Décision

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Pharmacie Jean Coutu 30

2010 QCCLP 1643

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Trois-Rivières

26 février 2010

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

372445-04-0903

 

Dossier CSST :

125008631

 

Commissaire :

Diane Lajoie, juge administratif

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

Pharmacie Jean Coutu 30

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 16 mars 2009, l’employeur, Pharmacie Jean Coutu 30, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 11 février 2009, à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 7 octobre 2008 et déclare que la totalité des coûts dus en raison de l’accident du travail subi par la travailleuse, madame Martine Desaulniers le 9 septembre 2003, doit être imputée à l’employeur.

[3]                À l’audience tenue le 11 janvier 2010, l’employeur est représenté par son procureur. L’affaire est prise en délibéré ce même jour. Toutefois, le délibéré est suspendu afin de permettre au procureur de l’employeur de soumettre ses arguments sur une question soulevée par la soussignée en cours de délibéré. Compte tenu du délai accordé au procureur pour soumettre son argumentation supplémentaire, l’affaire est finalement mise en délibéré le 8 février 2010.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer à compter du 9 décembre 2003 aux employeurs de toutes les unités les coûts reliés à la lésion professionnelle, et ce, conformément à l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LA PREUVE

[5]                Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles, le tribunal retient les éléments suivants.

[6]                À l’époque pertinente, la travailleuse occupe un emploi de commis étalagiste dans une pharmacie, propriété de l’employeur. Le 9 septembre 2003, elle subit un accident du travail. Alors qu’elle s’affaire à placer de la marchandise, elle reçoit une caisse sur le pied gauche.

[7]                La travailleuse consulte le lendemain, soit le 10 septembre 2003. Le médecin retient un diagnostic de contusion au pied gauche. Il prévoit que la lésion sera consolidée le 15 septembre suivant. Ce même jour, le docteur Larocque pose un diagnostic de trauma au pied gauche, avec hématome et douleur au niveau du 4e méta. Il indique sur le rapport médical CSST «pas arrêt de travail».

[8]                Le 18 septembre 2003, le docteur Larocque reprend le diagnostic de contusion au pied gauche. Il est toujours question d’un hématome. Un arrêt de travail d’une semaine est prescrit. Le 22 septembre suivant, le médecin de la travailleuse note des douleurs lors de l’éversion. Il autorise le retour au travail le 23 septembre 2003.

[9]                Le 24 septembre 2003, le docteur Larocque reprend le diagnostic de contusion au pied gauche. Il note des douleurs ++ à la suite du retour au travail. Il réfère madame Desaulniers en physiothérapie et prescrit un arrêt de travail.

[10]           Le premier rapport du physiothérapeute fait mention de douleur au pied gauche, de mouvements et de force diminués, d’œdème et de boiterie.

[11]           Le 1er octobre 2003, le docteur Larocque diagnostique un trauma au pied gauche, avec ecchymose et gonflement ++. Le 3 octobre 2003, il retient le diagnostic de fracture du 5e méta gauche. Il prescrit l’utilisation de béquilles pour une période de 10 jours et l’application de glace. Il refuse les travaux légers pour 15 jours.

[12]           Dans son rapport, le physiothérapeute note qu’il a rencontré le docteur Larocque et que vu la présence d’une fracture, la physiothérapie doit être cessée.

[13]           Le 15 octobre 2003, le docteur  Larocque reprend le diagnostic de fracture du 5e méta gauche. Il note une enflure et de la douleur. Il prescrit la reprise des traitements de physiothérapie. Il appert du rapport du physiothérapeute que les traitements prodigués sont le bain tourbillon, le bain contraste et des exercices d’assouplissement.

[14]           Le 23 octobre 2003, le docteur Larocque réfère la travailleuse à l’orthopédiste Paquin.

[15]           Le 11 novembre 2003, le physiothérapeute note une très légère amélioration. Le docteur Larocque maintient le diagnostic de fracture du 5e méta.

[16]           Le 9 décembre 2003, le docteur Paquin rencontre la travailleuse. Il diagnostique une fracture du 5e métatarse et une algodystrophie. Il prescrit des traitements de physiothérapie. Le 18 décembre suivant, le docteur Larocque reprend les mêmes diagnostics.

[17]           Le 9 janvier 2004, la travailleuse subit une scintigraphie osseuse. Le nucléiste Blais conclut à un examen compatible avec une fracture relativement récente de la base du 5e métatarse du pied gauche, un processus enthésopathique de grade modéré en antéro-interne de la région épiphysaire distale du tibia gauche et une légère atteinte inflammatoire ou dégénérative surajoutée au niveau des deux tarses.

