Droit de la famille — 222215 | 2022 QCCA 1719 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-12-341873-192) | |||||
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DATE : | 21 décembre 2022 | ||||
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S… L… | |||||
APPELANTE – demanderesse | |||||
c. | |||||
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J… T… | |||||
INTIMÉ – défendeur | |||||
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[1] L’intimé demande le rejet de l’appel entrepris à l’égard du jugement du 10 août 2022 de l’honorable Karen Kear Jodoin de la Cour supérieure, district de Montréal, qui prononce le divorce des parties et qui règle les mesures accessoires du divorce, notamment à l’égard du partage du patrimoine familial et de la dissolution du régime matrimonial.
[2] L’intimé soutient que l’appel est tardif. Il ajoute aussi qu’il est voué à l’échec. Finalement, à défaut d’obtenir le rejet de l’appel, il demande un cautionnement en appel pour un montant de 4 000 000 $.
[3] Par ailleurs, l’appelante a présenté à l’audition une demande verbale en prorogation du délai d’appel advenant que la Cour vienne à la conclusion que l’appel est tardif.
[4] Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Healy et Cotnam, LA COUR :
[5] DÉCLARE l’appel entrepris irrégulièrement formé;
[6] ACCUEILLE la demande verbale de l’appelante pour une prorogation du délai d’appel afin de corriger cette irrégularité;
[7] PERMET à l’appel de procéder sur le fondement de la déclaration d’appel déjà dans le dossier de la Cour;
[8] REJETTE la demande en rejet d’appel;
[9] REJETTE la demande subsidiaire de cautionnement en appel;
[10] LE TOUT sans frais de justice vu la nature du litige.
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| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. | |
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| PATRICK HEALY, J.C.A. | |
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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Me Diane Brais | ||
Me Georgette Charlotte Dahak-El-Ward | ||
BRAIS ET ASSOCIÉS | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Pamela O’Reilly | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 12 décembre 2022 | |
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MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
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[11] L’intimé demande le rejet de l’appel entrepris à l’égard du jugement du 10 août 2022 de l’honorable Karen Kear Jodoin de la Cour supérieure, district de Montréal. Au terme d’un délibéré, ce jugement prononce le divorce des parties, procède au partage du patrimoine familial, dissout le régime matrimonial, rejette la demande pour une ordonnance alimentaire au profit de l’intimé, fixe les modalités des aliments assumés par les parties pour leur enfant majeur et rejette la demande de provision pour frais formulée par l’intimé.
[12] Dans sa déclaration d’appel, l’appelante conteste plusieurs des ordonnances et conclusions de ce jugement portant sur le partage du patrimoine familial et sur la dissolution du régime matrimonial.
[13] L’intimé soutient que l’appel est tardif. Il ajoute aussi qu’il est voué à l’échec. Finalement, à défaut d’obtenir le rejet de l’appel, il demande un cautionnement en appel pour un montant de 4 000 000 $. À l’audition de cette requête, l’appelante a présenté une demande verbale pour permission d’appeler hors délai advenant le cas où la Cour décide que l’appel est tardif.
Les délais d’appel
[14] L’intimé avance que l’appel est irrégulièrement formé selon les règles énoncées aux paragraphes 21(2) et 21(3) de la Loi sur le divorce[1] qui prévoient qu’il « ne peut être fait appel d’un jugement qui accorde le divorce à compter du jour où celui-ci prend effet » et qu’il « ne peut être fait appel d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi plus de trente jours après le jour où elle a été rendue ». L’appel du jugement du 10 août 2022 expirait donc au plus tard le 9 septembre 2022. Or, la déclaration d’appel fut déposée le 19 octobre 2022 et il en résulte que l’appel est tardif.
[15] L’appelante soutient plutôt que c’est l’article 360 du Code de procédure civile (« C.p.c. ») qui s’applique. Cet article prévoit que la « partie qui entend porter un jugement en appel est tenue de déposer sa déclaration d’appel avec, s’il y a lieu, sa demande de permission d’appeler, dans les trente jours de la date de l’avis du jugement ou de la date du jugement si celui-ci a été rendu à l’audience ». Or, l’avis de jugement dans ce cas-ci est daté du 19 septembre 2022, ce qui fait en sorte que la déclaration d’appel du 19 octobre 2022 fut déposée dans les délais prescrits.
[16] Laquelle des parties a raison?
