Rheault & Fils ltée et Samson |
2015 QCCLP 2998 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Longueuil |
29 mai 2015 |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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534007-04B-1402 541576-04B-1405 559735-04B-1412 560659-04B-1412 |
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Dossier CSST : |
141533752 |
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Commissaire : |
Carmen Racine, juge administrative |
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Membres : |
Bertrand Delisle, associations d’employeurs |
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Serge Saint-Pierre, associations syndicales |
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Rheault & Fils ltée |
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Partie requérante |
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Marcel Martin Samson |
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Partie intéressée |
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DÉCISION S
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Dossier 534007
[1] Le 17 février 2014, l’employeur, Rheault & Fils ltée, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 3 janvier 2014 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).
[2] Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 17 octobre 2013 et, en conséquence, elle détermine que monsieur Marcel Martin Samson (le travailleur) a été victime d’une lésion professionnelle, le 18 septembre 2013, ayant occasionné une entorse à la cheville droite chez ce dernier, et qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
Dossier 541576
[3] Le 14 mai 2014, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 4 avril 2014 à la suite d’une révision administrative.
[4] Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 28 février 2014 et, en conséquence, elle détermine que le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe (pied tombant droit) est relié à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 septembre 2013 et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce diagnostic.
Dossier 559735
[5] Le 10 décembre 2014, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 28 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative.
[6] Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 3 septembre 2014 et, en conséquence, elle détermine qu’il n’y a pas lieu de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi puisque le travailleur a une raison valable de s’absenter de l’examen médical prévu auprès du membre du Bureau d’évaluation médicale le 18 août 2014.
Dossier 560659
[7] Le 19 décembre 2014, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 4 novembre 2014 à la suite d’une révision administrative.
[8] Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 2 octobre 2014[2] et, en conséquence, elle détermine que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 septembre 2013 n’est pas encore consolidée, que des traitements sont toujours requis et que celui-ci a toujours droit aux prestations prévues à la loi.
[9] L’audience dans ces affaires a lieu à Drummondville, le 11 mai 2015, en présence du travailleur, de la représentante de l’employeur, Me Janie-Pier Joyal, et de monsieur Jéricho Simoneau, témoin convoqué par celle-ci.
[10] Comme le travailleur n’est pas représenté, la Commission des lésions professionnelles s’assure de sa volonté de procéder seul dans ces dossiers et elle lui explique le rôle du tribunal et la façon dont se déroulera l’audience.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 534007
[11] La représentante de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013 et qu’il n’a donc pas droit aux prestations prévues à la loi.
Dossier 541576
[12] La représentante de l’employeur indique qu’en l’absence de lésion professionnelle, il devient inutile de se prononcer sur la relation existant entre le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe et celle-ci.
[13] Par ailleurs, la représentante de l’employeur précise que, si la Commission des lésions professionnelles détermine que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle, elle n’a pas de prétention particulière à faire valoir eu égard à ce litige.
Dossier 559735
[14] La représentante de l’employeur indique qu’en l’absence de lésion professionnelle, la contestation portant sur la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu devient sans objet. Cependant, elle ajoute que, dans l’éventualité où la Commission des lésions professionnelles reconnaît que le travailleur a été victime d’une telle lésion professionnelle, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit être suspendu à compter du 18 août 2014 puisque ce dernier s’absente, sans raison valable, de l’examen prévu auprès du membre du Bureau d’évaluation médicale à cette date.
Dossier 560659
[15] La représentante de l’employeur réitère qu’en l’absence de lésion professionnelle, il est inutile de se prononcer sur les conséquences médicales de cette dernière.
[16] Toutefois, de façon subsidiaire, la représentante de l’employeur indique que si la Commission des lésions professionnelles maintient la décision de la révision administrative concernant l’admissibilité de la lésion professionnelle, elle demande au tribunal de consolider cette lésion le 13 mai 2014, sans nécessité de traitements additionnels, comme le propose l’expert de l’employeur, le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste.
LES FAITS
[17] Des documents au dossier, de ceux déposés et des témoignages du travailleur et de monsieur Jéricho Simoneau, collègue de travail de ce dernier, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.
[18] Le travailleur est aide déménageur pour l’employeur.
[19] À sa première journée de travail, le 18 septembre 2013, il se présente au travail en pleine forme. Il ressent certes une petite douleur au genou droit, mais, selon son témoignage, sa cheville et son pied droits sont exempts de tout problème.
[20] Or, à cette date, il allègue être victime d’une lésion professionnelle lors de laquelle il se blesse à la cheville et au pied droits. Dans le formulaire « Réclamation du travailleur », il décrit les circonstances entourant l’apparition de cette blessure. Essentiellement, le travailleur relate qu’il monte, seul, dans les escaliers, un sommier mesurant environ 7 pieds et pesant une soixantaine de livres, qu’il perd le « balan », que le sommier lui frappe le pied droit, qu’il veut le retenir pour ne pas qu’il retombe dans les marches, qu’il y a « dégringolade en perdan l’équilibre jusqu’en bas 12 marche environ » [sic], qu’il se tord le pied dans les marches et qu’il entend un craquement suivi d’une brûlure et d’une douleur.
[21] Le travailleur indique qu’il avise son collègue de travail, la cliente ainsi que son patron de cette mésaventure.
[22] Le 20 septembre 2013, le travailleur consulte le docteur D. Fleury, chirurgien orthopédiste, qui signale que, le 18 septembre 2013, ce dernier fait une chute et subit un traumatisme à la cheville droite.
[23] Le 17 décembre 2013, le travailleur décrit aussi l’événement lors d’une visite au neurologue Michel L. Lebel. Ce médecin rapporte ainsi les propos de celui-ci :
Monsieur Samson est un patient âgé de 36 ans qui a eu un accident de travail le 18 septembre dernier. Il était en train d’effectuer un déménagement quand un sommier orthopédique aurait chuté sur son pied droit au niveau de la surface dorsale du pied et le patient est alors tombé par terre, il dit qu’il a déboulé dans l’escalier une vingtaine de marches et il dit que le lendemain quand il s’est réveillé il a constaté quand il a voulu aller à la toilette que son pied ne fonctionnait plus, qu’il traînait par terre et il est tombé deux fois par terre.
[24] Le 13 mai 2014, le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste, rencontre le travailleur à la demande de l’employeur et il écrit ce qui suit en ce qui concerne l’événement du 18 septembre 2013 :
Monsieur Samson a adressé une réclamation à la CSST pour un événement survenu vers 12h30 le jour même de son embauche, soit le 18 septembre 2013. Il mentionne que lors d’un déménagement, il a voulu monter un escalier tout en transportant le sommier d’un lit. Arrivé en haut de l’escalier, le sommier a basculé et est retombé en bas de l’escalier. Monsieur Samson rapporte que lorsque le sommier a basculé, il lui a frappé la face dorsale du pied droit.
Monsieur Samson a donc tenté de ralentir la chute du sommier en redescendant l’escalier tout en le retenant.
Arrivé au pied de l’escalier, il mentionne avoir fait une chute au sol. Il ne décrit cependant pas de traumatisme précis au niveau de sa cheville droite.
Monsieur Samson a par la suite pu remonter le sommier dans l’escalier en compagnie d’un collègue de travail et a terminé son déménagement.
[25] Le 17 septembre 2014, le docteur Marcel Dufour, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur et, à l’histoire de la maladie, il note que l’événement consiste en une chute dans un escalier lors du transport d’un sommier et un traumatisme en inversion au niveau de la cheville droite.
[26] Le travailleur témoigne aussi à l’audience et il fournit de nombreuses précisions concernant l’événement.
[27] La Commission des lésions professionnelles constate qu’il est un mauvais historien et qu’il se perd, parfois, dans des détails superflus ou dans des commentaires qui ne sont pas de nature à aider le tribunal.
[28] Toutefois, la Commission des lésions professionnelles retient que, le 18 septembre 2013, le travailleur doit effectuer deux déménagements avec un collègue, Jéricho Simoneau.
[29] La première cliente est une personne âgée vivant au deuxième étage d’un immeuble à logements. Elle déménage au troisième étage d’une résidence pour personnes âgées.
