Société de transport de Montréal c. Joubert |
2016 QCCM 161 |
COUR MUNICIPALE DE MONTRÉAL
CANADA
DISTRICT DE MONTRÉAL
No : 308-870-752
308-902-694
308-440-020
DATE : 7 septembre 2016
SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE MONTRÉAL
Poursuivante-Intimée
c.
JEAN-PHILIPPE JOUBERT (308-870-752)
NATHANIEL BELL-ROY (308-902-694)
MONIQUE KHALIL (308-440-020)
Défendeurs-Requérants
JUGEMENT SUR REQUÊTE
POUR FAIRE DÉCLARER INCONSTITUTIONNELS
LES ARTICLES 6 ET 9 DU RÈGLEMENT R-105 DE LA
SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE MONTRÉAL
Me Mark Paci et
Me Chantal-Andrée Morin
pour la Société de transport de Montréal.
Me Xuan Nguyen pour Jean-Philippe Joubert;
Me Pierre-Luc Milord pour Nathaniel Bell-Roy;
Me Germain Caponi-Champagne pour Monique Khalil.
TABLE DES MATIÈRES
page
I. APERÇU.......................................................................................................4
1. Caractère statutaire de l’infraction.............................................20
2. Application des principes...........................................................23
1. Détention....................................................................................26
2. Arbitraire....................................................................................29
JUGEMENT SUR REQUÊTE
POUR FAIRE DÉCLARER INCONSTITUTIONNELS
LES ARTICLES 6 ET 9 DU RÈGLEMENT R-105 DE LA
SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE MONTRÉAL
I. APERÇU
11. Tout inculpé a le droit :
[...]
d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;
[...]
[...]
1. Dans le présent règlement, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :
[...]
b) « CM » : une carte magnétique sur laquelle peut être encodé un ou des titres de transport reconnus valides au sens du présent règlement;
c) « CPCT » : une carte à puce commune transport, nommée « OPUS », sur laquelle est intégrée une puce pouvant contenir un ou des titres de transport reconnus valides au sens du présent règlement;
d) « CPO » : une carte à puce occasionnelle sur laquelle est intégrée une puce pouvant contenir un ou des titres de transport reconnus valides au sens du présent règlement;
[...]
f) « préposé » :
i) un employé ou un représentant de la Société;
ii) une personne autorisée à agir comme inspecteur en vertu des dispositions des chapitres VI et VII de la Loi sur les sociétés de transport en commun (L.R.Q., c. S-30.01);
[...]
k) « support conforme » : moyennant le paiement des frais exigés et pour la période d’usage qui y sera prescrite par résolution du conseil d’administration de la Société, la CM, la CPCT ou la CPO lorsque émise par la Société, de même qu’une CM, CPCT ou une CPO émise conformément aux termes et conditions de la STL, du RTL, du RTC ou de l’AMT ainsi que tout autre support reconnu conforme par résolution du conseil d’administration de la Société;
[...]
o) « zone de contrôle d’une station » : les quais, corridors, escaliers, aires d’attente ou tout autre espace à l’intérieur des limites formées par les tourniquets d’accès ou de sortie d’une station de métro.
[...]
SECTION III - DISPOSITIONS GÉNÉRALES
6. Tout usager des services de transport offerts par ou pour le compte de la Société, doit, selon le tarif applicable et de la manière prévue, acquitter son droit de passage en payant ou en utilisant un titre de transport reconnu valide par la Société. Suite à l’acquittement de son droit de passage, l’usager doit récupérer et conserver avec lui le support conforme faisant preuve de cet acquittement aux fins de l’article 9.
7. À moins d’indications à l’effet contraire, l’acquittement du droit de passage pour un service de transport en surface s’effectue de la manière prévue au moment de monter dans le véhicule ou, pour le métro, au moment de franchir les tourniquets des équipements de perception ou autres systèmes d’accès à une station.
[...]
9. Sous réserve de l’article 11, en tout temps, à bord d’un autobus, d’un wagon de métro ou lorsqu’il se trouve à tout endroit d’une zone de contrôle d’une station, l’usager doit démontrer qu’il a dûment acquitté son droit de passage conformément au présent règlement.
Il doit, sur demande, permettre à un préposé de vérifier s’il a acquitté son droit de passage conformément à la tarification et à la réglementation en vigueur ainsi que la validité du titre et la conformité du support utilisé.
[...]
SECTION IV - TITRES DE TRANSPORT
[...]
32. Le support conforme sur lequel est encodé un droit de correspondre doit être récupéré et conservé par l’usager suite à l’acquittement au comptant de son droit de passage ou suite à la validation de celui-ci par les équipements de perception. Il sert de preuve d’acquittement du droit de passage aux fins de l’article 9.
[...]
[...]
57. Il est interdit d’obtenir ou de tenter d’obtenir un voyage sans en avoir acquitté le droit de passage de la façon prévue à l’article 6.
[...]
SECTION VII - DISPOSITIONS PÉNALES
[...]
62. Quiconque contrevient à l’un des articles 6, 56 a), 56 c), 57 ou 58 du présent règlement commet une infraction et est passible d'une amende de 150 $ à 500 $ dans le cas d’une personne physique et de 300 $ à 1 000 $ dans le cas d’une personne morale.
[...]
65. Quiconque contrevient à toute autre disposition du présent règlement commet une infraction et est passible d’une amende de 75 $ à 500 $ dans le cas d’une personne physique et de 300 $ à 1 000 $ dans le cas d’une personne morale.
Loi sur les sociétés de transport en commun (RlRQ, c. S-30.01)
1. Sont instituées les sociétés de transport en commun suivantes, personnes morales de droit public:
1° la « Société de transport de Montréal », dont le territoire correspond à l'agglomération de Montréal prévue à l'article 4 de la Loi sur l'exercice de certaines compétences municipales dans certaines agglomérations (chapitre E-20.001);
[...]
3. Une société a pour mission d’assurer, par des modes de transport collectif, la mobilité des personnes dans son territoire et, dans la mesure où le prévoit une disposition législative, hors de celui-ci.
À cette fin, elle soutient le transport en commun et, le cas échéant, favorise l’intégration de ses différents modes de transport collectif avec ceux de toute autre personne morale de droit public à qui la loi ou un acte constitutif accorde l’autorité d’exploiter une entreprise de transport en commun.
[...]
CHAPITRE VI
140. Une ville, qui adopte le budget d'une société, autorise généralement ou spécialement toute personne désignée par la société à agir comme inspecteur pour l'application des règlements pris en vertu de l'article 144. Un inspecteur peut exiger la communication pour examen de tout titre de transport ou de stationnement émis par une société.
Une société peut désigner l'un de ses employés ou ceux d'une entreprise avec qui elle est liée par contrat pour les fins de l'application des chapitres VI et VII. Un agent de la paix relevant de l'autorité de la ville qui approuve le budget d'une société est d'office un inspecteur de cette société.
[...]
144. Une société peut, par règlement approuvé par la ville qui adopte son budget, édicter:
1° des normes de sécurité et de comportement des personnes dans le matériel roulant et les immeubles qu'elle exploite;
2° des conditions au regard de la possession et de l'utilisation de tout titre de transport émis sous son autorité;
3° des conditions au regard des immeubles qu'elle exploite et des personnes qui y circulent.
Un règlement d'une société doit être publié dans un journal diffusé dans son territoire et peut déterminer, parmi ses dispositions, celles dont la violation constitue une infraction qui est sanctionnée par une amende dont le montant peut, selon le cas, être fixe ou se situer entre un minimum et un maximum.