[17] La réponse à cette question simple est pourtant complexe puisque bien que le mariage et le divorce relèvent de la compétence fédérale[2], les régimes matrimoniaux et le patrimoine familial relèvent plutôt de la compétence provinciale sur la propriété et les droits civils dans la province[3]. De plus, pour les fins d’un appel, la Loi sur le divorce distingue entre le jugement qui accorde le divorce et les ordonnances rendues en vertu de cette loi. Cette question n’a pas été directement traitée depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile le 1er janvier 2016 qui introduit pour la première fois la notion d’avis de jugement en vertu de l’article 360 C.p.c. Il y a maintenant lieu d’y répondre.
[18] Trois cas de figure peuvent se présenter dans le cadre de l’appel d’un jugement de divorce, soit : 1) l’appel du jugement qui prononce le divorce; 2) l’appel des ordonnances rendues en vertu de la Loi sur le divorce; et 3) l’appel des conclusions du jugement portant sur des matières qui ne sont pas prévues par la Loi sur le divorce, mais qui découlent du divorce des parties, notamment la dissolution du régime matrimonial et le partage du patrimoine familial. Examinons-les tour à tour.
[19] Le paragraphe 21(1) de la Loi sur le divorce prévoit l’appel en vertu de cette loi, tandis que le paragraphe 21(6) ajoute que, sauf disposition contraire, cet appel est formé, instruit et décidé selon la procédure habituelle applicable aux appels interjetés devant la Cour :
21 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), les jugements ou ordonnances rendus par un tribunal en application de la présente loi, qu’ils soient définitifs ou provisoires, sont susceptibles d’appel devant une cour d’appel. | 21 (1) Subject to subsections (2) and (3), an appeal lies to the appellate court from any judgment or order, whether final or interim, rendered or made by a court under this Act.
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(6) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de ses règles ou règlements, l’appel prévu au présent article est formé et instruit, et il en est décidé, selon la procédure habituelle applicable aux appels interjetés devant la cour d’appel contre les décisions du tribunal qui a rendu l’ordonnance ou le jugement frappés d’appel. | 21. (6) Except as otherwise provided by this Act or the rules or regulations, an appeal under this section shall be asserted, heard and decided according to the ordinary procedure governing appeals to the appellate court from the court rendering the judgment or making the order being appealed.
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[Soulignement ajouté] | (Emphasis added) |
[20] C’est ainsi que dans l’arrêt Droit de la famille — 121718[4], la Cour conclut que les dispositions du Code de procédure civile qui portent sur les permissions d’appel s’appliquent aux jugements interlocutoires prononcés en vertu de la Loi sur le divorce. Selon cet arrêt, les paragraphes 21(1) et (6) de la Loi sur le divorce font en sorte que l’appel d’une ordonnance provisoire rendue en vertu de la Loi sur le divorce est assujetti aux règles de la permission d’appel que la loi provinciale impose pour la formation d’un appel. La Cour reprend à cet égard le raisonnement de la Cour d’appel de l’Ontario dans Elgner v. Elgner[5].
[21] Or, le raisonnement de l’arrêt Droit de la famille — 121718 repose sur la prémisse qu’aucune disposition contraire de la Loi sur le divorce, de ses règles ou de ses règlements n’empêche l’application des règles du droit provincial exigeant une permission d’appel pour les jugements interlocutoires. Le raisonnement de cet arrêt s’appuie également sur la prémisse que la doctrine de la prépondérance fédérale ne s’applique pas en cas de chevauchement d’une loi fédérale (en l’occurrence la Loi sur le divorce) et d’une loi provinciale (en l’occurrence le Code de procédure civile) tant qu’il est possible de s’y conformer simultanément et que la loi provinciale ne frustre pas l’objectif de la loi fédérale[6]. La juge Gillese de la Cour d’appel de l’Ontario s’exprime d’ailleurs comme suit à cet égard dans Elgner v. Elgner[7] :
[49] As I have explained above, compliance with both s. 21 of the Divorce Act and s. 19(1) of the CJA [Courts of Justice Act, R.S.O. 1990, c. C.43] is possible. A party may comply with both by applying for leave to appeal pursuant to s. 19(1)(b) of the CJA. Furthermore, again for the reasons given above, s. 19(1) does not frustrate the federal purpose behind s. 21 of the Divorce Act. As the two provisions operate harmoniously, the doctrine of paramountcy is not engaged.
