Charette et Corps canadien commissionnaires Québec |
2008 QCCLP 2131 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 11 septembre 2007, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle elle demande la révision d’une décision que celle-ci a rendu le 31 juillet 2007.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de madame Marie-France Charette (la travailleuse), infirme la décision rendue par la CSST le 19 février 2007, à la suite d’une révision administrative, et déclare que l’emploi de préposée « Lowrise Highrise » n’est pas un emploi convenable.
[3] Une audience est tenue à Gatineau le 27 février 2008. La travailleuse est présente et est représentée, ainsi que la CSST. L’employeur, Corps canadien commissionnaires Québec, n’est pas représenté.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir sa requête, de réviser la décision rendue par le premier commissaire pour le motif qu’elle comporte un vice de fond de nature à l’invalider, conformément à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[5] La travailleuse subit une lésion professionnelle le 18 avril 2005.
[6] Le 14 août 2006, le docteur Thien Vu Mac, orthopédiste, en sa qualité de membre du Bureau d'évaluation médicale, se prononce sur les cinq éléments prévus à l’article 212 de la loi. Il retient les diagnostics suivants :
- Fracture de la palanque distale du pouce gauche consolidée ;
- Déchirure chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ;
- Contusion aigue de l’épaule droite avec capsulite secondaire ;
- Syndrome myofascial avec tableau douloureux important secondaire ;
- Capsulite de l’épaule gauche idiopathique. [sic]
[7] Il fixe au 25 mai 2006 la consolidation de la lésion professionnelle et se dit d’accord à ce que la travailleuse bénéficie d’une consultation à la clinique de la douleur et d’un support psychologique pour gérer sa douleur
[8] Il évalue l’atteinte permanente à l’intégrité physique de la travailleuse à 31,25 % et retient les limitations fonctionnelles suivantes :
Considérant les diagnostics retenus ;
Considérant l’évaluation du docteur Varin en date du 25 mai 2006 ;
Considérants mon examen physique d’aujourd’hui ;
Je suis d’accord avec les limitations fonctionnelles émises par le docteur Varin en ce qui concerne l’épaule droite, soit :
Éviter :
- Les mouvements répétitifs de l’épaule droite ;
- Les mouvements dans l’espace de plus de 60° d’élévation antérieure, d’abduction de l’épaule droite ;
- Les manipulations de charge de plus de 5 Kg avec le membre supérieur droit ;
- Ce membre ne doit pas non plus être soumis aux vibrations de basse fréquence.
Il est à noter que ces limitations fonctionnelles devraient être appliquées au niveau de l’épaule gauche également même si aucun diagnostic n’est retenu par la CSST pour cette épaule.
[9] Le dossier de la travailleuse fait l’objet d’une référence au service de réadaptation de la CSST pour une évaluation de sa capacité de travail.
[10] Des démarches sont entreprises auprès de l’employeur de la travailleuse et de son représentant.
[11] Une évaluation des tâches est réalisée par une ergothérapeute le 28 septembre 2006 :
Les fonctions principales d’un travailleur au « Highrise » sont les suivantes :
¨ Demeurer debout et s’assurer que les fonctionnaires passent leurs cartes d’identité dans le lecteur de cartes d’accès.
¨ Vérifier la carte d’identité si le lecteur de cartes d’accès émet une alerte (sonne). »
[12] L’ergothérapeute retient la conclusion suivante :
[…]
Suite à l’évaluation du 28 septembre 2006, nous considérons que Mme Charette peut effectuer toutes les tâches reliées au travail dans le « Highrise » tout en respectant les limitations fonctionnelles émises par Dr Thien Vu Mac, Orthopédiste.
Dû aux mouvements répétitifs et la hauteur des boutons dans l’ascenseur, nous considérons que les limitations fonctionnelles pour le poste d’Opérateur de l’ascenseur (19) ne sont pas respectées.
Notons que Mme Charrette se déplace très lentement à la marche ; néanmoins, il n’y a aucune limitation fonctionnelle au niveau de la tolérance posturale à la marche. [sic]
[13] Cet emploi est disponible pour la travailleuse à partir du 4 octobre 2006. La CSST rend une décision le 5 octobre 2006 concernant la capacité de la travailleuse à exercer l’emploi convenable d’agent de sécurité « lowrise highrise » à compter du 4 octobre 2006.