[18]           Le 13 janvier 2004, le physiothérapeute note que l’évolution n’est pas satisfaisante.

[19]           La CSST s’adresse au médecin régional et lui demande si l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial. Le 20 janvier 2004, le médecin régional de la CSST émet l’opinion que l’algodystrophie est en lien avec la lésion initiale, sans plus de détails ou d’explications.

[20]           Le 21 janvier 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il y a une relation entre le diagnostic d’algodystrophie et l’événement initial. Cette décision sera confirmée le 3 juin 2004, à la suite d’une révision administrative. L’employeur n’a pas contesté cette décision.

[21]           Le suivi médical se poursuit. Les diagnostics de fracture et d’algodystrophie sont repris. Les travaux légers sédentaires sont autorisés. Le 17 février 2004, le docteur Paquin prescrit un suivi en ergothérapie.

[22]           Le 27 avril 2004, la travailleuse subit une seconde scintigraphie. À la suite de cet examen, les docteurs Paquin et Larocque maintiennent le diagnostic d’algodystrophie.

[23]           Le 26 mai 2004, la travailleuse consulte la docteure Fortier, physiatre. Elle prescrit des blocs veineux.

[24]           L’anesthésiste Albert qui procède aux blocs veineux produit un billet médical sur lequel il indique qu’il y a évidence de dystrophie sympathique du membre inférieur gauche. Il prescrit un arrêt de travail jusqu’au 25 juin 2004.

[25]           Le 5 juillet 2004, la docteure Fortier prescrit la poursuite du traitement par blocs veineux.

[26]           Le suivi médical se poursuit pour la condition de dystrophie sympathique qui est traitée par blocs veineux. Le 16 août 2004, la docteure Fortier fait état d’une évolution positive avec ce traitement.

[27]           Le 16 septembre 2004, la travailleuse est examinée par le docteur Nadeau, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Il conclut à un diagnostic de fracture du 5e métatarse pour laquelle la travailleuse a été traitée de façon tardive. Il demeure un œdème important au niveau du membre inférieur gauche et une ankylose non résolue.

[28]           Le 25 octobre 2004, la docteure Fortier émet un rapport médical final. Elle prévoit une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.

[29]           Le 26 octobre 2004, le docteur Larocque retient le diagnostic d’algodystrophie du pied gauche. Il autorise les travaux légers.

[30]           Le 2 novembre 2004, la CSST reconnaît à la travailleuse le droit à la réadaptation.

[31]           Le 30 novembre 2004, la docteure Fortier examine la travailleuse et produit le rapport d’évaluation médicale, pour un diagnostic d’algodystrophie du membre inférieur gauche à la suite d’une fracture du 5e métatarse gauche. Elle résume le dossier de la travailleuse en mentionnant que la travailleuse a consulté un médecin le lendemain de l’événement et qu’une radiographie n’aurait pas révélé de fracture. Par contre, deux semaines plus tard, une radiographie a révélé la présence d’une fracture du 5e métatarse. Étant donné qu’on était à deux semaines du traumatisme, il n’y a pas eu de plâtre. La travailleuse a été traité par physiothérapie et anti-inflammatoires. Deux mois après le traumatisme, elle a développé une algodystrophie.

[32]           Malgré un traitement, elle demeure avec une douleur constante au niveau du membre inférieur gauche. Il y a aussi une froideur au niveau du pied et un œdème fréquent, surtout en fin de journée. Il y a changement fréquent de décoloration à la marche.

[33]           La docteure Fortier évalue le déficit anatomophysiologique à 5%, se détaillant comme suit :

Fracture 5e métatarse gauche, sans séquelle fonctionnelle                      103346   0%

Algodystrophie membre inférieur gauche avec séquelles fonctionnelles     103499   2%

Perte de 20° de dorsiflexion à la cheville gauche                         107299   3%

 

 

[34]           La docteure Fortier reconnaît également à la travailleuse les limitations fonctionnelles suivantes :

La patiente devra éviter :

- la situation de plus de 2 heures 30 continue avec période de repos de 15 minutes [sic]

- la marche de plus de 2 heures

- les escaliers de façon répétée

- les positions accroupies prolongées

 

 

[35]           Le 8 février 2005, le docteur Larocque autorise le retour au travail selon les restrictions décrites par la docteure Fortier. Le 22 février 2005, la docteure Fortier note une douleur chronique pour laquelle elle prescrit pensaid.