[30] Le travailleur signale que l’événement survient peu de temps avant l’heure du dîner, vers 12h30, lors de ce premier déménagement.
[31] Il souligne que le retrait des meubles et des autres items, le déplacement de ce matériel dans le camion et le transport vers la résidence pour personnes âgées se déroulent bien.
[32] Il se rappelle qu’un ascenseur est disponible dans cette résidence et que son collègue tente d’y entasser tout le matériel. Son collègue force pour y entrer le matelas et il essaie de faire la même chose avec le sommier. Or, le travailleur lui fait remarquer qu’on ne peut plier un sommier et que cet objet ne peut d’aucune façon entrer dans l’ascenseur. Il discute fermement avec son collègue, mais ce dernier insiste pour agir de cette façon.
[33] Le travailleur est fâché, découragé. Il s’empare du sommier qu’il qualifie d’« orthopédique » et il entreprend de le monter seul dans les escaliers. Il saisit le bas du sommier, il en appuie la structure sur son épaule et il le tient de l’autre main. Il part en trombe avec cet objet, mais il s’y prend mal. Vers la dernière marche avant le premier palier, il perd le « balan », le sommier penche dangereusement vers le bas de l’escalier, il tente de le retenir et se l’échappe sur le dessus du pied droit. Le sommier poursuit sa course vers le bas de l’escalier, le travailleur part avec et il décrit sa descente comme une série de culbutes ou de « steppettes » avec ses pieds. Au final, le sommier se retrouve dans le mur et le travailleur se tord la cheville droite à son arrivée sur le plancher. Il entend alors un craquement et il ressent une brûlure à la cheville droite et une douleur aux orteils droits au site de l’impact avec le sommier.
[34] Par la suite, il croit avoir monté le sommier, dans les escaliers, avec l’aide de son collègue de travail.
[35] Il croit également avoir dit à son collègue avoir pris une « débarque » dans les escaliers et en avoir avisé la cliente.
[36] Il précise qu’il complète le travail à cet endroit, qu’il défait des boîtes, qu’il range le linge et qu’il ramène les boîtes vides.
[37] Après avoir terminé ce déménagement, il dîne chez son collègue et, après cette pause, il retourne chez l’employeur. Le travailleur dit qu’il y rencontre le propriétaire de l’entreprise et qu’il enlève son soulier pour lui montrer son pied. Cependant, plus tard, il indique que c’est peut-être après le second déménagement qu’il voit le propriétaire, qu’il lui parle de son pied et qu’il lui mentionne qu’il s’agit d’un accident banal sans conséquence.
[38] Ainsi, en après-midi, le travailleur doit aller chez un autre client pour y déménager deux appareils électroménagers. Il peut transporter le premier appareil, mais il est incapable de déplacer le deuxième car il n’a plus assez de force dans les jambes. Son collègue doit appeler à la compagnie pour avoir du renfort.
[39] Il explique que, malgré l’événement, la douleur est endurable. Il retourne chez lui en vélo, son principal moyen de transport, il enlève ses souliers et il se frotte les orteils. Il est fatigué. Il mange, il se couche et il s’endort rapidement.
[40] Or, le lendemain, il constate que son pied droit tombe tout seul et traîne par terre. Il fait deux chutes à cause de cela. Il réalise qu’il ne pourra se rendre au travail. Toutefois, il n’a pas de téléphone et il n’a donc aucune façon de rejoindre l’employeur.
[41] Le travailleur se rend, en vélo, à l’urgence de l’hôpital. Il y rencontre le docteur Jean-François Provencher. Celui-ci produit une attestation médicale sur laquelle il mentionne que l’événement survient le 18 septembre 2013 et sur laquelle il diagnostique une entorse de grade III à la cheville droite. Le docteur Provencher prescrit une radiographie simple de la cheville et du pied droits. Ce test d’imagerie est réalisé à 22h00 et il est interprété ainsi par le docteur Amélie Hallé, radiologue :
CHEVILLE ET PIED DROITS
Présence de deux petits fragments osseux sous la malléole externe. Il y en a un pour lequel les marges sont cortiquées, ce qui suggère un processus ancien. Les marges de l’autre petit fragment sont moins franches. Il nous est donc difficile de déterminer s’il s’agit d’un arrachement récent ou non. À corroborer étroitement aux antécédents et à la clinique actuelle.
L’alignement est adéquat. Pas de franc trait fracturaire. Rien d’autre à signaler par ailleurs.
[42] Le docteur Provencher prévoit une immobilisation avec une botte de marche et il requiert une consultation en orthopédie. La note rédigée lors de cette visite médicale n’est pas au dossier.
[43] Cependant, la requête remplie aux fins de cette consultation est disponible. Elle est datée du 19 septembre 2013 et elle est complétée vers 23h30. Le docteur Provencher y reprend le diagnostic d’entorse à la cheville droite. Il note également un tiroir positif et une problématique au niveau des extenseurs.
[44] Le 20 septembre 2013, le docteur D. Fleury, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur. Il signale la chute, le trauma à la cheville droite et le pied tombant. Il diagnostique une entorse à la cheville droite et une neuropraxie du sciatique poplité externe droit. Il prescrit le port d’une « botte Samson » ainsi qu’une électromyographie. Dans le rapport remis à la CSST, il reprend les diagnostics proposés précédemment et il prolonge l’arrêt du travail. Ces diagnostics seront d’ailleurs maintenus tout au long du suivi médical.
[45] Le 20 septembre 2013, le travailleur se rend chez l’employeur pour lui remettre ses documents médicaux. Il se déplace, une fois de plus, en vélo. Il explique qu’il peut utiliser ce moyen de transport, malgré ses problèmes à la cheville et au pied droits. Il croit que ses souliers, bien attachés, agissent de la même façon qu’une botte de marche. Ils soutiennent son pied et sa cheville et lui permettent d’employer son vélo.
[46] Le travailleur concède que cette visite chez l’employeur se déroule mal.
[47] En effet, le propriétaire lui laisse entendre qu’il n’avait été embauché que pour deux jours alors que, selon sa compréhension, le contrat est à durée indéterminée. Il y a aussi un litige concernant la fourniture de bottes de sécurité.
[48] Bref, le travailleur est très insatisfait lorsqu’il quitte les lieux du travail. Cet épisode est d’ailleurs relaté dans les notes évolutives du 14 janvier 2014, le travailleur confiant qu’il est allé « narguer » l’employeur.
[49] Le 11 octobre 2013, la CSST communique avec l’employeur afin d’obtenir sa version des faits. Ce dernier indique que l’événement est déclaré le 19 septembre 2013. Il doute de la survenue de celui-ci car le travailleur se présente en vélo afin de produire ses documents et il n’a pas l’air souffrant. L’employeur précise aussi que le travailleur est embauché temporairement afin de remplacer un employé malade.
[50] La CSST analyse ces données et, le 17 octobre 2013, elle détermine que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013. L’employeur demande la révision de cette décision mais, le 3 janvier 2014, la révision administrative la maintient d’où le premier litige dont est saisie la Commission des lésions professionnelles (dossier 534007).
[51] Il ressort des notes évolutives que l’employeur s’interroge sur l’admissibilité de cette réclamation puisque, d’une part, le travailleur change souvent sa version des faits et puisque, d’autre part, il se déplace en vélo et il saute par-dessus des blocs de ciment comme le démontreraient des enregistrements de caméras de surveillance.
[52] Or, aucun de ces enregistrements n’est produit à la Commission des lésions professionnelles.
[53] La seule preuve présentée par l’employeur est le témoignage du collègue de travail du travailleur, monsieur Jéricho Simoneau.
[54] Celui-ci se rappelle avoir travaillé un avant-midi avec le travailleur.
[55] Il ne peut dire le type de déménagement effectué alors. Il croit que ce n’est pas grand-chose. Il indique avoir transporté un sommier dans un escalier avec le travailleur. Il mentionne que le tout est assez vague, mais qu’il se souvient que le travailleur ne travaille pas bien, qu’il ne sait pas s’y prendre et qu’il doit même appeler l’employeur pour obtenir de l’aide. Il affirme ne pas avoir observé de signes lui laissant croire que ce dernier aurait pu se blesser. Il soutient que le travailleur ne lui dit pas qu’il aurait déboulé les escaliers.
