie, messieurs Penna et Giuliani passent du bénéfice du doute à la véritable suspicion : ils croient que cet arrêt de travail n’est pas fondé. Ils s’interrogent sérieusement sur son « timing », surtout qu’il est maintenant à durée indéterminée. Ils sont également méfiants du fait que ce deuxième certificat médical provient d’un autre médecin. Par conséquent, ils décident d’enquêter pour en avoir le cœur net.

[55]       Monsieur Giuliani explique que le congé de maladie du plaignant crée un trou dans une petite équipe de trois coordonnateurs. Il perd le tiers de ses ressources. Cela mécontente certains clients, surchargent les autres coordonnateurs et « met la compagnie à risque », dit-il.

[56]       À partir de ce moment, le dossier du plaignant est piloté par monsieur Penna. Il prend tout d’abord la décision de faire expertiser le plaignant par un neurochirurgien. À la fin du mois de septembre, il lui téléphone pour lui fixer un rendez-vous avec un neurochirurgien. C’est alors que le plaignant lui rapporte qu’il est incapable de conduire dans la circulation, car il est « en train de paralyser ».

[57]       À la même époque, monsieur Giuliani apprend que le plaignant déménagera incessamment et qu’il accomplirait d’autres activités professionnelles. Ces éléments, de même que la déclaration du plaignant qu’il est « en train de paralyser » alors qu’il l’a vu au bureau le 7 septembre sans qu’il n’y ait de signe avant-coureur, amènent monsieur Penna à confier un mandat de filature à la compagnie Garda (Garda).

La filature

[58]       Le 28 septembre 2010, monsieur Giuliani signe une demande de service auprès de Garda pour qu’elle procède à la filature du plaignant. Au formulaire, il est écrit : « M. Duval ne peut pas faire des travaux physiques car il est en arrêt de travail. » Puis, « mandat » : Filmer Monsieur en train de déménager. Nous devons le surprendre en train de travailler physiquement. Hernie Lombaire. » Il est mentionné que le sujet déménagera le 1er ou 2 octobre 2010 et qu’il a des rendez-vous médicaux les 14 et 19 octobre 2010.

[59]       Garda procède à la filature du plaignant les 30 septembre, 1er, 13 et 14 octobre 2010. Le 19 octobre 2010, elle remet à monsieur Giuliani un rapport de filature ainsi qu’un DVD où sont numérisés les films de surveillance. Tout élément impliquant le plaignant vu pendant cette filature est inscrit au rapport. En voici les grandes lignes :

-     Le 30 septembre, le plaignant n’a pas été vu au cours de la surveillance, entre 5 h et 12 h;

-     Le 1er octobre, la surveillance a lieu de 5 h 45 à 12 h 30 et de 15 h 45 à 21 h 30. Le déménagement du plaignant a lieu ce soir-là. Les enquêteurs voient neuf personnes remplir et vider une remorque, mais n’aperçoivent pas le plaignant.

-     Le 13 octobre, le plaignant n’a pas été vu au cours de la surveillance effectuée à sa résidence de 6 h à 13 h 34.

-     Le 14 octobre, la surveillance est faite de 6 h à 18 h. Les enquêteurs voient le plaignant quitter sa résidence en après-midi, avec une femme. Il est passager dans un véhicule et se rend à une clinique médicale, puis dans certains commerces dont une pharmacie où il en ressort avec une canne dans les mains, sans s’y appuyer. Il bouge et se déplace sans difficulté apparente. En fin d’après-midi, il poursuit ses courses, en conduisant cette fois à trois reprises : une fois 7 minutes, une fois 24 minutes et une fois 38 minutes.

[60]       Le matin du 19 octobre 2010, Garda envoie un courriel concernant ce rapport de filature à monsieur Giuliani, lequel le fait suivre par inadvertance au plaignant.

[61]       Le plaignant apprend donc cette journée-là qu’il est surveillé. Il affirme toutefois n’avoir reçu le rapport de filature et le DVD que plus tard en octobre.

[62]       Cela dit, le plaignant confirme ce qui apparaît au rapport et au DVD de filature et ajoute certaines précisions. Il a effectivement déménagé le 1er octobre, mais n’a rien fait, « pas même une boîte », dit-il. Il confirme être capable de marcher de courtes distances et essayer de prendre deux à trois courtes marches chaque jour. Il peut aussi faire, à l’occasion, de petites emplettes et porter des sacs légers. Quant aux déplacements du 14 octobre, il s’agit d’un rendez-vous chez son médecin et de commissions pour l’achat de médicaments et d’une canne prescrite par ce dernier. À cela, s’ajoutent deux courses pour l’aménagement de sa nouvelle demeure. Toutefois, c’est son épouse qui conduisait la plupart du temps, dit-il.

[63]       Par ailleurs, messieurs Penna et Giuliani n’ont jamais discuté avec le plaignant de quelconque soupçon qu’il se soit livré à des activités professionnelles pour un ou des concurrents.

L’EXPERTISE DU DR L’ESPÉRANCE

[64]       Le 19 octobre 2010, le plaignant rencontre le spécialiste désigné par l’employeur, Dr Georges L’Espérance, neurochirurgien. Celui-ci a en main le rapport de l’IRM du 16 août 2010 et le cédérom qui l’accompagne, de même que le certificat médical du 3 septembre du CLSC.

[65]       Ce rendez-vous est précédé d’une lettre envoyée par l’employeur au Dr L’Espérance, dans laquelle monsieur Penna écrit que l’arrêt de travail du plaignant est survenu quatre jours après une mauvaise évaluation le plaçant en période de probation pour un mois, ce qui lui fait suspecter qu’il s’agit d’un moyen pour prolonger son emploi.

