Décision

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Rio Tinto Alcan, usine Alma c. Morency

2014 QCCS 4601

JD3073

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’

ALMA

 

Nº :

160-17-000048-138

 

DATE :

10 septembre 2014

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GUY de BLOIS

 

 

RIO TINTO ALCAN, Usine Alma

Demanderesse

c.

JEAN-M. MORENCY, en sa qualité d’arbitre de griefs

Défendeur

et

LE SYNDICAT DES TRAVAILLEURS DE L’ALUMINIUM D’ALMA, LOCAL 9490 (SYNDICAT DES MÉTAlLOS, section locale 9490)

Mis en cause

 

 

JUGEMENT

 

 

INTRODUCTION

[1]          Le 23 octobre 2013, l’arbitre de grief Jean-M. Morency (l’Arbitre) a rendu une décision constatant que monsieur Tommy Simard (Plaignant) a été victime de harcèlement en violation de la convention collective et des lois applicables.

[2]          Il ordonne dans son dispositif la mise en place de voies et moyens pour rendre exempt de tout risque de harcèlement psychologique, la gestion et le traitement des demandes de congés de maladie ou d’arrêt de travail.

[3]          Les faits qui ont donné lieu au dépôt du grief, tels que relatés par l’Arbitre à sa sentence arbitrale, ne sont pas contestés par les parties.

LES FAITS

[4]          La demanderesse Rio Tinto, Usine Alma, est une entreprise qui se spécialise dans la fabrication et la transformation d’aluminium (« Employeur »).

[5]          Le mis en cause, Le Syndicat des travailleurs de l’aluminium d’Alma, est une association de salariés accréditée conformément au Code du travail[1], qui représente les salariés de l’Employeur, dont le Plaignant.

[6]          Dans le cadre du protocole de retour qui fait suite à un arrêt de travail, les parties ont convenu qu’aucune prise de vacances ne serait permise, sauf exception après entente entre les parties.

[7]          Le Plaignant tente toutefois d’obtenir des vacances pendant les fêtes en s’adressant à son superviseur qui lui mentionne qu’il est possible qu’il les obtienne.

[8]          Le 20 décembre 2012, le Plaignant apprend de son superviseur que sa demande de vacances est refusée.

[9]          Sans connaître les motifs de ce refus, le Plaignant perd le contrôle de lui-même, devient colérique et agressif, adresse des bêtises à son superviseur et lui fait des menaces.

[10]       Il se retrouve à l’infirmerie où on lui fixe un rendez-vous avec une intervenante psychosociale.

[11]       Avant qu’il quitte les lieux, le Plaignant apprend qu’il y a eu erreur ou malentendu et qu’il peut prendre les vacances demandées pendant les fêtes.

[12]       Malgré cela, l’état du Plaignant ne change pas. Il se rend vers une clinique médicale où il rencontre une travailleuse psychosociale qui lui recommande de consulter un médecin.

[13]       Le lendemain, le 22 décembre 2012, il rencontre la Dre Verhelst qui lui prescrit un arrêt de travail jusqu’au 4 janvier 2013.

[14]       Après avoir remis cette attestation à l’employeur, le Plaignant est informé par son superviseur que l’attestation n’est pas recevable et qu’il doit se présenter au travail.

[15]       Selon le Dr Dallaire, médecin-conseil de l’Employeur, le protocole d’admissibilité au plan d’assurance requiert que l’attestation contienne un diagnostic clair, un plan de traitement et une période d’absence déterminée pour être recevable.

[16]       Selon le Dr Dallaire, l’attestation médicale n’est pas complète puisqu’elle ne contient aucun diagnostic, ni plan de traitement.

[17]       Sur les conseils d’un confrère de travail et représentant syndical, le Plaignant a rendez-vous avec un autre médecin, le Dr Serge Paradis, qui lui diagnostique un « Trouble situationnel transitoire » et lui prescrit un congé de travail jusqu’au 4 janvier 2013.

[18]       Le Plaignant est informé par son superviseur que cette attestation médicale est refusée puisque le gestionnaire du groupe médical présent au travail, le Dr Dallaire, considère qu’il n’est porteur de peu de symptômes en dehors de la colère et que l’état du Plaignant découle d’un conflit de travail.

[19]       Le Dr Dallaire indique que la colère n’est pas une maladie recevable au sens du régime et est d’avis que la situation en cours du 20 au 29 décembre semblait donner ouverture à un « magasinage médical » par le Plaignant.

[20]       Il ajoute que son rôle est de constater l’existence d’une maladie couverte par le régime d’assurance maladie et non de décider si le salarié est admissible à une absence autorisée.

[21]       Avant de conclure, le Dr Dallaire tente de parler au Dr Paradis pour obtenir plus de détails quant à la deuxième attestation, mais le Dr Paradis est absent.

[22]       Pendant cette période (du 20 au 29 décembre 2012), le Plaignant est toujours angoissé, anxieux, nerveux, souffre d’insomnie et éprouve des problèmes digestifs. Il ne se sent pas apte à reprendre son travail.

[23]       Toutefois, de peur d’être déclaré absent sans autorisation, le Plaignant entre au travail le 29 décembre 2012. Avant de se rendre à son lieu de travail, il obtient l’autorisation d’un superviseur de quitter compte tenu de son état.

[24]       En quittant, il se rend à l’urgence de l’hôpital d’Alma et y rencontre le Dr Luc Fortin qui émet une attestation à l’effet que le Plaignant souffre de « troubles anxieux », qu’il n’est pas apte au travail et lui prescrit un congé jusqu’au 4 janvier 2013.

[25]       Le Dr Fortin note également qu’il est le troisième médecin à se prononcer en ce sens (troubles anxieux) et que la conduite de l’Employeur « […] pourrait devenir du harcèlement […] ».