[22] Ce n’est cependant pas le cas lorsqu’il s’agit des délais d’appel prévus par la Loi sur le divorce, puisque cette loi énonce des délais clairs et impératifs pour instituer un appel. Il s’agit d’une question à la fois de droit substantif et de compétence de la Cour. Ces délais d’appel doivent donc être respectés et ne peuvent être modifiés par les règles de la procédure provinciale.
[23] Quant au jugement qui accorde le divorce, il y a lieu de se référer aux paragraphes 12(1) à (3), aux articles 13 et 14 et au paragraphe 21(2) de la Loi sur le divorce :
12 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, le divorce prend effet le trente et unième jour suivant la date où le jugement qui l’accorde est prononcé. | 12 (1) Subject to this section, a divorce takes effect on the thirty-first day after the day on which the judgment granting the divorce is rendered. |
(2) Le tribunal peut, lors du prononcé du jugement de divorce ou ultérieurement, ordonner que le divorce prenne effet dans le délai inférieur qu’il estime indiqué, si les conditions suivantes sont réunies : | (2) Where, on or after rendering a judgment granting a divorce,
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a) à son avis, le délai devrait être réduit en raison de circonstances particulières;
| (a) the court is of the opinion that by reason of special circumstances the divorce should take effect earlier than the thirty-first day after the day on which the judgment is rendered, and |
b) les époux conviennent de ne pas interjeter appel du jugement ou il y a eu abandon d’appel.
| (b) the spouses agree and undertake that no appeal from the judgment will be taken, or any appeal from the judgment that was taken has been abandoned, |
| the court may order that the divorce takes effect at such earlier time as it considers appropriate. |
(3) Un divorce en instance d’appel à la fin du délai mentionné au paragraphe (1), sauf s’il est annulé en appel, prend effet à l’expiration du délai fixé par la loi pour interjeter appel de l’arrêt rendu sur l’appel ou tout appel ultérieur, s’il n’y a pas eu appel dans ce délai. | (3) A divorce in respect of which an appeal is pending at the end of the period referred to in subsection (1), unless voided on appeal, takes effect on the expiration of the time fixed by law for instituting an appeal from the decision on that appeal or any subsequent appeal, if no appeal has been instituted within that time. |
13 À sa prise d’effet, le divorce accordé en application de la présente loi est valide dans tout le Canada. | 13 On taking effect, a divorce granted under this Act has legal effect throughout Canada. |
14 À sa prise d’effet, le divorce accordé en application de la présente loi dissout le mariage des époux. | 14 On taking effect, a divorce granted under this Act dissolves the marriage of the spouses. |
21 (2) Il ne peut être fait appel d’un jugement qui accorde le divorce à compter du jour où celui-ci prend effet. | 21 (2) No appeal lies from a judgment granting a divorce on or after the day on which the divorce takes effect. |
[24] La Loi sur le divorce prévoit donc que le divorce prend effet le 31e jour suivant la date où le jugement qui l’accorde est prononcé, à moins qu’il soit porté en appel avant cette date. Ce délai est impératif, puisqu’aucune prorogation pour porter en appel le jugement qui accorde le divorce n’est prévue par la Loi sur le divorce, le paragraphe 21(4) de cette loi ne permettant une prorogation que pour les ordonnances visées par le paragraphe 21(3) et non pas pour un jugement qui accorde le divorce visé par le paragraphe 21(2)[8].
[25] Comme on peut aisément le constater, le jugement qui prononce le divorce ne pourrait être porté en appel dans les 30 jours suivant l’avis de jugement prévu à l’article 360 C.p.c. sans modifier la structure de la Loi sur le divorce. Ainsi, puisque l’avis de jugement est généralement émis à une date subséquente à celle du jugement, calculer le délai d’appel conformément à l’article 360 C.p.c. permettrait à une partie de porter en appel un jugement qui accorde le divorce après que le divorce ait pris effet et ait été rendu exécutoire selon la Loi sur le divorce, ce qui serait un non-sens dans le contexte de cette loi.
