Décision

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CONSEIL DE DISCIPLINE

 

ORDRE DES ACUPUNCTEURS DU QUÉBEC

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

N°: 42-2011-08

 

 

 

DATE

4 octobre 2016

 

_____________________________________________________________________

 

 

 

LE CONSEIL :

ME GUY GIGUÈRE

Président

 

MME LISE ST-LAURENT, acupunctrice

Membre

 

MME DIANE GIRARD, acupunctrice

Membre

 

_____________________________________________________________________

 

 

 

M. GUILHEM DURAND, acupuncteur, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des acupuncteurs du Québec

Plaignant

 

 

c.

 

 

Mme SOPHIE TITTLEY, acupunctrice (permis no A-035-98)

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ

 

______________________________________________________________________

 

EN VERTU DE L’ARTICLE 142 DU CODE DES PROFESSIONS, LE CONSEIL DE DISCIPLINE ÉMET UNE ORDONNANCE DE NON-DIVULGATION, DE NON-PUBLICATION ET DE NON-DIFFUSION DU NOM DU PATIENT DONT IL EST QUESTION DANS LA PLAINTE OU DANS LES DOCUMENTS DÉPOSÉS EN PREUVE ET DE TOUT RENSEIGNEMENT PERMETTANT DE L’IDENTIFIER.

INTRODUCTION

[1]           M. Guilhem Durand (le plaignant) reproche à Mme Sophie Tittley (l’intimée) d’avoir eu des relations sexuelles avec son patient, de janvier à juin 2011.

[2]           L’intimée plaide non coupable et explique essentiellement qu’elle était en relation amoureuse avec cette personne avant que les traitements débutent en janvier 2011. Par ailleurs, la  relation amoureuse a débuté entre eux près de cinq ans après qu’elle lui ait administré un traitement d’acupuncture.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]           Le Conseil doit répondre aux trois questions suivantes :

1)    Question 1 : L’intimée était-elle en relation amoureuse avec le patient avant de débuter les traitements de janvier 2011?

2)    Question 2 : Est-ce que la relation professionnelle établie lors de traitements en 2005 avait pris fin lorsque le patient a repris contact avec l’intimée à l’automne 2010?

[4]           Le Conseil de l’Ordre des acupuncteurs du Québec (le Conseil) retient la version présentée par l’intimée et juge pour les raisons qui suivent que la relation amoureuse a débuté avant les traitements de janvier 2011. La relation professionnelle avait pris fin lorsque le patient a repris contact avec l’intimée à l’automne 2010 et qu’ils ont eu subséquemment des relations sexuelles. Conséquemment, le Conseil acquitte l’intimée de l’infraction reprochée.

LA PLAINTE

[5]           Le 8 décembre 2011, le plaignant dépose, en sa qualité de syndic adjoint de l’Ordre des acupuncteurs du Québec (l’Ordre), la plainte disciplinaire suivante contre l’intimée :

1.      Entre les mois de janvier et juin 2011, à Lorraine, district de Terrebonne, l'intimée a commis des actes dérogatoires à l'honneur et à la dignité de la profession, et à la discipline des membres de l'Ordre, en ayant des relations sexuelles avec son client, Monsieur X.Y., le tout contrairement à l'article 59.1 du Code des professions (L.R.Q., c. C-26).

 

(Reproduction intégrale)

CONTEXTE

[6]           Le 29 septembre 2005, Monsieur X.Y. consulte l’intimée pour des problèmes d’allergies. Sa condition s’améliore et le dernier traitement a lieu en décembre 2005.

[7]           À l’automne 2010, l’intimée qui est veuve depuis cinq ans vit une période difficile dans sa relation amoureuse avec un homme qui habite son domicile (son conjoint). Leur relation se termine à l’automne 2010 et ce dernier quitte son domicile au début janvier 2011.

[8]           Le 13 janvier 2011, l’intimée traite à nouveau Monsieur X.Y. pour des problèmes d’allergies et aussi pour une perte d’énergie. L’intimée n’a pas détruit son dossier de patient de 2005 bien que 5 ans se soient écoulés. Elle y inscrit les informations le concernant à partir de janvier 2011, mais certaines sont manquantes. Le dernier traitement a lieu le 7 juin 2011.

[9]           Le plaignant reçoit une demande d’enquête anonyme en octobre 2011 concernant l’intimée. Le 10 novembre 2011, il rencontre l’intimée à sa clinique. Il lui demande des précisions sur sa relation avec Monsieur X.Y. Le plaignant la questionne sur la vulnérabilité du patient et elle répond que Monsieur X. Y. vivait une peine d’amour.