[26]       Le Plaignant remet cette troisième attestation à l’Employeur le même jour.

[27]       Il rencontre ensuite, le 4 janvier 2013, son médecin personnel, le Dr Bruno Lamotte qui lui diagnostique un « trouble d’adaptation avec humeur anxieuse », lui prescrit des médicaments et prolonge l’arrêt de travail jusqu’au 23 janvier 2013.

[28]       Le 5 janvier, un superviseur informe le Plaignant que le gestionnaire reconnaît sa demande de congé de maladie et que son statut est en règle.

[29]       Le 8 janvier 2013, le surintendant Martial Boulianne informe le Plaignant qu’il est considéré en absence autorisée depuis le 29 décembre 2012, mais qu’il demeure en absence non autorisée du 20 au 29 décembre 2012.

[30]       Cette nouvelle provoque alors une vive réaction de colère au Plaignant et entraîne une résurgence des crises de tremblements, de sueurs froides et de maux de cœur.

[31]       Le syndicat donne ensuite mandat de mettre l’Employeur en demeure de cesser de harceler et d’importuner le Plaignant.

[32]       Par la suite, l’Employeur cesse de communiquer directement avec le Plaignant qui demeure en arrêt de travail jusqu’à son retour progressif en mars 2013.

[33]       Le 11 mars 2013, le Plaignant dépose le grief suivant[2] :

« le ou vers le 20 décembre 2012… mon employeur, par les voix de Richard Gauthier, Patrice Surprenant, Martial Boulianne, a violé la convention collective de travail en posant à mon égard des gestes vexatoires, des menaces, du chantage, des gestes non-sollicités et inappropriés, des abus de droits et d’autorité et ce à plusieurs reprises. De plus, l’employeur a agit [sic] en toute connaissance de cause, ce qui constitue du harcèlement, sans prendre les mesures nécessaires pour faire cesser ce harcèlement.

Je réclame que cesse toute forme de harcèlement à mon égard, je réclame que mon employeur respecte la convention collective et les lois applicables, je réclame un milieu de travail sain exempt de toute forme de harcèlement psychologique, médicale ou autre. Je réclame la mise en place de mesures d’accomodements [sic] favorisant ma réintégration au travail. Je réclame la mise en place de mesures de prévention contre le harcèlement psychologique, médicale ou autre. Je réclame pleine compensation monétaire pour toutes sommes perdues. Je réclame le versement de 5,000$ à titre de dommages punitifs, moraux et exemplaires ».

[reproduction intégrale]

[34]       Le 18 mars 2013, l’Employeur demande à Solutions RH 2000 inc. d’analyser les allégations contenues au grief, de faire enquête ainsi que rapport.

[35]       Le 23 avril 2013, Solution RH 2000 Inc. remet son rapport à la demanderesse (R-2). Elle conclut :

« En conclusion, après analyse des témoignages recueillis, il est clair que les personnes visées ont agi de bonne foi et dans le respect et n’ont fait que suivre la procédure établie et reconnue par l’employeur de façon juste et équitable.

CETTE PLAINTE EST NON FONDÉE. »

DÉCISION DE L’ARBITRE

a) Les deux niveaux de harcèlement selon l’Arbitre

[36]       Dans son analyse de la notion de harcèlement psychologique, l’Arbitre traite de deux formes de harcèlement reprochées à la demanderesse :

1-           Celui sous la forme de gestes, actes et paroles hostiles, non-sollicités et répétés; et

2-           Celui sous la forme d’abus de pouvoir et d’autorité.

[37]       Son examen porte sur deux niveaux : harcèlement de la part de représentants de la demanderesse et harcèlement par la demanderesse, par sa politique.

[38]       Il définit d’abord ce qui constitue du harcèlement psychologique en se référant à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail[3] qui stipule :

« 81.18. Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. »

[39]       Il souligne ensuite ce qu’il considère être les critères nécessaires, pour conclure à l’existence du harcèlement psychologique suivant l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail précité :

1-    une conduite vexatoire et répétée

2-    qui est constituée de comportements, paroles, actes ou gestes hostiles ou non désirés

3-    qui portent atteinte à la dignité ou l’intégrité et

4-    qui entraîne un milieu de travail néfaste[4]

[40]       L’analyse qu’il fait de ces critères, au cas sous étude, l’amène à conclure, comme nous le verrons plus loin, à l’absence de harcèlement psychologique par les représentants de la demanderesse, messieurs Richard Gauthier, Patrice Surprenant et Martial Boulianne. Tel que le grief est rédigé, ils sont les représentants de l’Employeur. Donc, l’Employeur, suivant l’Arbitre, n’a pas, à ce niveau, contrevenu à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail. Ensuite, l’Arbitre traite ce qu’il considère comme deuxième niveau de harcèlement psychologique; celui fondé sur les articles 6 et 7 du Code civil du Québec. Il le décrit aussi comme du « harcèlement organisationnel » de la part de l’Employeur.

[41]       Les articles 6 et 7 du Code civil du Québec se lisent comme suit :

Art. 6 : « Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi. »

 

Art. 7 : « Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi. »

[42]       Traitant de la notion d’abus de droit, l’Arbitre écrit, aux paragraphes 125 à 127 de sa décision :

« [125]    Cette théorie de l’abus de droit commande qu’aucun droit ne puisse être exercé d’une manière déraisonnable ou de façon incompatible avec la conduite d’un individu prudent et diligent placé dans la même situation, peu importe la bonne foi ou non;

[126]       Un courant jurisprudentiel s’est inspiré de cette notion pour qualifier de « harcèlement psychologique » l’abus de droit qui se trouve en milieu de travail et qui se traduit par un exercice abusif ou déraisonnable du pouvoir;

[127]       En vertu de celle-ci, il y a tel exercice de pouvoir, et ainsi harcèlement, quand la conduite de l’employeur ou d’un supérieur se traduit par un emploi inapproprié de l’autorité ayant pour effet de nuire, d’humilier, de dominer ou de contrôler indument; »

[43]       Il conclut, à la suite de son analyse des faits, que la conduite de l’Employeur prend la forme d’un harcèlement organisationnel ou professionnel qui paraît incompatible avec le droit de gérance et de direction exercé par un employeur prudent et soucieux de ses responsabilités[5].