[26] La Loi sur le divorce ne se limite pas au prononcé du divorce entre les parties. Elle prévoit aussi des ordonnances provisoires ou définitives qui peuvent être rendues en vertu de cette loi. Sans énumérer tous les types d’ordonnances en vertu de la Loi sur le divorce, il convient d’identifier notamment : a) les ordonnances alimentaires au profit d’un enfant[9]; b) les ordonnances alimentaires au profit d’un époux[10]; c) les ordonnances parentales[11]; d) les ordonnances de contact[12]; et e) l’autorisation d’un déménagement important[13].
[27] Le délai pour porter en appel ces ordonnances est de 30 jours à compter du jour où l’ordonnance a été rendue, à moins que la Cour ou l’un de ses juges ne proroge ce délai. Les paragraphes 21(3) et 21(4) de la Loi sur le divorce en disposent ainsi :
21 (3) Il ne peut être fait appel d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi plus de trente jours après le jour où elle a été rendue. | 21 (3) No appeal lies from an order made under this Act more than thirty days after the day on which the order was made. |
(4) Une cour d’appel ou un de ses juges peuvent, pour des motifs particuliers, et même après son expiration, proroger par ordonnance le délai fixé par le paragraphe (3). | (4) An appellate court or a judge thereof may, on special grounds, either before or after the expiration of the time fixed by subsection (3) for instituting an appeal, by order extend that time. |
[28] C’est donc du jour où l’ordonnance est rendue que le délai d’appel de 30 jours prévu par la Loi sur le divorce se calcule. Après l’expiration de ce délai, l’ordonnance ne peut plus être portée en appel à moins qu’une prorogation soit accordée conformément au paragraphe 21(4) de la loi. Il en résulte que le délai d’appel ne peut se calculer selon l’avis de jugement prévu à l’article 360 C.p.c., puisque la Loi sur le divorce prévoit déjà un autre délai d’appel qui est incompatible avec celui énoncé au Code de procédure civile. À cet égard, l’article 517 du Code civil du Québec stipule que les règles du Code de procédure civile ne s’appliquent aux demandes en divorce que « dans la mesure où elles sont compatibles avec la loi canadienne ». Ce n’est pas le cas des délais d’appel.
[29] Cela étant, d’autres conclusions peuvent aussi découler d’un jugement de divorce sans nécessairement qu’elles soient rendues en vertu de la Loi sur le divorce. En effet, lorsque le divorce prend effet, celui-ci dissout le mariage des époux[14]. Cette dissolution produit des effets juridiques importants sur le patrimoine des ex-époux, lesquels effets sont régis par le droit provincial, plus particulièrement le Code civil du Québec. Ainsi, en vertu du Code civil du Québec, la dissolution du mariage par le divorce emporte : 1) la dissolution du régime matrimonial[15]; 2) le partage du patrimoine familial[16]; et 3) la possibilité d’octroyer une prestation compensatoire à l’un des ex-époux[17]. L’article 453 C.p.c. stipule aussi qu’au moment du prononcé du divorce, le tribunal statue au même moment sur les questions relatives au patrimoine familial et aux autres droits patrimoniaux résultant du mariage, à moins que les circonstances justifient de se prononcer ultérieurement.
[30] Ainsi, il n’est pas rare dans le cadre d’un jugement prononçant le divorce que le tribunal énonce aussi des conclusions afin de régler les différends qui peuvent survenir dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial ou du partage du patrimoine familial; les tribunaux peuvent aussi prévoir une prestation compensatoire dans les cas qui s’y prêtent. Bien qu’elles puissent être contenues dans le jugement qui prononce le divorce et accompagnées d’ordonnances rendues en vertu de la Loi sur le divorce, ces conclusions relèvent du droit provincial – plus particulièrement du Code civil du Québec – et non pas de la Loi sur le divorce. On pourrait donc croire que l’appel de ces conclusions de droit civil serait prévu et régi par le Code de procédure civile, dont l’article 360 C.p.c.[18]. Or, la Cour et la Cour suprême du Canada ont plutôt favorisé l’unicité de la procédure d’appel dans de tels cas, faisant primer celle prévue par la Loi sur le divorce sur celle prévue par l’ancien Code de procédure civile lorsque les conclusions recherchées s’inscrivaient dans le cadre d’une instance en divorce et découlaient du divorce.
[31] Ainsi, dans l’affaire Droit de la famille – 223[19], le juge LeBel (appuyé des juges Kaufman et Bisson) devait décider pour la Cour si l’appel des conclusions d’un jugement de divorce déclarant exécutoire une donation et ordonnant le paiement d’une prestation compensatoire – des mesures qui découlent du droit provincial – était régi par le Code de procédure civile ou par la Loi sur le divorce.
