Décision

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Décision

Lizotte c. Arisona

2014 QCRDL 30395

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

31-120215-020 31 20120215 G

No demande :

59479

 

 

Date :

04 septembre 2014

Régisseur :

Jean Gauthier, juge administratif

 

GUY LIZOTTE

WILLIAM RITCHOT

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

NORA CAMARENA ARISONA

PATRICIO DUARTE

 

Locateurs - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 15 février 2012, les locataires déposaient au Tribunal une demande en dommages-intérêts pour reprise de mauvaise foi au montant de 20 000 $.

La demande de remise

[2]      La locatrice demande une remise au motif qu’un de ses témoins n’est pas disponible. Celui-ci n’a jamais été assigné par subpoena. La locatrice est elle-même prête à témoigner ainsi que sa fille qui est présente.

[3]      L’audience a été remise une première fois à la demande du locateur puis une deuxième fois pour encombrement du rôle.

[4]      Le locateur était absent sans aucun motif à la présente audience, il ne s’est d’ailleurs jamais présenté aux audiences précédentes.

[5]      Les locataires s’objectent vigoureusement à la demande de remise. Il s’agit de leur troisième déplacement devant le Tribunal et ils sont prêts à procéder.

[6]      Compte tenu de ce qui précède et de la présence des locataires, de la locatrice et de sa fille, le Tribunal considère qu’il est dans l’intérêt de la justice de procéder immédiatement à l’audience et de rejeter la demande de remise.


La preuve prépondérante

[7]      Il s’agit d’un bail qui prenait fin le 30 juin 2011 au loyer mensuel de 770 $. Le logement était un 6 pièces et demie avec sous-sol, situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de trois étages d’au moins quatre logements.

[8]      Les locataires occupaient le logement depuis le 1er mai 1991.

[9]      Les locateurs ont acquis l’immeuble en 2008.

[10]   L’immeuble a été mis en vente à compter de 2009 de façon sporadique.

[11]   En octobre 2010, un certain Sarto Poirier, que le locataire Lizotte connaissait, a visité le logement en prétendant vouloir l’acheter.

[12]   À la même période, le locateur avisait les locataires qu’il souhaitait reprendre leur logement pour s’y loger.

[13]   Les locataires étaient dévastés et surpris dans un contexte où l’immeuble était en vente.

[14]   Ils ont donc contesté la demande de reprise.

[15]   Une audience devant le Tribunal a été fixée le 21 mars 2011 lors de laquelle une entente a été entérinée par laquelle les locataires s’engageaient à quitter le logement au plus tard en juillet 2011 et recevaient en contrepartie une indemnité de 1 000 $.

[16]   Ils n’ont incidemment jamais reçu l’indemnité.

[17]   Les locataires ont quitté le logement en mai 2011.

[18]   Le locateur n’a jamais occupé le logement, ce qui est admis par la locatrice et confirmé par le témoignage de leur fille.

[19]   Le 30 mai 2011, une promesse d’achat de l’immeuble est intervenue entre les locateurs et un certain Jean-Guy Lebel, un ami ou partenaire de Sarto Poirier (pièce P-1).

[20]   Le 1er juin 2011, les locateurs signaient un document qui se lit comme suit (pièce L-2) :

« Patricio Duarte et Nora Arizola

Moi donne la permission a Sarto Poirier nouveau propriétaire du 2650 Hochelaga Montréal de faire des rénovations sur la propriété

Sarto Poirier (s)

Nora Arizola ». (s)

[21]   Le 26 juillet 2011, l’immeuble était vendu à Jean-Guy Lebel (pièce P-2).

Le droit

[22]   Le locateur a cependant procédé à des rénovations dès le départ des locataires, ce qui est également admis par la locatrice.

[23]   L’article 1968 du Code civil du Québec se lit :

« 1968.      Le locataire peut recouvrer les dommages-intérêts résultant d'une reprise ou d'une éviction obtenue de mauvaise foi, qu'il ait consenti ou non à cette reprise ou éviction.

