Société de transport de Laval c. Commission des lésions professionnelles |
2010 QCCS 2374 |
|||||||
JD 2315 |
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE JOLIETTE |
|
|||||||
|
||||||||
N° : 705-17-003046-099 705-17-003047-097 705-17-003048-095 705-17-003049-093 705-17-003050-091 |
|
|||||||
|
||||||||
DATE : 3 mai 2010 |
|
|||||||
_____________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MICHEL DÉZIEL, J.C.S. |
||||||
_____________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE LAVAL, |
||||||||
Demanderesse |
||||||||
c. |
||||||||
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES, |
||||||||
Défenderesse |
||||||||
et |
||||||||
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, |
||||||||
Intervenante _____________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
JUGEMENT |
||||||||
_____________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] L’employeur, Société de transport de Laval (STL) veut faire casser cinq décisions de la Commission des lésions professionnelles (la CLP) qui refusent de l’exonérer de l’imputation des coûts reliés à cinq accidents de travail.
[2] L’intervenante, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) conteste.
[3] La CLP a comparu au dossier vu que la STL invoquait l’erreur de droit constituant un excès de compétence. Cet argument est abandonné la veille de l’audition. Le procureur de la CLP se limite donc à souligner au tribunal l’objectif de cohérence des décisions de la CLP, tel que prévu à l’article 418 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).
[4] Chaque dossier concerne un accident de la circulation impliquant un autobus de la STL et donnant lieu à une réclamation de chaque chauffeur auprès de la CSST.
[5] Le chauffeur Gilles Petroff conduit un autobus le 6 septembre 2005 et entre en collision avec une auto qui lui coupe la route, sur une voie réservée. Il remarque que le conducteur est au cellulaire[1].
[6] La responsabilité de Petroff est établie par l’assureur ING à 0%[2].
[7] Le chauffeur Claude Sauriol conduit un autobus le 12 mai 2004 et décrit l’évènement comme suit :
Je circulais dans la voie réservée aux autobus, voie du centre, direction sud, et une voiture circulait dans le même sens, direction sud, l’auto a fait un virage interdit à gauche brusquement sans clignotant et je n’est (sic) pas pu l’éviter et il y a eu collision (douleur au cou et hanche droite)[3]
[8] La responsabilité de Sauriol est établie par l’assureur Zurich à 0%[4].
[9] Le chauffeur Mario Gamache conduit un autobus le 24 janvier 2007, il s’engage dans une intersection sur son feu vert et entre en collision avec un véhicule qui passe sur le feu rouge.
[10] La responsabilité de Gamache est établie par l’assureur Lombard Canada à 0%[5]. L’accident est décrit « non évitable » par le superviseur[6].
[11] La chauffeure Karine Grenier conduit un autobus le 23 septembre 2005 et entre en collision avec une adolescente de 14 ans qui décède des suites de cet accident décrit comme suit par le policier :
[...] le véhicule circulait direction nord sur Notre-Dame-de-Fatima, lorsqu’un jeune en vélo a voulu traverser la rue de l’est à l’ouest, et chauffeure du véhicule a klaxonné après lui et il a rebroussé chemin. Puis sans s’y attendre, un piéton a sorti derrière un véhicule blanc stationné en double direction sud sur Notre-Dame-de-Fatima [...]. Le piéton s’est dirigé vers l’est en direction de l’autobus et le véhicule n’a rien pu faire. Il y a eu collision avec le piéton.[7]
[12] La CLP conclut que l’accident est majoritairement attribuable au piéton, donc à un tiers[8].
[13] Le chauffeur Michel Lépine conduit un autobus le 18 janvier 2005 sur une voie réservée et un camion entre en collision avec le côté avant gauche de l’autobus.
[14] La responsabilité de Lépine est établie par l’assureur ING à 0%[9].
[15] La STL dépose un mémoire dans chacun des dossiers et énumère ses motifs de révision :
15.1. critère étranger à l’article 326 LATMP - les risques inhérents
15.2. incohérence décisionnelle au sein de la CLP
15.3. fardeau de preuve indu - caractère extraordinaire des circonstances de l’accident.