[10]        L’intimée lui déclare qu’après un traitement en janvier 2011, elle invite Monsieur X.Y. à prendre une tisane à son domicile situé à l’étage au-dessus de sa clinique. Ils sentent une attirance mutuelle et ont une relation amoureuse pendant quelques mois. Ils ont des relations sexuelles à quelques reprises. La relation se termine de façon réciproque et le dernier traitement a lieu en juin 2011.

[11]        Le 17 novembre 2011, le plaignant rencontre à nouveau l’intimée. Cette dernière déclare que la personne qui a fait une demande d’enquête lui veut du tort et a dû avoir accès à ses dossiers. Elle mentionne son conjoint et leur séparation en janvier 2011. Elle remet une lettre au plaignant dans laquelle elle indique qu’elle ne représente pas de danger pour le public et qu’elle n’a pas agi de façon abusive et déplacée.

ANALYSE

[12]        Le plaignant a le fardeau de prouver les infractions reprochées par prépondérance de la preuve. Compte tenu de la nature du droit disciplinaire et des conséquences pour l’intimée, la preuve doit être claire et convaincante[1].

[13]        En l’espèce, le Conseil est en présence de deux versions différentes quant au début de la relation amoureuse entre le patient et l’intimée. Le Conseil doit donc déterminer laquelle de ces deux versions est la plus crédible.

[14]        La crédibilité d’un témoin n’est pas évaluée en se demandant si son comportement pendant son témoignage permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à faire l’analyse de la preuve dans son ensemble et à confronter les témoignages entre eux, afin de déterminer les faits par la balance des probabilités[2].

Question 1 : L’intimée était-elle en relation amoureuse avec le patient avant de débuter les traitements de janvier 2011?

[15]        Monsieur X. Y. témoigne qu’en octobre ou novembre 2010, il apprend d’un ami que l’intimée est veuve et il l’appelle alors pour la courtiser. Il l’invite à prendre un café et ils se rencontrent par la suite plusieurs fois. Après un peu plus d’une semaine, ils débutent une relation amoureuse.

[16]        L’intimée témoigne que Monsieur X. Y. la contacte à l’automne 2010 et l’invite à prendre un café et ils débutent une relation amoureuse peu de temps après. Il est difficile pour eux de se voir, car son conjoint habite toujours chez elle. Après son départ, c’est plus facile de voir Monsieur X. Y. C’est en tant qu’’amoureux et non comme patient, qu’elle lui administre des traitements d’acupuncture en janvier 2011.

[17]        Le plaignant plaide que le Conseil doit retenir la version de novembre 2011 où l’intimée a déclaré au plaignant que la relation amoureuse avec Monsieur X. Y. a débuté en janvier 2011, alors que ce dernier la consultait après cinq ans sans traitement.

[18]        Selon le plaignant, la nouvelle version de l’intimée n’est pas crédible. Elle a attendu quatre ans pour fournir cette explication. Elle n’a jamais mentionné au plaignant lors des rencontres de novembre 2011 que la relation amoureuse avec le patient avait débuté avant les traitements de janvier 2011.

[19]        L’intimée explique que la fin de sa relation avec son conjoint à l’automne 2010 est difficile. Ce dernier est jaloux et possessif. Il lui dit de faire attention, car il peut être malin. Elle a peur de lui et craint qu’il s’en prenne à ses enfants. Après son départ en janvier 2011, il cherche à la revoir. Le 31 août 2011, il dépose une rose dans sa boîte aux lettres et en octobre 2011, il se présente à son domicile alors qu’elle est absente.

[20]        L’intimée témoigne que lors de la visite du plaignant en novembre 2011, elle fait tout de suite un lien avec son conjoint et la demande d’enquête. Elle craint des représailles de son conjoint et c’est pour cette raison qu’elle ne lui dit pas qu’elle a débuté la relation amoureuse à l’automne 2010.

[21]        Le Conseil considère que le témoignage de l’intimée est crédible et que la preuve prépondérante est à l’effet que l’intimée a débuté une relation amoureuse avec Monsieur X. Y. à l’automne 2010.

Question 2 : Est-ce que la relation professionnelle débutée avec le patient en 2005 avait pris fin lorsque ce dernier a repris contact avec l’intimée?

[22]        L’article 59.1 du Code des professions se lit comme suit :

Constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession le fait pour un professionnel, pendant la durée de la relation professionnelle qui s’établit avec la personne à qui il fournit des services, d’abuser de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles, de poser des gestes abusifs à caractère sexuel ou de tenir des propos abusifs à caractère sexuel.