ANALYSE DES FAITS

a)        Harcèlement psychologique par représentants de l’Employeur

[44]       Bien que le nom du Dr Dallaire n’apparaisse pas au grief du Plaignant et que ce dernier n’ait aucun reproche à lui adresser, l’Arbitre analyse tout de même ses actions parce qu’il a été largement impliqué dans les événements qui ont conduit Richard Gauthier et Martial Boulianne à intervenir auprès du Plaignant[6]. Il conclut que le Dr Dallaire n’a pas eu une conduite vexatoire qui constitue du harcèlement psychologique.

[45]       Pour en arriver à ce constat ainsi, l’Arbitre croit que le Dr Dallaire est justifié, après avoir examiné les deux premières attestations médicales, de les refuser. Voici comment il analyse les refus de celui-ci :

« [164]    Ce rôle attribué au gestionnaire n’a pas été dénié et c’est dans ce contexte que l’attestation médicale de la Dre Verhelst a été examinée et jugée irrecevable et que la seconde du Dr Paradis a reçu le même traitement immédiat et le même sort;

[165]       Cela établi, même si les motifs d’insuffisance de précisions des attestations, invoqués pour les déclarer irrecevables, suscitent réserve et peuvent donner ouverture à contestations, il reste qu’ils relèvent de la compétence que son mandat lui attribue;

[166]       En effet, à sa face même, la première attestation ne contenait pas un diagnostic qui permettait d’identifier une maladie justifiant un arrêt de travail et, conséquemment, il n’était pas complètement anormal qu’elle soit mise de côté, suivant les normes;

[167]       La seconde attestation qui diagnostique un « trouble situationnel transitoire » comme maladie est plus claire et précise, mais les raisons invoquées par le gestionnaire pour l’écarter reposent sur une évaluation qui concorde avec celle du Guide;

[168]       Ce Guide préparé sous l’égide des autorités du Ministère de la Santé et des Services sociaux au bénéfice des intervenants du réseau a pour objectif de fournir un ordre de grandeur des périodes d’absence pour divers diagnostics;

[169]       Les données correspondantes au diagnostic rendu par le Dr Paradis indiquaient « ?-0 » sous le titre du nombre de semaines d’absence pouvant être allouées et l’autorisaient à s’interroger sur la pertinence du nombre de jours d’absence accordés;

[…]

[172]       Il a fait appel à un Guide et à des normes généralement reconnus et utilisés pour assurer un traitement objectif de la demande de congé maladie du Plaignant et a suivi la procédure habituelle appliquée pour ce faire;

[…]

[174]       Il a fait ce qu’il croyait devoir faire dans les circonstances en fonction du mandat qu’il croyait lui être confié et il n’a pas apparemment procédé dans le cas du Plaignant d’une manière différente que celle adoptée d’habitude; »

[46]       L’Arbitre en vient donc à la conclusion que, puisque la première attestation ne contenait pas de diagnostic, le Dr Dallaire était justifié de la rejeter. Pour la seconde attestation, même si le diagnostic est plus clair et précis, l’Arbitre détermine que les motifs pour l’écarter reposent sur une évaluation conforme à celle du Guide qui est préparé par le Ministère de la santé et des services sociaux aux bénéfices des intervenants, dont le Dr Dallaire.

[47]       Quant aux personnes nommément mentionnées au grief, messieurs Richard Gauthier, Patrice Surprenant et Martial Boulianne, l’Arbitre conclut qu’ils n’ont eu aucun comportement qui constitue du harcèlement psychologique[7] :

« [185]    C’est pourquoi le tribunal croit devoir conclure qu’il n’y a pas eu de harcèlement psychologique de la part des représentants de l’Employeur suivant les critères précédemment énumérés; »

b)        Harcèlement psychologique par l’Employeur

[48]       L’Arbitre analyse ensuite la conduite de l’Employeur par sa politique et conclut à du harcèlement psychologique sous la forme de « harcèlement organisationnel ». Pour en venir à cette conclusion, l’Arbitre analyse à nouveau les motifs de rejet des deux premières attestations par le Dr Dallaire[8] :

« [190]    Le rejet successif de deux attestations médicales pour des raisons d’insuffisance des renseignements alors que l’on sait ou devrait savoir que le salarié a quitté l’usine dans un état de déséquilibre physique et mental est en une première preuve;

[191]       Le médecin gestionnaire avait, semble-t-il, pour seul rôle de s’assurer que les demandes de congé maladie étaient conformes aux critères d’admissibilité du régime d’assurance applicable, et non de vérifier la capacité du salarié à travailler;

[192]       Une pareille conception étroite de son rôle est d’autant plus étonnante que l’un des critères indissociables de l’admissibilité prévu au Guide auquel on se réfère pour prendre position est, outre le diagnostic et le traitement, l’incapacité de travailler;

[193]       Il est permis d’admettre que l’on puisse être justifié de rejeter une demande en raison de l’absence d’un diagnostic, mais il devient difficilement compréhensible que l’on en rejette un second qui répond à première vue aux critères;

[194]       Cette façon de faire et d’agir prive le salarié de profiter dans l’immédiat de la crédibilité qui doit normalement être accordée à une attestation médicale souscrite par un médecin diplômé et d’obtenir un congé maladie apparemment justifié;