15.4. Dans le dossier Grenier, un autre motif est ajouté :
15.5. Omission de se prononcer sur le deuxième volet de l’article 326 (2) LATMP - obérer injustement.
15.6. En argumentation, l’avocat de la STL s’interroge sur les assignations faites par le président de la CLP.
[16] La STL a le fardeau de preuve lorsqu’elle invoque l’exception prévue à 326 al. 2 LATMP.
[17] Une règle d’exception doit être interprétée restrictivement.
[18] La STL n’a pas démontré le caractère injuste de l’imputation.
[19] L’incohérence décisionnelle de la CLP n’est pas un motif de révision.
[20] La STL n’a pas démontré le caractère exceptionnel de l’accident dans le dossier Grenier : le caractère exceptionnel d’un accident ne réside pas dans la rareté de sa fréquence.
[21] Dans le dossier Grenier, la CLP s’est implicitement prononcée sur la notion d’obérer injustement en décidant que l’imputation n’a pas pour effet de faire supporter injustement à un employeur les coûts de prestations.
[22] Vu l’abandon de l’argument de compétence, l’avocat de la CLP indique au tribunal qu’il n’y a plus de conflit jurisprudentiel à la CLP suite à la décision de principe du 28 mars 2008.
[23] Il dépose une liste des décisions rendues sur l’article 326 LATMP pour la période du 28 mars 2008 au 1er avril 2008 : 73 décideurs ont suivi l’opinion majoritaire, trois ne l’ont pas suivi dans dix décisions.
[24] Depuis le 1er avril 2008, sur les 60 décideurs assignés à ces dossiers, tous ont suivi l’opinion majoritaire.
[25] La désimputation est possible et a été admise par la CLP dans plusieurs décisions depuis le 28 mars 2008 selon les critères établis.
[26] Enfin, si le tribunal décidait d’intervenir, le dossier devrait être retourné à la CLP.
[27] Les parties suggèrent au tribunal de retenir la norme de raisonnabilité. La Cour suprême énonce ce qui suit dans l’arrêt Dunsmuir[10] :
[47] La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[28] La Cour suprême nous indique qu’il n’y a pas lieu de faire une analyse contextuelle pour établir la norme de contrôle lorsque la jurisprudence est bien arrêtée :
[57] Il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle. Là encore, la jurisprudence peut permettre de cerner certaines des questions qui appellent généralement l’application de la norme de la décision correcte (Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672 , 2004 CSC 26 ). En clair, l’analyse requise est réputée avoir déjà eu lieu et ne pas devoir être reprise.[11]
[29] Le cas échéant, il s’agit d’une analyse contextuelle comme l’écrit la Cour suprême dans le même arrêt :
[64] L’analyse doit être contextuelle. Nous rappelons que son issue dépend de l’application d’un certain nombre de facteurs pertinents, dont (1) l’existence ou l’inexistence d’une clause privative, (2) la raison d’être du tribunal administratif suivant l’interprétation de sa loi habilitante, (3) la nature de la question en cause et (4) l’expertise du tribunal administratif. Dans bien des cas, il n’est pas nécessaire de tenir compte de tous les facteurs, car certains d’entre eux peuvent, dans une affaire donnée, déterminer l’application de la norme de la décision raisonnable.
[30] La Cour suprême, sous la plume du juge Lebel, énonce le 15 avril 2010 dans l’arrêt Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal que le contrôle de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire encadré par la loi se fait par la norme de raisonnabilité.
[36] La constatation de l’existence de ce pouvoir de décision dicte la solution du problème du choix de la norme de contrôle. Dans les présents dossiers, la norme de contrôle appropriée est la raisonnabilité de la décision. En effet, cette norme convient particulièrement bien pour contrôler l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire encadré par la loi. L’existence d’un pouvoir de cette nature signifie que son exercice peut entraîner l’adoption d’opinions diverses et de solutions différentes, compte tenu de l’application des principes de droit pertinent aux faits de l’affaire, dont l’examen exigera le maintien d’une attitude de déférence envers le décideur administratif de la part des cours chargées du contrôle judiciaire. Khosa, par. 59-60, le juge Binnie). [12]
[31] La jurisprudence établit clairement que la norme de raisonnabilité doit être retenue dans le cas d’une décision de la CLP sur la question soumise en l’instance.
[32] Le tribunal est d’avis que la norme de raisonnabilité doit guider le tribunal tout en maintenant une attitude de déférence envers la CLP.