[66]       Le rapport d’expertise du Dr L’Espérance mentionne les antécédents médicaux du plaignant, dont l’apnée du sommeil, l’hypertension artérielle, de même qu’une entorse lombaire subie en 2005. Il comprend aussi une mise en contexte telle que rapportée par le plaignant. On peut y lire, entre autres, ceci :

Il [le plaignant] m’indiquera que depuis un an il avait une douleur dans les jambes et dans le dos, sans pouvoir me préciser de trajet spécifique au niveau des jambes. Il m’indique qu’il se réveillait souvent la nuit et a eu finalement un diagnostic d’apnée du sommeil. Il dit qu’il se sentait fatigué le matin au réveil.

[…]

Il y a deux mois, il a dit à son patron qu’il ne dormait plus, qu’il avait mal partout. Lorsqu’il me parle de ses douleurs, monsieur m’indique qu’il avait des douleurs aux deux bras, au thorax, au dos, aux jambes.

Monsieur m’indique qu’en voiture il présentait une douleur lombaire. Il a eu un certain temps où il avait de la difficulté à conduire en raison de la douleur lombaire et aussi de la fesse droite, et à ce moment il parlera de son « sciatique » car son médecin lui aurait dit que toutes les hernies qu’il avait attaquaient les nerfs sciatiques […].

En fait, il ne présentait que des douleurs aux faces postérieures des cuisses.

Un jour, en conduisant, il a même mis le pilote automatique, ce qu’il ne faisait jamais, et tout à coup a eu très peur de paralyser éventuellement et ainsi de ne pouvoir freiner.

[…]

Monsieur m’indique comme symptômes qu’il ne sent presque pas ses membres inférieurs, tout le tour des jambes.

Certains jours il affirme avoir des douleurs aux genoux, au deux bras, Il indique être un peu mieux avec la médication.

(Reproduit tel quel)

[67]       Puis, le rapport décrit l’examen objectif du plaignant et conclut que « l’examen neurolocomoteur est objectivement complètement normal. Il n’y a aucun déficit sensitivomoteur. On retient essentiellement un fort déconditionnement musculaire et global ».

[68]       En référence au cédérom de l’IRM du 16 août 2010, Dr L’Espérance constate la présence d’une discopathie dégénérative multi-étagée sur toute la région lombaire compatible avec l’âge du plaignant. Contrairement à la conclusion de la radiologiste, il ne conclut pas à la présence d’une sténose spinale. À son avis, celle-ci s’est basée sur une mesure qui n’est pas appropriée pour conclure de la sorte.

[69]       Il poursuit en écrivant : « Monsieur ne présente aucune symptomatologie qui permette d’évoquer un diagnostic de claudication neurogénique ou posturale. Par ailleurs, les multiples plaintes diffuses de monsieur permettent d’avancer qu’une forte composante endogène est présente chez lui. »

[70]       Dr L’Espérance conclut que le plaignant présente un « status neurolocomoteur clinique » normal et une condition personnelle de discopathie dégénérative lombaire. Il le consolide la journée même de l’examen, le 19 octobre 2010 et prévoit de légères restrictions fonctionnelles temporaires en raison de son déconditionnement, pour une période de deux ou trois mois. Il termine en précisant que le plaignant est tout à fait apte à reprendre ses activités professionnelles usuelles telles qu’il les lui a décrites.

[71]       Monsieur Penna comprend de ce rapport que le plaignant est apte à travailler, même avec les restrictions fonctionnelles émises par le neurochirurgien. Puis, comme il vient de recevoir le rapport de filature de Garda, il l’envoie, accompagné du DVD, au Dr L’Espérance pour obtenir un complément d’expertise.

LA SUSPENSION DU VERSEMENT DES PRESTATIONS PAR L’EMPLOYEUR

[72]       Le 21 octobre 2010, le plaignant s’aperçoit que sa paie n’est pas déposée dans son compte bancaire.

[73]       En fait, l’employeur décide ce jour-là de ne plus verser de prestations d’invalidité au plaignant. Monsieur Penna explique avoir pris cette décision sur la foi des rapports reçus à cette date du Dr L’Espérance et de Garda. Il convoque le plaignant à une rencontre le 22 octobre 2010 pour le lui annoncer et lui poser des questions. Patricia Rothos, du Service des ressources humaines, assiste à cette rencontre.

La rencontre du 22 octobre 2010

[74]       La rencontre est brève. Selon le plaignant, monsieur Penna commence par lui poser des questions sur ses activités. Il lui affirme avoir des preuves accablantes sur ce qu’il a fait le 14 octobre 2010 : on l’a vu se déplacer avec aisance à la pharmacie, la quincaillerie, etc., pendant une période d’environ cinq heures. Cela ne correspond pas à ce qu’il lui a rapporté au téléphone concernant son état de santé.

[75]       Le plaignant ne répond pas à ces questions. Il tente plutôt, dit-il, d’expliquer pourquoi il est en congé de maladie. Il affirme que monsieur Penna lui déclare qu’il trouve bizarre que son congé de maladie survienne au moment où il est mis en probation. Le plaignant lui répond qu’il trouve étrange de recevoir une mauvaise évaluation de son rendement après leur avoir dit devoir passer des examens médicaux importants.

[76]       Monsieur Penna nie cet échange. Selon lui, le plaignant n’a rien dit à cette rencontre. Essentiellement, c’est lui qui parle pour résumer les conclusions de l’expertise du Dr L’Espérance. Il lui explique qu’il aura des questions précises à demander à son médecin, Dr Villeneuve, avant de décider de la suite des choses.

La lettre du 24 octobre 2010

[77]       Le 24 octobre 2010, le plaignant envoie à messieurs Penna, Giuliani et madame Rothos une lettre dans laquelle il décrit ce qu’il a fait les 1er et 14 octobre 2010. Il précise qu’il s’agit de sa réponse à leur demande du 22 octobre, l’a vérifiée dans son agenda et ajoute répondre au meilleur de sa connaissance « vu le facteur temps et ma médication qui affecte mes facultés ». Cela correspond à ce qui est décrit au rapport de filature et apparaît au DVD.

