Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit de jugement pour la cour d'appel
COUR D'APPEL
 
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE
MONTRÉAL

N° : 500-09-012211-025

(500-05-066286-012)
 

DATE : 24 SEPTEMBRE 2002

 
 

CORAM: LES HONORABLES PAUL-ARTHUR GENDREAU J.C.A.
THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.
JOSEPH R. NUSS J.C.A.

 
 
VILLE DE LONGUEUIL (la nouvelle Ville de Longueuil succède sans reprise d'instance, aux droits et charges de la Ville de Boucherville)
APPELANTE - (Défenderesse)
c.
 
CARQUEST CANADA LTÉE
INTIMÉE - (Demanderesse)
Et
INTERNORTH CONSTRUCTION COMPANY
-et-
CEGERCO CONSTRUCTEUR INC.
-et-
PROTECTION D'INCENDIE VIPOND INC.
MISES EN CAUSE - (Défenderesses)
 
 
ARRÊT
 
 

1. LA COUR, statuant sur la permission d'appeler et le pourvoi contre un jugement interlocutoire de la Cour supérieure, district de Montréal, rendu le 4 avril 2002 par l'honorable Israel S. Mass, qui a rejeté la requête en irrecevabilité de l'appelante fondée sur la prescription du recours contractuel des intimés.

2. Après étude du dossier, audition et délibéré;

3. Pour les motifs énoncés par la juge Rousseau-Houle et auxquels souscrivent les juges Gendreau et Nuss;

4. ACCUEILLE la requête pour permission d'appeler, sans frais;

5. REJETTE le pourvoi avec dépens dans les deux Cours.
 
   
  PAUL-ARTHUR GENDREAU J.C.A.
   
   
  THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.
 
 
  JOSEPH R. NUSS J.C.A.
 
Me Pierre Le Page,
Me Pierre-André Côté
(Bélanger, Sauvé)
Pour l'appelante;
 
Me Simon Richard
(Stikeman, Elliott)
Pour l'intimée;
 
Me Pascale Pageau
(Brouillette, Charpentier, Fortin)
Pour les mises en cause Internorth et Cegerco;
 
Me Jasmin Lefebve (absent)
(De Grandpré, Chait)
Pour la mise en cause Protection d'incendie Vipond).
 
 
Date d'audience : 11 septembre 2002


 
MOTIFS DE LA JUGE ROUSSEAU-HOULE
 
 

6. Poursuivie en dommages-intérêts par la société Carquest Canada inc., la Ville de Boucherville a opposé un moyen de non-recevabilité fondé sur la règle de prescription énoncée à l'article 586 de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., c. C-19 (désormais: la LCV).

7. Avant sa modification, le 22 octobre 1999, par le paragraphe 76 de l'article 51 de la Loi concernant l'harmonisation au Code civil des lois publiques, L.Q. 1999, c. 40, l'article 586 se lisait:

586.  Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l'un de ses fonctionnaires ou employés pour dommages résultant de délits, de quasi-délits ou d'illégalités est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d'action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

8.
Le paragraphe 76 de l'article 51 de la Loi d'harmonisation est ainsi libellé:

760  le remplacement, à l'article 586, des mots «dommages résultant de délits, de quasi-délits» par les mots «dommages-intérêts résultant de fautes»;

9.
Suite à cette modification, l'article 586 LCV se lit désormais:

586.  Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l'un de ses fonctionnaires ou employés pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d'illégalités est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d'action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

10.
Puisque le terme «faute» est utilisé tant en matière contractuelle qu'extracontractuelle, la ville a plaidé que la nouvelle disposition modifiait le droit antérieur et que les actions fondées sur la responsabilité contractuelle des villes étaient dorénavant assujetties au court délai de six mois.

11. Le juge de la Cour supérieure a rejeté la requête en irrecevabilité de la ville. Après avoir analysé les prétentions des parties et révisé les grands principes d'interprétation des lois, il a conclu «que l'intention du législateur, en adoptant la Loi d'harmonisation, était de modifier la forme du droit sans en modifier le fond».