[32] Après avoir discuté du contexte constitutionnel particulier dans lequel s’inscrivent le mariage et le divorce et les problèmes procéduraux qui peuvent en résulter, le juge LeBel conclut que ce sont les délais d’appel et la procédure d’appel prévus par la Loi sur le divorce qui doivent s’appliquer dans un tel cas. Il s’agit d’assurer que la procédure d’appel soit cohérente et régie par les mêmes règles dans tous les cas où le jugement porté en appel est rendu dans le cadre d’une instance en divorce et les conclusions contestées découlent du divorce. Voici quelques extraits des motifs du juge LeBel[20] :
L'examen de ces problèmes m'amène à favoriser une autre interprétation qui me paraît d'ailleurs compatible avec les dispositions législatives applicables. Cette interprétation suppose que le législateur connaissait le contexte législatif dans lequel il légiférait et voulait assurer sa cohérence. Cette présomption de cohérence est moins forte entre les lois fédérales et provinciales. On doit quand même supposer une certaine volonté législative d'harmonisation de la législation. Cette volonté de cohérence comporte aussi celle de simplifier l'application de la loi plutôt que de multiplier les accrochages et les problèmes procéduraux. En édictant que la prestation compensatoire était accordée au moment où le tribunal prononçait le divorce, on peut conclure que le législateur s'en remettait à la procédure existante, soit celle de la Loi sur le divorce. Il adoptait par référence la procédure prévue par cette loi en utilisant le véhicule du divorce pour faire reconnaître le cas échéant, le droit à la prestation compensatoire.
En dépit de leur importance monétaire parfois considérable et même s'ils représentent souvent le débat principal, les conflits relatifs à la prestation compensatoire et à la révocation des donations constituaient pour lui un accessoire de la procédure de divorce. Le législateur provincial acceptait à l'avance que celle-ci régisse l'ensemble de l'instance à laquelle il greffait les procédures nécessaires au règlement des conflits patrimoniaux soulevées par la prestation compensatoire ou les réclamations sur les donations.
Le plaideur recourt à la procédure de divorce pour disposer de ces questions. Il accepte alors le régime procédural de la Loi sur le divorce.
Dans cette solution, le délai et la procédure d'appel prévus par cette loi s'appliqueraient également à l'ensemble des incidents et des questions juridiques vidées à l'occasion du divorce. L'acte d'appel serait unique. Il serait logé dans le même délai et s'il y a lieu la cour pourrait utiliser le pouvoir prévu à l'article 17(4) de la Loi sur le divorce pour accorder une extension du délai. Les interlocutoires demeureraient appelables conformément à la Loi sur le divorce. Un avis d'appel logé, comme dans l'espèce, sous l'autorité de la Loi sur le divorce pour réclamer l'annulation d'une condamnation à une prestation compensatoire et à l'exécution de donations, serait réputé régulièrement formé s'il était déposé au greffe des appels, dans les délais prévus par la Loi sur le divorce.
[Soulignement ajouté; renvois omis]
[33] Cette approche fut entérinée par la Cour suprême dans l’arrêt Lacroix c. Valois[21]. Le juge Gonthier s’exprime comme suit pour une cour unanime[22] :
L'intimé fait état d'une controverse en Cour d'appel sur la question de la procédure appropriée en cas de pourvoi formé à l'encontre d'un jugement de la Cour supérieure qui dispose à la fois de questions régies par la Loi sur le divorce et de questions régies par les Codes civils. Suite à une certaine période d'incertitude […], la Cour d'appel a disposé de cette question dans un arrêt de principe rendu à l'occasion de l'affaire Droit de la famille—203, [1985] C.A. 339. Soulignant que la prestation compensatoire prend la forme d'un accessoire lorsqu'elle est ordonnée dans un jugement de divorce, le juge LeBel statuait que la procédure établie par la loi fédérale était applicable à tous les incidents réglés dans le cadre des procédures de divorce.