[78]       Dans cette lettre, le plaignant explique aussi que la détérioration de son état de santé a débuté bien avant son évaluation du rendement du 30 août 2010 et que monsieur Giuliani avait été avisé deux semaines plus tôt qu’il allait consulter un médecin pour savoir s’il pouvait subir une intervention chirurgicale afin de reprendre une vie normale et dormir la nuit. Il termine en écrivant :

La rencontre avec Jason était un adon, j’avais déjà entrepris de prendre soin de ma santé pour une meilleure qualité de vie, cette évaluation ne me ressemble pas j’ai eu même de zéro (0) quand la plus basse note inscrite est un (1), je suis un excellent travailleur d’équipe (diplome reçu le justifiant), […]. Ma dernière évaluation était 1 an et demie auparavant, je pensait que tout allait pour le mieux, si ma situation était aussi alarmante et médiocre pourquoi ne pas m’avoir rencontré avant.

Nous avons eu une rencontre le 22 janvier, Jason nous a mentionné que nous avions une excellente équipe que nous couvrons tout les domaine ce qui faisait notre force, il en était fier et nous aussi.

Cette rencontre n’a aucun rapport avec l’arrêt de travail, ma santé mentale et physique en avait grandement besoin.

Je rencontre un spécialiste le 3 novembre en urgence, vous aurai le rapport médical aussitôt que possible.

Je vais rencontrer les normes du travail pour faire valoir mes droits.

(Reproduit tel quel, à l’exception du soulignement qui a été ajouté)

[79]       Le 25 octobre 2010, le plaignant dépose ses deux premières plaintes à la Commission des normes du travail (la CNT). À l’audience, il affirme que monsieur Penna lui téléphone lorsqu’il les reçoit, pour lui dire : « Tu ne fais rien pour aider ton cas. »

La lettre du 26 octobre 2010

[80]       Deux jours plus tard, le plaignant écrit une lettre à monsieur Giuliani. Il lui fait part de ses impressions quant à la manière dont il est traité par l’employeur (« comme un criminel »). Il réitère lui avoir fait part de ses problèmes de santé deux semaines avant leur rencontre du 30 août, de même que de son intention de faire ce qu’il fallait pour recouvrer la santé. Il éprouve des difficultés financières et souhaite que reprenne le versement de ses prestations. Il termine sa lettre en écrivant ceci :

Je rencontre un spécialiste le 3 Novembre en urgence si il se prononce comme votre médecin, je dirai que mon mal [é]tait imaginaire, […]. Je te demande d’avoir un geste humain en me laissant une chance de récupéré mon salaire jusqu’à ma rencontre avec le spécialiste. Je me rends compte aujourd’hui comment j’étais épuisé,

(Reproduit tel quel, à l’exception du soulignement qui a été ajouté)

[81]       Cette lettre demeure sans réponse.

La suite des opinions médicales

[82]       Le 1er novembre 2010, monsieur Penna reçoit du Dr L’Espérance une « note complémentaire » concernant le DVD de filature. Il l’a visionné et, en référence aux déclarations que lui a faites le plaignant lors de son expertise du 19 octobre, il en conclut ceci : « Considérant la surveillance, je n’ai rien à modifier sur le fond de mon expertise. Il n’y a que les restrictions fonctionnelles temporaires qui peuvent être ramenées à de plus faibles étant donné ce que j’ai pu observer. » À son avis, les restrictions fonctionnelles pourront être levées deux semaines après un reconditionnement personnel.

[83]       Le 3 novembre 2010, l’employeur envoie au plaignant copie de l’expertise médicale et de ce complément avec la lettre suivante :

Monsieur Duval,

Suite à l'arrêt de travail attesté par votre médecin traitant, nous vous avons demandé de vous présenter pour une expertise médicale avec le Dr L'Espérance.

Le rapport de cette expertise, ainsi qu'un rapport complémentaire ont été transmis par le Dr L'Espérance et nous en incluons copies.

Vous constaterez que le Dr. L'Espérance est d'avis que vous êtes tout à fait apte à reprendre vos activités usuelles, telles que vous lui en avez parlé. En fait, le Dr L'Espérance ne comprend pas les raisons qui auraient amenées votre médecin traitant à conclure à votre incapacité totale de travailler.

Partant, il est nécessaire que vous vous assuriez de nous transmettre un rapport complet de la part de votre médecin traitant dans lequel ce dernier nous transmet:

·         Les examens qu'il vous a faits passer ;

·         Les traitements qu'il vous a prescrits ;

·         Les raisons qui l'ont amenées à conclure à votre incapacité totale de travailler, et ce jusqu'à aujourd'hui ;

·         Le pronostic, c'est-à-dire, la date probable où vous serez en mesure, selon son opinion, de reprendre complètement le travail ;

·         Les raisons qui l'amènent à différer d'opinion relativement à celle du Dr L'Espérance, et plus spécifiquement les bases scientifiques objectives sur lesquelles il s'appuie.

Compte tenu que vous devriez être au travail, et ce depuis plusieurs semaines, nous vous donnons jusqu'au 12 novembre prochain pour nous fournir le dit rapport.

Veuillez comprendre que si vous n'êtes pas en mesure de justifier votre absence du travail, et ce d'une façon valable, nous considérons que vous êtes en absence sans raison valable et prendrons notre décision en conséquence.

Veuillez aussi comprendre que les activités auxquelles vous vous êtes livrées pendant votre absence et ce contrairement à vos propos, seront aussi tenues en compte lors de la prise de notre décision.

Si vous avez quelques questions, n'hésitez pas de communiquer avec le soussigné.

(Reproduit tel quel, à l’exception du soulignement qui a été ajouté)

[84]       Le plaignant fait suivre cette lettre, l’expertise du Dr L’Espérance et sa note complémentaire au Dr Villeneuve et lui demande de répondre aux questions demandées.

[85]       Mentionnons ici que de l’aveu même de l’employeur, le plaignant a toujours entièrement collaboré à ses demandes relatives à cet arrêt de travail.