Un montant fixe ou maximum ne peut excéder, pour une première infraction, 500 $ si le contrevenant est une personne physique ou 1 000 $ s'il est une personne morale. En cas de récidive, ces montants sont portés au double. Un montant minimum ne peut être inférieur à 25 $.
146. Quiconque [...] entrave ou tente d'entraver de quelque façon que ce soit l'exercice des fonctions d'un inspecteur, le trompe par réticence ou fausse déclaration, refuse de lui fournir un document ou un renseignement qu'il peut exiger ou examiner ou cache ou détruit un tel document commet une infraction et est passible d'une amende d'au moins 250 $ et d'au plus 500 $.
147. Une société peut intenter une poursuite pénale pour la sanction d'une infraction visée au présent chapitre.
148. Toute cour municipale du territoire d'une société a compétence à l'égard de toute infraction visée au présent chapitre.
149. L'amende appartient à la société qui a intenté la poursuite pénale.
Les frais relatifs à une poursuite intentée devant une cour municipale appartiennent à la ville dont dépend cette cour [...]
[17] Les défendeurs soutiennent que l’article 9 du Règlement confère aux agents de la STM le pouvoir de restreindre de manière aléatoire et arbitraire la liberté de mouvement des usagers afin de vérifier s’ils ont en leur possession un support conforme faisant preuve de l’acquittement de leur droit de passage. Les défendeurs soutiennent que le Règlement autorise cette suspension du droit à la liberté sans exiger quelque motif ou soupçon. Cette suspension constitue donc une détention arbitraire.
[18] Selon les défendeurs, l’article 9 du Règlement crée des obligations pour l’usager, soit : l’obligation de démontrer qu’il a acquitté son droit de passage et l’obligation d’en permettre la vérification sur demande. L’usager qui ne se conforme pas à ces obligations commet ainsi une infraction, ce qui entraîne une obligation de s’identifier pour l’émission d’un constat d’infraction. Si l’usager refuse de s’identifier, il s’expose en plus à une accusation d’entrave à un agent de la paix ou fonctionnaire public sous l’article 129 du Code Criminel. L’usager est privé de sa liberté de choisir de coopérer avec les agents de la STM; il est donc détenu au sens de la Charte.
[19] Les défendeurs soutiennent également que les interpellations faites par les inspecteurs de la STM sont aléatoires, car elles n’exigent pas de motif raisonnable, ni même de soupçon raisonnable, de la part des inspecteurs avant d’intercepter des usagers. L’article 9 du Règlement R-105 permet donc des interceptions capricieuses, au bon vouloir des inspecteurs de la STM. Par conséquent, le fait de demander à un usager de montrer sa preuve d’acquittement constitue une détention arbitraire qui viole l’article 9 de la Charte.
[20] Les défendeurs soutiennent que les articles 6 et 9 du Règlement imposent des limites déraisonnables sur les droits protégés par la Charte et que ces limites ne peuvent être justifiées dans une société libre et démocratique en vertu de l’article 1 de la Charte.
[21] Ils soutiennent que l’objectif réel de ces articles est d’ordre économique et que les produits des amendes seraient utilisés avant tout comme source de revenu pour la STM.
[22] Subsidiairement, les défendeurs soutiennent qu’en l’absence de preuves convaincantes à cet égard, l’existence d’une fraude systémique du système de transport en commun ne peut constituer un objectif réel et urgent de la part de la STM.
[23] Advenant la reconnaissance par le Tribunal d’un objectif réel et urgent, ils soutiennent que les articles attaqués n’atteignent pas soigneusement l’objectif, parce qu’ils permettent de trouver coupables des usagers qui ne sont pas des fraudeurs.
[24] De plus, ils soutiennent que ces articles sont de nature à porter inutilement atteinte aux droits des usagers et que d’autres méthodes de vérification permettraient d’atteindre cet objectif sans violer les droits protégés par la Charte.
[25] Finalement, ils affirment que l’atteinte aux droits n’est pas proportionnelle à l’objectif recherché, soit de contrer la fraude.
[26] La STM soutient que les articles 6 et 9 du Règlement R-105 ne portent pas atteinte à la présomption d’innocence, car l’infraction prévue à l’article 62 du dit Règlement ne constitue pas une offense criminelle mais plutôt une infraction statutaire. Elle affirme qu’une interprétation différente peut être donnée aux droits garantis par la Charte dans un contexte règlementaire. En s’appuyant sur l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 RCS 154, elle plaide qu’un transfert du fardeau de la preuve dans le contexte d’infractions statutaires ne viole pas la présomption d’innocence prévue à l’al. 11d) de la Charte.
[27] Selon la STM, l’art. 6 du Règlement crée deux infractions distinctes. La première est « d’entrer dans le système de transport sans avoir payé le tarif approprié en achetant un billet ou un titre de transport valide pour une certaine période de temps ». La deuxième est « de se trouver dans une zone de contrôle sans avoir la preuve de cet acquittement du droit de passage en sa possession » (voir le par. 48 du mémoire de la STM).
[28] Selon la STM, il n’est pas déraisonnable de demander à l’usager de faire la preuve de son titre de transport puisqu’il est dans la meilleure position pour faire cette preuve.
[33] La STM plaide que même si les articles 6 et 9 du Règlement contreviennent aux droits protégés par la Charte, ils imposent des limites raisonnables sur ces droits, et que la justification de ces limites peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[34] D’une part, la STM soutient que ces articles visent à promouvoir un objectif suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit garanti par la Charte, soit de contrer la fraude dans le système de transport en commun. Selon la STM, le système de contrôle cherche à assurer qu’il y ait le moins de fraude possible dans le transport en commun.
[35] Ainsi, les articles attaqués chercheraient à contrer la fraude, évaluée à plusieurs millions de dollars, commise par des individus qui utilisent le système de transport en commun sans payer le tarif requis. Dans un contexte de saine gestion des fonds publics et de performance administrative, la STM a le devoir de percevoir de ses clients les sommes dues et de protéger ces dernières contre le risque de vol et de perte. La législation contestée par les requérants serait donc nécessaire pour assurer la saine gestion du système de transport commun pour l’île de Montréal et ses environs.
[36] D’autre part, la STM soutient que les moyens choisis pour atteindre cet objectif sont proportionnels à cet objectif.
[37] Avant de pouvoir trancher les questions constitutionnelles, il faut déterminer le sens des articles 6 et 9 du Règlement R-105. Pour ce faire, il faut les analyser ensemble, car ils sont intimement liés : l’article 6 fait textuellement référence à l’article 9.
[38] À première vue, la tentation est forte de conclure que ni l’article 6, ni l’article 9, ne sont créateurs d’infractions, car ils se trouvent tous les deux dans la Section III du Règlement, intitulée « Dispositions générales », alors que l’interdiction d’obtenir ou de tenter d’obtenir un voyage « sans en avoir acquitté le droit de passage de la façon prévue à l’article 6 » est énoncée à l’article 57 dans la Section VI intitulée « Interdictions ». Mais aucune des parties en cause n’a soutenu une telle thèse. De toute façon, une telle thèse ne pourrait pas tenir la route, car la STM a clairement exprimé son désir de créer une infraction à l’article 6 lorsqu’elle a rédigé à l’article 62 que « quiconque contrevient à l’ [...] article [...] 6 [...] commet une infraction.... »
[39] Mais quelle est l’infraction créée par l’article 6? Les défendeurs-requérants soutiennent que « l’infraction ou l’actus réus à l’article 6 [...] est de ne pas avoir acquitté son droit de passage » (Requête amendée, par. 7a)). La STM a d’abord plaidé que l’article 6 ne crée qu’une seule infraction : celle de ne pas avoir récupéré et conservé le support conforme. Plus tard, la STM a changé d’avis et a plaidé que l’article 6 crée deux infractions : celle de ne pas acquitter son droit de passage et celle de « se trouver dans une zone de contrôle sans avoir la preuve de cet acquittement du droit de passage en sa possession » (mémoire de la STM, par. 48). Aucune des parties n’a plaidé que l’article 57 est le seul qui crée l’infraction de ne pas payer son passage ou que l’interdiction claire de l’article 57 occupe le champ et enlève ce rôle à l’article 6.