[33] Comme on peut lire ci-dessus, le juge Lebel de la Cour suprême rappelle l’exigence d’une attitude de déférence de la part du tribunal réviseur pour contrôler un pouvoir discrétionnaire.
[34] L'interprétation des dispositions de la LATMP et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence de la CLP comme le souligne le juge Yves Alain dans Fernand Breton (1975) inc.[13] :
[8] Les questions en cause se rapportent à l’application et à l’interprétation de l’article 236 LATMP, d’une part, et à l’appréciation de la preuve concernant les circonstances de l’accident, d’autre part, ce qui de toute évidence relève de la compétence de la CLP et de ses commissaires dans un cas d’application de l’expertise spécialisée de ce tribunal administratif. Pour le tribunal, il ne fait aucun doute que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité.
[35] Dans l’arrêt Ville de Montréal c. Administration portuaire de Montréal, la Cour suprême rétablit le jugement de la Cour fédérale qui avait accueilli les demandes de contrôle judiciaire.
[36] Voici le raisonnement de la Cour suprême :
[37] Les décisions attaquées par l’appelante portent sur la gestion de biens fédéraux de la Couronne. Il s’agit d’actes d’administration à l’égard desquels ils convient, en règle générale, que les tribunaux conservent une attitude de déférence. Je reconnais volontiers qu’il n’appartient pas aux juges de l’ordre judiciaire de gérer les biens de l’État. Ce principe étant rappelé, revenons maintenant au contexte de l’exercice du pouvoir discrétionnaire et à la façon dont il a été utilisé, afin de déterminer si les décisions prises par les intimées étaient raisonnables ou donnaient ouverture au contrôle judiciaire par la Cour fédérale.
[38] Le concept de raisonnabilité de la décision s’entend d’abord de la transparence et de l’intelligibilité des motifs justifiant cette décision. Mais, il exprime aussi une exigence de qualité de ces motifs et des résultats du processus décisionnel (Dunsmuir, par. 47); voir aussi, par exemple, Art Hauser Centre Board Inc. c. Canadian Union of Public Employees, Local No. 882, 2008 SKCA 121 , 311 Sask. R. 272 , par. 33, la juge Jackson; Casino Nova Scotia c. Labour Relations Board (N.S.), 2009 NSCA 4 , 273 N.S.R. (2d) 370 , par. 30, le juge Fichaud.
[39] Ni la transparence ni l’intelligibilité des décisions des sociétés ne soulèvent de problèmes. Les intimées ont pris des décisions de gestion dont elles ont exposé clairement la base à la Ville. Elles ont d’ailleurs réitéré ces explications dans leur argumentation devant la Cour. En substance, elles estiment que la LPRI et le Règlement leur confèrent un large pouvoir discrétionnaire. Elles ont dit ne pas avoir calculé leurs PRI pour 2003, et pour les années subséquentes d’ailleurs, comme le demandait la Ville. Elles ont souligné que, comme elles ne figurent pas à l’annexe IV de la LPRI, elles n’ont jamais versé de PRI à l’égard de la taxe d’occupation commerciale. À leur avis, la réforme de la fiscalité municipale de Montréal visait notamment à les amener à verser des PRI incluant dans les faits des sommes remplaçant la taxe d’occupation commerciale. Devant une telle situation, afin d’établir le taux d’imposition qu’elles estimaient approprié, les sociétés pouvaient et même devaient déduire, dans le calcul de leurs PRI, des sommes équivalant à la part de l’augmentation des taxes foncières qui résultait de la suppression de la taxe d’affaires. De plus, l’APM considérait les silos du port de Montréal comme des réservoirs exclus de la base du calcul de ses paiements de remplacement.
[40] Cette interprétation et cette application de la LPRI et du Règlement sont toutefois entachées d’un vice fondamental. Je le répète, les deux sociétés possèdent certes un pouvoir discrétionnaire. En effet, la définition du « taux effectif » d’imposition reconnaît que les sociétés de la Couronne doivent prendre une décision quant au taux d’imposition approprié. Cependant, elles ne peuvent baser leurs calculs sur un système fiscal fictif, qu’elles créeraient arbitrairement. Au contraire, ces calculs doivent être effectués au regard du régime fiscal qui existe réellement à l’endroit où sont situés les biens en cause. La LPRI et le Règlement prévoient que le calcul du taux d’imposition se fait comme si la propriété fédérale était une propriété imposable entre les mains d’un propriétaire privé. L’article 2 du Règlement ainsi que la disposition correspondante de la LPRI supposent que les sociétés recherchent d’abord le régime fiscal applicable aux propriétés imposables dans la municipalité pour déterminer les valeurs et les taux effectifs d’imposition. Leur travail ne saurait s’effectuer à partir d’un régime qui n’existerait plus.