[86]       Entre-temps, le 11 novembre 2010, le plaignant rencontre l’orthopédiste, Dr Maurais. Celui-ci l’examine et lui prescrit des médicaments de même que des traitements de physiothérapie. Il envoie un rapport au Dr Villeneuve résumant son examen et ses conclusions et maintient l’incapacité totale temporaire du plaignant. Ce rapport n’est pas envoyé à l’employeur.

[87]       La même journée, Dr L’Espérance écrit une seconde note complémentaire en réponse à des questions posées par l’employeur. Il affirme que son diagnostic s’appuie sur un examen complet et des données probantes de la littérature médicale. À l’opposé, il croit que l’examen du Dr Villeneuve était incomplet et que celui-ci a maintenu l’arrêt de travail sur la base des seules allégations du plaignant. Il suggère de lui demander quelles sont les bases scientifiques sur lesquelles il s’appuie pour conclure ainsi.

[88]       Le 25 novembre 2010, Dr Villeneuve écrit son rapport et l’envoie directement à l’employeur. Il maintient que le plaignant n’est pas apte à reprendre son travail sur la foi des douleurs alléguées par son patient, mais aussi compte tenu des résultats de l’IRM du 16 août et des conclusions du Dr Maurais. Il précise que ce dernier est un orthopédiste vers qui il a dirigé le plaignant en septembre dernier. Il ajoute que l’aréflexie des membres inférieurs du plaignant est un signe clinique important.

[89]       L’employeur envoie ce rapport au Dr L’Espérance. Ni ce dernier ni l’employeur ne demandent des précisions ou des documents du Dr Maurais.

[90]       Le 1er décembre 2010, Dr L’Espérance envoie une autre note complémentaire à l’employeur. Il indique que l’aréflexie des membres inférieurs, sur laquelle s’appuie le Dr Villeneuve, n’a aucune valeur et ne justifie pas une invalidité. Il ne fait aucune mention du Dr Maurais. Il estime que le plaignant feint et que son médecin traitant s’est fait « abuser ».

[91]        Pendant la durée de l’enquête de monsieur Penna sur les opinions médicales contradictoires, celui-ci ne croit pas approprié de rappeler le plaignant au travail. Il affirme dans un premier temps qu’il ne peut le faire, car « monsieur n’est pas apte à travailler selon son médecin ». Il se trouve dans un cul-de-sac, dit-il, et veut donner la chance au plaignant d’aller chercher des informations médicales complémentaires afin de valider l’opinion de son médecin traitant. Bref, il attend un consensus sur l’aptitude du plaignant à retourner au travail.

[92]        Toutefois, à la fin de son contre-interrogatoire, monsieur Penna revient sur ce sujet et change sa version : il affirme maintenant avoir discuté par téléphone avec le plaignant de la possibilité qu’il retourne au travail en respectant les limitations fonctionnelles prescrites par Dr L’Espérance ou, à tout le moins, qu’il vienne au bureau offrir une aide quelconque. Il situe cette conversation téléphonique quelque part entre les 22 octobre et le 3 novembre 2010.

LE CONGÉDIEMENT

[93]        Le 2 décembre 2010, messieurs Giuliani et Penna prennent la décision de congédier le plaignant. Le premier explique que cette décision s’impose, car l’employeur a tout en main pour prendre une décision éclairée : l’expertise médicale, les précisions médicales, le rapport et le DVD de filature. Il dit à l’audience : « On voulait s’assurer que tous nos angles étaient couverts. »

[94]        Monsieur Penna explique que Dr Villeneuve n’a jamais réussi à lui donner de l’information satisfaisante pour étayer son opinion relative à l’inaptitude du plaignant à exercer son travail. Il conclut de tous les documents qu’il a reçus, que ce dernier a feint ses déclarations aux médecins depuis le début pour se faire prescrire un arrêt de travail.

[95]        Le 5 décembre 2010, monsieur Penna appelle le plaignant pour le convoquer au bureau le lendemain, afin de lui annoncer et lui expliquer son congédiement. C’est d’ailleurs ce qu’il dit au plaignant par téléphone lorsque ce dernier s’enquiert du but de cette rencontre. Le plaignant lui répond alors que ça ne vaut pas la peine qu’il se rende au bureau.

[96]        Le 7 décembre 2010, l’employeur envoie au plaignant la lettre suivante :

Monsieur Duval,

Nous vous avons convoqué le 6 décembre pour vous informer de votre statut chez Elopak, mais, vous ne vous êtes pas présenté.

Donc, la présente est pour vous informer que vous êtes congédié en date du 2 décembre.

Puisque vous êtes en absence injustifiée depuis le 7 septembre 2010 et que vous n'avez pas fournit aucune explication qui justifie votre absence, nous vous demandons de nous rembourser 5 semaines de salaire que nous vous avons versé en trop; c’est-à-dire, du 7 septembre au 8 octobre 2010.

Nous vous demandons de nous rembourser dans les 10 prochains jours un montant de $5219.52 soit votre salaire plus l'allocation d'auto pour 5 semaines.

Si nous ne recevrons le montant indiqué plus haut, nous devrons avoir recourt a des mesures judiciaires.

(Reproduit tel quel)

[97]       Le plaignant dépose alors deux autres plaintes à la CNT, alléguant toujours avoir été injustement et illégalement congédié alors qu’il était en congé de maladie, mais fixant cette fois au 2 décembre 2011 la date de son congédiement.

L’expertise du Dr Bah

[98]       Aux fins de la présente audience, le plaignant mandate Dr Chaikou Bah, orthopédiste, afin qu’il effectue une expertise sur son état de santé et sa capacité de travailler à l’automne et l’hiver 2010.

[99]       Pour ce faire, Dr Bah a notamment en mains les documents suivants : le rapport de l’examen d’IRM du 16 août 2010 et le cédérom qui l’accompagne, l’expertise du 19 octobre 2010 du Dr L’Espérance, le certificat médical et les notes de consultation du 11 novembre 2010 du Dr Maurais et la lettre médicale du 25 novembre 2010 du Dr Villeneuve.