[40] Par conséquent, à la fin des plaidoiries, les deux parties étaient d’accord que l’article 6 crée l’infraction de ne pas acquitter son droit de passage. Mais la STM soutient qu’en plus, l’article 6 crée une deuxième infraction : de ne pas avoir la preuve de cet acquittement en sa possession. Les défendeurs-requérants sont d’avis que la deuxième phrase de l’article 6 crée non pas une infraction, mais plutôt une règle de preuve ou, plus précisément, une présomption.
[41] Pour décider qui a raison, il est utile de regarder l’historique de cette législation.
[42] Avant 2008, l’usager n’avait que l’obligation de payer son passage au moment de son entrée dans le métro ou l’autobus. Une fois à l’intérieur, il était présumé avoir payé. Cette présomption était explicitement mentionnée dans l’ancien art. 14 du Règlement R-037 :
14. L’usager du métro ayant franchi les tourniquets ou autres systèmes d’accès d’une station à la suite d’une saisie mécanique d’un billet de correspondance d’autobus est réputé avoir acquitté son droit de passage au sens de l’article 12 et peut alors prendre un billet de correspondance du métro à une distributrice de cette station, conformément aux termes de l’article 13.
[soulignements ajoutés]
[43] En mai 2008, par résolution d’une assemblée de son conseil d’administration, la STM a adopté le Règlement R-105 intitulé « Règlement concernant les conditions au regard de la possession et de l’utilisation de tout titre de transport émis par la Société de transport de Montréal ». Ce nouveau règlement est entré en vigueur le 1er juillet 2008 et a remplaçé l’ancien Règlement R-037.
[44] Bien que légèrement modifié en 2009 et par la suite, le Règlement R-105 de 2008 est essentiellement le règlement encore en vigueur aujourd’hui.
[45] C’est avec l’adoption du nouveau Règlement R-105 en 2008 que la STM a imposé à l’usager cette nouvelle obligation de récupérer et conserver avec lui le support conforme « faisant preuve » qu’il a payé son passage. Ainsi, au moment des infractions imputées aux défendeurs-requérants, l’art. 6 du Règlement leur imposait une obligation qui est définie sans ambages comme une obligation de « preuve » :
6. Tout usager des services de transport offerts par ou pour le compte de la Société, doit, selon le tarif applicable et de la manière prévue, acquitter son droit de passage en payant ou en utilisant un titre de transport reconnu valide par la Société. Suite à l’acquittement de son droit de passage, l’usager doit récupérer et conserver avec lui le support conforme faisant preuve de cet acquittement aux fins de l’article 9.
[soulignement ajouté]
[46] La STM a également exprimé cette obligation des usagers de fournir une preuve qu’ils ont payé leur passage à l’article 32 :
32. Le support conforme sur lequel est encodé un droit de correspondre doit être récupéré et conservé par l’usager suite à l’acquittement au comptant de son droit de passage ou suite à la validation de celui-ci par les équipements de perception. Il sert de preuve d’acquittement du droit de passage aux fins de l’article 9.
[soulignement ajouté]
[47] Les articles 6 et 32 font tous les deux référence à l’article 9, une autre nouvelle disposition qui permet aux préposés de la STM d’exiger « en tout temps » que l’usager « démontre » qu’il a acquitté son droit de passage :
9. Sous réserve de l’article 11, en tout temps, à bord d’un autobus, d’un wagon de métro ou lorsqu’il se trouve à tout endroit d’une zone de contrôle d’une station, l’usager doit démontrer qu’il a dûment acquitté son droit de passage conformément au présent règlement.
Il doit, sur demande, permettre à un préposé de vérifier s’il a acquitté son droit de passage conformément à la tarification et à la réglementation en vigueur ainsi que la validité du titre et la conformité du support utilisé.
[soulignements ajoutés]
[48] Cette obligation imposée à l’usager de prouver en tout temps qu’il a payé son passage était nouvelle en 2008. Il y a donc eu un renversement du fardeau de preuve en 2008. Depuis cette année, l’usager se trouvant à l’intérieur d’une station de métro ou dans un autobus n’est plus « réputé avoir acquitté son droit de passage ». Il lui incombe désormais d’en faire la « preuve ».
[49] Non seulement la STM a-t-elle exigé que tout usager du métro ou d’un autobus fasse la preuve qu’il a payé, elle a également limité les façons dont il peut faire cette preuve. Il doit désormais produire le titre de transport utilisé, c’est-à-dire le support conforme. Aucune autre preuve, aussi convaincante qu’elle soit, ne peut éviter à l’usager de recevoir une contravention. Désormais, ni la preuve testimoniale ni les preuves circonstancielles ne peuvent éviter à l’usager de recevoir une contravention et d’être condamné.
[50] Par conséquent, si on applique cette nouvelle législation, la preuve testimoniale de paiement présentée à l’audience par les trois défendeurs et le témoin Massé-Bouchard — une preuve dont la véracité est admise par la STM — n’est d’aucun secours pour les défendeurs.
[51] Les preuves circonstancielles de paiement ne leur sont d’aucun secours non plus. Comme exemple de preuve circonstancielle en l’espèce, on peut mentionner le fait que Mme Khalil traînait avec elle une valise trop lourde pour permettre le saut d’un tourniquet et qui l’obligeait à passer devant le changeur. On peut penser aussi au carnet avec cinq billets sur six montré par M. Bell-Roy à l’inspecteur.
[52] Si on applique cette nouvelle législation, aucune de ces preuves d’innocence ne peut servir aux défendeurs parce que la STM a coupé court à toute possibilité de défense en les accusant de ne pas avoir conservé « le support faisant preuve ».
[53] Les défendeurs auraient peut-être pu se défendre avec leurs preuves testimoniales et circonstancielles si la STM les avait accusés d’avoir obtenu ou tenté d’obtenir un voyage sans payer. Le Règlement R-105 contient justement une telle infraction à son article 57 :
57. Il est interdit d’obtenir ou de tenter d’obtenir un voyage sans en avoir acquitté le droit de passage de la façon prévue à l’article 6.
[54] Mais en les accusant de ne pas avoir conservé « le support conforme » — la seule preuve acceptable selon le Règlement R-105 — la STM a imposé un fardeau insurmontable aux trois défendeurs qui avaient tous jeté leurs billets.
[55] La STM plaide que les défendeurs ne sont pas accusés de ne pas avoir payé, mais seulement de ne pas avoir conservé le support. Avec égards, cette nuance ressemble à un sophisme lorsqu’on constate que l’article 62 du Règlement R-105 impose exactement la même peine à ceux qui ne conservent pas le support (art. 6) qu’à ceux qui ne payent pas du tout (art. 57) :
62. Quiconque contrevient à l’un des articles 6, 56 a), 56 c), 57 ou 58 du présent règlement commet une infraction et est passible d'une amende de 150 $ à 500 $ dans le cas d’une personne physique et de 300 $ à 1 000 $ dans le cas d’une personne morale.