                 Il peut aussi demander que celui qui a ainsi obtenu la reprise ou l'éviction soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »

Analyse

[24]   À la lumière de la preuve soumise à l’audience, il apparaît clair au Tribunal que la reprise constituait un subterfuge pour se débarrasser des locataires.


[25]   L’intention des locateurs a toujours été de vendre l’immeuble et celui-ci devenait beaucoup plus attrayant sans la présence de locataires.

[26]   La locatrice prétend que le locateur entendait occuper le logement puisque leur situation matrimoniale était difficile. La fille des locateurs a plutôt témoigné à l’effet que son père n’a jamais quitté le domicile conjugal; les locateurs font d’ailleurs toujours vie commune.

Les dommages

[27]   Les locataires réclament 20 000 $ de dommages qu’ils détaillent comme suit :

-       Troubles et inconvénients                         4 000 $

-       Dommages punitifs                                 10 000 $

-       Écart avec le nouveau loyer                      6 000 $

[28]   Les locataires étaient respectivement âgés de 50 ans (Ritchot) et 71 ans (Lizotte) lors de la reprise du logement.

[29]   Monsieur Ritchot combattait un cancer de la prostate et a subi depuis une transplantation du foie. Il a une santé précaire depuis plusieurs années. Il paie dorénavant un loyer de 985 $.

[30]   Monsieur Lizotte avait un revenu très modeste; il travaillait dans une animalerie et faisait l’élevage d’oiseaux dans le sous-sol du logement pour arrondir ses fins de mois.

[31]   Il s’agit de gens vulnérables pour qui ce déménagement a constitué une très grande épreuve dans leur vie. Monsieur Lizotte a déménagé trois fois depuis 2011 et n’est jamais parvenu à trouver un logement équivalent, même s’il paie maintenant un loyer mensuel de 860 $.

[32]   Dans les circonstances, le Tribunal considère juste et équitable que les locataires soient indemnisés comme suit :

·         Troubles et inconvénients de 4 300 $, soit :

-       Frais de deux déménagements : chacun             1 000 $

-       Frais de branchement : chacun                               150 $

-       Stress : chacun                                                     1 000 $

·         Dommages punitifs                                                         10 000 $

[33]   Les dommages-intérêts punitifs ne doivent pas excéder ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive mais doivent être suffisamment élevés pour atteindre cet objectif (Lamarche c. Petit Trudel, 31-090529-026 G, juge administratif Francine Jodoin).

[34]   Les locataires ont été dépossédés du logement qu’ils ont habité pendant près de 20 ans et déracinés de leur milieu de vie par des locateurs qui, de façon intentionnelle et illicite, ont bafoué leur droit au maintien dans les lieux. Pour évaluer le montant des dommages punitifs, le Tribunal se réfère aux critères suivants :

-       l’aspect préventif et dissuasif;

-       la conduite des locateurs;

-       le préjudice subi par les locataires;

-       les avantages qu’en ont retirés les fautifs.

[35]    Le Tribunal accorde donc une indemnité de 5 000 $ à chaque locataire.

·         L’écart avec le nouveau loyer est de 3 435 $. Ce montant constitue la moitié de la différence du loyer payé par les deux locataires pendant un an. Ce montant tient compte du fait qu’ils vivent maintenant seuls et que rien dans la preuve n’a démontré qu’il s’agissait ou non d’une décision volontaire.


[36]   La présente condamnation est solidaire entre les deux locateurs, conformément à l’article 1526 du Code civil du Québec qui se lit :

« 1526. L'obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle ».

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[37]   ACCUEILLE en partie la demande des locataires;

[38]   CONDAMNE conjointement et solidairement les locateurs à payer aux locataires la somme de 17 735 $ et les frais judiciaires de 77 $, le tout avec intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, depuis le 15 février 2012.

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean Gauthier

 

Présence(s) :

les locataires

un des locateurs, Nora Camarena Arisona

Date de l’audience :  

20 août 2014

 


 

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