[195]       Comme il y a lieu de supposer que le régime d’assurance existe au bénéfice des salariés malades ou accidentés il faut croire que la mise en œuvre de ses avantages devrait être favorisée plutôt que d’être minimisée ou découragée;

[196]       Dans cette perspective, soumettre le droit aux bénéfices à des contraintes médico-administratives tatillonnes par seul souci d’administrer un régime et sans se préoccuper de l’état apparent des bénéficiaires peut devenir un abus de gérance; »

[49]       Puis, il explique dans quelles circonstances l’exercice du droit de direction peut constituer du harcèlement[9] :

« [204]    L’exercice du droit de direction peut constituer du harcèlement s’il est exercé de manière déraisonnable et s’il rencontre les éléments essentiels de l’abus de droit, soit agir de manière incompatible avec la conduite d’une personne diligente et prudente; »

[50]       Il applique ensuite ces principes au dossier[10] :

« [205]    Dans le cas qui nous occupe, la diligence démontrée à rejeter les deux premières attestations et à requérir à deux reprises la présence du Plaignant au travail n’est pas celle que l’on peut qualifier d’appropriée dans les circonstances;

[206]       La prudence manifestée à l’égard du contenu des attestations médicales n’est pas non plus cette prudence qui doit être rencontrée quand il s’agit de déterminer si un salarié est en mesure de reprendre le travail en toute sécurité pour lui et les autres;

[207]       La politique adoptée encourage une conduite qui vise la mauvaise cible, selon le tribunal, car elle se préoccupe plus de la santé du régime que la santé du bénéficiaire et sa capacité à travailler;

[208]       Il manque vraisemblablement un maillon dans la chaîne de direction qui a pour effet de produire une incohérence entre l’objectif fondamental qui devrait être visé par le régime d’assurance maladie et le but atteint au niveau du salarié bénéficiaire;

[51]       Il conclut que la conduite de l’Employeur prend la forme d’un harcèlement organisationnel ou professionnel[11] :

« [213]    Une telle conduite prend la forme d’un harcèlement organisationnel ou professionnel qui apparaît incompatible avec le droit de gérance et de direction exercé par un Employeur prudent et soucieux de ses responsabilités; »

[52]       Il constate que le Plaignant a été victime de harcèlement en violation de la convention collective et des lois applicables[12].

[53]       Cette conduite découle d’une mauvaise politique ou d’une mauvaise application de cette politique[13] :

« [218]    Cette conduite découle de l’adoption d’une politique mésadaptée de gestion des demandes de congé maladie et/ou d’une mauvaise application des règles qui devraient régir la façon d’agir des divers intervenants en pareilles circonstances; »

[54]       L’Arbitre conclut que le Plaignant a été victime de harcèlement en violation de la convention collective et des lois applicables. Il ajoute, puisque la politique et procédure de l’Employeur n’apparaît pas avoir été changée, que le mandat du médecin gestionnaire est toujours le même, que le traitement de la demande de congé maladie est encore tenant et que le rôle des supérieurs est également inchangé, le Syndicat a raison de réclamer la mise en place d’une politique et d’une procédure de traitement des demandes de congé maladie qui soit exempte de tout risque de harcèlement psychologique[14].

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[55]       La demanderesse soutient que l’Arbitre a commis trois erreurs qui donnent ouverture à la révision judiciaire :

·        Les motifs et les conclusions factuelles de l’Arbitre sont contradictoires, et donc, déraisonnables;

·        Il a omis d’appliquer les conditions de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail avant de conclure à l’existence de harcèlement psychologique;

·        Il a rendu une ordonnance qui n’est pas exécutoire, donc contraire à la loi et qui est contradictoire avec ses conclusions.

[56]       Le Syndicat plaide que l’Arbitre a évalué que la preuve lui permet de conclure que le Plaignant a été victime de décisions inadéquates et de gestes répétés, lesquels constituent un exercice excessif et déraisonnable du droit de gérance, donc, du harcèlement organisationnel.

[57]       Il ajoute que les motifs et les conclusions factuelles ne sont pas contradictoires puisque l’Arbitre peut conclure à l’absence de harcèlement psychologique par les représentants de l’Employeur, vu l’absence de preuve prépondérante que la conduite de ces personnes en présentait une démarche personnelle volontairement répétée, à but vexatoire et hostile et en vue de menacer ou de blesser le Plaignant dans son intégrité ou sa dignité[15] et quand même conclure à l’existence de harcèlement organisationnel.

[58]       Quant aux prétentions de la demanderesse à l’effet que l’ordonnance est contraire à la loi puisque non susceptible d’exécution, le Syndicat soumet que l’Arbitre n’a pas imposé une obligation de résultat puisqu’il indique dans son dispositif qu’il s’agit d’une obligation de moyens qui est conforme à la loi et à la convention collective lorsqu’il écrit :

« ORDONNE la mise en place de voies et moyens pour rendre exempt de tout risque de harcèlement psychologique la gestion et le traitement des demandes de congé-maladie ou d’arrêt de travail. »

[Nos soulignements]

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[59]       Les parties soumettent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle que définie par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir[16] :

« [47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

[60]       Toujours dans Dunsmuir[17], la Cour mentionne que la jurisprudence peut être utilisée pour établir de façon concluante la norme de contrôle appropriée :

« [54]      La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer quelles questions emportent l’application de la norme de la raisonnabilité. Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise : Société Radio-Canada c. Canada (Conseil des relations du travail), [1995] 1 R.C.S. 157, par. 48; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, par. 39. Elle peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 72. L’arbitrage en droit du travail demeure un domaine où cette approche se révèle particulièrement indiquée. » […]

[Nos soulignements]

[61]       S’agissant ici d’un arbitrage en droit du travail, la norme de la décision raisonnable est applicable à l’ensemble de l’analyse de la décision de l’Arbitre.

