Décision

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146814 Canada ltée

2010 QCCLP 6233

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec :

23 août 2010

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

388673-01A-0909

 

Dossier CSST :

132706276

 

Commissaire :

Martin Racine, juge administratif

 

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146814 Canada ltée

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 10 septembre 2009, 146814 Canada ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 24 août 2009, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 18 juin 2009 et déclare que le coût des prestations de l’accident du travail subi par monsieur Romain Castonguay (le travailleur), le 22 avril 2008, doit être imputé au dossier de l’employeur.

[3]           Une audience est tenue à Rivière-du-Loup le 16 août 2010 à laquelle l’employeur est représenté. L’affaire est mise en délibéré le même jour.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du travailleur doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a le droit d’obtenir le transfert des coûts reliés à l’accident du travail subi par le travailleur, le 22 avril 2008.

[6]           Ce jour-là, le travailleur, qui occupe un emploi de chauffeur de camion-remorque chez l’employeur, est blessé lorsqu’il circule, dans l’exercice de ses fonctions sur la route 20 ouest au kilomètre 191 aux environs de Sainte-Brigitte-des-Saults.

[7]           Lorsqu’il passe sous un viaduc, une pierre mesurant 85 millimètres par 105 millimètres et pesant environ 394 grammes traverse violemment le pare-brise du tracteur routier qu’il conduit.

[8]           La pierre qui l’a frappé au vertex sur la ligne médiane au niveau du crâne; il en résulte un traumatisme cranio-cérébral (TCC) sévère. Le travailleur est inconscient lorsqu’il est amené au Centre hospitalier régional de Trois-Rivières. Quinze jours après l’accident, il est toujours dans le coma et maintenu artificiellement en vie.

[9]           À l’audience, l’agent Joël Gagnon de la Sûreté du Québec témoigne sur les résultats de l’enquête effectuée par ce corps policier pour établir les circonstances de cet accident.

[10]        Il appert que, dans les jours précédents l’accident, d’autres projectifs ont été lancés dans la région immédiate sur des véhicules et que le jour même de l’accident, un autre conducteur de tracteur remorque a rapporté qu’une roche avait failli tomber sur son véhicule.

[11]        De plus, les vérifications effectuées, par un ingénieur du ministère des Transports, ont révélé que la roche retrouvée dans le véhicule du travailleur ne provenait pas du viaduc sous lequel il était passé puisqu’il était en bon état.

[12]        Les enquêteurs de la Sûreté du Québec n’ont pu retrouver l’origine de la roche, mais croient qu’elle provient des alentours d’un chemin de fer situé dans les environs du viaduc.

[13]        Selon la reconstitution effectuée par les experts de la Sûreté du Québec, il est hautement probable que la roche, qui a frappé le pare-brise du véhicule qui circulait à environ 100 kilomètres à l’heure, a suivi une trajectoire horizontale pour frapper le front du travailleur.

[14]        C’est ce qui ressort d’ailleurs des photos contenues au volumineux dossier d’enquête que le tribunal a pu examiner à l’audience.

[15]        L’ensemble des circonstances entourant cet accident a amené les enquêteurs à conclure qu’il résultait d’un acte criminel, mais le dossier a été classé « non solutionné » puisque l’enquête n’a pas permis d’identifier le ou les auteurs de cet acte.

[16]        C’est en fonction de ces données que le tribunal doit déterminer si l’employeur a le droit d’obtenir le transfert des coûts reliés à l’accident du travail.

[17]        L’article 326 de la loi prévoit à titre de règle générale que le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail est imputé à l’employeur, mais cette disposition contient une exception à son deuxième alinéa :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[18]        En l’espèce, pour voir sa demande accueillie, l’employeur doit démontrer dans un premier temps que l’accident impliquant le travailleur est majoritairement attribuable à un tiers et, ensuite, qu’il est injuste de lui faire supporter le coût de la lésion professionnelle subie par ce dernier.

[19]        Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[1], le tribunal a précisé ainsi l’interprétation du mot tiers :

« Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier4. Ainsi, par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.