[56] Monsieur Simoneau ne se rappelle plus si un ascenseur est disponible pour accéder à l’appartement. Si tel est le cas, il pense que c’est dans le premier immeuble qu’un tel équipement est installé.
[57] Monsieur Simoneau croit qu’il n’a qu’un seul déménagement à réaliser le 18 septembre 2013 et il ne peut dire si le travailleur parle au client d’une quelconque mésaventure. En fait, il ne se rappelle pas le client desservi cette journée-là. Il explique que cela fait longtemps et que, depuis, il effectue régulièrement de 15 à 20 déménagements par semaine.
[58] Enfin, monsieur Simoneau soutient qu’on ne peut déplacer, seul, un sommier en raison de la dimension de cet objet. Il admet toutefois qu’il ne s’agit pas d’un item trop lourd et qu’il peut le soulever d’une seule main.
[59] Par ailleurs, le suivi médical du travailleur et l’investigation se poursuivent en raison de l’entorse et de la neuropraxie diagnostiquées.
[60] Le 17 décembre 2013, le docteur Michel Lebel, neurologue, examine le travailleur avant de procéder à l’électromyographie prescrite par le docteur Fleury. Il indique :
À l’examen, on note qu’il a un pied tombant du côté droit et des troubles sensitifs avec hypoesthésie de la surface dorsale du pied et de la face latérale de jambe [sic]. On a plus l’impression qu’on est périphérique qu’une distribution de dermatome. Son tibial postérieur est préservé, le moyen fessier n’est pas faible.
[61] Le docteur Lebel constate une atteinte au sciatique poplité externe droit. Il considère que l’hypothèse la plus probable « demeure quand même que ce patient a exercé une traction sur son nerf sciatique et qu’il ait une neuropathie axonale traumatique séquellaire ». Il suggère des traitements de physiothérapie, des exercices de renforcement. Il prévoit revoir le travailleur dans six mois. Il prédit que, en raison de l’atteinte constatée, le travailleur « va mettre plusieurs mois avant qu’il y ait une amélioration assez importante pour rendre sa dorsiflexion du pied fonctionnelle sans orthèse ».
[62] Le 24 janvier 2014, le médecin conseil de la CSST, le docteur Line Lemay, s’entretient avec le docteur Fleury. Étrangement, elle inscrit le « 2011-12-06 » comme date de l’événement alors que, dans le bilan, il est plutôt question d’un traumatisme survenu le 10 décembre 2011. À tout événement, on semble bien discuter de la lésion alléguée en l’espèce puisque le docteur Fleury confirme que la neuropraxie découle du traumatisme, que des traitements de physiothérapie et une orthèse sont prescrites et qu’il prévoit une période de récupération de 18 mois.
[63] Interrogé au sujet de ces notes et dates, le travailleur reconnaît avoir subi une entorse à la cheville en mai 2011, lorsqu’il saute en bas d’une roulotte, entorse qui guérit très rapidement et qui ne lui cause aucun problème par la suite. Il ne se souvient d’aucun traumatisme en décembre 2011 et il ne peut donc commenter davantage.
[64] De toute façon, la seule date d’événement proposée par le docteur Fleury dans les rapports remis à la CSST est le 18 septembre 2013 et il ne fait jamais allusion à un traumatisme antérieur datant de mai ou de décembre 2011.
[65] Or, le 31 janvier 2014, le docteur Lemay se prononce sur la relation entre le diagnostic de neuropraxie et l’événement et elle en recommande l’acceptation.
[66] Le 28 février 2014, la CSST détermine donc que le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe (pied tombant droit) est relié à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 septembre 2013 et qu’il a droit aux prestations prévues à la loi en regard de celui-ci. L’employeur demande la révision de cette décision mais, le 4 avril 2014, la révision administrative la maintient d’où le second litige porté à l’attention de la Commission des lésions professionnelles (dossier 541576)
[67] Le 13 mai 2014, le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste, examine le travailleur à la demande de l’employeur. Le docteur Lacasse a en main tous les documents pertinents. Il remarque également que le travailleur se déplace en vélo pour se rendre à cette expertise. Sur le plan des antécédents, il signale un traumatisme au genou droit en 1996, un traumatisme au pied droit, en 2012, lors d’un saut d’une roulotte, et une chute sur le genou droit en décembre 2013.
[68] Le docteur Lacasse observe une boiterie aux dépens du membre inférieur droit. Son examen objectif met en évidence une sensibilité à la palpation de la malléole externe et du tendon d’Achille de la cheville droite, une amplitude normale de cette cheville et des orteils droits, une absence d’atrophie du mollet droit, une faiblesse de l’extenseur du premier orteil droit et une hypoesthésie au pied et à la face latérale de la jambe droite.
[69] Le docteur Lacasse retient les diagnostics d’entorse à la cheville droite et de neuropraxie du sciatique poplité externe droit « en relation avec l’événement du 18 septembre 2013 ». Il estime que ces lésions sont consolidées, malgré la « discrète limitation de la force de l’extension » du premier orteil droit. Il conclut que la lésion au nerf sciatique poplité externe est « pratiquement résolue » et que les traitements ne sont plus nécessaires pour la « légère faiblesse à l’extension active du premier orteil droit ». Il n’octroie aucune atteinte permanente ou limitation fonctionnelle car il estime que le travailleur « devrait récupérer complètement sur le plan moteur » de cette faiblesse résiduelle.
[70] L’employeur réclame l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale à la suite de cette expertise.
[71] Le 2 juin 2014, le docteur Fleury manifeste son désaccord avec certaines des conclusions émises par le docteur Lacasse. Il écrit :
Si l’examen objective une faiblesse à la dorsiflexion expliquée par une récupération sub-totale du SPE (sciatique poplité externe), bien que l’on puisse espérer une récupération complète. Ne devrais-t-on pas attendre l’EMG de contrôle pour statuer sur l’absence de DAP ?
D’accord ĉ l’absence de L.F.
[sic]
[72] Le dossier est donc confié au membre du Bureau d’évaluation médicale afin qu’il se prononce sur le diagnostic, sur la date de la consolidation, sur la nécessité des traitements, sur l’atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles.
[73] Un premier rendez-vous est fixé à cette fin le 16 juillet 2014, mais le travailleur ne s’y rend pas en raison d’une panne de voiture. Un nouveau rendez-vous avec le membre du Bureau d’évaluation médicale est donc prévu le 18 août 2014.
[74] Entre temps, le 17 juillet 2014, le travailleur rencontre de nouveau le neurologue Lebel. Il rapporte une amélioration de sa condition au pied droit, amélioration confirmée par l’électromyographie. En effet, le docteur Lebel note un processus de réinnervation en cours, bien qu’il subsiste encore des zones atteintes. Il conclut :
En somme, il s’agit d’une neuropathie sévère axonopathique du nerf sciatique poplité externe qui s’accompagne d’un processus de réinnervation identifiable électromyographique et qui commence à être présent cliniquement donc des changements qui sont extrêmement favorables pour ce patient.
Je vais revoir ce patient dans un an pour évaluer le processus de guérison qui devrait être passablement avancé. Si jamais le patient récupère sa dorsiflexion complète au cours de l’année, je lui suggère de communiquer avec ma secrétaire et je le reverrai plus rapidement.
[sic]
[75] Le 17 juillet 2014, le docteur Lebel produit donc un rapport pour la CSST. Il y propose le diagnostic de neuropathie sciatique droite traumatique et il note qu’un processus de réinnervation est amorcé. Il poursuit l’arrêt du travail.
[76] Le 6 août 2014, le docteur Fleury reprend le diagnostic de neuropathie du sciatique poplité externe droit et il autorise l’accomplissement de travaux légers, si disponibles.
[77] Le 14 août 2014, la CSST est avisée que le travailleur est en détention pour bris de conditions et qu’il devra se soumettre à une thérapie. Il ne peut donc se présenter à l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale prévu le 18 août 2014 et un autre rendez-vous est fixé le 17 septembre 2014.