ANALYSE ET DÉCISION

[62]       Les motifs et les conclusions factuelles de l’Arbitre sont-ils contradictoires? Le tribunal conclut que oui.

[63]       Après qu’il ait analysé les actions des représentants de l’Employeur, dont les noms apparaissent au grief[18], l’Arbitre détermine qu’il y a absence de harcèlement psychologique par ceux-ci, ainsi que par le Dr Dallaire, qui a refusé les deux premières attestations médicales puisqu’elles ne répondent pas aux normes établies au Guide. Le Dr Dallaire a donc adopté un comportement acceptable. L’Arbitre écrit à ce sujet[19] :

« [159]    À ses dires, son rôle se limitait à recevoir les demandes des salariés via des attestations médicales qui provenaient de médecins externes consultés et à déterminer si telles attestations étaient conformes aux critères d’admissibilité du régime;

[160]       Suivant les normes adoptées, il devait, soutient-il, seulement s’assurer que (1) un diagnostic clair établissait l’état d’incapacité du salarié, (2) un plan de traitement avait été établi et (3) un retour au travail était déterminé;

[161]       Suivant ses prétentions, il ne lui appartenait pas de prime abord d’examiner le salarié, de faire des recherches sur ses antécédents ni de déterminer lui-même si le salarié était physiquement ou mentalement apte à occuper un emploi;

[162]       Si l’attestation médicale émise par un médecin répondait aux normes et critères d’admissibilité, il la reconnaissait recevable aux fins d’application du régime d’assurance et en informait les responsables de la gestion du personnel;

[163]       Dans le cas contraire, en respect avec la procédure établie, il la déclarait irrecevable et transmettait sa décision aux mêmes responsables pour qu’ils en disposent. Ce sont eux qui entraient ensuite en communication avec le salarié;

[164]       Ce rôle attribué au gestionnaire n’a pas été dénié et c’est dans ce contexte que l’attestation médicale de la Dre Verhelst a été examinée et jugée irrecevable et que la seconde du Dr Paradis a reçu le même traitement immédiat et le même sort;

[165]       Cela établi, même si les motifs d’insuffisance de précisions des attestations, invoqués pour les déclarer irrecevables, suscitent réserve et peuvent donner ouverture à contestations, il reste qu’ils relèvent de la compétence que son mandat lui attribue;

[166]       En effet, à sa face même, la première attestation ne contenait pas un diagnostic qui permettait d’identifier une maladie justifiant un arrêt de travail et, conséquemment, il n’était pas complètement anormal qu’elle soit mise de côté, suivant les normes;

[167]       La seconde attestation qui diagnostique un « trouble situationnel transitoire » comme maladie est plus claire et précise, mais les raisons invoquées par le gestionnaire pour l’écarter reposent sur une évaluation qui concorde avec celle du Guide;

[168]       Ce Guide préparé sous l’égide des autorités du Ministère de la Santé et des Services sociaux au bénéfice des intervenants du réseau a pour objectif de fournir un ordre de grandeur des périodes d’absence pour divers diagnostics; »

[64]       De plus, pour conclure au rejet des deux premières attestations médicales, le Dr Dallaire se réfère à un guide, qui émane du Ministère de la santé et des services sociaux et qui sert à fournir un ordre de grandeur des périodes d’absence recommandées. Les normes qu’il a appliquées n’émanent donc pas de l’Employeur.

[65]       L’Arbitre confirme également que le Dr Dallaire n’a pas agi différemment avec le Plaignant qu’à l’habitude[20].

[66]       Après avoir conclu à une absence de harcèlement psychologique de la part des représentants de l’Employeur[21], l’Arbitre affirme que le Plaignant a été victime d’un exercice excessif et déraisonnable du droit de gérance[22].

[67]       Voici l’analyse de l’Arbitre sous le titre « La conduite de l’Employeur par sa politique »[23] :

« [186]    Ce titre couvre l’ensemble des questions que le Syndicat a soulevées concernant l’abus de droit ou de pouvoir qu’il croit s’être manifesté lors de l’application de la procédure mise en place pour traiter les demandes du Plaignant;

[187]       À son point de vue, celle suivie en décembre 2012 s’écarte d’un exercice raisonnable, normal et humain de la gestion de la présence au travail et, notamment, d’une administration médico-administrative correcte des demandes de congé maladie;

[188]       S’inspirant de la décision rendue par le commissaire Raymond Gagnon, il croit que la façon de faire de la direction de l’Employeur représente une conduite déraisonnable et abusive de son droit de direction qui constitue du harcèlement;

[189]       Le tribunal considère que ces prétentions du Syndicat reposent sur des bases respectables et non négligeables qui requièrent une sérieuse prise en considération du contenu des éléments qui leur donnent naissance;

[190]       Le rejet successif de deux attestations médicales pour des raisons d’insuffisance des renseignements alors que l’on sait ou devrait savoir que le salarié a quitté l’usine dans un état de déséquilibre physique et mental est en une première preuve;

[191]       Le médecin gestionnaire avait, semble-t-il, pour seul rôle de s’assurer que les demandes de congé maladie étaient conformes aux critères d’admissibilité du régime d’assurance applicable, et non de vérifier la capacité du salarié à travailler;

[192]       Une pareille conception étroite de son rôle est d’autant plus étonnante que l’un des critères indissociables de l’admissibilité prévu au Guide auquel on se réfère pour prendre position est, outre le diagnostic et le traitement, l’incapacité de travailler;

[193]       Il est permis d’admettre que l’on puisse être justifié de rejeter une demande en raison de l’absence d’un diagnostic, mais il devient difficilement compréhensible que l’on en rejette un second qui répond à première vue aux critères;