[14] Le 1er novembre 2006, la travailleuse conteste la décision précitée laquelle sera maintenue par la CSST en révision administrative le 19 février 2007 et infirmée par la décision faisant l’objet de la présente requête :
[15] Le premier commissaire retient essentiellement :
[18] La travailleuse est courbée et peut se redresser que partiellement, ce qui fait qu’elle ne peut regarder le visage des gens que si ceux-ci se penchent ou s’accroupissent devant elle, ce qui ne peut évidemment être acceptable pour l’employeur, qui a mis fin dès le lendemain à l’emploi de la travailleuse, geste éloquent quant à la capacité de la travailleuse d’occuper cet emploi.
[19] Les études ergonomiques effectuées à la demande de la CSST ont reconnu que les limitations fonctionnelles de la travailleuse lui permettaient d’effectuer ce travail et, foncièrement, cela semble exact. Toutefois, la travailleuse est courbée, ce qui l’empêche d’effectuer adéquatement le travail retenu à titre d’emploi convenable, ce qui ne semble pas avoir été pris en compte, la CSST n’ayant considéré que les limitations fonctionnelles émises, sans vraiment analyser les exigences particulières de ce poste de travail.
[…]
[27] La preuve est aussi à l’effet que la travailleuse ne peut adéquatement occuper l’emploi convenable retenu, compte tenu que sa condition physique l’oblige à être courbée avec l’impossibilité de se relever la tête pour regarder les gens. Cette limitation fonctionnelle, même si elle est de nature personnelle, empêche la travailleuse d’occuper l’emploi convenable, puisqu’elle ne peut effectuer toutes les tâches reliées à cet emploi, ce qui contrevient à la définition d’emploi convenable prévue à l’article 2 de la loi qui précise :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[28] L’emploi convenable retenu par la CSST ne peut être occupé par la travailleuse, l’employeur ayant mis fin à cette assignation en retournant la travailleuse chez elle, réduisant à zéro les possibilités d’embauche à ce poste.
[16] À l’audience, les représentants de la travailleuse et de la CSST reconnaissent que l’employeur n’a aucunement congédié la travailleuse, mais l’a retourné chez elle pour des raisons de nature médicale.
[17] La représentante de la CSST affirme que le premier commissaire a basé sa décision sur une perception personnelle non documentée médicalement. Rien au dossier ne précise ou ne fait état d’une limitation fonctionnelle personnelle quelconque rendant impossible pour la travailleuse le geste de relever la tête.
[18] Cette conclusion, retenue par le premier commissaire, est donc non-conforme à la preuve offerte.
[19] L’évaluation de la capacité de la travailleuse devait, dit-elle, être effectuée au moment de la prise de décision, soit en octobre 2006 et non en fonction de ce qui a ou aurait pu survenir par la suite.
[20] Il s’agit donc, selon elle, d’un vice de fond ayant un effet déterminant quant au sort du litige.
[21] Le représentant de la travailleuse soutient que la conclusion à laquelle en vient le premier commissaire n’est pas déraisonnable. Elle est le résultat de ce qu’il a constaté, de ce qu’il a retenu du témoignage de la travailleuse et de ce qui ressort des divers rapports médicaux où il appert que la travailleuse présente un tableau douloureux relié à un syndrome myofacial ainsi qu’un comportement quelques fois inexplicable qui milite en faveur d’un suivi psychologique.
L’AVIS DES MEMBRES
[22] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis que l’erreur relative à la qualification du retrait du travail de la travailleuse en date du 4 octobre 2006, par le premier commissaire, n’est pas déterminante quant au sort du litige et ils ne peuvent alors conclure en l’existence sous ce chapitre d’un vice de fond.
[23] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la décision est, par ailleurs, entachée d’une erreur de droit équivalant à un vice de fond lorsque le premier commissaire retient sans preuve médicale une limitation fonctionnelle personnelle non documentée, ce qui est déterminant quant au sort du litige. Sur le fond, il estime que la preuve prépondérante est à l’effet que l’emploi d’agent de sécurité « lowrise highrise » constitue un emploi convenable que la travailleuse est capable d’exercer à compter du 4 octobre 2006.