[soulignements ajoutés]
[56] En accusant les défendeurs Joubert, Bell-Roy et Khalil de ne pas avoir conservé le support, la STM leur a imposé la même peine minimale que celle prévue au Règlement pour les sauteurs de tourniquets. Les gens accusés en vertu de l’art. 57 ont au moins la possibilité de se défendre en soulevant un doute raisonnable sur l’absence de paiement. Mais les défendeurs Joubert, Bell-Roy et Khalil n’ont pas cette possibilité, car toutes les méthodes de preuve normalement admissibles en matière pénale ont été écartées par l’article 6 du Règlement R-105. N’ayant pas la seule et unique preuve que le Règlement permet, toute possibilité d’acquittement est écartée.
[57] La STM plaide que l’art. 6 crée deux infractions distinctes, dont la deuxième est de ne pas avoir conservé avec soi le « support conforme » ou, dans les termes de son avocat, « être dans le système » sans le support conforme. La faiblesse de cet argument se trouve dans la présence, à l’intérieur de l’article 6, des mots « faisant preuve de cet acquittement aux fins de l’article 9 ». Si la STM voulait obliger les usagers à conserver le « support conforme » pour des raisons distincts de la preuve de paiement, elle aurait pu se passer des mots « faisant preuve de cet acquittement aux fins de l’article 9 » et l’exprimer tout simplement comme suit : « Suite à l’acquittement de son droit de passage, l’usager doit récupérer et conserver avec lui le support conforme. »
[58] Un législateur est présumé ne pas parler pour ne rien dire. La présence des mots « faisant preuve de cet acquittement aux fins de l’article 9 » doit donc être interprétée comme ayant une importance. Les mots doivent avoir une raison d’être. Il faut donc conclure que la conservation du support conforme a comme fonction de faire la preuve du paiement.
[59] D’autres facteurs appuient cette conclusion. À l’audience, pour justifier les nouvelles dispositions du Règlement, la STM a mis considérablement de temps à plaider et à faire la preuve de l’importance d’assurer que les usagers paient pour leurs passages. Aucun autre motif n’a été avancé pour justifier l’adoption des nouveaux articles 6 et 9 du Règlement R-105.
[60] De plus, il faut noter que le nouveau système de la STM ne prévoit pas la réutilisation du support pour sortir du métro (comme le fait, par exemple, le métro de Londres). Par conséquent, la STM ne peut pas soutenir que la conservation du support jusqu’à la sortie du métro sert à recueillir des statistiques sur les trajets des usagers.
[61] Le Tribunal conclut que l’adoption des articles 6 et 9 n’a pas d’autre objectif que d’améliorer la perception des droits et la rentabilité du métro et du service de transport par autobus. Il en découle que la nouvelle obligation de conserver le support conforme n’a pas d’autre raison d’être que de faire la preuve de l’acquittement du droit de passage. Par conséquent, le Tribunal conclut que les mots « faisant preuve de cet acquittement » signifient exactement ce qu’ils disent et que la deuxième phrase de l’article 6 crée une règle de preuve relative à la question de savoir si l’usager a acquitté ou non son droit de passage. Si la deuxième phrase de l’article 6 est une règle de preuve, l’article 6 ne crée qu’une seule infraction : le non-acquittement du droit de passage.
[62] Il est maintenant nécessaire de décider si ces articles portent atteinte aux droits garantis par la Charte.
[63] Les défendeurs plaident que ce nouveau régime créé par les articles 6 et 9 du Règlement R-105 porte atteinte au droit à la présomption d’innocence garanti par la Charte canadienne des droits et libertés. La STM soutient que les articles 6 et 9 ne portent pas atteinte à la présomption d’innocence, car l’infraction alléguée ne constitue pas une offense criminelle mais plutôt une infraction statutaire. Elle affirme que « dans un contexte réglementaire », le renversement du fardeau de la preuve ne viole pas l’al. 11d) de la Charte.
1. Caractère statutaire de l’infraction
[64] La présomption d'innocence est garantie expressément par l'al. 11d) de la Charte et implicitement par l'article 7. Elle est, pour utiliser les mots du juge en chef Dickson, « l’expression de notre croyance que, jusqu’à preuve contraire, les gens sont honnêtes et respectueux des lois. » (R. c. Oakes, [1986] 1 RCS 103, au par. 29)
[65] L’article 11 de la Charte garantit ces droits à « tout inculpé » (en anglais : « any person charged with an offence »). Il en découle que l’article 11 garantit ces droits non seulement en matière criminelle, mais aussi en matière pénale statutaire, fédérale ou provinciale. C’est ce qu’a décidé la Cour suprême du Canada à l’unanimité dans R. c. Wigglesworth, [1987] 2 RCS 541, où la juge Wilson a écrit (au par. 16) :
Les droits garantis par l'art. 11 de la Charte peuvent être invoqués par les personnes que l'état poursuit pour des infractions publiques comportant des sanctions punitives, c.-à-d. des infractions criminelles, quasi criminelles et de nature réglementaire, qu'elles aient été édictées par le gouvernement fédéral ou par les provinces.
[soulignements ajoutés]
[66] La juge Wilson a précisé (aux pars. 22-23), que l’application de l’art. 11 en matière pénale statutaire découle de la nature même des poursuites publiques, peu importe que la conséquence ne soit qu’une légère amende :
22. Il y a de nombreux exemples d'infractions qui sont de nature criminelle mais qui entraînent des conséquences relativement mineures par suite d'une déclaration de culpabilité. Les procédures relatives à ces infractions seraient néanmoins assujetties à la protection de l'art. 11 de la Charte. On ne peut sérieusement soutenir que du seul fait qu'une infraction mineure en matière de circulation entraîne une conséquence très négligeable, voire une légère amende seulement, cette infraction ne relève pas de l'art. 11. Il s'agit d'une procédure criminelle ou quasi criminelle. C'est le genre d'infraction qui, de par sa nature même, doit relever de l'art. 11. Par conséquent, je suis d'accord avec les observations du juge Linden dans Re McCutcheon and City of Toronto (1983), 147 D.L.R. (3d) 193 (H.C.) Dans cette affaire, l'accusée a réclamé l'application de l'art. 11 par suite d'une prétendue infraction en matière de stationnement. À la page 205, le juge Linden a dit:
[TRADUCTION] Seuls les inculpés peuvent invoquer cette disposition de la Charte. Selon mon interprétation du règlement et de la loi en question, la requérante est une telle personne, ayant été accusée d'avoir commis des infractions lorsque les sommations ont été délivrées contre elle.
(...)
Il est incontestable que les infractions de stationnement sont des "infractions" au sens de l'art. 11 de la Charte. Les intimés soutiennent que l'art. 11 de la Charte ne vise pas ce genre de fautes contre la société puisqu'un billet de stationnement ne laisse pratiquement aucun stigmate. Toutefois, j'estime que la gravité des conséquences n'est pas importante.
23. À mon avis, si une affaire en particulier est de nature publique et vise à promouvoir l'ordre et le bien-être publics dans une sphère d'activité publique, alors cette affaire est du genre de celles qui relèvent de l'art. 11. Elle relève de cet article de par sa nature même.