12. La juge Deschamps, alors de notre Cour, a déféré la requête pour permission d'appeler à une formation de la Cour en demandant aux avocats d'être prêts à plaider le fond de la question si la permission d'appeler était accordée.

13. La requête pour permission d'appeler pourrait être déclarée prématurée parce qu'elle conteste un jugement interlocutoire qui ne remplit pas les conditions de l'article 29 C.p.c. Il est de jurisprudence constante que le jugement qui rejette une requête en irrecevabilité n'est pas un interlocutoire susceptible d'appel, sauf sur les questions de compétence(1)
.

14.
Certains arrêts de notre Cour ont toutefois reconnu que l'on pouvait passer outre à cette règle et accorder la permission d'appeler lorsque les faits de la cause n'étaient pas contestés ou encore lorsque l'appel portait sur une question d'interprétation de droit nouveau.

15. Ainsi, dans l'arrêt Vanier (Ville de) c. Canac-Marquis Grenier Ltée, (1989) R.D.J. 214 , le juge LeBel a autorisé l'appel d'une ordonnance incidente de la Chambre de l'expropriation de la Cour du Québec parce que l'appelante voulait faire déterminer l'interprétation de l'article 65 de la Loi sur l'expropriation. Il a estimé que malgré l'article 29 C.p.c., il était dans l'intérêt de la justice que le pourvoi soit autorisé parce que l'appel posait des questions de droit relativement nouvelles portant sur un problème d'intérêt public.

16. La permission d'appeler a également été accordée dans l'affaire Smiley c. Rowantree, (1996) R.D.J. 62 (C.A.). Le juge Bisson, écrivant l'opinion de la Cour, s'est exprimé comme suit:

Il faut noter qu'il est de jurisprudence constante que le jugement qui rejette une requête en irrecevabilité n'est pas un interlocutoire susceptible d'appel parce que ne remplissant pas les conditions de l'article 29 du Code de procédure civile, sauf les cas de la compétence d'un tribunal par rapport à un autre et de l'absence de compétence des tribunaux judiciaires de même que celui de la litispendance.

Si la formation du 7 juillet 1995 a accordé la permission de se pourvoir c'est qu'exceptionnellement elle a considéré que même si jusqu'au 31 décembre 1993 il était de jurisprudence constante qu'il fallait procéder par action pour obtenir la destitution d'un exécuteur testamentaire, il y avait lieu de réexaminer le véhicule procédural à la lumière du droit nouveau entré en vigueur le 1er janvier 1994.

C'est donc dans cette optique qu'exceptionnellement la cour s'est saisie de l'appel du jugement interlocutoire du 10 avril 1995 refusant d'accueillir la requête en irrecevabilité de l'appelant.

17.
Je suis d'avis que cette jurisprudence peut être appliquée en l'espèce et qu'il est dans l'intérêt de la justice que le pourvoi soit autorisé. Pour les motifs qui suivent, je propose toutefois de rejeter ce pourvoi.

18. En effet, il appert, tant des notes explicatives de la Loi d'harmonisation que des propos de la ministre de la Justice lors des débats parlementaires, que cette loi visait à faire des ajustements mineurs de nature majoritairement terminologique.

19. En adoptant cette loi, le législateur a modifié plus de 8 000 articles dans 350 lois. Toutes les étapes ayant mené à la sanction de la loi, le 22 octobre 1999, n'ont pas fait l'objet de plus de deux heures de débat à l'Assemblée nationale. Ces débats lus avec la réserve qui s'impose, puisqu'ils ne constituent pas toujours une source fidèle de l'intention du législateur(2)
, font clairement état à plusieurs reprises de l'intention du gouvernement de n'apporter que des modifications de pure forme qui n'ont pas pour objet de modifier la substance du droit actuel.

20.
Il a toujours existé une disparité dans la Loi des cités et villes entre les régimes contractuels et extracontractuels. Les avis et les courts délais de prescription en matière extracontractuelle ont été institués afin de permettre aux municipalités de faire les enquêtes nécessaires pour déterminer, dans un délai raisonnable après la naissance du droit d'action, le fondement de ce dernier ainsi que les circonstances et les faits pouvant engager leur responsabilité(3) .