[78] Le 26 août 2014, l’employeur s’informe des raisons du report des examens projetés par le membre du Bureau d’évaluation médicale. L’agent d’indemnisation explique les motifs fournis par le travailleur. L’employeur soutient alors que la CSST aurait dû suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[79] En conséquence, à cette même date, l’employeur s’adresse à la CSST afin que cet organisme suspende le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi. Il écrit :
Nous demandons par la présente l’application de l’article 142 de la LATMP.
En effet, le travailleur devait se présenter au Bureau d’évaluation médicale en date du 16 juillet 2014. Par contre, celui-ci mentionne avoir eu un bris mécanique sur sa voiture donc ne s’est pas présenté. Par la suite, le BEM a été reporté au 18 août 2014 et le travailleur ne s’y est toujours pas présenté, cette fois-ci pour des considérations judiciaires non reliées à son accident de travail.
Considérant que le travailleur est toujours en arrêt de travail et qu’il n’a aucune raison valable de s’absenter à l’examen du Bureau d’évaluation médicale, nous vous demandons donc d’appliquer l’article 142. En effet, nous demandons que les indemnités de remplacement du revenu soient suspendues à partir d’aujourd’hui, le mardi 26 août 2014 (moment où nous avons été informés de la situation).
Nous vous demandons de rendre une décision en bonne et due forme suite à cette demande.
[80] Le 3 septembre 2014, la CSST refuse de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. L’employeur demande la révision de cette décision mais, le 28 octobre 2014, la révision administrative la maintient d’où le troisième litige initié par ce dernier (dossier 559735).
[81] Le 17 septembre 2014, le docteur Marcel Dufour, chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Ce dernier confie au docteur Dufour que sa cheville et son pied droits évoluent bien jusqu’à un nouveau traumatisme en inversion subi deux semaines auparavant. Le docteur Dufour note que le travailleur peut marcher sur la pointe des pieds et sur les talons, une manœuvre qu’il exécute difficilement lors de l’examen du docteur Lacasse. La mobilité de la cheville droite et des structures du pied droit est normale. Toutefois, le docteur Dufour constate un tiroir antérieur positif à la cheville droite et une légère subluxation antérieure de l’astragale au pied droit. Le docteur Dufour estime que la lésion neurologique et l’entorse à la cheville droite ne sont pas encore consolidées et que des traitements sont toujours nécessaires. Il s’exprime ainsi à ce sujet :
2. Date ou période prévisible de consolidation de la lésion :
Cette évaluation concerne le diagnostic d’entorse à la cheville droite et lésion traumatique du nerf sciatique poplité externe droit.
Objectivement, monsieur n’a pas récupéré complètement de sa lésion neurologique, habituellement ces lésions peuvent parfois prendre 18 mois avant de récupérer.
On note aussi à la cheville droite une instabilité importante à la suite de l’entorse grade 3 des ligaments externes. Je pense qu’il peut y avoir amélioration de ce côté, les traitements, selon moi, ne sont pas terminés.
3. Nature, nécessité, suffisance ou durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits :
Concernant l’atteinte du nerf sciatique poplité externe droit, l’attitude expectative est de mise. Monsieur devrait continuer de s’améliorer particulièrement dans les 6 prochains mois.
Concernant l’instabilité résiduelle à la cheville droite et le fait qu’objectivement on puisse presque subluxer l’astragale, je suggère que monsieur consulte en chirurgie orthopédique pour que l’on envisage une reconstruction ligamentaire si cela était nécessaire.
Entre-temps, je lui suggère le port d’une chevillière lorsqu’il a à circuler dans les activités à risque (terrain inégal, etc…)
[82] Le 2 octobre 2014, la CSST reprend dans une décision les conclusions retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale. L’employeur demande la révision de cette décision mais, le 4 novembre 2014, la révision administrative la maintient d’où le quatrième litige dont est saisi le tribunal (dossier 560659).
[83] Les traitements se poursuivent donc et, le 20 avril 2015, le docteur Fleury produit un rapport final. Il y consolide la lésion à cette date, avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il indique qu’il fera l’évaluation médicale. La Commission des lésions professionnelles ignore si ce document a été réalisé.
[84] Enfin, à l’audience, le travailleur indique qu’il va mieux que lors de l’examen du docteur Lacasse. Il essaie de comprendre ses limites et il espère se rétablir complètement.
[85] Il reconnaît avoir fait deux chutes dans les escaliers depuis septembre 2013. La seconde chute, qui arrive peu de temps avant l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale, entraîne une légère torsion de la cheville, sans douleur accrue toutefois. Il est aussi victime d’un accident de voiture qui génère des contusions au haut du corps.
[86] De même, le travailleur concède que, lors de sa thérapie post-détention, il fait un peu de sport (volleyball, basketball). Il s’amuse, sans être compétitif, sans se donner à fond. Il porte un bandage au pied droit lorsqu’il s’adonne à ce type d’activités.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[87] La représentante de l’employeur soutient que la version du travailleur est changeante et peu crédible.
[88] Elle souligne qu’il prétend que ça va bien avec l’employeur alors que, pourtant, il dit à l’agent d’indemnisation de la CSST qu’il nargue ce dernier. Elle souligne également que le travailleur omet de décrire toutes ses expériences professionnelles à la CSST ce qui lui fait douter de celles exposées à l’audience.
[89] La représentante de l’employeur considère que la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi est inapplicable puisque le travailleur n’offre jamais la même version de l’événement aux différents intervenants (réclamation, notes du neurologue Lebel, du docteur Lacasse, du docteur Dufour et témoignage du travailleur à l’audience) de telle sorte qu’il est impossible de cerner ce qui arrive le 18 septembre 2013, à savoir une chute dans l’escalier ou une chute au sol ou une torsion de la cheville dans l’escalier ou au sol.
[90] De plus, monsieur Simoneau ne confirme aucunement l’une ou l’autre des versions du travailleur. Or, la représentante de l’employeur indique qu’il faut privilégier ce témoignage à celui, plutôt confus ou invraisemblable, du travailleur.
[91] Au surplus, la représentante de l’employeur signale que le travailleur souffre d’une entorse de grade III à la cheville droite et, pourtant, il se rend à l’hôpital en vélo, il vient porter ses papiers médicaux en vélo et l’employeur ne remarque aucune problématique relative à cette cheville. Aussi, le travailleur rapporte présenter un pied tombant et ne pouvoir marcher. Cependant, il peut se servir de son vélo. La représentante de l’employeur croit que ces actions sont inconciliables avec les diagnostics retenus et, dès lors, elle en conclut que le travailleur exagère ses symptômes, trompe les médecins, ce qui crée un doute quant à la survenance d’un quelconque événement le 18 septembre 2013.
[92] La représentante de l’employeur ajoute que le travailleur ne travaille pas le 19 septembre 2013 et, selon sa lecture des notes médicales, il se rend à l’urgence à 23h36. Elle se demande ce qu’il a fait durant toute la journée et elle émet l’hypothèse que, si blessure il y a, il a pu se l’infliger lors de ce congé.
[93] En outre, la représentante de l’employeur rappelle que, le 18 septembre 2013, le travailleur est mécontent puisque l’employeur ne veut pas lui fournir des bottes de sécurité et puisque l’employeur l’avise qu’il est embauché pour un court remplacement. Elle estime que ce mécontentement est à l’origine de l’événement allégué, événement créé de toutes pièces afin d’obtenir une indemnisation prolongée.
[94] Selon la représentante de l’employeur, ces multiples versions, parfois bonifiées, parfois contradictoires, entachent la crédibilité du travailleur à un point tel que le tribunal ne peut conclure que celui-ci présente une entorse à la cheville droite sur les lieux du travail alors qu’il exerce ses fonctions pour l’employeur.
[95] La représentante de l’employeur est aussi d’avis que, pour les mêmes motifs, un accident du travail ne peut être accepté en vertu de l’article 2 de la loi.
[96] La représentante de l’employeur discute, par la suite, de la requête portant sur le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe et elle réitère que celle-ci doit suivre le sort réservé à la contestation principale concernant l’admissibilité de la réclamation.