[soulignements ajoutés]
[67] La STM admet (au par. 32 de son mémoire) que « dans les affaires purement criminelles » un renversement du fardeau de la preuve porte atteinte à la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d) de la Charte. Mais elle a longuement insisté, autant dans son mémoire (pars. 33 à 39) que dans ses représentations orales, que « dans un contexte réglementaire », le renversement du fardeau de la preuve ne viole pas l’al. 11d) de la Charte. Elle a affirmé (au par. 33) que « lorsqu’il s’agit d’une infraction statutaire, la Cour suprême du Canada a adopté une interprétation moins stricte des droits protégés par les articles 7 et 11d) de la Charte. »
[68] Pour soutenir cette affirmation, la STM s’appuie sur un arrêt de la Cour suprême du Canada qui est plus récent que Wigglesworth. Il s’agit de l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 RCS 154.
[69] La STM écrit (au par. 34 de son mémoire) que dans Wholesale Travel, le « juge Cory, pour la majorité, a décidé que » le renversement du fardeau de la preuve ne viole pas l’al. 11d) de la Charte « dans un contexte réglementaire ». Avec égards, il s’agit d’une erreur de la part de la STM. Certes, cette affirmation représente bien l’opinion des juges Cory et L’Heureux-Dubé, mais elle n’est pas l’opinion de « la majorité ». Au contraire, l’opinion majoritaire du juge en chef Lamer, des juges La Forest, Sopinka, Gonthier, McLachlin, Stevenson et Iacobucci est à l’effet que la disposition portant inversion de la charge de la preuve contrevenait à l’al. 11d) de la Charte. Ce n’est qu’à l’étape de l’analyse relative à l’article premier de la Charte que la disposition en litige a été sauvegardée par la majorité des juges.
[70] La STM écrit (au par. 38 de son mémoire) que « les principes décrits dans le jugement [Wholesale Travel] ont été confirmés dans des jugements rendus subséquemment par la Cour suprême du Canada : R. c. Martin, [1992] 1 R.C.S. 838 et R. c. Ellis-Don Ltd. [1992] 1 R.C.S. 840. » C’est vrai. Encore faut-il bien comprendre ce que la majorité a dit au sujet de l’al. 11d) dans Wholesale Travel. De plus, dans Martin comme dans Ellis-Don Ltd., la Cour a souligné que c’était l’analyse fondée sur l’article premier de la Charte dans Wholesale qui était applicable en l’espèce. L’analyse fondée sur l’article premier n’aurait jamais été nécessaire s’il n’y avait pas eu de conclusion à l’existence d’une atteinte à l’al. 11d).
[71] Il est donc clair que la garantie de l’al. 11d) de la Charte s’applique aux personnes accusées d’infractions statutaires réglementaires provinciales, y compris le Règlement R-105, et qu’une disposition portant inversion de la charge de la preuve contrevient à cette garantie. Il reste à savoir si les articles 6 et 9 du Règlement R-105 portent atteinte à l’al. 11d) de la Charte et, si oui, si elles peuvent être sauvegardées par l’article premier de la Charte.
2. Application des principes
[72] La règle de preuve dans l’article 6, les défendeurs-requérants la qualifient de « présomption irréfragable de culpabilité ». La disposition n’est pas rédigée d’une manière à ressembler à une présomption légale comme nous sommes habitués à les voir, mais son effet est le même, sinon plus fort.
[73] Le choix du mot « doit » au lieu de « peut » (dans la deuxième phrase de l’article 6) doit aussi recevoir considération lors de l’interprétation de l’article 6. Les deux parties considèrent que le mot « doit » rend le support conforme obligatoire et élimine la possibilité de faire la preuve de paiement par tout autre moyen. Le Tribunal est d’accord avec cette interprétation. Mais l’effet pratique est d’enlever aux défendeurs tous les autres moyens de preuve et leur enlève la possibilité d’éviter une condamnation en présentant une autre forme de preuve de paiement.
[74] Ce nouveau régime créé par les articles 6 et 9 du Règlement, on pourrait être tenté de le qualifier de « responsabilité absolue ». Mais ce serait une erreur de le qualifier ainsi, car ce régime va encore plus loin que la responsabilité absolue. La responsabilité absolue existe lorsque la preuve de l’acte prohibé (l’actus reus) entraîne automatiquement une déclaration de culpabilité, sans qu’il ne soit possible de se défendre en prouvant sa bonne foi ou sa diligence raisonnable. Mais les articles 6 et 9 du Règlement vont encore plus loin. Ils dispensent la STM de l’obligation de prouver l’acte prohibé (le non-paiement du prix du passage) et empêchent le défendeur de faire la preuve qu’il a payé. Les défendeurs-requérants ont raison de dire que l’article 6 crée une présomption irréfragable de culpabilité.
[75] Dans un tel contexte, il devient impossible de considérer les défendeurs Joubert, Bell-Roy et Khalil comme autre chose que des dommages collatéraux dans une nouvelle stratégie de perception des droits de passage. Pour donner plus de force à cette stratégie, la STM a coupé court à toute possibilité pour les gens ayant jeté ou perdu leur billet de se disculper. Au lieu de les accuser de ne pas avoir payé, la STM les accuse de ne pas avoir la preuve de leur paiement et leur impose le fardeau de produire cette preuve disculpatoire sans que le moindre soupçon n’existe à leur endroit. En d’autres mots, les gens interpellés par les préposés via l’article 9 sont présumés coupables à moins qu’ils ne prouvent leur innocence, et la preuve de cette innocence ne peut être faite que d’une seule façon : en produisant le « support conforme». Toute autre preuve, quelque soit sa valeur probante, est inadmissible ― par décision de la STM.
[76] C’est comme si, pour lutter contre le vol, on mettait fin à la présomption découlant de la possession paisible d’un bien et on exigeait que chaque personne en possession d’un bien porte sur elle, en tout temps, le reçu du magasin « faisant preuve de l’acquittement » du prix de vente. La personne qui ne serait pas en mesure de produire le reçu « sur demande » serait accusée de ne pas avoir conservé avec elle le reçu et serait assujettie aux mêmes conséquences et à la même peine que si elle avait volé le bien, sans qu’il ne lui soit permis de prouver, par quelque moyen de preuve que ce soit, qu’elle avait véritablement payé pour le bien.
[77] Il faut donc voir plus loin que la surface du nouveau règlement. Le véritable effet des articles 6 et 9 est de mettre sur les épaules des gens interpellés le fardeau de prouver leur innocence — sur le champ. S’ils ne peuvent pas le faire sur le champ et de la manière exigée par la STM, l’affaire est réglée : ils devront payer la même amende et les frais que s’ils avaient sauté les tourniquets. La STM n’aura jamais à prouver qu’ils n’ont pas payé. En termes d’efficacité de poursuite, la STM pourrait difficilement imaginer mieux.
[78] Je conclus donc que les articles 6 et 9 du Règlement R-105 contiennent une disposition qui inverse la charge de la preuve en imposant à l’accusé la charge ultime de prouver qu’il n’est pas entré dans le métro (ou monté dans un autobus) sans payer.
[79] Dans Oakes, la Cour suprême a affirmé que la présomption d'innocence exige (1) que la culpabilité soit établie hors de tout doute raisonnable, (2) que ce soit à l'État qu'incombe la charge de présenter sa preuve contre l’accusé avant que celui-ci n’ait besoin de répondre et (3) que les poursuites se déroulent d'une manière conforme aux procédures légales et à l'équité. Le juge en chef Dickson l’a exprimé au par. 32 :
Compte tenu de ce qui précède, le droit, prévu par l'al. 11d), d'être présumé innocent tant qu'on n'est pas déclaré coupable exige à tout le moins que, premièrement, la culpabilité soit établie hors de tout doute raisonnable et, deuxièmement, que ce soit à l'état qu'incombe la charge de la preuve. Comme l'affirme le juge Lamer dans l'arrêt Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, à la p. 357:
L'alinéa 11d) impose à la poursuite le fardeau de démontrer la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable ainsi que de présenter sa preuve contre l'accusé avant que celui-ci n'ait besoin de répondre, soit en témoignant soit en citant d'autres témoins.