[194]       Cette façon de faire et d’agir prive le salarié de profiter dans l’immédiat de la crédibilité qui doit normalement être accordée à une attestation médicale souscrite par un médecin diplômé et d’obtenir un congé maladie apparemment justifié;

[…]

[205]       Dans le cas qui nous occupe, la diligence démontrée à rejeter les deux premières attestations et à requérir à deux reprises la présence du Plaignant au travail n’est pas celle que l’on peut qualifier d’appropriée dans les circonstances;

[206]       La prudence manifestée à l’égard du contenu des attestations médicales n’est pas non plus cette prudence qui doit être rencontrée quand il s’agit de déterminer si un salarié est en mesure de reprendre le travail en toute sécurité pour lui et les autres; »

[68]       Le tribunal relève ici plusieurs contradictions de l’Arbitre sur les mêmes faits. Comment peut-il affirmer, au sujet de la deuxième attestation médicale, « (…) il n’était pas complètement anormal qu’elle soit mise de côté, suivant les normes »[24] et « (…) les raisons invoquées par le gestionnaire pour l’écarter reposent sur une évaluation qui concorde avec celle du Guide »[25], acceptant ainsi la décision du médecin, pour par la suite dire, « mais il devient difficilement compréhensible que l’on en rejette un second qui répond à première vue aux critères »![26] Il est manifeste, ici, que l’Arbitre dit une chose et son contraire.

[69]       Ses conclusions sont tout aussi contradictoires. Au paragraphe 185, l’Arbitre confirme en ces termes à l’absence de harcèlement psychologique :

« [185]    C’est pourquoi le tribunal croit devoir conclure qu’il n’y a pas eu de harcèlement psychologique de la part des représentants de l’Employeur suivant les critères précédemment énumérés. »

[70]       Et ensuite, reprenant les mêmes critères que ceux auxquels il fait référence au paragraphe 185, il conclut, au paragraphe 200 :

« [200]    La conduite adoptée, avant qu’un médecin se révolte de la situation, a sans aucun doute eu pour effet de vexer, d’humilier, de décourager le Plaignant, en plus de vraisemblablement porter atteinte à son intégrité psychologique et physique. »

[71]       Que l’Arbitre analyse la conduite de l’Employeur par ses représentants ou par sa politique, dans les deux cas cette conduite doit être incarnée par des individus. De plus, la politique à laquelle réfère l’Arbitre, est nécessairement l’application du Guide par les représentants de l’Employeur, puisque l’Arbitre ne mentionne ni ne décrit aucune autre politique.

[72]       Au sujet de la politique de la demanderesse, l’Arbitre conclut[27] :

« [218]    Cette conduite découle de l’adoption d’une politique mésadaptée de gestion des demandes de congé maladie et/ou d’une mauvaise application des règles qui devraient régir la façon d’agir des divers intervenants en pareilles circonstances; »

[73]       Encore ici, la conclusion de l’Arbitre est contraire à l’analyse qu’il fait des actions de l’Employeur ainsi que de ses représentants. Après avoir conclu que les représentants de l’Employeur n’ont pas causé de harcèlement, il affirme ensuite que le harcèlement découle potentiellement d’une mauvaise application des règles en place. Cette mauvaise application à laquelle réfère l’Arbitre doit nécessairement être incarnée par ses représentants. Alors, comment l’Arbitre peut-il conclure à absence de harcèlement par ses représentants pour, du même souffle, affirmer que le harcèlement découle potentiellement d’une mauvaise application des règles en place.

[74]       La Cour d’appel a conclu dans Syndicat des enseignants de John Abbott College c. John Habbott College[28] que les motifs contradictoires de l’Arbitre rendent sa décision déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir[29].

[75]       Dans l’arrêt Syndicat des professeures et professeurs du Collège Édouard-Montpetit c. Collège Édouard-Montpetit [30], la Cour d’appel conclut dans le même sens. Elle mentionne :

« [3]     (…) De plus, certains paragraphes de la sentence sont en apparence contradictoires. Ainsi, l’arbitre, au paragraphe [39] de sa sentence, affirme se rallier à la thèse syndicale au sujet de la pièce S-3, pour affirmer le contraire aux paragraphes [42] et [43]. (…) Son raisonnement n’a pas de degré d’intelligibilité et de transparence exigé par l’arrêt Dunsmuir, précité.

[4]        La juge a eu donc raison de conclure que la sentence est déraisonnable puisque, quand elle est lue dans son ensemble, elle ne satisfait pas l’exigence de l’intelligibilité du processus décisionnel. »

[76]       De plus, bien que l’Arbitre souligne que le harcèlement psychologique puisse découler de l’adoption de la politique de gestion des congés, il ne fait référence à aucune preuve qui permette de démontrer que l’adoption de la politique constitue une conduite vexatoire à l’égard du Plaignant. Il confirme d’ailleurs que l’Employeur, par son représentant, a agi comme à l’habitude dans les mêmes circonstances[31] :

« [174]    Il a fait ce qu’il croyait devoir faire dans les circonstances en fonction du mandat qu’il croyait lui être confié et il n’a pas apparemment procédé dans le cas du Plaignant d’une manière différente que celle adoptée d’habitude. »

[Nos soulignements]

[77]       Le Dr Dallaire, comme le confirme d’ailleurs l’Arbitre, a appliqué au Plaignant les normes prévues au Guide. En appliquant ces normes, à l’égard du Plaignant, le Dr Dallaire n’a pas commis de harcèlement psychologique.

[78]       L’exigence d’un diagnostic n’est donc pas abusif. Il s’agit plutôt de l’application des règles définies au Guide.