[97] La représentante de l’employeur traite aussi de l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale. Elle considère que la lésion, si elle est admissible, doit être consolidée à la date de l’examen du docteur Lacasse puisque, malgré les allégations de douleurs et de problèmes du travailleur, ce médecin procède à un examen normal et superposable à celui réalisé par le docteur Dufour, membre du Bureau d’évaluation médicale. De plus, elle remarque que, entre mai et septembre 2014, le travailleur va bien, il peut s’adonner à des activités sportives dans son groupe de thérapie et il subit un accident de voiture et deux chutes dans des escaliers qui peuvent expliquer les réticences du docteur Dufour à consolider la lésion. Or, la représentante de l’employeur note que le travailleur ne fait pas de différence entre l’état de son membre inférieur droit au moment de l’audience et l’état de ce membre inférieur lors des examens des docteurs Lacasse et Dufour. Elle en infère que le plateau thérapeutique est atteint le 13 mai 2014, que la consolidation est acquise et que les traitements sont suffisants à cette date.
[98] Enfin, la représentante de l’employeur estime que la CSST aurait dû suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu entre le 18 août 2014 et le 17 septembre 2014, en vertu de l’article 142 de la loi, puisque le travailleur s’absente, sans raison valable, de l’examen prévu auprès du membre du Bureau d’évaluation médicale. En effet, la représentante de l’employeur indique que l’appréciation des raisons de l’absence doit tenir compte de tout le contexte de ce dossier, dont le défaut du travailleur lors du premier examen planifié en juillet 2014. De plus, elle croit que l’incarcération pour un bris de conditions ne peut constituer un motif valable de ne pas se soumettre à un examen médical.
[99] La représentante de l’employeur dépose et commente des décisions[3] au soutien de son argumentation et elle demande à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir l’ensemble des contestations produites par l’employeur.
[100] Le travailleur soutient, de son côté, qu’il a bel et bien été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013.
[101] Il note qu’il ne peut être tenu responsable des incompréhensions ou des erreurs constatées lorsque d’autres personnes reprennent ses propos. Il ajoute que sa mémoire n’est pas infaillible, mais qu’il n’existe aucun autre événement pouvant expliquer ses problèmes au membre inférieur droit. Il qualifie tout cela de « vrai casse-tête ».
[102] Le travailleur remarque que l’employeur met beaucoup d’emphase sur le fait qu’il se déplace en vélo. Il répète qu’il s’agit de son seul moyen de transport, que son médecin sait qu’il se déplace ainsi et qu’il ne lui interdit pas de le faire. Le travailleur signale que personne ne l’aide et qu’il doit se débrouiller avec les moyens dont il dispose.
L’AVIS DES MEMBRES
[103] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur les questions soulevées par les présents litiges.
Dossiers 534007, 541576, 559735 et 560659
[104] Le membre issu des associations syndicales est d’avis qu’il y a lieu de rejeter toutes les requêtes déposées par l’employeur, de confirmer toutes les décisions rendues par la révision administrative et de déclarer que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013, que le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe droit est relié à cette lésion, que celle-ci n’est pas consolidée le 17 septembre 2014, que des traitements sont toujours requis et que la CSST est bien fondée de refuser de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi.
[105] En effet, le membre issu des associations syndicales estime que le travailleur est crédible, que sa version de l’événement est constante, qu’il se blesse à la cheville droite lorsqu’il exerce ses fonctions pour l’employeur et qu’il peut donc bénéficier de l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi.
[106] Quant au diagnostic de neuropraxie, il note que tous les médecins, y compris ceux de la CSST et de l’employeur, relient ce diagnostic à l’événement. Il ajoute que la preuve prépondérante ne permet pas de consolider la lésion à la date de l’examen réalisé par le docteur Lacasse et que les docteurs Lebel, Fleury et Dufour sont tous d’avis que l’état du travailleur peut encore s’améliorer après le 13 mai 2014.
[107] Enfin, le membre issu des associations syndicales croit que la détention du travailleur justifie amplement son absence à l’examen projeté par le membre du Bureau d’évaluation médicale et que, dès lors, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu ne peut être suspendu en vertu de l’article 142 de la loi.
[108] Le membre issu des associations d’employeurs fait une toute autre lecture de la preuve présentée. Il est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir toutes les requêtes déposées par l’employeur, d’infirmer toutes les décisions rendues par la révision administrative et de déclarer que le travailleur n’a pas été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013 et, qu’en l’absence d’une telle lésion, les décisions portant sur le diagnostic de neuropraxie, sur la date de la consolidation ou les traitements ou sur la suspension du versement de l’indemnité de remplacement du revenu deviennent sans effet et les contestations produites à leur encontre deviennent sans objet.
[109] En effet, le membre issu des associations d’employeurs estime que le travailleur n’est pas crédible, qu’il offre une panoplie de versions de l’événement difficilement conciliables, qu’il est impossible de déplacer un sommier seul dans un escalier, que cette histoire est invraisemblable et que, à cet égard, il faut privilégier le témoignage de monsieur Simoneau qui, non seulement, confirme cette impossibilité mais qui, de surcroît, confirme qu’aucun événement ne survient le 18 septembre 2013.
[110] Le membre issu des associations d’employeurs conclut qu’une lésion professionnelle ne peut être reconnue, que ce soit en application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi ou que ce soit en vertu de l’article 2 de la loi, et qu’il devient donc inutile de disposer des autres litiges.
LES MOTIFS DES DÉCISIONS
Dossier 534007
[111] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013.
[112] L’article 2 de la loi énonce qu’une lésion professionnelle est une blessure ou une maladie, qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, rechute ou aggravation de la lésion découlant de cet accident ou de cette maladie.
[113] L’article 2 de la loi précise également qu’un accident du travail est un événement imprévu et soudain, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail, et qui entraîne pour elle une blessure ou une maladie.
[114] Enfin, le législateur prévoit une présomption afin d’alléger le fardeau de la preuve qui repose sur les épaules du travailleur.
[115] Ainsi, l’article 28 de la loi édicte qu’une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
[116] Or, la présomption de lésion professionnelle décrite à l’article 28 de la loi fait l’objet d’une décision rendue par une formation de trois juges administratifs[4]. Cette décision propose une interprétation reflétant les courants jurisprudentiels majoritaires quant aux différents éléments constitutifs de cette présomption et quant à la preuve nécessaire à son renversement.
[117] Ainsi, le tribunal rappelle que, pour pouvoir bénéficier de l’application de la présomption de lésion professionnelle, le travailleur doit établir, par une preuve prépondérante, les trois éléments décrits par le législateur, soit qu’il a subi une blessure, que cette blessure est arrivée sur les lieux du travail et qu’il était à son travail à ce moment-là. Le tribunal insiste sur le fait que seuls ces éléments doivent être prouvés et que le fardeau de la preuve ne dépasse pas celui de la prépondérance des probabilités. Cependant, le tribunal précise que certains paramètres peuvent être considérés afin d’apprécier la preuve offerte à cet égard. Il écrit :
[185] Il n’existe aucune condition d’application de la présomption de l’article 28 de la loi, autre que celles énoncées à cette disposition. Toutefois, certains indices peuvent être pris en compte par le tribunal dans le cadre de l’exercice d’appréciation de la force probante de la version du travailleur visant la démonstration de ces trois conditions, notamment :
- le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée par le travailleur avec l’événement;
- l’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure;
- l’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer;
- la poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée;
- l’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure;
- l’existence de diagnostics différents ou imprécis;
- la crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion);
- la présence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure;
- le tribunal juge qu’on ne doit pas exiger, au stade de l’application de la présomption, la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le travail et la blessure; autrement cette exigence viderait de son sens la présomption qui cherche précisément à éviter de faire une telle démonstration.
[118] Concernant l’appréciation de la crédibilité du travailleur, le tribunal cite deux décisions[5] dans lesquelles certains critères d’évaluation sont proposés. Ces critères sont les moyens de connaissance du témoin, son sens de l’observation, ses raisons de se souvenir, son expérience, la fidélité de sa mémoire, son absence d’intérêt dans la cause, les contradictions observées, la priorité à la preuve positive, la corroboration lors de versions contradictoires, les déclarations antérieures incompatibles et la vraisemblance de la version offerte.