[41] Dans les présents pourvois, le régime fiscal pertinent est bien établi. La taxe d’occupation commerciale avait été abolie en 2003. La législation municipale du Québec accordait aux municipalités le pouvoir d’imposer des taxes foncières à taux variables. La Ville avait utilisé ce pouvoir. Les intimées devaient en conséquence calculer leurs taux effectifs d’imposition en tenant compte du fait que la taxe d’occupation commerciale n’existait plus. Elles ne pouvaient pas la réintroduire dans leurs calculs pendant une période indéterminée ni imposer indirectement à la municipalité le maintien d’un régime fiscal que celle-ci avait modifié, comme le lui permettait le droit provincial. D’ailleurs, la position des intimées signifierait en pratique que, pour établir le montant de leurs PRI, elles auraient le droit - non seulement aujourd’hui, mais également dans 10 ou 20 ans - de faire des calculs théoriques de plus en plus difficiles et illusoires, fondés sur des taxes disparues depuis longtemps.
[42] La position des intimées va en outre à l’encontre de l’objectif de la LPRI et du Règlement. Le Parlement entendait que les sociétés de la Couronne et les gestionnaires des biens fédéraux versent des paiements de remplacement eu égard au système fiscal en place dans chaque municipalité, autant que possible comme s’ils étaient des propriétaires ou des occupants imposables.
[37] Il faut donc se demander si les décisions attaquées par la STL répondent à ce critère de transparence et d’intelligibilité et ensuite si elles sont entachées d’un vice fondamental.
[38] Face à la controverse jurisprudentielle en regard de l’exception prévue à l’article 326 de LATMP, une formation composée de trois juges administratifs a tenu des audiences en présence de plusieurs employeurs et a rendu une décision de principe. Elle a proposé l’orientation que devrait favoriser la CLP en suggérant une grille d’analyse utile à l’interprétation de cet article.
[39] Voici la liste des intervenants entendus à l’audience et l’orientation proposée par cette formation[15] :
[5] Le tribunal a tenu des audiences les 21 et 22 juin 2007 à Québec et les 26 octobre et 26 novembre 2007 à Montréal. Les employeurs Ville de Montréal, Sûreté du Québec, Ministère des Transports du Québec, Expertech Bâtisseur Réseaux inc., Fondation Pétrifond cie ltée et Bell Canada de même que la CSST ont mandaté des procureurs à l’audience. Le Ministère des Transports et Bell Canada ont aussi délégué des représentants.
[...]
[338] L’équité du système instauré par la loi réside dans l’équilibre qu’il faut maintenir entre le risque assuré et la cotisation de chacun des employeurs. Avantager indûment un employeur, c’est par le fait même désavantager tous les autres. Bien sûr, l’inverse est aussi vrai.
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[341] Aucune règle de droit ne doit être appliquée aveuglément. On ne saurait faire abstraction des faits propres au cas particulier sous étude. C’est au contraire en en tenant compte que le tribunal s’acquitte de sa mission qui consiste à faire la part des choses et à disposer correctement et équitablement du litige déterminé dont il est saisi[16].
[40] Il y a lieu de noter les propos du juge Morissette de la Cour d’appel dans l’arrêt Liard Mécanique industrielle inc. qui rejette une requête pour permission d’appeler quelques semaines avant la décision de principe[17].
Bien que la partie requérante fasse état dans sa requête de ce qui constitue indéniablement un réel problème d’interprétation dans l’application de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, l’intimée me convainc que cette disposition tolère une interprétation en accord avec les décisions majoritaires de la Commission des lésions professionnelles sur ce point. Cela étant, et conformément aux arrêts Domtar, [1993] 2 R.C.S. 756 et Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 , je ne crois pas que la question mérite à ce stade d’être soumise à la Cour d’appel, d’autant que la Commission des lésions professionnelles s’apprête à réexaminer cette même question dans une décision de principe et à se prononcer sur l’interprétation qu’elle estimera le plus conforme aux finalités de la Loi.