[100]    Dr Bah diffère d’opinion avec Dr L’Espérance quant à la présence d’une sténose spinale et arrive au même résultat que la radiologiste lorsqu’il prend ses propres mesures, à partir de clichés de la colonne lombaire du patient pris lors de l’examen d’IRM du 16 août 2010. Il écrit ceci :

La revue du dossier et l’examen objectif effectué ce jour démontre que le patient présente une discopathie dégénérative multi-étagée avec antécédent de hernie discale pour lequel il a subi une épidurale en 2006. En mars 2010, le patient présentait des douleurs lombaires avec irradiation au niveau des membres inférieurs pour lequel il a consulté son médecin en août 2010 et une résonance magnétique a été faite en date du 16 août 2010 qui confirme la présence d’une hernie discale avec sténose foraminale avec le canal réduit à 7 mm de diamètre.

Donc notre impression est que la sténose spinale que le patient présente avec un canal réduit à 7 mm de diamètre, normalement le diamètre antéro-postérieur du canal est de 15 mm, la condition du patient peut donner des douleurs lombaires avec claudication neurologique, ce que le patient décrivait.

(Reproduit tel quel)

[101]    Puis, il ajoute être d’avis que l’arrêt de travail du plaignant était justifié depuis la première consultation avec Dr Villeneuve le 11 août 2010. Tout comme l’étaient, selon lui, la médication et les traitements de physiothérapie prescrits par Dr Maurais.

[102]    À l’audience, Dr Bah explique que l’IRM est un outil aidant à diagnostiquer une sténose spinale, mais que les symptômes présents chez le patient sont primordiaux. À son avis, les maux décrits à l’époque par le plaignant sont importants et doivent être considérés. Selon lui, il est rare qu’un canal spinal réduit à 7 millimètres, comme l’était celui du plaignant, n’entraîne pas de douleurs chez un patient.

[103]    Enfin, selon Dr Bah, les engourdissements et faiblesses des membres inférieurs augmentant avec la marche, tels que rapportés par le plaignant au Dr Maurais le 11 novembre 2010, sont des symptômes d’une claudication neurogénique. Selon lui, ces symptômes sont également sous-entendus dans l’expertise du Dr L’Espérance du 19 octobre 2010. Dr Bah explique qu’à ce niveau, il s’agit somme toute de croire ou non ce que rapporte le patient. En l’espèce, lui le croit et remarque une consistance dans l’historique du plaignant, ses antécédents médicaux et les maux qu’ils rapportent aux différents médecins qui l’examinent.

[104]    À l’audience, Dr L’Espérance explique que même si le plaignant présentait une sténose spinale à l’automne 2010, cela ne signifie pas qu’elle était symptomatique et le rendait inapte à exercer ses activités professionnelles. Il n’est pas d’accord avec les conclusions du Dr Bah sur le diagnostic de claudication neurogénique. Selon lui, le plaignant aurait nécessairement présenté des symptômes précis lors de son examen physique le 19 octobre 2010.

[105]    Dr L’Espérance précise que la conduite d’une voiture n’indispose pas les personnes présentant une sténose spinale, sauf si elles ont à faire de très longs trajets.

[106]    Enfin, il est admis par les parties que le 25 octobre 2011, le plaignant subit une intervention chirurgicale à la colonne lombaire, au niveau L3-L4.

LES PRÉTENTIONS des parties

[107]    Le plaignant prétend que la suspension du paiement de son salaire le 21 octobre 2010 constitue un congédiement déguisé, illégal et sans cause juste et suffisante. Puis, il soutient que la confirmation de son congédiement le 2 décembre 2010 l’est tout autant. Il affirme avoir été, en tout temps pertinent aux présentes, en véritable congé de maladie.

[108]    Outre la date du congédiement qu’il situe au 2 décembre 2010, l’employeur conteste le bien-fondé des quatre plaintes. Il nie l’existence d’une quelconque mesure de représailles le 21 octobre 2010, de même que celle d’une maladie du plaignant justifiant son absence du travail. Il plaide que ce dernier s’est absenté de son travail sans motif valable, pour éluder sa période de probation, en simulant ou exagérant ses symptômes. Cela constitue une cause juste et suffisante de congédiement au sens de la LNT.

[109]    Enfin, le plaignant demande la réintégration, mais l’employeur soumet qu’elle est impossible en raison du bris du lien de confiance entre les deux. Par ailleurs, les parties demandent à la Commission de réserver sa compétence sur les autres mesures de réparation appropriées, le cas échéant.

MOTIFS ET DISPOSITIF

[110]    Avant de disposer du fond des quatre plaintes, il faut d’abord trancher l’objection préliminaire relative à la recevabilité en preuve du rapport et du DVD de filature.

LA RECEVABILITÉ DE LA PREUVE SUR LA FILATURE

[111]    La Cour d’appel a bien établi les principes de droit applicables à la recevabilité d’une preuve de filature ou de surveillance dans l’arrêt Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, [1999] R.J.D.T. 1075 .

[112]    Essentiellement, bien que comportant une atteinte à la vie privée, une telle surveillance est admissible lorsque certains critères sont remplis, le tout dans le respect de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. Ainsi, il doit exister, au moment de la prise de décision, des motifs sérieux et raisonnables justifiant la décision d’y recourir. De même, la filature effectuée doit limiter l’intrusion dans la vie privée de la personne. Enfin, la preuve ainsi recueillie doit pouvoir aider le décideur dans sa recherche de la vérité et elle ne doit pas avoir pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

[113]    Comme le rappelle la Commission dans la décision Éthier c. Goodyear Canada inc., 2004 QCCRT 0422  : « Le test à appliquer consiste donc à apprécier la gravité de la violation aux droits fondamentaux eu égard à la nécessaire recherche de la vérité. »

[114]    Qu’en est-il en l’espèce?

[115]    Dans un premier temps, la preuve révèle que l’employeur avait des motifs sérieux de prendre la décision de procéder à cette filature. En effet, lorsque monsieur Penna appelle le plaignant pour le convoquer à un rendez-vous médical, celui-ci affirme être « en train de paralyser ».