 

[23]        Selon les termes de l’article 59.1 du Code des professions, les actes dérogatoires doivent avoir été commis pendant la durée de la relation professionnelle. Il est bien établi que la relation professionnelle ne prend pas fin une fois que le dernier traitement a lieu et se poursuit pendant un certain temps selon les circonstances propres à chaque cas[3][4].

[24]        Certains ordres professionnels comme les médecins, les psychologues, les infirmiers et infirmières spécifient dans leur code de déontologie des critères pour établir la durée de la relation professionnelle. Les critères retenus sont la vulnérabilité du client, son problème de santé, la durée des soins donnés et la probabilité de rendre à nouveau le service.

[25]        L’Ordre n’a pas adopté de disposition similaire, mais l’application de ces critères aux circonstances de cette affaire ne permet pas de conclure à l’existence d’une relation professionnelle à l’automne 2010 lorsque Monsieur X.Y. reprend contact avec l’intimée.

[26]        Une relation amoureuse entre un professionnel et un client devrait être évitée, même après plusieurs années sans contact. Toutefois, le Conseil considère que la relation amoureuse entre Monsieur X. Y. et l’intimée est ici éthiquement acceptable notamment par la durée du temps écoulé depuis le traitement et la nature des traitements[5][6].

[27]        Monsieur X.Y. consulte l’intimée en 2005 pour quelques mois pour des problèmes d’allergies et la dernière consultation a lieu le 22 décembre 2005. Une période de près de cinq ans s’écoule sans que celui-ci ne reprenne contact avec elle. Il était alors peu probable qu’il la contacte à nouveau pour recevoir un traitement. La nature du traitement et du problème de santé, les allergies, ne permet pas de conclure à une vulnérabilité du patient.

[28]        Vers novembre 2010, lorsqu’il reprend contact avec elle, c’est à titre personnel, car il a appris qu’elle est veuve et il aimerait la fréquenter. Monsieur X.Y. la courtise, ils se voient et une relation amoureuse débute peu de temps après entre les deux.

[29]        L’intimée témoigne qu’elle ne l’a pas référé à un autre acupuncteur, car elle est d’avis qu’elle peut donner des traitements à son amoureux sans que cela constitue une infraction.

[30]        Le Conseil constate que l’article 59.1 du Code des professions n’a pas pour effet de prohiber l’administration de traitements d’acupuncture à une personne avec laquelle le professionnel a déjà une relation amoureuse.

[31]        Le Conseil conclut que la relation professionnelle débutée avec le patient en 2005 avait pris fin lorsque ce dernier a repris contact avec l’intimée à l’automne 2010 et qu’ils ont une relation amoureuse par la suite.

[32]        Le Conseil estime que le plaignant n’a pas démontré que l’intimée a abusé de la relation professionnelle pour avoir des relations sexuelles avec son patient. L’intimée doit être acquittée.

Les déboursés

[33]        Le Code des professions prévoit à l’article 151 que le Conseil peut condamner le plaignant ou l'intimée aux déboursés ou les répartir entre eux. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé judicieusement.

[34]        En droit disciplinaire comme en droit civil, le principe veut que la partie qui succombe supporte les déboursés à moins que le décideur, pour des motifs le justifiant, en dispose autrement.

[35]        Le Conseil ne voit aucune raison de s’écarter de ce principe et condamne le plaignant au paiement des déboursés.

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :

ACQUITTE l’intimée de l’infraction reprochée au chef de la plainte en vertu de l’article 59.1 du Code des professions.

CONDAMNE le plaignant au paiement des déboursés conformément à l’article 151 du Code des professions.

 


 

_________________________________

ME GUY GIGUÈRE

Président

 

 

 

_________________________________

MME LISE ST-LAURENT, acupunctrice

Membre

 

 

 

_________________________________

MME DIANE GIRARD, acupunctrice

Membre

 

Me Patrick de Niverville

Avocat de la partie plaignante

Me Pierre Paquin

Avocat de la partie intimée

 

 

Date d’audience : le 23 juin 2016

 

 



[1] Osman c. Richer, 1994 CanLII 10779 (QC TP); Leveille c. Lisanu, 1998 QCTP 1719 (CanLII).

[2] Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354. (B.C.C.A.); Ringuette c. Financière Banque Nationale inc., 2010 QCCS 5511 (CanLII).

[3] Desmeules c. Infirmiers et infirmières, 2002 QCTP 71 (CanLII).

[4] Cadrin c Psychologues (Ordre professionnel des), 1997 CanLII 17354 (QC TP),

[5] Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Cayer, 2003 CanLII 74316 (QC CDOII).

[6] Conseillers et conseillères d'orientation (Ordre professionnel des) c. Bergeron, 2016 CanLII 55593 (QC CDCCOQ),

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