[119] Le tribunal s’exprime aussi sur la nature et le renversement de cette présomption. Il indique qu’il s’agit d’une présomption simple et il détermine qu’elle peut être renversée par une preuve d’absence de relation entre la blessure et les circonstances de son apparition.
[120] Enfin, le tribunal conclut que l’absence d’événement imprévu et soudain ou la simple allégation selon laquelle il ne s’est produit aucun geste anormal, inhabituel ou irrégulier au travail ne sont pas suffisantes pour renverser la présomption acquise au travailleur.
[121] La Commission des lésions professionnelles compte donc se prononcer sur l’application de cette présomption à la lumière de ces enseignements.
[122] Ceci étant établi, qu’en est-il du présent dossier ?
[123] Les seuls diagnostics retenus et approuvés par tous les médecins examinateurs sont ceux d’entorse à la cheville droite et de neuropraxie du sciatique poplité externe droit.
[124] L’entorse est une blessure au sens de l’article 28 de la loi. De plus, la neuropraxie du sciatique poplité externe droit est considérée, par tous les médecins examinateurs, comme une atteinte nerveuse traumatique découlant de cette entorse. Elle est donc également assimilable à une blessure.
[125] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur a démontré ce premier élément de la présomption.
[126] Cependant, ces blessures arrivent-elles sur les lieux du travail dans les circonstances décrites par le travailleur ?
[127] L’employeur soutient que le tribunal ne peut en venir à une telle conclusion puisque les versions offertes par le travailleur sont nébuleuses, contradictoires, voire invraisemblables, et que ses actions sont inconciliables avec les diagnostics retenus. Il soupçonne que le travailleur se soit infligé ces blessures le 19 septembre 2013, alors qu’il est en congé, et qu’il tente tout de même d’être indemnisé par la CSST. L’employeur évoque aussi une création de toutes pièces en raison de l’insatisfaction du travailleur quant à son statut d’emploi et quant au refus de lui fournir des chaussures de sécurité.
[128] Or, la Commission des lésions professionnelles ne peut suivre l’employeur sur cette voie.
[129] La Commission des lésions professionnelles constate d’abord que la version du travailleur est assez constante. Il y est question d’un sommier de sept pieds transporté dans un escalier, d’une perte d’équilibre du sommier, d’un contact entre le sommier et la face dorsale de son pied droit, d’une tentative de retenir le sommier afin qu’il ne tombe pas dans l’escalier, d’une descente difficile et d’une torsion de la cheville droite. Ces éléments sont retrouvés dans certains documents contemporains à la lésion professionnelle alléguée et ils sont maintenus tout au long du dossier, sans exagération ou tentative de bonification.
[130] Ainsi, le fait que le travailleur parle, parfois, de 12 marches et, parfois, de 20 marches, est sans incidence sur sa crédibilité puisqu’il va de soi que, durant un incident tel que celui relaté par ce dernier, il n’a pas le temps de s’arrêter pour compter les marches avec exactitude.
[131] De plus, le fait que le travailleur et le sommier amorcent une descente vers le bas de l’escalier, jumelé au fait que celui-ci est un mauvais historien et qu’il n’est pas toujours facile à suivre, ont pu engendrer une confusion sur l’objet de la chute (travailleur ou sommier) et sur l’endroit de la chute (escalier ou plancher).
[132] Cependant, la Commission des lésions professionnelles a eu l’occasion d’observer le travailleur à l’audience et elle considère que celui-ci est sincère et qu’il fait de son mieux, avec les moyens qu’il a, pour éclairer le tribunal. Or, la Commission des lésions professionnelles croit que ce que le travailleur inscrit sur sa réclamation et ce qu’il relate à l’audience correspondent à la réalité. Le sommier dégringole l’escalier, le travailleur le suit afin de le retenir, cette descente se solde par une chute du sommier et un atterrissage difficile pour le travailleur avec torsion de la cheville droite. Il importe peu qu’il y ait eu, ou non, chute du travailleur dans un tel contexte puisque cette version suffit à expliquer les lésions diagnostiquées.
[133] Il est vrai que, selon le témoignage de monsieur Simoneau, il est impossible de transporter, seul, un sommier. Il affirme aussi que le travailleur n’a pu se blesser ou que, à tout le moins, il n’a rien remarqué et que celui-ci n’a rien mentionné.
[134] Toutefois, avec égard, la Commission des lésions professionnelles ne peut privilégier le témoignage de monsieur Simoneau. En effet, il ne se souvient visiblement pas de cette journée de travail, ce qui est bien compréhensible compte tenu du grand nombre de déménagements qu’il accomplit chaque semaine. De plus, il travaille une seule journée avec le travailleur, plus d’un an et demi auparavant, et il est, par conséquent, incapable de fournir des détails sur le travail effectué. La Commission des lésions professionnelles s’étonne donc de sa mémoire sélective portant exclusivement sur certains éléments particuliers défavorables au travailleur. En outre, son affirmation concernant l’impossibilité de déménager, seul, un sommier est nuancée par son affirmation concernant le faible poids de cet item et sa capacité de le soulever d’une seule main. Enfin, le fait qu’il indique avoir monté ce sommier dans l’escalier, avec l’aide du travailleur, ne vient aucunement contrer le témoignage de ce dernier puisque celui-ci reconnaît que, après sa mésaventure, le sommier est effectivement monté à l’étage de cette façon.
[135] Par ailleurs, l’employeur soulève l’absence du travailleur, le 19 septembre 2013, et la consultation médicale sollicitée en fin de journée pour émettre l’hypothèse qu’il a pu se blesser ailleurs cette journée-là.
[136] Or, la Commission des lésions professionnelles croit que cet argument repose sur une lecture erronée des documents médicaux au dossier.
[137] En effet, la Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur indique se rendre à l’urgence de l’hôpital au cours de la journée du 19 septembre 2013, puisqu’il ne peut plus soulever son pied droit. Il se déplace en vélo, comme toujours. Il rencontre le docteur Provencher, mais la Commission des lésions professionnelles n’a ni la note du triage, ni les notes prises par ce médecin.
[138] Il appert toutefois des documents déposés que le travailleur passe une radiographie, vers 22h00, à la demande du docteur Provencher, et qu’une requête est remplie par ce dernier vers 23h30. Cependant, ces documents ne nous informent aucunement sur le moment de l’arrivée du travailleur à l’urgence et sur le temps d’attente avant d’être pris en charge par un médecin. De plus, seul l’événement du 18 septembre 2013 y est mentionné et aucune allusion n’est faite à un quelconque autre incident. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc favoriser l’hypothèse d’une blessure personnelle sur la base de ces documents.
[139] L’employeur évoque également les déplacements en vélo ou le fait que le travailleur a l’air en pleine forme sur des enregistrements captés par une caméra de surveillance.
[140] Or, la Commission des lésions professionnelles n’entend aucun témoin à ce sujet. De plus, ces enregistrements ne sont pas produits par l’employeur. La Commission des lésions professionnelles ne peut donc écarter la version du travailleur pour ce motif.
[141] Le travailleur se véhicule certes en vélo durant tout son suivi médical, et même encore au moment de l’audience, puisqu’il s’agit de son moyen de transport habituel. Il ne cache pas cette information, mais aucun médecin ne semble dérangé par cette situation. En fait, une botte de marche ayant pour objet de stabiliser la cheville est rapidement prescrite dans ce dossier de telle sorte que le travailleur a pu continuer à utiliser ce moyen de transport.
[142] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cet usage du vélo n’est pas incompatible avec la survenue d’une blessure le 18 septembre 2013 puisque, comme mentionné précédemment, le 19 septembre 2013, le travailleur se rend à l’urgence en vélo et, pourtant, le médecin consulté diagnostique une entorse à la cheville droite de grade III. C’est donc dire qu’il observe des signes cliniques objectifs l’orientant vers un tel diagnostic. La Commission des lésions professionnelles en infère que l’utilisation du vélo et la présence d’une telle entorse sont conciliables.
[143] Il en est de même de la poursuite des activités de travail le 18 septembre 2013. Le travailleur finalise le déménagement et il en entreprend un autre. Il indique que son soulier agit comme le ferait une botte de marche et qu’il peut donc continuer son travail, malgré l’événement. Cependant, la Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur ne peut déménager un des deux appareils électroménagers en raison d’une faiblesse s’installant au membre inférieur droit. La Commission des lésions professionnelles considère que cette faiblesse est probablement le premier signe de la neuropraxie diagnostiquée par la suite.