[36]           La docteure Fortier produit le 5 avril 2005 une correction de l’évaluation du déficit anatomophysiologique, qu’elle évalue ainsi :

Fracture 5e métatarse gauche avec séquelles fonctionnelles                    103391  1.5%

Algodystrophie membre inférieur gauche avec séquelles fonctionnelles     103499   2%

Perte de 20° de dorsiflexion à la cheville gauche                         107299   3%

 

           

[37]           Le 12 avril 2005, le docteur Larocque émet un rapport médical final pour un diagnostic d’algodystrophie du pied gauche post fracture du 5e métatarse. Il réfère la travailleuse à la docteure Fortier pour l’évaluation des séquelles.

[38]           Le 12 avril 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente de 7,40%, soit un déficit anatomophysiologique de 6,5% auquel doit être ajouté un pourcentage de 0,90% pour douleurs et perte de jouissance de la vie.

[39]           Le 18 avril 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que la travailleuse est capable de reprendre son travail à compter du 15 avril 2005.

[40]           Le 8 janvier 2008, l’employeur présente à la CSST une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi. Il allègue que le diagnostic d’algodystrophie est dû à l’omission de soins, au sens de l’article 31 de la loi. En conséquence, l’employeur demande que les coûts soient transférés à l’ensemble des employeurs à compter du 9 décembre 2003, date à laquelle est posé le diagnostic d’algodystrophie.

[41]           Le 7 octobre 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il n’est pas démontré qu’une blessure ou qu’une maladie est survenue par le fait ou à l’occasion des soins ou de l’omission de soins et qu’en conséquence, la totalité des coûts reliés à la lésion professionnelle doit être imputée à l’employeur. Cette décision est confirmée le 11 février 2009, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[42]           Le 20 octobre 2009, le docteur Carl Giasson produit, à la demande de l’employeur, une opinion sur dossier. Il écrit qu’avec respect pour l’opinion contraire, l’algodystrophie réflexe ne peut découler de l’événement allégué par la travailleuse mais elle se doit d’être considérée comme une nouvelle lésion et/ou une maladie intercurrente.

[43]           Référant à la littérature médicale[2], le docteur Giasson écrit que l’apparition du syndrome douloureux régional complexe se produit le plus souvent après un traumatisme habituellement mineur. Il peut s’agir d’une immobilisation d’un membre, d’une blessure ou d’une chirurgie. Appliquée de façon incorrecte ou prolongée, l’immobilisation peut contribuer autant à l’apparition du syndrome qu’à sa chronicité. Il ajoute qu’au-delà de trois mois, il n’apparaît pas raisonnable d’attribuer la responsabilité de l’algodystrophie au traumatisme incriminé.

[44]           Le docteur Giasson est d’avis que dans le présent dossier le diagnostic de fracture est posé tardivement. En conséquence, il était inapproprié de référer la travailleuse en physiothérapie le 24 septembre 2003, pour des douleurs ressenties à la suite d’un retour au travail. Les mobilisations précoces à l’égard d’une fracture peuvent être invoquées comme ayant favorisé cette nouvelle lésion.

[45]           De l’avis du docteur Giasson, la responsabilité financière de l’employeur se limite aux conséquences normales d’une lésion de type fracture du 5e méta, soit de quatre à cinq semaines. Au surplus, une telle fracture se consolide sans séquelle fonctionnelle.

[46]           L’évaluation du déficit anatomophysiologique faite par la docteure Fortier est  donc directement reliée à l’algodystrophie, soit l’atteinte des tissus mous et la perte d’amplitude de mouvement. Il en est de même des limitations fonctionnelles, selon le médecin de l’employeur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[47]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi qui se lit comme suit :

327.  La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :

 

1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;

 

2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

[48]           L’article 31 de la loi se lit comme suit :

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

[49]           L’article 31 vise une lésion distincte de la lésion professionnelle initiale. En l’espèce, le procureur de l’employeur, s’appuyant sur l’opinion du docteur Giasson,  plaide que l’algodystrophie constitue une lésion visée par l’article 31 et qu’en conséquence, les coûts reliés à cette lésion doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités.

[50]           Dans le cadre de son analyse de la demande de transfert de coûts, le tribunal s’est interrogé sur son pouvoir de reconnaître en l’espèce que l’algodystrophie constitue une lésion au sens de l’article 31 de la loi.

[51]           La jurisprudence nous enseigne que l’absence d’une décision explicite de la CSST qualifiant une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non recevoir à une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.

[52]           En l’espèce toutefois, la CSST a rendu une décision par laquelle elle déclare que l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial.