Troisièmement, les poursuites criminelles doivent se dérouler d'une manière conforme aux procédures légales et à l'équité. L'importance de ces dernières ressort de la dernière partie de l'al. 11d) qui pose comme exigence que la culpabilité soit établie "conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable".
[soulignements ajoutés]
[80] La Cour suprême a réitéré ces principes dans R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57, où la juge Deschamps (au par. 24) a confirmé qu’une disposition législative a pour effet de limiter le droit à la présomption d’innocence garantie par l’al. 11d) de la Charte lorsqu’elle décharge le ministère public de son obligation de présenter une preuve complète contre l’accusé avant que celui-ci n’ait besoin de répondre ou lorsqu’elle crée un risque de déclaration de culpabilité alors que le juge des faits entretient un doute raisonnable :
Une présomption légale porte atteinte à la présomption d’innocence si elle fait en sorte qu’une personne accusée peut être déclarée coupable alors qu’il subsiste un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits (R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, p. 654-656; Downey, p. 21). Dans R. c. Whyte, [1988] 2 R.C.S. 3, la Cour a souligné que la distinction entre les éléments de l’infraction et d’autres aspects de l’accusation n’avait pas d’effet sur l’analyse de la présomption d’innocence. « Si une disposition oblige un accusé à démontrer certains faits suivant la prépondérance des probabilités pour éviter d’être déclaré coupable, elle viole la présomption d’innocence parce qu’elle permet une déclaration de culpabilité malgré l’existence d’un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à la culpabilité de l’accusé » (p. 18). Ce qui importe pour les besoins de l’analyse de l’atteinte à la présomption d’innocence n’est pas de savoir si la présomption légale a trait à un élément essentiel de l’infraction, mais plutôt de déterminer si elle dispense la poursuite d’établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité de la personne accusée avant que celle-ci n’ait à répondre (Oakes, p. 121; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, p. 357). Par conséquent, tout comme la présomption contestée dans Oakes, les présomptions de l’al. 258(1)c) porteront atteinte à la présomption d’innocence si elles peuvent entraîner la condamnation d’une personne accusée malgré l’existence d’un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
[soulignements ajoutés]
[81] En appliquant ces principes aux dispositions attaquées en l’espèce, le Tribunal conclut que les articles 6 et 9 du Règlement R-105 portent atteinte aux trois exigences mentionnées dans Oakes.
[82] Premièrement, ces dispositions permettent la déclaration de culpabilité alors qu’il y a un doute raisonnable. En fait, même un tribunal convaincu que le défendeur a payé son passage ne pourra l’acquitter à partir du moment où il est établi que le défendeur n’avait pas le « support conforme » en sa possession lorsque sommé de le produire par un agent.
[83] Deuxièmement, ces dispositions déchargent le ministère public de son obligation de présenter une preuve complète contre l’accusé avant que celui-ci n’ait besoin de répondre. Elles obligent le défendeur à présenter sa preuve avant le poursuivant. En fait, le défendeur doit présenter sa preuve avant même d’aller à la cour (en la présentant à l’agent qui l’interpelle).
[84] Troisièmement, ces dispositions font en sorte que les poursuites ne se déroulent pas d'une manière conforme aux procédures légales et à l'équité, parce qu’elles enlèvent aux défendeurs toute possibilité de faire une défense par le biais des moyens de preuve normalement reconnus, comme la preuve testimoniale et la preuve circonstancielle. Même un reçu pour le paiement d’un billet ne pourrait pas satisfaire à l’exigence créée par le Règlement.
[85] Cette situation n’est pas sans rappeler les propos exprimés par la juge Cohen dans R. c. Scott, 2014 QCCS 4806. Bien qu’elle rendît jugement sur un appel pour une infraction complètement différente (un excès de vitesse), la juge a déclaré (au par. 25) qu’une règle de droit qui fait en sorte que toute personne accusée sera automatiquement trouvée coupable est contraire à la présomption d’innocence :
[...] Aucun accusé ne peut rencontrer un tel fardeau, soit d'établir sa vitesse au moment précis de sa captation par l'appareil radar — les accusés ne peuvent qu'estimer la distance du policier, s'ils le voient au moment clé. Accepter un tel raisonnement fera en sorte que toute personne faisant face à une accusation d'avoir circulé à une vitesse excessive captée par un appareil laser sera automatiquement trouvée coupable, ce qui est clairement contraire à la jurisprudence, à la règle d'une preuve hors de tout doute raisonnable et à la présomption d'innocence.
[soulignements ajoutés]
[86] Par conséquent, le Tribunal conclut que les articles 6 et 9 du Règlement R-105 portent atteinte à la présomption d'innocence garantie par l'al. 11d) de la Charte.
[87] En raison de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de décider si les articles 6 et 9 du Règlement portent atteinte à l'article 7 de la Charte.
[88] La détention arbitraire a deux composantes : la détention et le caractère arbitraire de celle-ci.
1. Détention
[89] La première question qui se pose est donc de savoir, lorsqu’un préposé de la STM interpelle un usager déjà à l’intérieur du « zone de contrôle » afin d’exiger le support conforme, s’il exerce un contrôle sur l’usager de manière à ce que celui-ci soit détenu au sens de l’article 9 de la Charte.
[90] La Cour Suprême du Canada s’est prononcée à maintes reprises sur la notion de détention. Dans R. c. Grant, 2009 CSC 32, les juges McLachlin et Charron, dans leur opinion majoritaire, ont noté que l’interprétation de l’article 9 de la Charte doit être libérale plutôt que formaliste, afin d’assurer que les citoyens puissent bénéficier pleinement de la protection accordée par la Charte (par. 16). Elles ont reconnu qu’un citoyen ne fait pas automatiquement l’objet d’une détention dans chacune de ses interactions avec un agent de l’État (par. 26). Mais elles ont conclu (au par. 44) que la détention visée à l’article 9 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable, et qu’il y a deux situations possibles de détention psychologique : (1) lorsqu’un citoyen est légalement tenu d’obtempérer à une demande ou à une sommation, ou (2) lorsqu’une personne raisonnable conclurait, dans les circonstances, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer à la demande des agents :
La détention visée aux art. 9 et 10 de la Charte s’entend de la suspension du droit à la liberté d’une personne par suite d’une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l’individu est légalement tenu d’obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l’État, qu’elle n’a d’autre choix que d’obtempérer.
[soulignements ajoutés]
[91] Les cas les plus difficiles à décider sont les cas de détention psychologique dans la deuxième catégorie, comme c’était le cas de monsieur Grant (que la Cour suprême a malgré tout jugé détenu). Mais lorsque la détention tombe dans la première catégorie, c’est-à-dire lorsqu’il y a une obligation légale d’obtempérer, c’est beaucoup plus simple. Il s’agit alors d’un cas manifeste de détention au sens de l’article 9 de la Charte (Grant, par. 34). Comme les juges McLachlin et Charron l’ont répété dans R. c. Suberu, 2009 CSC 33, au par. 4 :
Lorsqu’une personne est légalement tenue d’obtempérer à une sommation ou à une directive qui entrave sa liberté, il est habituellement facile d’établir la détention.