Je suis d'accord pour affirmer que le dépôt de l'inscription en appel fait conformément à la procédure établie dans la Loi sur le divorce est valable à l'égard de toutes les questions dont il est disposé dans un jugement de divorce, y compris l'adjudication d'une prestation compensatoire. La possibilité est bien admise d'intégrer la demande de prestation compensatoire aux procédures prévues pour le divorce en première instance; les termes de l'art. 559 C.c.Q. sont à cet égard incontournables. Il m'apparaît tout naturel qu'il en aille de même pour la procédure applicable aux appels. Il n'est manifestement pas opportun de créer une scission procédurale obligatoire au niveau de l'appel relativement au traitement de questions dont la disposition est intimement liée en première instance.
[Soulignement ajouté]
[34] Ces arrêts visent manifestement à simplifier et à uniformiser l’appel d’un même jugement en évitant que les conclusions de celui-ci soient régies par deux procédures d’appel incompatibles. Bien que ces arrêts aient été rendus avant l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile et que la Loi sur le divorce ait été depuis modifiée à de nombreuses reprises, les principes qui y sont exposés sont toujours valables et lient notre Cour.
[35] Ainsi, lorsqu’il y a incompatibilité entre la procédure d’appel en vertu du Code de procédure civile et celle prévue par la Loi sur le divorce, c’est cette dernière loi qui doit s’appliquer même s’il s’agit d’une question qui découle du divorce, et ce, dans la mesure où cette question est décidée dans le cadre d’une instance en divorce et découle du divorce, comme la dissolution du régime matrimonial, le partage du patrimoine familial ou la prestation compensatoire. D’ailleurs, l’article 453 C.p.c. permet explicitement au tribunal de traiter de ces mesures accessoires dans le jugement de divorce, laissant ainsi entendre, pour reprendre les propos du juge LeBel, que le « législateur provincial accept[e] à l'avance que [la Loi sur le divorce] régisse l'ensemble de l'instance à laquelle il greff[e] les procédures nécessaires au règlement des conflits patrimoniaux »[23].
[36] Le besoin de cohérence s’impose d’autant plus en matière de divorce. Il serait en effet plutôt incohérent que l’appel des conclusions d’un tel jugement portant sur les ordonnances alimentaires au profit d’un enfant ou d’un époux et les ordonnances parentales soient appelables dans les 30 jours de la date où elles sont rendues, alors que les conclusions de ce même jugement portant sur la dissolution du régime matrimonial, le partage du patrimoine familial ou la prestation compensatoire seraient appelables à une date ultérieure. De même, il ne serait ni cohérent ni souhaitable qu’un juge siégeant seul puisse permettre l’appel de certaines ordonnances d’un jugement de divorce, comme le permet le paragraphe 21(4) de la Loi sur le divorce, alors que cette même permission à l’égard d’autres conclusions du même jugement ne pourrait être accordée que par la Cour[24].
[37] La cohérence dans la procédure d’appel pour un jugement de divorce s’impose d’autant plus qu’il est de connaissance judiciaire que les avis de jugement prévus par l’article 360 C.p.c. ne sont pas émis de façon homogène par les autorités provinciales responsables de l’administration de la justice, les délais pour ce faire variant considérablement d’un cas à l’autre, ce qui peut mener à des confusions et des difficultés diverses, dont notamment quant à l’exécution des jugements[25]. La Cour a d’ailleurs déjà longuement traité de certaines des difficultés liées aux avis de jugement dans l’arrêt Martineau c. Ouellet[26].
[38] Finalement, il n’y a pas lieu de retenir la prétention de l’appelante voulant que l’arrêt Droit de la famille — 17554[27] aurait réglé la question des délais d’appel en matière de divorce en précisant que ceux-ci doivent se calculer, conformément à l’article 360 C.p.c., de la date de l’avis de jugement. La seule question soulevée par les parties dans le cadre de cette affaire concernait le calcul du délai d’appel selon l’article 360 C.p.c., à savoir s’il devait se calculer de la réception de la copie du jugement ou de la date de l’avis de jugement, ce qui avait été préalablement résolu par la Cour[28]. Ainsi, puisqu’aucune partie ne soulevait la question du calcul des délais d’appel en vertu de la Loi sur le divorce, la Cour ne s’est pas prononcée à ce sujet. Dans ces circonstances, cet arrêt ne saurait être un précédent liant, puisque la question des délais d'appel conformément à la Loi sur le divorce n’y était pas soulevée.