[79]       Dans les circonstances, le tribunal est d’avis, que la décision de l’Arbitre n’a pas le caractère raisonnable, défini dans Dunsmuir qui doit tenir « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »[32]

[80]       L’Employeur plaide également que la décision de l’Arbitre est déraisonnable puisqu’il a omis d’appliquer l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail lorsqu’il a conclu à l’existence de harcèlement psychologique de la part de l’Employeur par sa politique. Il allègue qu’il n’est pas suffisant de prouver que le Plaignant a été victime d’un exercice excessif et déraisonnable du droit de gérance, les conditions d’application de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail doivent également être remplies. L’Employeur ajoute que l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail édicte que l’article 81.18 de cette même loi est réputée faire partie de toute convention collective. Il se lit comme suit :

« 81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard. (…) »

[81]       Puisque l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail fait partie intégrante de la convention collective, la preuve d’une conduite qui satisfait à cette disposition doit être administrée. Il n’est pas suffisant de prouver l’existence d’un exercice excessif des droits de gérance, ou d’un abus de droit[33]. Le mis en cause admet ces conditions. Alors que l’Employeur soutient que l’Arbitre n’a pas tenu compte de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail dans son analyse de la conduite de l’employeur par sa politique, le mis en cause plaide le contraire.

[82]       Contrairement à ce que soutient l’Employeur, le tribunal est d’avis que l’Arbitre a pris en considération, dans son analyse, des dispositions de l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail. Les paragraphes 200 et 214 de sa décision le démontrent[34] :

« [200]    La conduite adoptée, avant qu’un médecin se révolte de la situation, a sans aucun doute eu pour effet de vexer, d’humilier, de décourager le Plaignant, en plus de vraisemblablement porter atteinte à son intégrité psychologique et physique;

[214]       Elle est de nature à entraîner un milieu de travail néfaste et à affecter la dignité ainsi que la santé physique et psychologique de tout salarié confronté à telle situation, comme, peut-on croire, ce fut le cas en l’espèce entre le 20 et le 29 décembre. »

[83]       Le mis en cause soumet que l’on retrouve dans les paragraphes 200 et 214 tous les éléments constitutifs de harcèlement psychologique tels que définis à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail.

[84]       Même si cette proposition est juste, cela ne change en rien le caractère déraisonnable de la décision de l’Arbitre, vu les multiples contradictions constatés.

[85]       En dernier lieu, l’Employeur soumet que l’Arbitre a rendu une ordonnance contraire à la loi, puisqu’elle n’est pas susceptible d’exécution et va en contradiction avec ses conclusions. Dans son dispositif, l’Arbitre[35] :

« ORDONNE la mise en place de voies et moyens pour rendre exempt de tout risque de harcèlement psychologique la gestion et le traitement des demandes de congé-maladie ou d’arrêt de travail; »

[86]       Voyons ce que la Loi sur les normes du travail énonce quant aux moyens que doit prendre l’Employeur pour prévenir et contrer le harcèlement psychologique. L’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail énonce :

81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

 

L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. »

[87]       De plus, si un salarié est victime de harcèlement psychologique, et que l’Employeur a fait défaut de prendre les moyens raisonnables pour le prévenir, l’article 123.15 (3°) de la Loi sur les normes du travail mentionne :

« 123.15. Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l'employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l'article 81.19, elle peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, notamment:

 

1° (…)

 

2° (…)

 

3° ordonner à l'employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;

 

(…) »

[88]       Les obligations prévues aux articles 81.18 et 123.15 de la Loi sur les normes du travail en sont de moyens et non de résultat. Tel que le prévoit l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail, elles sont inclues à la convention collective de l’Employeur. Or, en « ordonnant la mise en place de voies et moyens pour rendre exempt de tout risque de harcèlement psychologique », l’Arbitre impose à l’Employeur une obligation qui va bien au-delà de l’obligation de moyens qu’a voulu le législateur. En écartant l’intention du législateur pour y substituer son opinion, l’Arbitre a rendu une décision déraisonnable. Dans l’affaire du Syndicat du personnel technique et professionnel de la Société des alcools du Québec (SPTP) c. Société des alcools du Québec[36], la Cour d’appel mentionne :

« [128]    La C.R.T. n’a pas fait ici que repasser les faux plis de la Loi, elle en a changé le tissu en entreprenant ici de substituer son intention à celle du législateur et d’ignorer la volonté de celui-ci. Ce faisant, elle s’est trouvée à ajouter à l’article 11 L.é.s. : sa démarche interprétative, qui ne respecte pas la règle moderne, n’est pas raisonnable et le sens qu’elle donne à cette disposition ne fait pas partie des lectures possibles acceptables au regard de la Loi. »

[89]       La Loi sur les normes du travail ainsi que la convention collective exigent de l’Employeur qu’il prenne les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique. Imposer à l’Employeur, une garantie de résultat, que ni la Loi ni la convention collective ne prévoient, est déraisonnable. De plus, l’ordonnance de l’Arbitre de « rendre exempt de tout risque » n’est pas, à sa face même, susceptible d’exécution. Manifestement, l’Employeur visé par cette ordonnance ne peut savoir, de façon suffisamment précise, ce qu’il doit faire ou ne pas faire.

[90]       Comme le mentionne la juge Hélène Lebel dans Montréal (Ville de) c. Sabourin[37] :

« [58]      Une sentence arbitrale peut être exécutée comme le serait une ordonnance du tribunal. Encore faut-il que ce qu’elle ordonne soit défini en des termes suffisamment clairs pour que la personne visée sache ce qu’elle doit faire ou ne pas faire pour s’y conformer. Et suffisamment clairs pour que le défaut de s’y conformer puisse être sanctionné comme un outrage au tribunal. Ce n’est certainement pas le cas ici. »

[91]       Le tribunal fait siens les propos de la juge Lebel et conclut que l’ordonnance visée ne satisfait pas au critère de la raisonnabilité puisqu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit[38].