[116]    Cette déclaration est importante, elle sème des doutes chez l’employeur qui a vu le plaignant se déplacer sans trop de problème à son bureau deux semaines plus tôt. Elle est suffisante, dans les circonstances, pour constituer un motif sérieux au sens de l’arrêt Bridgestone/Firestone, précité.

[117]    Par ailleurs, la filature du plaignant telle qu’effectuée par Garda a lieu en tout temps dans des lieux publics et elle est de nature à éclairer la Commission dans sa recherche de la vérité des faits en litige. Enfin, en permettre la preuve ne déconsidère pas l’administration de la justice dans ces circonstances.

LES PLAINTES EN VERTU DE L’ARTICLE 122 DE LA LNT

[118]    L’article 122 de la LNT interdit à un employeur de congédier ou sanctionner un salarié du fait de l’exercice par celui-ci d’un droit prévu à cette loi. Il se lit comme suit :

 Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d'exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction:

 1° à cause de l'exercice par ce salarié d'un droit, autre que celui visé à l'article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d'un règlement;

[…]

[119]    L’article 123.4 de la LNT rend le mécanisme de présomption établi à l’article  17 du Code du travail, L.R.Q., c. C-27 (le Code), applicable au traitement d’une plainte déposée selon l’article 122. Ce mécanisme fait en sorte que lorsque le plaignant fait la preuve qu’il est un salarié au sens de la LNT, qu’il a exercé un droit protégé par celle-ci et a fait l’objet d’une sanction ou d’un congédiement concomitant avec l’exercice de ce droit, il est présumé avoir reçu une telle mesure à cause de l’exercice de ce droit.

[120]    Dès lors, l’employeur a le fardeau de prouver qu’il existe une autre cause justifiant l’imposition de cette mesure, qui n’est pas de la nature d’un prétexte et qui est complètement étrangère au droit exercé par le salarié.

L’application de la présomption et le renversement du fardeau de preuve

La première plainte du 25 octobre 2010

[121]    La première plainte selon l’article 122 de la LNT est déposée le 25 octobre 2010. Il n’est pas contesté que le plaignant est un salarié au sens de la LNT. Cependant, l’employeur plaide que cette plainte est prématurée, le plaignant n’ayant pas été congédié, ni subi de sanction ou mesure de représailles à cette date. Qu’en est-il?

[122]    Selon la preuve non contestée, l’employeur offre à tous ses employés une couverture d’assurance invalidité à court terme lorsqu’ils s’absentent pour maladie. Dans de tels cas, il continue de leur verser, à titre de prestations, leur salaire usuel. C’est ce qu’il a fait pour le plaignant jusqu’au 21 octobre 2010, date à laquelle il prend la décision de suspendre le paiement de ses prestations. Il le fait, explique monsieur Penna, car il vient de recevoir une expertise d’un neurochirurgien qui contredit le certificat médical remis par le plaignant.

[123]    Bien que ces prestations ne constituent pas à proprement parler du salaire au sens de l’alinéa 9 de l’article 1 de la LNT, elles font certainement partie des avantages consentis par l’employeur au plaignant, de son cadre de travail. Comme l’explique le juge Robert Burns du Tribunal du travail aux pages 10 et 11 de la décision Cloutier c. La Société des alcools du Québec, (1986) T.T. 137 , AZ-86147036  :

[…] il n’y a pas nécessité, en présence d'une plainte de représailles, de démontrer par preuve directe l'intention illicite de l'employeur, pas plus qu’on ait à le faire lors d’une plainte de congédiement : dans l’un et l’autre cas, c’est la présomption qui peut servir à établir cette intention qui serait difficile à prouver autrement. Ainsi, peut-on conclure, il suffira, dans les cas de représailles, de constater une modification du cadre de travail d'un salarié, de manière concomitante à l'exercice d'un droit lui résultant du Code, pour que naisse la présomption. Exiger davantage serait, il me semble, contraire à l'esprit et à la lettre des articles 15 et suivants [du Code].

[124]    Ainsi, cesser de faire bénéficier le plaignant de cet avantage constitue une modification à son cadre de travail selon l’article 122 de la LNT. Cela étant, y a-t-il exercice concomitant, par le plaignant, d’un droit lui résultant de la LNT? Parmi les droits exercés visés ici, se trouve le droit de « s’absenter du travail pendant une période d’au plus 26 semaines sur une période de 12 mois pour cause de maladie ou d’accident » prévu à l’article 79.1 de cette même loi.

[125]    En l’occurrence, la preuve révèle qu’en date du 21 octobre 2010, l’employeur a en main un certificat médical du médecin traitant du plaignant pour une absence maladie d’une durée indéterminée, de même qu’un rapport de son propre médecin expert qui conclut différemment. Dans les circonstances, ce rapport ne constitue pas un élément suffisant pour conclure à l’absence de la preuve de l’exercice d’un droit visé par l’article 122 de la LNT et empêcher l’application de la présomption au plaignant.

[126]    En effet, il y a une preuve suffisante que le plaignant était absent pour maladie le 21 octobre 2010, ainsi que les jours précédents. Cette absence est confirmée par le médecin traitant du plaignant, qui l’a référé à un spécialiste afin de mieux juger de la suite des choses. À cette date, le plaignant est toujours en attente d’un rendez-vous avec ce spécialiste, ce qu’il confirme par écrit à l’employeur à deux reprises dans ses lettres des 24 et 26 octobre 2010.

[127]    Comme l’écrit la Commission dans la décision Martin c. L-3 Communications MAS (Canada) inc., 2005 QCCRT 0553 , on ne peut présumer qu’un médecin agit par complaisance, il faut une preuve solide en ce sens.

[128]    La simulation de la maladie ou l’exagération des symptômes par le plaignant est alléguée par l’employeur comme expliquant une absence au travail injustifiée et constituant l’autre cause de la mesure de représailles. Il s’agit d’un élément qui doit ici être analysé sur le fond du litige.