[soulignements ajoutés]
[92] Les cas de Joubert, Bell-Roy et Khalil tombent dans cette première catégorie, parce que l’art. 9 du Règlement crée une obligation d’obtempérer. Les trois défendeurs étaient légalement tenus d’obtempérer à une demande contraignante :
9. Sous réserve de l’article 11, en tout temps, à bord d’un autobus, d’un wagon de métro ou lorsqu’il se trouve à tout endroit d’une zone de contrôle d’une station, l’usager doit démontrer qu’il a dûment acquitté son droit de passage conformément au présent règlement.
Il doit, sur demande, permettre à un préposé de vérifier s’il a acquitté son droit de passage conformément à la tarification et à la réglementation en vigueur ainsi que la validité du titre et la conformité du support utilisé.
[soulignements ajoutés]
[93] Une obligation prévue expressément par une loi et qui confère à un agent le pouvoir d’exiger d’un citoyen une action positive, telle que lui remettre un document ou une pièce d’identité, fait en sorte que l’interpellation par l’agent cause une détention psychologique.
[94] Selon le cadre légal prévu aux articles 6 et 9 du Règlement R-105, l’usager est légalement tenu d’obtempérer à la directive du préposé de la STM. L’article 9, s’applique « en tout temps, à bord d’un autobus, d’un wagon de métro » ou « à tout endroit d’une zone de contrôle d’une station » (al. 1). De plus, l’article 9 impose un devoir à l’usager de « permettre à un préposé de vérifier s’il a acquitté son droit de passage conformément à la tarification et à la réglementation en vigueur ainsi que la validité du titre et la conformité du support utilisé » (al. 2). Ce devoir est accompli en présentant « le support conforme faisant preuve de cet acquittement » (art. 6).
[95] L’usager qui se fait interpeller par un préposé de la STM aux fins de l’art. 6 est tenu, à tout moment, d’obtempérer à une demande ou à une sommation. Le préposé exerce alors un contrôle sur l’usager et restreint son droit à la liberté.
[96] La STM plaide que la détention ne débute que lorsqu’un usager n’est pas en mesure de produire le support conforme, et non au moment de l’interpellation des inspecteurs. Cet argument est mal fondé compte tenu du fait que le texte même de l’alinéa second de l’art. 9 du Règlement impose une obligation à l’usager de permettre à un préposé de la STM de vérifier s’il a acquitté son droit de passage. L’usager s’expose à une sanction pénale s’il refuse de permettre cette vérification, peu importe ce qu’il en résulte.
[97] Dans R. c. Leitch, [1992] A.J. No. 1073, le juge Pepler de la Cour provinciale en Alberta a décidé que le défendeur intercepté dans des circonstances similaires aux nôtres et en application d'un règlement semblable à Calgary était détenu au sens de la Charte.
[98] Depuis que les parties ont plaidé la présente requête, un autre juge de la Cour municipale de Montréal a rendu jugement dans une cause qui impliquait également une intervention par un inspecteur de la STM en application des art. 6 et 9 du Règlement R-105. Dans STM c. Gauthier (C.M.Mtl. N° 309-336-414, 29 mars 2016), l’inspecteur de la STM effectuait un contrôle de perception a posteriori en demandant à la défenderesse de lui laisser vérifier son titre de transport. Le juge a décidé qu’en l’espèce l’intervention ne constituait pas une détention au sens de l’art. 9 de la Charte, mais plutôt une vérification administrative. Pour arriver à cette conclusion, il a souligné que l’intervention n’entraînait aucune conséquence juridique appréciable pour la défenderesse ― seulement les conséquences de nature monétaire d’un constat d’infraction (amende et frais) ― sans privation de liberté.
[99] Il faut noter, cependant, que dans STM c. Gauthier, il s’agissait d’une application par la STM de son service de transport adapté — un service qui fonctionne avec un système de perception et de contrôle distinct parce que ses usagers ne voyagent ni dans le métro ni dans les autobus réguliers. Ils voyagent pour la plupart dans des véhicules taxi qui n’ont pas l’équipement pour faire la perception comme les tourniquets du métro ou les boites de perception des autobus. Le service de transport adapté fonctionne surtout sur un système d’honneur. De plus, lorsqu’il s’agit d’un client du service de transport adapté, la procédure de contrôle a posteriori est plus rapide que pour les autres usagers, car la STM détient des dossiers sur tous les usagers du transport adapté avec toutes les informations nécessaires. La STM a une politique spéciale pour les usagers du transport adapté par laquelle aucune contravention n’est remise sur place. Pour éviter de retarder les clients du transport adapté, la STM rédige les constats après les interventions et les envoie aux contrevenants par la poste. Dans le cas de Mme Gauthier, par exemple, l’inspecteur connaissait l’identité de la défenderesse avant même de lui parler; il l’attendait et connaissait d’avance l’heure et l’endroit où elle arriverait, car les voyages fournis par le service de transport adapté doivent être réservés au préalable par les usagers.
[100] De plus, dans STM c. Gauthier, le juge a conclu qu’il n’y avait eu aucune contrainte physique ou psychologique considérable et que l’intervention aurait duré bien moins longtemps, n’eussent été les représentations mensongères faites par la défenderesse à l’inspecteur.
[101] Finalement, il faut souligner que la validité constitutionnelle du Règlement R-105 n’a pas été attaquée ni débattue dans STM c. Gauthier.
[102] En raison de toutes ces différences, le Tribunal ne croit pas que le jugement dans STM c. Gauthier soit applicable ou déterminant dans les trois dossiers en l’espèce.
[103] Par conséquent, le Tribunal conclut qu’en l’espèce, les trois défendeurs-requérants ont été détenus aux sens de l’article 9 de la Charte au moment de leur interpellation par les inspecteurs.
2. Arbitraire
[104] Une fois la détention établie, la question qui se pose est de savoir si cette détention est arbitraire au sens de l’article 9 de la Charte.
[105] La STM plaide que lorsque la preuve du support est demandée, les usagers ne sont pas détenus arbitrairement, parce que les inspecteurs sont autorisés par la loi à demander aux usagers de montrer qu’ils sont en possession du support faisant preuve de paiement. Il est vrai que l’art. 140 de la Loi sur les sociétés de transport en commun leur donne ce pouvoir. Mais le simple fait d’être autorisée par une loi ne fait pas en sorte que la détention ne peut pas être arbitraire.
[106] Dans l’arrêt R. c. Hufsky, [1988] 1 SCR 621, la Cour suprême a décidé (au par. 16) qu’une détention, bien qu’autorisée par une loi et exécutée pour des fins légitimes, est arbitraire s’il n’y a aucun critère, norme, directive ou procédure de sélection et si la sélection est laissée à l’entière discrétion des agents:
La question qui se pose ensuite relativement à l'argument de l'appelant fondé sur l'art. 9 de la Charte est de savoir si la détention qui s'ensuit, lorsque l'on arrête des véhicules au hasard afin de procéder à un contrôle routier ponctuel, est arbitraire au sens de l'art. 9. Le paragraphe 189a(1) du Code de la route habilite l'agent de police, dans l'exercice légitime de ses fonctions, à exiger du conducteur d'un véhicule automobile qu'il s'arrête. Il ne précise pas qu'il doit y avoir des raisons ou une cause pour demander à un automobiliste en particulier de s'arrêter mais, comme sa simple lecture l'indique, il laisse à l'agent le pouvoir discrétionnaire de choisir à quel automobiliste il va demander de s'arrêter. En réalisant les fins visées par la procédure de contrôles routiers ponctuels, dont la vérification de l'état ou de la "sobriété" du conducteur, l'agent était clairement dans l'exercice légitime de ses fonctions. Bien qu'autorisé par la loi et exécuté pour des fins légitimes, l'arrêt au hasard, effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, a néanmoins entraîné, à mon avis, une détention arbitraire parce qu'il n'y avait aucun critère de sélection des conducteurs à qui on demanderait de s'arrêter et de se soumettre au contrôle routier ponctuel. La sélection était laissée à l'entière discrétion de l'agent de police. Un pouvoir discrétionnaire est arbitraire s'il n'y a pas de critère, exprès ou tacite, qui en régit l'exercice. En l'espèce il n'y en avait aucun. L'appelant a donc été détenu arbitrairement, au sens de l'art. 9 de la Charte, par suite de l'arrêt au hasard effectué dans le but de procéder à un contrôle routier ponctuel, et la seconde question constitutionnelle doit, par conséquent, recevoir une réponse affirmative.