21.
En matière contractuelle, il n'existe aucune justification pour faire bénéficier les villes d'un traitement particulier. On constate d'ailleurs que la tendance du législateur est plutôt de réduire le nombre et la portée des dispositions exorbitantes du droit commun en matière de prescription conférant aux villes des avantages particuliers. L'article 2930 C.c.Q. qui maintient le délai de prescription de trois ans, lorsque l'action est fondée sur l'obligation de réparer le préjudice corporel à autrui, le démontre(4) . On ne saurait donc présumer que parce que le législateur a omis de qualifier le mot «faute», il a eu l'intention de déroger au droit préexistant et faire passer le délai de prescription de trois ans à six mois.

22.
On note incidemment que le mot «faute» que l'on retrouve à l'alinéa 7 de l'article 585 C.V. n'a pas été qualifié. Or, il vise à l'évidence la faute extracontractuelle. Sous le régime du Code civil, un aperçu non exhaustif des articles(5) où le mot «faute» apparaît démontre qu'il est généralement employé seul et qu'il faut s'en remettre au contexte pour déterminer s'il désigne une faute contractuelle ou extracontractuelle ou à la fois l'une et l'autre.

23.
En raison des bouleversements que cela aurait créés, il est raisonnable de supposer que le législateur n'aurait pas fait un changement aussi important sans manifester de façon absolument claire son intention à cet effet et sans prévoir des mesures transitoires(6) . Une modification à des règles de prescription entraîne presque toujours des règles transitoires et ce, afin de prévoir l'application des nouvelles dispositions aux situations juridiques en cours.

24.
Or, la Loi d'harmonisation ne contient aucune disposition transitoire visant à régler les conflits potentiels que créerait une modification du délai de prescription en matière contractuelle. L'auteur P.A. Côté mentionne, à cet égard, que la jurisprudence hésite avec raison, semble-t-il, à appliquer à d'autres lois les principes et des règles de droit transitoire qu'énonce la Loi sur l'application de la réforme du Code civil en l'absence de disposition législative les rendant applicables(7) .

25.
Je suis donc d'avis que la question de la prescription que les parties ont plaidée au fond devant notre Cour doit être résolue comme en a décidé le premier juge.

26. Pour ces motifs, je propose d'accueillir la permission d'appeler, sans frais; de confirmer le jugement de la Cour supérieure rejetant la requête en irrecevabilité et de déclarer que l'action en dommages-intérêts contractuels formée contre l'appelante n'est pas prescrite. Le tout avec dépens dans les deux Cours.
 
   
  THÉRÈSE ROUSSEAU-HOULE J.C.A.


1. Martineau c. Caron, (1995) R.D.J. 275 (C.A.); Québec (Communauté urbaine) Corporation Adélaïde Capital, J.E. 97-618 (C.A.Q. 200-09-001255-972); Michel Guimont entrepreneur Électricien Ltée c. Fine Pointe Tech inc. et Al, (C.A.M. 500-17-009918-015, 18 mai 2001, J. Robert).

2. Construction Gilles Paquette c. Entreprises Vego ltée, [1997] 2 R.C.S. 299 ; Doré c. Ville de Verdun, [1997] 2 R.C.S. 862 .

3. A. NADEAU, Traité de droit civil du Québec, t. 8, «La responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle», Montréal, Wilson & Lafleur, 1949, p. 582.

4. Voir Doré c. Ville de Verdun, précité note 2.

5. Articles 1457, 1459, 1461, 1463, 1465, 1471, 1478, 1480, 1481, 1526, 1613, 1701, 1703, 1706, 1727, 1862, 2037, 2038, 2164, 2301, 2464, 2576.

6. Voir: P.A. CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Éd. Thémis, 1999, p. 636 et ss.; voir: Commission de la construction du Québec c. Gastier, J.E. 98-2264 (C.A.) et Banque de la Nouvelle Écosse c. Cohen, J.E. 99-957 (C.A.) pour l'examen de l'incidence de la réduction d'un délai de prescription sur une situation juridique en cours.

7. Idem, p. 147.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.