POUR CES MOTIFS, la requête est REJETÉE avec dépens.
[41] La Cour d’appel reconnaît ainsi le pouvoir d’interprétation de la CLP et le bien fondé des décisions majoritaires de la CLP.
[42] Le critère des risques inhérents n’est pas étranger à l’article 326 LATMP.
[43] La CLP en retenant ce critère ne contredit ni ne stérilise la loi.
[44] La STL ne démontre aucune erreur déraisonnable dans l’interprétation de l’article 326 LATMP.
[45] La Cour supérieure comme tribunal réviseur n’a pas à substituer son opinion à celle retenue par la CLP dans les cinq décisions attaquées comme l’enseigne la Cour suprême.
[46] D’une part, les cinq décisions - et par ricochet, la décision de principe - répondent au critère de transparence et d’intelligibilité pour reprendre les propos du juge Lebel.
[47] Il est utile de rappeler que la décision de principe a été rendue alors que plusieurs employeurs se sont fait entendre.
[48] D’autre part, la STL n’a pas démontré que les décisions attaquées sont entachées d’un vice fondamental, sauf dans la décision Grenier, comme nous le verrons plus loin. Elle n’a pas renversé son fardeau de preuve.
[49] En somme, il n’est pas déraisonnable pour la CLP de conclure qu’un accident de la route constitue un risque inhérent à l’ensemble des activités de la STL.
[50] L’appréciation de la preuve est au cœur de l’expertise de la CLP; ainsi, le fait de conclure qu’il n’est pas injuste d’imputer l’employeur lorsque l’accident de travail est majoritairement attribuable à un tiers relève de l’expertise de la CLP.
[51] La Cour suprême met en garde le tribunal réviseur de préférer sa propre vision.
[52] Ainsi, le soussigné aurait accueilli la demande de la STL dans le dossier Grenier qui a dû faire face à trois situations simultanées :
52.1. un véhicule stationné en double;
52.2. un cycliste qui s’apprête à traverser la rue;
52.3. un piéton qui s’engage sur la chaussée.
[53] Il s’agissait d’une situation impossible, imprévisible et inévitable.
[54] Cependant, le tribunal n’a pas à substituer sa propre opinion et le devoir de retenue s’impose. La conclusion n’est pas déraisonnable.
[55] Tout récemment, la Cour d’appel sous la plume du juge Yves-Marie Morissette, dans l’arrêt Fraternité des policiers et policières de la MRC des Collines-de-l’Outaouais c. MRC des Collines-de-l’Outaouais, résume ainsi les principes mis de l’avant par la Cour suprême quant à ce devoir de réserve[18] :
[15] Je reviens sur la norme ou le critère d’intervention. Les propositions suivantes ressortent, entre autres, des arrêts Dunsmuir et Khosa précités (je synthétise, en m’efforçant de demeurer rigoureusement fidèle aux textes d’origine) :
― le critère de la raisonnabilité prévaut lorsqu’une question soumise à un tribunal administratif n’appelle pas une seule solution précise, mais tolère un certain nombre de conclusions raisonnables et que le tribunal administratif peut librement opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables;
― en révision judiciaire, la cour déterminera dans un tel cas si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité;
― ces attributs s’apprécient principalement au regard de la justification de la décision, de la transparence et de l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que de l'appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables qui se justifient à la lumière des faits et du droit;
― la norme de la raisonnabilité commande la déférence;
― la cour chargée de la révision judiciaire ne peut substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue, mais doit plutôt déterminer si la solution retenue fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »;
― en fin de compte, si le processus et l'issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d'intelligibilité, la cour de révision ne peut substituer l'issue qui serait à son avis préférable.