[39] Pour résumer, dans le cas d’un divorce, un même jugement peut contenir à la fois le prononcé du divorce, des ordonnances rendues en vertu de la Loi sur le divorce et aussi des conclusions rendues conformément au Code civil du Québec. Le délai pour porter en appel le prononcé du divorce est celui énoncé au paragraphe 21(2) de la Loi sur le divorce. Le délai pour porter en appel ces ordonnances prononcées en vertu de la Loi sur le divorce est celui énoncé au paragraphe 21(3) de cette loi, lequel peut être prorogé par la Cour ou l’un de ses juges conformément au paragraphe 21(4) de la loi. Quant aux conclusions judiciaires rendues en vertu du Code civil du Québec prononcées dans le cadre d’une instance en divorce et qui en découlent, le délai d’appel applicable est aussi celui énoncé au paragraphe 21(3) de la Loi sur le divorce, lequel délai peut être prorogé par la Cour ou l’un de ses juges conformément au paragraphe 21(4) de cette loi.
[40] En l’espèce, les conclusions du jugement de première instance qui sont portées en appel ont été prononcées dans le cadre d’une instance en divorce et découlent du prononcé du divorce des parties. Celle relative au prononcé du divorce n’est par ailleurs pas contesté en appel. Le délai d’appel est donc celui énoncé au paragraphe 21(3) de la Loi sur le divorce. Ainsi, puisque le jugement en cause ici fut rendu le 10 août 2022, la déclaration d’appel déposée au greffe de la Cour le 19 octobre 2022 est tardive et l’appel est irrégulièrement formé.
L’appel doit-il être autorisé?
[41] L’appelante a présenté lors de l’audience une demande verbale pour permission d’appeler visant la prorogation du délai d’appel advenant une conclusion de la Cour que l’appel a été entrepris tardivement. Cette demande est régie par le paragraphe 21(4) de la Loi sur le divorce qui permet à la Cour ou l’un de ses juges de l’accorder pour des motifs particuliers. Il y a lieu de faire droit à cette demande. Voici pourquoi.
[42] Le délai pour le dépôt de la déclaration d’appel s’explique aisément par la croyance erronée, mais fort excusable, de l’appelante quant à la portée de l’article 360 C.p.c. Notons que le 12 septembre 2022, la procureure de l’appelante a pris soin d’aviser par courriel la procureure de l’intimé que sa cliente entendait porter le jugement en appel. L’intimé ne peut raisonnablement soutenir qu’il a été pris par surprise ou que ses droits ont été brimés par les délais encourus.
[43] Par ailleurs, les moyens d’appel envisagés soulèvent plusieurs questions mixtes de droit et de fait concernant le partage du patrimoine familial et la dissolution du régime matrimonial. Les biens en cause sont d’une valeur considérable.
[44] L’appelante soutient que le patrimoine familial fut constitué par sa seule contribution et que la juge de première instance aurait ainsi erré en n’ordonnant pas un partage inégal de celui-ci. L’appelante prétend aussi que la juge aurait erré en concluant que le droit applicable au régime matrimonial serait celui [du Pays A] plutôt que de l’Île Maurice. Elle plaide également que même si le droit applicable au régime matrimonial était celui [du Pays A], la juge aurait également erré en appliquant les critères de ce droit portant sur la dissolution dudit régime. La juge aurait aussi erré dans son évaluation de la valeur de plusieurs immeubles et d'autres biens importants situés notamment [au Pays A] et à l’Île Maurice. Enfin, des erreurs importantes de calcul sont aussi invoquées.
[45] Il s’agit là, à première vue du moins, de questions sérieuses qui ne peuvent être décidées à ce stade des procédures d’appel sans que la preuve versée en première instance soit disponible pour la Cour. Un examen plus approfondi du dossier se justifie donc.
[46] Puisqu’il y a lieu de proroger le délai d’appel, la demande pour rejeter l’appel doit donc elle-même être rejetée pour ces mêmes motifs.
La demande de cautionnement en appel
[47] L’intimé demande aussi qu’un cautionnement de 4 000 000 $ soit fourni par l’appelante, mais dans sa requête, il n’indique aucun motif qui justifie un tel cautionnement.
[48] L’article 364 C.p.c. permet « pour un motif qui le justifie » d’assujettir un appel à un cautionnement afin de garantir le paiement des frais de l’appel et du montant de la condamnation si le jugement est confirmé. Il s’agit là d’un assouplissement par rapport au droit antérieur qui requérait une « raison spéciale » pour ordonner un cautionnement, lequel critère fait maintenant place au « motif qui le justifie ». Cela étant, il ne s’agit certes pas de revenir à une époque où le cautionnement était la règle en appel. Le cautionnement doit donc se justifier, sans que pour autant on doive établir la présence d’une situation « spéciale » ou « exceptionnelle »[29].