[53]           En cours de délibéré, la soussignée a demandé au procureur de l’employeur de commenter l’effet de cette décision rendue le 21 janvier 2004 et confirmée le 3 juin suivant à la suite d’une révision administrative, sur la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur. Rappelons que l’employeur n’a pas contesté la décision rendue le 3 juin 2004.

[54]           Le procureur de l’employeur soumet, dans une argumentation écrite supplémentaire, que cette décision, qui n’a pas été contestée, n’est pas une fin de non recevoir de la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur.

[55]           Il soumet au soutien de sa prétention la décision rendue dans l’affaire E.P. Poirier ltée[3] dans laquelle le tribunal conclut :

«[39]  Dans le présent dossier, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision rendue par la CSST le 19 avril 2007 à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST déclare que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique est en relation avec l’événement du 8 juin 2006. Elle y précise d’ailleurs que les fractures, écrasements et plaies peuvent se compliquer par une algodystrophie réflexe sympathique.

 

[40]  Le fait de reconnaître l’algodystrophie réflexe sympathique en relation avec la lésion professionnelle n’est cependant pas inconciliable avec le fait que cette même pathologie puisse découler des soins ou de l’omission de soins selon l’article 31 de la loi.

 

[41]  En accord avec la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles4 sur le sujet, l’absence de décision de la CSST au sujet de l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non recevoir à une demande de transfert d’imputation logée par l’employeur en vertu de l’article 327 de la loi.»

 

 

 

 

            ________________________                                                                     

            4                     Chum (Pavillon Notre-Dame), C.L.P. 129659-71-9912, 19 juin 2000, C. Racine; Hôpital     Général de Montréal, C.L.P. 133422-71-0003, 21 septembre 2001, C. Racine; Corporation urgence santé, C.L.P. 155751-63-0102,  8 avril 2002, J-M Charrette;      Ministère de la Solidarité sociale (Programme expérience travail extra), C.L.P. 117998-     72-9906, 25 janvier 2000, M. Lamarre; Construction R. Bélanger inc., C.L.P. 303100-05-       0611, 31 octobre 2007, M. Allard.

 

 

 

[56]           Il faut souligner que dans cette décision soumise par l’employeur, la CSST a rendu une décision par laquelle elle déclare que l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial, alors que le tribunal retient l’argument que le fait de reconnaître que l’algodystrophie est en lien avec la lésion initiale (et non l’événement) n’est pas inconciliable avec le fait que cette pathologie puisse découler des soins ou de l’omission de soins.

[57]           Dans l’affaire Bowater Mitis et CSST[4], le tribunal décide que le fait qu’une décision établisse un lien entre un diagnostic et l’événement accidentel n’empêche pas de considérer que ce diagnostic découle, da façon plus spécifique, des soins ou traitements reçus en relation avec la lésion professionnelle.

[58]           Par ailleurs, dans l’affaire Équipement de ferme Turgeon ltée[5], le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision par laquelle la CSST déclare que le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe est en relation avec l’accident du travail du 27 juin 2003. Pour le tribunal, cette décision constitue l’assise sur laquelle pouvait se baser l’employeur pour demander que cette pathologie soit qualifiée non pas de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi mais plutôt au sens de l’article 31.

[59]           Le tribunal ajoute qu’il est difficile de prétendre que la dystrophie est reliée aux soins ou à l’omission de soins, alors qu’une décision explicite devenue finale indique plutôt qu’elle est en lien avec l’événement initial. Le tribunal conclut qu’il ne peut faire droit à la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur.

[60]           Dans l’affaire Corporation d’aliments Encore Gourmet[6], la Commission des lésions professionnelles juge qu’un obstacle majeur se dresse et s’oppose aux prétentions de l’employeur qui soutient que l’état de stress post traumatique diagnostiqué constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi puisque la CSST a rendu une décision par laquelle elle déclare que ce diagnostic est relié à la lésion initiale.

[61]           Enfin, dans une décision récente[7], la juge administratif Carignan statue sur une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi. Elle s’exprime ainsi :

«[16]  Dans le présent cas, la travailleuse a subi le 25 juin 2003 une entorse au genou droit. La CSST a accepté, dans une décision datée du 9 décembre 2004, le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe du membre inférieur droit comme étant en lien avec l’événement initial. L’employeur n’a pas contesté cette dernière décision qui est devenue finale.