[144] En somme, la Commission des lésions professionnelles estime que, bien que la version du travailleur comporte certaines zones d’ombre, celui-ci semble sincère, crédible et, en conséquence, la Commission des lésions professionnelles privilégie son témoignage et sa version de l’événement.
[145] La Commission des lésions professionnelles en conclut que les blessures diagnostiquées arrivent sur les lieux du travail alors que le travailleur effectue son travail d’aide déménageur pour l’employeur.
[146] Le travailleur peut donc bénéficier de l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi et, comme l’employeur n’a présenté aucune preuve visant à établir qu’il n’existe pas de relation entre les diagnostics retenus et les circonstances entourant l’apparition de ceux-ci, la Commission des lésions professionnelles ne peut repousser cette présomption.
[147] La Commission des lésions professionnelles reconnaît donc que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013, lui ayant occasionné une entorse à la cheville droite et une neuropraxie du sciatique poplité externe droit, et, en conséquence, elle confirme la décision rendue par la révision administrative.
Dossier 541576
[148] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe est relié à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 septembre 2013.
[149] Or, après avoir analysé la preuve prépondérante, sinon unique, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette relation est établie.
[150] Ainsi, le diagnostic de neuropraxie est proposé dès le 20 septembre 2013, donc de façon très contemporaine à l’événement.
[151] De plus, le neurologue Lebel attribue cette neuropraxie à la traction sur le nerf sciatique produite lors de l’événement et, le 24 janvier 2014, le docteur Fleury approuve cette conclusion. Il en est de même du médecin conseil de la CSST. Le docteur Lacasse, chirurgien orthopédiste mandaté par l’employeur, est aussi d’avis que la neuropraxie du sciatique poplité externe droit est reliée à l’événement du 18 septembre 2013.
[152] La Commission des lésions professionnelles ne possède aucune preuve contraire.
[153] Elle estime donc que le diagnostic de neuropraxie ou de neuropathie du sciatique poplité externe droit est lié à l’événement du 18 septembre 2013 et que le travailleur a droit aux prestations en regard de celui-ci. Elle maintient donc également la décision rendue par la révision administrative à ce chapitre.
Dossier 559735
[154] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST a raison de refuser de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi.
[155] L’article 142 (2) a) de la loi permet effectivement à la CSST de suspendre le versement d’une indemnité de remplacement du revenu lorsque le travailleur omet, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical prévu à la loi. Il édicte :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
[…]
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
[…]_________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[156] La jurisprudence enseigne que cette suspension ne peut être rétroactive. En effet, il s’agit d’une mesure incitative, et non punitive, qui a pour but de signaler au travailleur une contravention à l’un ou l’autre des paragraphes et alinéas de l’article 142 de la loi afin de lui permettre de remédier à la situation et de recouvrer son indemnité. Or, une suspension rétroactive prive le travailleur du versement de cette indemnité tout en l’empêchant de mettre fin à celle-ci puisque, tant qu’une décision n’est pas rendue, le travailleur n’est pas informé des reproches qui lui sont formulés et il ne peut apporter les corrections appropriées. La suspension doit donc débuter, au plus tôt, à la date de la décision qui la prévoit[6].
[157] La Commission des lésions professionnelles constate aussi que cette suspension ne peut durer indéfiniment puisque ce n’est pas le droit à l’indemnité qui est suspendu, mais le versement de celle-ci. Cette suspension doit donc cesser aussitôt que cesse le défaut reproché[7].
[158] Ici, l’employeur considère que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu doit être suspendu, à compter du 18 août[8] ou du 26 août 2014[9], puisque le travailleur omet, sans raison valable, de se soumettre à l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale prévu le 18 août 2014.
[159] La représentante de l’employeur souligne que le travailleur ne se rend pas au premier examen projeté par la CSST, le 16 juillet 2014, en raison d’une panne de voiture, et qu’il récidive, le 18 août 2014, en raison de son incarcération à la suite d’un bris de conditions. Elle estime que ce double défaut en dit long sur le sérieux du travailleur et que ce contexte doit être pris en compte dans l’appréciation des raisons avancées par ce dernier. Ainsi, elle croit que sa détention à la suite d’un bris de conditions ne constitue pas une raison valable de s’absenter d’un tel examen. Elle produit deux décisions du tribunal[10] où l’incarcération d’un travailleur n’est pas considérée une raison valable d’interrompre sa participation au processus de réadaptation.
[160] La Commission des lésions professionnelles constate cependant que, dans d’autres décisions, une panne de voiture[11] ou l’incarcération d’un travailleur[12] sont assimilées à une telle raison valable et elle refuse de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour ce motif.
[161] Or, la Commission des lésions professionnelles remarque que la loi ne définit pas la notion de « raison valable » laissant le tribunal évaluer, selon les faits particuliers d’une affaire, si les motifs fournis par le travailleur justifient son absence à l’examen médical projeté.
[162] En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles croit que l’absence au premier examen médical ne doit pas être considérée puisque, d’une part, la CSST a jugé qu’une panne de voiture était une raison valable de ne pas s’y présenter et que l’employeur n’a formulé aucune demande de suspension de l’indemnité à cette époque. Cette situation ne peut donc servir d’appui à la requête déposée par l’employeur après la seconde absence du travailleur.
[163] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles note que, selon les informations disponibles, le travailleur avise rapidement la CSST de sa situation et de son impossibilité de se rendre à l’examen du 18 août 2014 vu sa détention et la thérapie imposée par le juge.
[164] Sa détention l’empêche, évidemment, de se soumettre à l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale. Il ne s’agit pas d’une décision du travailleur ou d’une négligence de ce dernier.
[165] Le travailleur est plutôt victime des circonstances et il n’appartient pas au tribunal d’émettre un jugement de valeur sur le motif de son absence puisqu’il ignore tout de son dossier pénal.
[166] La Commission des lésions professionnelles constate, toutefois, que le travailleur ne peut se rendre à l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale, qu’il a de bonnes raisons pour motiver son absence et que, dès lors, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu ne peut être suspendu en vertu de l’article 142 de la loi.
[167] La Commission des lésions professionnelles maintient donc la décision rendue par la révision administrative sur cette question.
Dossier 560659
[168] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles doit statuer sur la date de la consolidation, sur la nécessité des traitements et sur le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 septembre 2013.
[169] L’article 2 de la loi énonce qu’une lésion est consolidée lorsqu’elle est guérie ou lorsqu’elle atteint un état stable au-delà duquel aucune amélioration de la condition du travailleur n’est prévisible.
[170] Dans ce dossier, deux diagnostics sont proposés par les médecins qui ont charge du travailleur, à savoir une entorse à la cheville droite et une neuropraxie du sciatique poplité externe droit.
[171] La Commission des lésions professionnelles constate que, le 17 décembre 2013, le neurologue Lebel prévoit une période de récupération de plusieurs mois avant qu’il y ait une amélioration assez importante de la dorsiflexion du pied droit.
[172] Le 24 janvier 2014, le docteur Fleury s’attend, de son côté, à une période de récupération de 18 mois.
[173] C’est dans ce contexte que, le 13 mai 2014, le docteur Lacasse examine le travailleur et consolide les lésions, sans nécessité de traitements additionnels, sans atteinte permanente, ni limitations fonctionnelles. Le docteur Lacasse qualifie son examen de « normal ». Pourtant, il signale diverses anomalies dont une boiterie aux dépens du membre inférieur droit, une sensibilité à la palpation de la malléole externe et du tendon d’Achille de la cheville droite et une légère faiblesse de l’extenseur du premier orteil droit.
[174] Le docteur Lacasse croit que la lésion est consolidée et, pourtant, il mentionne que le travailleur « devrait récupérer complètement sur le plan moteur », laissant entendre que cette récupération est toujours en cours au moment de son examen et que, donc, une amélioration de l’état est toujours possible.
[175] Le docteur Fleury commente d’ailleurs cet examen en soulignant que si la récupération est « subtotale », il serait plus à propos d’attendre l’électromyographie de contrôle avant de statuer sur ces questions.