[24] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la décision est entachée d’une erreur lorsque le commissaire qualifie de limitation fonctionnelle personnelle le fait que la travailleuse ne puisse mobiliser sa tête. Par ailleurs, il est d’avis que cette erreur n’est pas déterminante quant au sort du litige car une analyse globale de la preuve lui permet de conclure en l’incapacité de la travailleuse à exercer cet emploi, notamment en raison d’un syndrome myofacial et d’une condition médicale difficile à cerner.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[25] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision qu’elle a rendu le 31 juillet 2007.
[26] L’article 429.49 de la loi énonce que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[27] Par ailleurs, l’article 429.56 prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendu pour les motifs qui y sont énoncés. Cette disposition se lit ainsi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[28] En l’espèce, la CSST allègue que la décision rendue est entachée de vices de fond de nature à l’invalider.
[29] Selon une jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, la notion de vice de fond de nature à invalider la décision a été interprétée comme signifiant une erreur de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation.[2]
[30] La Cour d’appel s’est aussi prononcée relativement à l’interprétation de cette notion de « vice de fond »[3]. Notamment, dans les affaires Fontaine et Touloumi, la Cour d’appel souligne qu’il incombe à la partie qui demande la révision de faire la preuve que la première décision est entachée d’une erreur « dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés ».
[31] Dans l’affaire Fontaine, la Cour d’appel nous met en garde d’utiliser à la légère l’expression « vice de fond de nature à invalider » une décision puisque la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.
[32] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles devait décider de la capacité de la travailleuse à exercer l’emploi convenable de préposée « lowrise highrise ». Le premier commissaire a conclu en raison de la posture adoptée par la travailleuse à l’audience, que celle-ci ne pouvait effectuer adéquatement ledit emploi convenable.
[33] De fait, celui-ci ne réfère dans sa motivation à aucune limitation fonctionnelle décrite par un médecin au dossier à ce sujet.
[34] Bien qu’il qualifie cette limitation fonctionnelle de « personnelle » la preuve au dossier ne supporte pas cette allégation. Aucune opinion médicale ne fait état d’une telle position antalgique ni n’en explique les raisons.
[35] Cette conclusion du premier commissaire est contraire à la preuve médicale versée au dossier et constitue une erreur manifeste qui a été déterminante dans le sort du litige, car c’est à partir de cette erreur que le premier commissaire a déterminé que l’emploi d’agent de sécurité « « lowrise highrise » n’était pas convenable.
[36] Quant à la seconde erreur reliée à la qualification des motifs concernant l’arrêt de travail de la travailleuse, celle-ci n’est pas en soi déterminante quant au sort du litige.
[37] La Commission des lésions professionnelles, compte tenu de la preuve au dossier, conclut que l’emploi d’agent de sécurité « lowrise highrise » est un emploi convenable que la travailleuse est en mesure d’accomplir à compter du 4 octobre 2006.
[38] De fait, les limitations fonctionnelles reconnues sont entièrement respectées dans cet emploi et même celles reliées à l’épaule gauche d’origine idiopathique, tel que précisé dans l’opinion de l’ergothérapeute qui a évalué ce poste de travail.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision produite par la Commission de la santé et de la sécurité du travail ;
RÉVISE la décision rendue le 31 juillet 2007 ;
REJETTE la requête produite par madame Marie-France Charette, la travailleuse ;
CONFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 février 2007 ;
DÉCLARE que l’emploi d’agent de sécurité « lowrise highrise » est un emploi convenable que madame Marie-France Charette peut exercer à compter du 4 octobre 2006.
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Me Sylvie Moreau |
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Commissaire |
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Me Guy Laporte |
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Leblanc, Doucet, McBride |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Michèle Gagnon-Grégoire |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998], C.L.P. 783
[3] Tribunal administratif du Québec c. Godin, R.J.Q. 2490 (C.A.); Bourassa c. CLP, [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, C.A., 500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette, Bich, 05LP-159
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.