[17]  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur ne peut plus prétendre que l’algodystrophie réflexe n’est pas en lien avec l’événement initial mais plutôt avec les soins ou l’absence de soins découlant de la lésion professionnelle survenue à cette occasion.

(…)

[20] Le tribunal étant lié par la décision de la CSST, déclarant que l’algodystrophie réflexe du membre inférieur droit de la travailleuse est reliée à l’événement initial, on ne peut prétendre à l’étape de la demande de transfert de l’imputation des coûts que cette blessure ou maladie résulte des soins ou l’omission d’apporter des soins.»

 

[62]           Le tribunal estime qu’il faut distinguer les situations où la CSST ne rend aucune décision spécifique concernant la lésion que l’on prétend survenue à l’occasion ou par le fait de soins ou l’omission de soins, de celles où la CSST rend une décision dans laquelle elle déclare que le nouveau diagnostic est en lien avec la lésion initiale et, enfin, de celles où la CSST déclare que le nouveau diagnostic est en lien avec l’événement initial.

[63]           De l’avis du tribunal, le fait de reconnaître un lien entre l’événement initial et le nouveau diagnostic, par exemple l’algodystrophie comme c’est le cas en l’espèce,  exclut un lien entre ce nouveau diagnostic et les soins ou l’omission de soins.

[64]           Dans le cas où la CSST reconnaît plutôt que l’algodystrophie est en lien avec la lésion initiale, la relation entre cette lésion distincte et les soins ou l’omission de soins n’est pas nécessairement exclue. Cette relation n’est pas non plus exclue lorsque la CSST indemnise le travailleur pour le nouveau diagnostic sans pour autant rendre de décision d’admissibilité spécifique à ce diagnostic. Dans ces deux situations, on peut valablement prétendre que la CSST considère la nouvelle lésion comme étant de nature professionnelle, ce qui n’exclut pas qu’elle soit survenue à l’occasion de soins ou l’omission de soins puisqu’elle ne relie pas la lésion avec l’événement initial.

[65]           C’est donc dans ces deux dernières situations que l’on peut prétendre à l’absence de décision en vertu de l’article 31 de la loi, ce qui donne ouverture à l’examen d’une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.  Dans les cas où la CSST déclare que le nouveau diagnostic, en l’occurrence l’algodystrophie, est en lien avec l’événement initial, elle reconnaît implicitement que cette lésion distincte n’est pas en lien avec les soins ou l’omission de soins, mais bien avec l’événement.

[66]           Le fait de reconnaître que l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial relie cette lésion distincte au traumatisme initial comme tel, ce qui exclut une relation causale entre l’algodystrophie et les soins ou l’omission de soins.

[67]           Dans le présent dossier, la CSST déclare que le diagnostic d’algodystrophie est relié à l’événement initial. Cette décision n’a pas été contestée par l’employeur.

[68]           La reconnaissance par le présent tribunal que l’algodystrophie constitue une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi équivaudrait à infirmer cette décision d’admissibilité, sans qu’elle n’ait été dûment contestée.

[69]           Dans son opinion écrite, le docteur Giasson mentionne qu’à son avis, l’algodystrophie n’est pas reliée à l’événement. Cette opinion du docteur Giasson aurait certainement pu être invoquée au soutien de la contestation de la décision du 21 janvier 2004. Mais, tel que déjà mentionné, cette décision d’admissibilité du nouveau diagnostic n’a pas été contestée par l’employeur.

[70]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles ne peut accorder le transfert de coûts demandé par l’employeur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, Pharmacie Jean Coutu 30;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 février 2009, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par la travailleuse, madame Martine Desaulniers le 9 septembre 2003, doit être imputée à l’employeur.

 

 

__________________________________

 

Diane Lajoie

 

 

 

 

 

 

Me Don Alberga

BORDEN LADNER GERVAIS

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Michel DUPUIS et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l’appareil locomoteur, St-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 1986, p. 733;  Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l’appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, 1444 p.; A. LESPINE, «Les algodystrophies : rôle du traumatisme, difficultés diagnostiques, incidences socio-économiques et réparation », (1997) 23 Revue française du dommage corporel 335, p.

[3]           C.L.P. 360262-62A-0810, 25 août 2009, C. Burdett

[4]           C.L.P., 311316-01A-0702, 11 février 2008, R. Arseneau

[5]           C.L.P., 353555-03B-0807, 14 mai 2009, A, Quigley

[6]           C.L.P., 332790-62C-0711, 11 novembre 2008, C. Racine

[7]           Maurice Goupil ltée, C.L.P., 260066-01C-0504, 9 février 2010, M. Carignan

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