[16] Il importe au plus haut point de respecter ces contraintes : la procédure de révision judiciaire n’est pas une procédure d’appel, le critère qui l’encadre et qui en limite l’exercice existe dans le but de préserver l’autonomie décisionnelle de l’arbitre dont la sentence, en principe, doit être mise à exécution sans retard. Nous sommes ici en présence d’un grief daté du 6 février 2004 et le débat se poursuit plus de six ans après son dépôt. En l’absence d’une anomalie grave dans la décision de l’arbitre, ce qui suppose bien autre chose que la simple insatisfaction d’une partie devant le résultat de la procédure d’arbitrage, un tel délai serait regrettable et ferait entorse à une importante finalité du droit des rapports collectifs de travail, soit le règlement expéditif des mésententes entre les parties.
[56] Quant au conflit jurisprudentiel, il ne s’agit pas d’un motif autonome de révision judiciaire[19]. Voici les propos du juge Morissette de la Cour d’appel dans Jacinthe Fontaine[20] :
[66] Troisièmement, une fois admis que l’existence d’un conflit jurisprudentiel ne constitue pas en soi un motif autonome de contrôle judiciaire, il faut se demander si se démarquer d’une jurisprudence assez soutenue de la CLP équivaut pour la CLP 1 à rendre une décision «déraisonnable» : c’est ce critère, on l’a vu, qui permet d’identifier un vice de fond de nature à invalider une décision. Si la CLP 2 pouvait exercer, sans contrevenir au principe de l’arrêt Farrah, la compétence d’un tribunal d’appel, il est possible qu’elle pourrait substituer sa lecture de la loi à celle adoptée par la CLP 1. Elle aurait alors le pouvoir d’intervenir même en l’absence d’une décision «déraisonnable» de la part de la CLP 1. Mais, depuis l’arrêt Godin, ce qualificatif impose une restriction à son pouvoir d’intervention en révision. La raison de cette restriction, telle que je la comprends, est la suivante. Si, parallèlement aux objectifs que le législateur a coutume de se fixer lorsqu’il crée un tribunal administratif, on laissait coexister la possibilité de réviser les décisions à volonté, on instaurerait un régime contradictoire : la célérité et la finalité voulues par le législateur dans la prise de décision quasijudiciaire seraient en tension, sinon en conflit, constants avec la faculté de substituer à une première interprétation une seconde, voire une troisième interprétation, uniquement parce que celle-ci exprime mieux l’opinion du dernier décideur habilité à se prononcer. En ces matières, le mieux est l’ennemi du bien.
[57] Cet argument n’est donc pas retenu.
[58] Quant à l’argument du fardeau de preuve indu imposé à un employeur pour démontrer l’injustice prévu à l’article 326 LATMP, il n’est pas fondé.
[59] En effet, il s’agit encore du pouvoir d’interprétation confié à la CLP qui est en cause. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire qui lui est attribué par le législateur.
[60] Le tribunal spécialisé est en mesure d’évaluer chaque situation qui lui est soumise. En l’absence d’une erreur déraisonnable, le tribunal réviseur doit s’abstenir.
[61] Quant à l’assignation des décideurs faite par le président du tribunal, la STL n’a pas démontré le bien fondé de ses remarques.
[62] Le procureur de la CSST a mentionné que quelques décideurs minoritaires refusent de se ranger derrière la majorité. Le procureur de la CLP mentionne avec raison que la CLP n’a pas le pouvoir d’imposer une décision à un décideur.
[63] Le président de la CLP décide des affectations des commissaires selon les dispositions prévues aux articles 418 et suivants de la LATMP. Le dossier démontre qu’aucun reproche ne peut lui être adressé.
[64] Reste l’argument relatif au dossier Grenier : la CLP a-t-elle omis de décider si la STL est obérée injustement.
[65] La STL a raison.
[66] La CLP résume ainsi la requête de la STL :
[5] L’employeur invoque de façon plus spécifique que l’accident est survenu par la faute d’un tiers et que l’imputation du coût à son dossier financier a pour effet de lui faire supporter injustement le coût de cet accident.[21]
[67] La lecture de la décision démontre que la CLP s’est limitée à décider que l’accident était attribuable à un tiers et qu’il ne s’agissait pas d’une situation exceptionnelle, inhabituelle ou inusitée.
[68] La CLP ne s’est pas attardée au deuxième argument soumis par la STL :
Question en litige
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le fait d’imputer à l’employeur le coût des prestations dues en raison de l’événement du 23 septembre 2005 a pour effet de lui faire supporter injustement les coûts des prestations dues en raison d’un accident attribuable à un tiers ou de l’obérer injustement.[22]
[69] Cette omission constitue un motif révisable. Le dossier doit donc être retourné à la CLP pour qu’elle se prononce sur ce deuxième argument.