 

Le contrôle effectif qu’un employeur exerce sur les agissements d’une personne ne détermine pas le statut de celle-ci à l’égard du rapport juridique particulier instauré par le législateur aux fins de la loi. Il en va de même de la notion de garde juridique.

 

La question de la possibilité pour le tiers d’engager sa responsabilité ne cadre pas avec les fondements d’un régime d’indemnisation sans égard à la faute. Ce qui compte, c’est qu’un accident soit attribuable à une personne, que cette dernière puisse en être ou non reconnue responsable devant un tribunal civil. »

______________

4     Cette description des « collègues de travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la définition de travailleur énoncée à l’article 2 de la loi ainsi que des termes utilisés aux articles 439 et 441.

 

 

[20]        En application de ces principes, et en fonction de la preuve mentionnée précédemment, le tribunal considère que l’accident subi par le travailleur est attribuable à un tiers, soit la personne qui a lancé une roche en direction du camion conduit par le travailleur. Le fait que cette personne n’ait pu être identifiée et éventuellement déclarée coupable du crime qu’elle a commis ne fait certainement pas obstacle à l’application de la loi, l’article 326 ne contenant pas une telle exigence.

[21]        Il reste à déterminer s’il y a une injustice à faire supporter à l’employeur le coût des prestations de la lésion professionnelle.

[22]        Dans la décision précitée[2], rendue le 28 mars 2008 par une formation de trois juges administratifs, le tribunal a ainsi précisé les différents facteurs qui peuvent être pris en compte dans la détermination de la notion d’injustice en regard de l’imputation du coût des prestations :

« Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

-     les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;

 

-     les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

-       les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi. »

 

 

[23]        Dans la foulée de la décision de principe rendue par le tribunal dans l’affaire Ministère des Transports, les mêmes trois juges administratifs ont rendu un certain nombre de décisions[3] appliquant les critères qui y sont énoncés.

[24]        De plus, ces critères sont maintenant constamment repris par la quasi-totalité des juges administratifs du tribunal.[4]

[25]        En l’espèce, bien qu’il soit certes probable que les camions conduits par les travailleurs de l’employeur puissent être impliqués dans des accidents de la route, les circonstances de l’accident subi par le travailleur apparaissent extraordinaires et inusitées. En effet, le travailleur a été victime d’un acte criminel puisqu’il y a eu au moins des voies de fait avec lésions, sinon une tentative d’homicide.

[26]        Le tribunal considère donc qu’il est injuste que l’employeur ait à supporter les conséquences d’un événement semblable parce que le fait d’être l’objet d’un acte criminel semblable n’en fait sûrement pas partie des risques inhérents aux activités effectuées par le travailleur pour l’employeur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de 146814 Canada ltée, l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 août 2009, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par monsieur Romain Castonguay, le travailleur, le 22 avril 2008, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

 

 

 

Martin Racine

 

 

 

 

Me Réjean Côté

RAYMOND CHABOT SST INC.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           [2007] C.L.P. 1804 .

[2]           Précitée note 1.

[3]           Ministère des Transports et CSST, 291551-05-0606, 1er avril 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel; Ministère des Transports et CSST, 289446-64-0604, 1er avril 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel; Ministère des Transports et CSST, 294271-05-0607, 1er avril 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel.

[4]           Société de Transport Laval, 286457-64-0604, 17 juillet 2008, J.-F. Martel; Service de Gestion Quantum ltée et Groupe Sani-Gestion inc. (division enfouissement sanitaire), 333645-31-0711, 6 octobre 2008, P. Simard; Société des traversiers du Québec, 357505-63-0809, 4 décembre 2008, M. Juteau; Plomberie Noël Fredette inc. et Entreprise J. Veilleux & Fils inc., 347065-62A-0805, 27 janvier 2009, P. Simard; Restauration après sinistre Deux Rives, 346260-62A-0804, 29 janvier 2009, P. Simard; Produits forestiers Saguenay inc., 291786-02-0606, 12 février 2009, J. Grégoire; Commission scolaire Seigneurie des Mille-îles, 296298-64-0607, 16 février 2009, T. Demers.

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