[49] Quoi qu’il en soit, une demande de cautionnement en appel doit être appuyée d’une preuve claire, précise et déterminante, fondée sur des faits qui permettent d’établir à tout le moins, par prépondérance des probabilités, que : a) sans le cautionnement, les droits reconnus par le jugement de première instance sont en péril; ou b) le cautionnement est nécessaire pour garantir les frais d’appel[30].
[50] Or, ce n’est pas le cas en l’espèce, aucune preuve, par déclaration sous serment ou autrement, n’ayant été présentée au soutien de la demande de cautionnement. Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
[51] Pour ces motifs, je propose à la Cour de déclarer l’appel entrepris irrégulièrement formé, d’accueillir la demande verbale de l’appelante pour obtenir une prorogation du délai d’appel afin de corriger cette irrégularité, de permettre à l’appel de procéder sur le fondement de la déclaration d’appel déjà dans le dossier de la Cour, de rejeter la demande en rejet d’appel, de rejeter la demande subsidiaire de cautionnement en appel, le tout sans frais de justice vu la nature du litige.
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ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] Loi sur le divorce, L.R.C., 1985, ch. 3 (2e suppl.).
[2] Loi constitutionnelle de 1867 (R.U.), 30 & 31 Vict., c. 3, par. 91(26).
[3] Id., par. 92(13).
[4] Droit de la famille — 121718, 2012 QCCA 1229.
[5] Elgner v. Elgner, 2011 ONCA 483.
[6] Droit de la famille — 121718, 2012 QCCA 1229, par. 21, citant Elgner v. Elgner, 2011 ONCA 483, par. 46-49.
[7] Elgner v. Elgner, 2011 ONCA 483, par. 49.
[8] H. (A.) v. H. (D.S.), 2003 BCCA 361, par. 6-7 et 11; Sibbet v. Sibbet, 2007 MBCA 20, par. 8.
[9] Loi sur le divorce, art. 15.1.
[10] Id., art. 15.2.
[11] Id., art. 16.1.
[12] Id., art. 16.5.
[13] Id., al. 16.91(1)a).
[14] Id., art. 13.
[15] Code civil du Québec, art. 518.
[16] Id., art. 416, al. 1.
[17] Id., art. 427, al. 1.
[18] Martineau c. Ouellet, 2016 QCCA 142, par. 13 et 30.
[19] Droit de la famille — 203, [1985] C.A. 339, aussi rapporté dans G.B. c. R. B., [1985] R.D.J. 347 (C.A.), 1985 CanLII 2980 (QC CA).
[20] Id., p. 341-342, par. 13-16 de l’éd. CanLII.
[21] Lacroix c. Valois, [1990] 2 R.C.S. 1259.
[22] Id., p. 1274.
[23] Droit de la famille — 203, [1985] C.A. 339, p. 341, aussi rapportée dans G.B. c. R. B., [1985] R.D.J. 347 (C.A.), 1985 CanLII 2980 (QC CA), par. 14 de l’éd. CanLII.
[24] Art. 363 C.p.c.
[25] L’art. 321 2e par. C.p.c. énonce qu’un jugement passe en force de chose jugée dès lors qu’il n’est plus susceptible d’appel ou ne l’est plus, alors que l’art. 656 2e par. C.p.c. énonce que l’exécution forcée d’un jugement n’est possible que lorsque celui-ci est passé en force de chose jugée. Ainsi, un avis de jugement émis plusieurs semaines et même plusieurs mois après la date du jugement (ce qui n’est pas rare) retarde d’autant l’exécution forcée du jugement en cause.
[26] Martineau c. Ouellet, 2016 QCCA 142, par. 18-20 et 31-37.
[27] Droit de la famille — 17554, 2017 QCCA 441.
[28] Id., par. 2-5. La Cour y note ici aussi les incohérences liées aux avis de jugement.
[29] Belvédères de la Gare inc. c. Moro Arcadi, 2021 QCCA 740 (juge unique), par. 7.
[30] Id., par. 8; Droit de la famille — 17418, 2017 QCCA 373, par. 13 (juge unique).
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