[129]    Bref, en ce qui concerne la première plainte déposée selon l’article 122 de la LNT, les éléments constitutifs de la présomption sont établis. Le plaignant, un salarié, est en congé de maladie lorsque l’employeur lui impose une mesure de représailles, à savoir la cessation de ses prestations d’invalidité, lesquelles constituent un avantage dont bénéficient tous les salariés qui fait partie du cadre de travail du plaignant. En d’autres termes, cette première plainte est recevable et le plaignant bénéficie de la présomption de l’article 17 du Code.

La deuxième plainte du 7 décembre 2010

[130]    En ce qui concerne la deuxième plainte déposée selon l’article 122 de la LNT, soit celle du 7 décembre 2010 concernant le congédiement du 2 décembre 2010, elle est tout aussi recevable.

[131]    Cette fois, il ne s’agit pas d’une mesure de représailles imposée par l’employeur au plaignant, mais bien d’un congédiement. Quant à l’exercice par ce dernier d’un droit lui résultant de la LNT, la même conclusion que celle exposée précédemment s’impose. Le plaignant exerçait, de manière concomitante à son congédiement, le droit de s’absenter pour maladie.

[132]    Par ailleurs, ajoutons qu’en date du 2 décembre 2010, l’employeur a en main non seulement le certificat médical du médecin traitant du plaignant, mais aussi un rapport médical du 25 novembre 2010 de ce même médecin qui maintient l’arrêt de travail pour maladie d’une durée indéterminée en s’appuyant sur l’opinion médicale du spécialiste finalement consulté par le plaignant quelques jours plus tôt.

L’autre cause invoquée par l’employeur

[133]    L’employeur plaide que le plaignant a simulé ou exagéré sa maladie de même que ses incapacités en découlant. Ce faisant, il se serait soustrait à son obligation de travailler de même qu’à sa période de probation, ce qui constitue une faute grave justifiant son congédiement. Or, la preuve prépondérante présentée à l’audience ne permet pas de conclure ainsi.

[134]    En effet, la preuve non contredite démontre plutôt que la santé du plaignant se détériore dès le début 2010. Que l’employeur le sache ou l’ignore à cette époque importe peu. Il finit par l’apprendre au plus tard au mois d’août 2010, selon l’aveu même de monsieur Giuliani. Si ce dernier n’admet pas savoir exactement de quoi souffre le plaignant, il demeure que c’est après cela qu’il décide de lui remettre sa deuxième évaluation de rendement du 30 août 2010.

[135]    Même en tenant pour acquis que la survenance de cette deuxième évaluation est une pure coïncidence, les expertises médicales déposées en preuve ne permettent pas de retenir l’argument de l’employeur voulant que le plaignant ait simulé la maladie après la remise de cette évaluation.

[136]    À compter du mois d’août 2010, le médecin traitant du plaignant, Dr Villeneuve, conclut que les douleurs et malaises de ce dernier s’aggravent. Il lui prescrit de la médication et différents examens. Dr Dubé, radiologiste, conclut à la présence d’hernies discales et d’une sténose spinale. Dr Maurais, orthopédiste, abonde en ce sens.

[137]    Par ailleurs, Drs Villeneuve et Maurais considèrent que le plaignant n’est pas apte à reprendre son travail. Ils appuient cette conclusion tantôt sur les résultats des différents examens et traitements prescrits, tantôt sur les symptômes qui leur sont rapportés par le plaignant.

[138]    Bien que le neurochirurgien mandaté par l’employeur pour expertiser le plaignant en arrive à des conclusions différentes de celles des médecins du plaignant, cela n’apparaît pas suffisant pour conclure comme le souhaite l’employeur.

[139]    Lorsqu’il reçoit cette opinion divergente, de l’aveu même de monsieur Penna, l’employeur tente de concilier les rapports médicaux contradictoires. Pourtant, il ne termine pas ce processus. Il congédie le plaignant alors que la validation des rapports médicaux contradictoires est encore en cours.

[140]    En effet, le plaignant l’a averti à plus d’une reprise que son médecin traitant le dirigeait vers un spécialiste, en l’occurrence Dr Maurais, orthopédiste. Dr Villeneuve, dans son rapport du 25 novembre 2010, s’appuie sur les conclusions de cet orthopédiste pour maintenir l’arrêt de travail à durée indéterminée. Or, ni l’employeur ni son médecin expert ne s’enquièrent de ce qu’il advient de cette référence. Ils ne demandent pas plus à voir les notes de ce spécialiste. C’est pourtant lui qui traitera la pathologie du plaignant révélée par l’examen d’IRM du 16 août 2010, laquelle est à l’origine de son arrêt de travail.

[141]     Ainsi, l’employeur sait depuis le 25 novembre 2010 que le médecin traitant du plaignant, se basant sur l’avis d’un spécialiste, confirme l’incapacité de celui-ci à reprendre le travail. La seule preuve de l’employeur du désaccord de son spécialiste n’est pas suffisante pour convaincre la Commission qu’il était justifié de mettre fin à l’emploi du plaignant. En présence d’opinions médicales contradictoires, l’employeur doit apporter des éléments supplémentaires pour remplir son fardeau de faire une preuve prépondérante d’une cause juste et suffisante de congédiement (voir Flibotte c. Aciers Lalime inc.,  D.T.E. 2001T-317 [Bureau du commissaire général du travail]).

[142]    L’employeur soutient que le rapport de surveillance de Garda conforte son opinion selon laquelle le plaignant est apte à reprendre son travail. Pourtant, tant les films de la surveillance que le rapport de Garda viennent corroborer les explications du plaignant sur ce qu’il fait, ce qu’il a de la difficulté à faire et sur ce qu’il ne peut pas faire. À titre d’exemple, s’il déménage le 1er octobre, il ne participe pas à cette corvée. De même, il ne sort pas de sa résidence pendant plus de sept heures deux jours complets. Enfin, sa conjointe le conduit à plusieurs reprises la journée où il doit sortir pour aller chez son médecin et chercher ses prescriptions. S’il conduit à trois occasions, ce n’est que pour de courtes périodes.