[70] Le tribunal ne peut retenir l’argument de la CSST lorsqu’elle affirme que la CLP s’est prononcée implicitement. En effet, l’article 326 LATMP prévoit deux situations :
[...] lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet
1- de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident de travail attribuable à un tiers;
2- ou d’obérer injustement un employeur.
[71] Même si le mot injustement se retrouve dans les deux cas, il s’agit de deux situations que la CLP devait analyser. Dans le premier cas, la faute du tiers est en cause alors qu’elle ne l’est pas dans le deuxième cas.
[72] La CLP doit donc se prononcer de façon explicite et analyser cet argument de la STL.
[73] Il est important de rappeler que l’imputation a été estimée par Madame Lise Girard, conseillère en financement CSST à la somme de 296 000 $. Il s’agit d’un montant significatif qui sera sûrement pris en considération par la CLP.
[74] PAR CES MOTIFS, le tribunal :
[75] DANS LES DOSSIERS : 705-17-003046-099; 705-17-003047-097; 705-17-003048-095 et 705-17-003050-091 :
75.1. REJETTE les requêtes en révision judiciaire amendées;
75.2. LE TOUT avec dépens.
[76] DANS LE DOSSIER : 705-17-003049-093 :
76.1. ACCUEILLE la requête en révision judiciaire amendée datée du 15 juin 2009;
76.2. CASSE la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 7 avril 2009 dans le dossier Q-310035-63-0702;
76.3. RETOURNE le dossier à la Commission des lésions professionnelles pour qu’elle se prononce sur le deuxième motif « obérer injustement » invoqué par la demanderesse Société de transport de Laval.
76.4. LE TOUT avec dépens.
|
||
|
_________________________________ michel déziel, J.C.S. |
|
Me Francis Gervais DEVEAU, BOURGEOIS, GAGNÉ HÉBERT & ASSOCIÉS |
||
Avocat de la demanderesse |
||
|
||
Me Luc Côté VERGE BERNIER |
||
Avocat de la défenderesse |
||
|
||
Me François Fortier |
|
|
Avocat de l’intervenante |
|
|
[1] R-3, p. 5, 6 et 9 - Cause 705-27-003046-099
[2] R-4 - Cause 705-27-003046-099
[3] R-3 p.7 - Cause 705-17-003047-097
[4] R-4 Cause 705-17-003047-097
[5] R-4 Cause 705-17-003048-095, Argumentation écrite de la demanderesse du 26 février 2009
[6] Décision de la CLP, R-1 Cause 705-17-003048-095, al. 8
[7] R-3, Cause 705-17-003049-093, p. 34-35
[8] Décision de la CLP, Cause 705-17-003049-093, R-1, al. 15
[9] R-6, Cause 705-17-003050-091
[10] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, (2008) CSC 9
[11] Id. note 10
[12] Montréal (Ville) c. Administration portuaire de Montréal, R.C.S. (2010), 14
[13] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Québec, no 200-17-010640-084, 14 avril 2009, j. Alain
[14] Ministère des transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. Chaudière-Appalaches, 2008 QCCLP 1795 , le 28 mars 2008 (Me Jean-François Clément, président, Me Diane Lajoie et Me Jean-François Martel)
[15] Id. note 14
[16] Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 9 juillet 2006, J.-F. Martel ; Entreprises D.F. enr., [2007] QCCLP 5032 .
[17] Liard Mécanique Industrielle inc. c. Commission des lésions professionnelles, 2008 QCCA 317 , le 13 février 2008
[18] Fraternité des policiers et policières de la MRC des Collines-de-l’Outaouais c. MRC des Collines-de-l’Outaouais, 2010 QCCA 816
[19] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Commission des lésions professionnelles, 2007 QCCA 203 ; Société canadienne des postes c. Morissette, 2008 QCCA 1398
[20] Commission de la santé et de la sécurité du travail c. Fontaine, 2005 QCCA 775
[21] Pièce R-1 Cause 705-17-003049-093
[22] Cause 705-17-003049-093, R-8 (argumentation écrite de la demanderesse du 4 février 2009), p. 4
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.