[92]       Le tribunal doit maintenant déterminer s’il est opportun de renvoyer à un arbitre de grief le dossier. Dans l’affaire Panneaux Vicply inc. c. Guindon[39], la Cour d’appel écrit, sur l’utilité du renvoi :

« Bien que le principe prévoit que la Cour supérieure doit renvoyer le dossier au tribunal administratif lorsqu’il demeure une matière relevant de sa compétence, notre Cour a cependant reconnu que cette règle porte exception lorsque le renvoi est inutile. Dans l’arrêt de principe Guilde des employés de Super Carvanal précité, le juge Lebel affirmait que « le renvoi ne devient inutile que dans les cas où le jugement de la Cour supérieure rend la procédure engagée devant le tribunal inférieur sans objet, par exemple lorsqu’il constate que le grief ne repose sur aucun fondement juridique » ce qui n’est pas le cas dans cette affaire. »

[93]       Règle générale, le pouvoir de surveillance du tribunal réviseur se limite à contrôler la légalité de la décision, il ne peut donc que confirmer ou annuler la décision faisant l’objet d’une révision judiciaire et il doit respecter la compétence particulière et l’autonomie juridictionnelle du tribunal administratif spécialisé[40].

[94]       À la suite de la révision judiciaire, le tribunal administratif est donc saisi une deuxième fois du dossier et doit recommencer son analyse ou la compléter afin de se conformer au jugement et aux diverses directives du tribunal réviseur.

[95]       Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour supérieure pourra user de son pouvoir discrétionnaire pour rendre des décisions qui auraient dû, selon elle, être rendues initialement par le tribunal administratif[41].

[96]       Il existe deux exemptions au principe du renvoi du dossier au décideur administratif : l’exception relative au renvoi inutile et celle fondée sur la crainte de ne pas pouvoir obtenir justice. Dans le cas sous étude, il appartient à l’Employeur de faire la preuve que le renvoi n’a pas à être ordonné puisque inutile dans les circonstances.

[97]       Avec raison, l’Employeur soutient que si le tribunal accueille la requête en révision judiciaire, il ne reste plus rien à décider puisque l’Arbitre a déjà conclu que les représentants de l’Employeur n’ont pas harcelé psychologiquement le Plaignant.

[98]       Dans les circonstances, le tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’appliquer une des deux exceptions au principe du renvoi du dossier au décideur administratif soit celle du renvoi inutile et de procéder au rejet du grief.

[99]       Eu égard à ce qui précède, la requête en révision judiciaire de la demanderesse doit être accueillie, avec dépens contre le mis en cause.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[100]    ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;

[101]    ANNULE la décision datée du 23 octobre 2013 rendue par l’arbitre Jean-M. Morency;

[102]    REJETTE le grief n° 6758;

[103]    AVEC DÉPENS contre le mis en cause.

 

 

 

______________________________________

GUY de BLOIS, j.c.s.

 

 

Me François Côté

Norton Rose Fulbright Canada, s.e.n.c.r.l., s.r.l.

1, Place Ville-Marie, bureau 2500

Montréal (Québec) H3B 1R1

Procureur de la demanderesse

 

Me Jean-M. Morency, en sa qualité d’arbitre de griefs

2183, chemin de la Rive

Alma (Québec) G8B 5V3

Défendeur non représenté

 

Me Claude Leblanc

Philion Leblanc Beaudry, avocats s.a.

5000, boul. des Gradins, bureau 280

Québec (Québec) G2J 1N3

Procureur du mis en cause

 

Date d’audience :

12 mai 2014

 



[1]           L.R.Q., chapitre C-27.

[2]           Pièce S-2, décision par. 118.

[3]           Loi sur les normes du travail, chapitre N-1.1.

[4]           Décision arbitrale de Jean-M. Morency du 23 octobre 2013, par. 122.

[5]           Id. 4, par. 213.

[6]           Id. 2, par. 156.

[7]           Id. 4, par. 185.

[8]           Id. 4, par. 190 à 196 incl.

[9]           Id. 4, par. 204.

[10]          Id. 4, par. 205 à 208.

[11]          Id. 4, par. 213.

[12]          Id. 4, par. 230.

[13]          Id. 4, par. 218.

[14]          Id. 4, par. 223, 224, 225.

[15]          Id. 4, par. 184.

[16]          [2008] 1 R.C.S. 190.

[17]          Id. 16, par. 54.

[18]          Id. 4, par. 118.

[19]          Id. 4, par. 159 à 168.

[20]          Id. 4, par. 174.

[21]          Id. 4, par. 185.

[22]          Id. 4, par. 217.

[23]          Id. 4, par. 186 à 194, 205 et 206.

[24]          Id. 4, par. 166.

[25]          Id. 4, par. 167.

[26]          Id. 4, par. 193.

[27]          Id. 4, par. 218.

[28]          J.E. 2011-739 (C.A.).

[29]          Id. 16.

[30]          J.E. 2011-661 (C.A.).

[31]          Id. 4, par. 174.

[32]          Id. 16, p. 220, par. 47.

[33]          Centre hospitalier de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières (Syndicat des infirmières et infirmiers Mauricie-Cœur-du-Québec), D.T.E. 2006T-209 (T.A.). - Institut universitaire en santé mentale de Québec c. Gagnon, J.E. 2012-733 (C.A.).

[34]          Id. 4, par. 200 et 214.

[35]          Id. 4, décision de l’Arbitre, conclusions.

[36]          J.E. 2011-1634 (C.A.). p. 51

[37]          J.E. 2012-1118 (C.S.).

[38]          Id. 16.

[39]          J.E. 98-109 (C.A.).

[40]          Id. 39.

[41]          Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) sections locales 187, 728, 1163 c. Brideau, 2007 QCCA 805, par. 80.

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