[143]    Enfin, la preuve prépondérante indique également que l’employeur, lorsqu’il conclut que le plaignant est apte à travailler, ne lui a jamais demandé de retourner au travail. Cela est manifeste tant dans la lettre du 3 novembre 2010 qu’il lui envoie que dans le déroulement des événements par la suite.

[144]    Sur ce point, la Commission retient la première version donnée par l’employeur. Le revirement du témoignage de monsieur Penna en fin d’audience sur un rappel au travail potentiel entre les 22 octobre et 3 novembre n’est pas du tout crédible. Non seulement avait-il affirmé l’inverse avec conviction précédemment, mais cela n’est aucunement corroboré ni soutenu par la preuve.

[145]    En fait, lorsque l’employeur convoque le plaignant, par téléphone, à une rencontre devant avoir lieu le 6 décembre 2010, il a déjà pris la décision de le congédier. Et c’est d’ailleurs ce qu’il répond au plaignant quand ce dernier lui demande l’objet de la rencontre. Encore ici, il n’est jamais question d’un quelconque retour au travail.

[146]    Bref, l’employeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de faire une preuve prépondérante d’une autre cause, juste et suffisante au sens de l’article 17 du Code, justifiant la cessation du versement des prestations d’invalidité au plaignant, le 21 octobre 2010, ni son congédiement du 2 décembre suivant.

La réintégration

[147]    La réintégration est la règle en matière de congédiement illégal selon l’article 122 de la LNT. La Commission rappelle les principes applicables en la matière dans la décision Lavoie c. Avensys inc. (Omnitronix ltée), 2004 QCCRT 0568  :

[19]      Dans le cas d'un congédiement illégal en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes du travail, qui diffère d'un congédiement fait sans cause juste et suffisante et qui peut être contesté en vertu de l'article 124 de cette dernière loi, la mesure de réparation qui s'applique est la réintégration. Le principal objectif de cette mesure de réparation est de permettre au salarié de reprendre son emploi, avec tous ses droits et privilèges (Syndicat international des travailleurs unis de l'automobile, de l'aéronautique, de l'astronautique et des instruments aratoires d'Amérique (T.U.A.) section locale 1450 c. Mussens Equipment Ltd [1978] C.S. 485 ). Les seules exceptions à cette règle relèvent de l'impossibilité absolue survenue entre le congédiement et la décision de la Commission, comme la fermeture définitive de l'entreprise (Produits Coq d'Or ltée c. Lévesque, D.T.E. 84T-176 ) ou son transfert sous la compétence fédérale (Alltour Marketing Support Services Ltd c. Perras, D.T.E. 83T-855 ).

(Soulignement ajouté)

(Note : La décision a été cassée en révision judiciaire [(C.S.) AZ-50332177], mais la Cour d’appel a accueilli l’appel et a rétabli la décision de la Commission, AZ-50376375 ).

[148]    Dans le présent litige, il n’y a aucune preuve d’une telle impossibilité absolue.

lES plainteS en vertu de l’article 124 de la LNT

[149]    Afin de recourir à la plainte selon l’article 124 de la LNT, le plaignant doit être un salarié, avoir deux ans de service continu, croire avoir fait l’objet d’un congédiement et ne pas bénéficier d’une autre procédure de réparation. Lorsque ces conditions d’ouverture de ce recours sont prouvées ou admises, il revient à l’employeur de faire la preuve de l’existence d’une cause juste et suffisante justifiant le congédiement.

[150]    En l’espèce, la première plainte déposée selon l’article 124 de la LNT le 25 octobre 2010 est prématurée : tel qu’expliqué précédemment, la preuve révèle que le plaignant n’a été congédié que le 2 décembre 2010.

[151]     Par contre, la plainte déposée le 7 décembre 2010 en vertu de l’article 124 de la LNT doit être accueillie et ce, pour les mêmes motifs que ceux énoncés concernant les plaintes prenant appui sur l’article 122 de la LNT. Un motif illégal de congédiement aux termes de l’article 122 de le LNT ne saurait constituer une cause juste et suffisante de congédiement selon l’article 124 de la même loi.

[152]     À l’égard de cette plainte selon l’article 124 de la LNT, il y a également lieu pour la Commission de réserver sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées autres que la réintégration et le paiement du salaire et des avantages perdus, comme le permet l’article 128 de cette loi et tel qu’il en a été convenu par les parties advenant l’accueil de cette plainte.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      les objections à la production en preuve du rapport de Garda du 19 octobre 2010 et du DVD de filature afférent, ainsi qu’aux témoignages et parties de témoignages portant sur ces documents;

ACCUEILLE                  les plaintes CM-2010-5439 et CM-2011-1207 prenant appui sur l’article 122 de la Loi sur les normes du travail déposées respectivement les 25 octobre et 7 décembre 2010 par Sylvain Duval;

REJETTE                      la plainte CM-2010-5437 prenant appui sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail déposée le 25 octobre 2010 par Sylvain Duval;

ACCUEILLE                  la plainte CM-2011-1208 prenant appui sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail déposée le 7 décembre 2010 par Sylvain Duval;

ANNULE                        la mesure de représailles imposée à Sylvain Duval le 21 octobre 2010;

ANNULE                        le congédiement imposé à Sylvain Duval le 2 décembre 2010;

ORDONNE                    à Elopak Canada inc. de réintégrer Sylvain Duval dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision;

ORDONNE                    à Elopak Canada inc. de verser à Sylvain Duval à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’ont privé la mesure de représailles du 21 octobre 2010 ainsi que le congédiement du 2 décembre 2010, maintenant annulés;

RÉSERVE                     sa compétence pour déterminer les autres mesures de réparation appropriées.

 

 

 

__________________________________

Mylène Alder

 

Me Anne Côté

RIVEST, TELLIER, PARADIS

Représentante du plaignant

 

Me Claude-Jean Denis

DUFRESNE HÉBERT COMEAU INC.

Représentant de l’intimée

 

 

Date de la dernière audience : 7 juin 2012

 

 

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