[176] Le 17 juillet 2014, le docteur Lebel souligne l’amélioration de l’état du sciatique poplité externe de la cheville droite par la réinnervation de cette structure. Il suggère de revoir le travailleur dans un an afin de vérifier la récupération de la dorsiflexion s’attendant à ce que celle-ci redevienne complète avec le temps.
[177] Enfin, le 17 septembre 2014, le docteur Dufour, membre du Bureau d’évaluation médicale, observe une instabilité de la cheville et une légère subluxation antérieure de l’astragale au pied droit. Il croit que la lésion neurologique n’est pas consolidée et, à l’instar du docteur Lebel, il indique qu’une telle lésion peut prendre jusqu’à 18 mois pour se résorber. Il suggère donc de poursuivre l’investigation et les traitements pour la neuropraxie et l’entorse à la cheville droite.
[178] La Commission des lésions professionnelles infère de ces expertises médicales que la lésion à la cheville droite et celle au nerf sciatique poplité externe droit ne sont pas encore consolidées lors de l’examen du docteur Dufour.
[179] En effet, d’une part, la preuve prépondérante établit clairement que la période de consolidation attendue pour la lésion nerveuse avoisine les 18 mois et qu’à peine un an s’est écoulé depuis l’événement lorsque le membre du Bureau d’évaluation médicale rencontre le travailleur le 17 septembre 2014.
[180] D’autre part, tous les médecins, y compris le docteur Lacasse, croient que les lésions sont susceptibles de s’améliorer avec le temps, signe qu’elles n’ont pas atteint un plateau thérapeutique lors de leurs examens.
[181] Il est vrai que le travailleur se blesse de nouveau à la cheville droite entre mai et septembre 2014. Cependant, aucune preuve médicale n’est présentée concernant ces incidents et leur influence sur l’évolution de la lésion professionnelle.
[182] De plus, le fait que le travailleur s’adonne à la pratique du vélo avant son incarcération et à divers sports durant sa thérapie ne permet pas de conclure à la consolidation de la lésion subie le 18 septembre 2013.
[183] Ainsi, les médecins du travailleur semblent savoir que ce dernier se déplace en vélo et ni le docteur Lebel, ni le docteur Fleury n’interdisent cette pratique.
[184] De plus, le travailleur précise que les sports faits en thérapie ne sont aucunement compétitifs, qu’il ne s’y adonne pas à fond et qu’il le fait pour bouger, pour passer le temps.
[185] La Commission des lésions professionnelles ne peut donc évacuer la preuve médicale prépondérante et inférer que la lésion est consolidée sur la base de ces informations.
[186] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la lésion professionnelle subie par le travailleur, le 18 septembre 2013, n’est pas encore consolidée le 17 septembre 2014, lors de l’examen du docteur Dufour, membre du Bureau d’évaluation médicale.
[187] La Commission des lésions professionnelles confirme donc cet aspect de la décision rendue par la révision administrative.
[188] Évidemment, comme la lésion est toujours susceptible de s’améliorer, les soins ou les traitements visant une telle amélioration ou récupération sont toujours requis et, en conséquence, la Commission des lésions professionnelles confirme également cette portion de la décision rendue par la révision administrative.
[189] Enfin, comme la lésion n’est pas encore consolidée, le travailleur est présumé incapable d’exercer son emploi au sens de l’article 46 de la loi et il a toujours droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 44 de cette même loi.
[190] La Commission des lésions professionnelles maintient donc la décision rendue par la révision administrative à ce sujet.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 534007
REJETTE la requête déposée par l’employeur, Rheault & Fils ltée;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 3 janvier 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur, monsieur Marcel Martin Samson, a été victime d’une lésion professionnelle le 18 septembre 2013 lui ayant occasionné une entorse à la cheville droite et une neuropraxie du sciatique poplité externe droit;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Dossier 541576
REJETTE la requête déposée par l’employeur, Rheault & Fils ltée;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 avril 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le diagnostic de neuropraxie du sciatique poplité externe droit (pied tombant droit) est relié à la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Marcel Martin Samson, le 18 septembre 2013;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ce diagnostic.
Dossier 559735
REJETTE la requête déposée par l’employeur, Rheault & Fils ltée;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu reçue par le travailleur, monsieur Marcel Martin Samson, puisque celui-ci a une raison valable de s’absenter de l’examen médical prévu auprès du membre du Bureau d’évaluation médicale le 18 août 2014.
Dossier 560659
REJETTE la requête déposée par l’employeur, Rheault & Fils ltée;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 4 novembre 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Marcel Martin Samson, le 18 septembre 2013, n’est pas encore consolidée au moment de l’examen du membre du Bureau d’évaluation médicale, le 17 septembre 2014;
DÉCLARE que les traitements administrés ou prescrits sont toujours requis;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles puisqu’il est toujours incapable d’exercer son emploi le 17 septembre 2014.
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Carmen Racine |
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Me Janie-Pier Joyal |
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MONETTE BARAKETT & ASSOCIÉS |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] À la suite d’un avis émis par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[3] Goyette et Rénovation Goyette inc., C.L.P. 275491-71-0511, 13 avril 2005, M. Cuddihy; Laflamme et Suss Woodcraft International inc. (F) 2007 QCCLP 765; Produits Thermo-Concepts inc. et Michaud 2013 QCCLP 6025; Walmart Canada (Commerce de détail) et Nadeau 2014 QCCLP 6139; Anilox SN inc. et Bérubé 2014 QCCLP 757.
[4] Boies et C.S.S.S. Québec-Nord 2011 QCCLP 2775.
[5] Houde et Cégep de St-Félicien, AZ-50347617 et Centre hospitalier Rouyn-Noranda et Syndicat canadien de la fonction publique, local 311 (Brigitte Cloutier), SA8607040, 26 juin 1986, M. Boisvert.
[6] Voir, sur ces questions, les décisions suivantes : Richer et Ville de Saint-Hubert [1990] C.A.L.P. 411; Fortin et Donohue Normick inc., précitée à la note 3; Salvaggio et Asphalte et pavage Tony inc. [1991] C.A.L.P. 291; Berkline inc. et Hasler, C.L.P. 134590-73-0003, 14 décembre 2000, C.-A. Ducharme; Westroc inc. et Beauchamp [2001] C.L.P. 206; Algier et Groupement forestier Haut-Yamaska inc., C.L.P. 144149-62B-0008, 23 mai 2001, A. Vaillancourt (révision rejetée, 12 avril 2002, G. Godin); Allaire et Resto-Brasserie Le Grand-Bourg, C.L.P. 153256-32-0012, 17 avril 2001, M.-A. Jobidon; Chantal et Services de gestion Quantum ltée, C.L.P. 185557-62-0206, 10 mars 2003, H. Marchand; G.P.C. Excavation inc. et Prévost, C.L.P. 257713-03B-0503, 21 septembre 2005, G. Marquis.
[7] Fortin et Donohue Normick inc. [1990] C.A.L.P. 907; Soares et Sefina Industries ltée, C.A.L.P. 39523-6409294, 21 décembre 1994, M. Zigby; Choquette et CSST, C.L.P. 100635-02-9805, 22 décembre 1998, P. Simard; Catudal et Centre hospitalier Cloutier inc., C.L.P. 119192-04-9906, 9 septembre 1999, G. Marquis; Les vêtements Peerless inc. et Ocak, C.L.P. 166077-72-0107, 22 janvier 2002, N. Lacroix; Genest et 98264 Canada ltée, C.L.P. 85293-08-9701, 3 janvier 2002, P. Prégent (requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Abitibi, 615-05-000809-024, 11 avril 2002, j. St-Julien.
[8] Comme plaidé à l’audience.
[9] Comme requis dans la lettre expédiée à la CSST à cette date.
[10] Voir les affaires Goyette et Laflamme précitées à la note 3.
[11] Dupont et Via Rail Canada inc., 2011 QCCLP 6801.
[12] Bolduc et Les Constructions Bissonnette M.R.G.C. inc., 349315-03B-0805, 10-01-19, G. Marquis; Perreault et Déménagements Valois inc., 2011 QCCLP 1730.
AVIS :
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