[soulignements ajoutés]
[107] La Cour suprême a réaffirmé ces principes dans l’arrêt R. c. Ladouceur, [1990] 1 RCS 1257, lorsque le juge Cory a écrit :
Les conclusions auxquelles on est arrivé dans l'arrêt Hufsky, précité, répondent à la question de la détention arbitraire soulevée en l'espèce. Bien que les policiers aient exprimé des opinions divergentes quant à savoir si l'appelant aurait été arrêté s'il avait tenté de s'enfuir, il est évident qu'il était détenu. Les agents de police avaient restreint la liberté d'action de l'appelant au moyen d'une sommation ou d'un ordre. De plus, bien que la détention n'ait visé que des infractions en matière de circulation plutôt que des violations du Code criminel, les peines maximales de 2 000 $ d'amende ou de six mois d'emprisonnement démontrent que les conséquences juridiques de la détention étaient sérieuses. La détention était arbitraire, étant donné que la décision d'effectuer l'interpellation relevait du pouvoir discrétionnaire absolu des agents de police. Par conséquent il n'y a aucun doute que l'interpellation au hasard pour une vérification de routine constituait une détention arbitraire contrairement à l'art. 9 de la Charte.
[soulignements ajoutés]
[108] En l’espèce, les interpellations faites par les inspecteurs de la STM étaient complètement aléatoires et constituaient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire absolu. La STM n’a fait preuve d’aucun critère de sélection utilisé par ses inspecteurs pour interpeller un usager afin de lui demander de faire la preuve du paiement de son titre de transport.
[109] La STM plaide que lorsqu’un usager entre dans le système de transport de la STM, il entre volontairement dans une zone d’activité réglementée. Il sait donc que pendant la période où il est sur les lieux de la STM, il est soumis aux règles qui gouvernent cette zone.
[110] Cet argument suggère implicitement que l’usager accepte les conditions d’utilisation du réseau de la STM parce qu’il entre volontairement sur les lieux appartenant à la STM ou parce qu’il choisit librement de participer à une activité réglementée.
[111] Cette comparaison à une activité réglementée est boiteuse, parce que contrairement à la personne qui choisit de s’engager dans une activité industrielle ou commerciale, l’usager du transport en commun ne tire aucun profit monétaire de son activité. Et contrairement à la chasse ou la pêche, le déplacement en métro ou en autobus de la STM n’est pas une activité de loisir. La réalité du transport en commun est qu’il s’agit d’un service public essentiel qui appartient à tous et dont l’utilisation est un droit. Le paiement du tarif n’est qu’une façon de financer le service et de répartir ce financement équitablement entre les usagers en fonction de leur utilisation. Mais l’utilisation de ce service reste un droit et le quai du métro reste un espace public qui appartient à tous.
[112] Il ne faut pas comparer le quai du métro à une propriété privée que le propriétaire peut gérer à sa guise. Il ne faut pas non plus le comparer à un immeuble à bureaux de la fonction publique où l’accès peut de façon légitime être limité aux fonctionnaires qui y travaillent.
[113] Moyennant le paiement du droit au moment de son entrée, et dans la mesure qu’il respecte les règles de sécurité et ne dérange pas les autres, l’usager du métro a le droit d’être sur le quai et à tout endroit appelé « zone de contrôle » sans craindre d’être « contrôlé » ou appelé à justifier sa présence. L’usager du métro ou d’un autobus a les mêmes droits que toute personne sur un espace public et cela comprend le droit de ne pas être interpellé sans raison par un agent de l’État, en uniforme ou non, qui exige qu’il produise des papiers. Ce genre de contrôle par un agent de l’État est contraire à nos traditions de liberté publique et évoque des mauvais souvenirs d’autres pays au siècle dernier. Il ne doit pas être toléré lorsqu’il existe d’autres moyens, moins répugnants, pour atteindre le même objectif.
[114] Pour ces raisons, le Tribunal conclut que l’interpellation des défendeurs-requérants par les inspecteurs de la STM constituait une détention arbitraire qui portait atteinte à l’article 9 de la Charte. Puisque ces actions étaient autorisées par l’article 9 du Règlement R-105, le Tribunal conclut que l’article 9 du Règlement R-105 porte atteinte à l’article 9 de la Charte.
[115] Malgré les atteintes à la présomption d’innocence et à la protection contre la détention arbitraire, les articles 6 et 9 du Règlement R-105 sont-ils sauvegardés par l’article premier de la Charte ?
[soulignements ajoutés]
69. Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamentaux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être "suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution": R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.
70. En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'application d'"une sorte de critère de proportionnalité" : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme "suffisamment important".
HISTORIQUE DU PROJET VENTE ET PERCEPTION (OPUS)
7. Le remplacement des équipements de vente et de perception à la Société de transport de Montréal (STM) entre 2005 et 2008 est le résultat d’une longue démarche de réflexion et de nombreuses analyses réalisées, notamment durant les années 1990.
8. En 1996, des représentations ont été faites auprès du conseil d’administration de la STM de l’époque suite à des études de préfaisabilité. Dès lors, le projet proposé reposait sur des principes directeurs et les objectifs suivants (regroupés en deux axes) :
[...] Les taux de fraude estimés lors de l’enquête de 1995 ont été mesurés sous la consigne générale demandant aux chauffeurs participants aux enquêtes de ne pas intervenir auprès des usagers fraudeurs; on peut donc interpréter les manque-à-gagner résultants comme des estimations brutes découlant de fraude, sans correction pour les sommes récupérées grâce à l’intervention ponctuelle des chauffeurs.
[soulignements ajoutés]
70. En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'application d'"une sorte de critère de proportionnalité" : R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considérations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter "le moins possible" atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme "suffisamment important".
[36] Le Code criminel énumère ensuite un certain nombre de principes pour guider les juges dans la détermination de la peine. Le principe fondamental de détermination de la peine exige que la peine soit proportionnelle à la fois à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Comme notre Cour l’a déjà affirmé, ce principe ne découle pas des modifications apportées au Code en 1996; il s’agit depuis longtemps d’un précepte central de la détermination de la peine (voir notamment R. c. Wilmott (1966), 58 D.L.R. (2d) 33 (C.A. Ont.), et, plus récemment, R. c. Solowan, 2008 CSC 62, [2008] 3 R.C.S. 309, par. 12, et R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 40-42). Ce principe possède aussi une dimension constitutionnelle, puisque l’art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés interdit l’infliction d’une peine qui serait exagérément disproportionnée au point de ne pas être compatible avec le principe de la dignité humaine propre à la société canadienne. Dans le même ordre d’idées, on peut décrire à juste titre la proportionnalité de la peine comme un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7de la Charte .
[37] Le principe fondamental de la détermination de la peine — la proportionnalité — est intimement lié à son objectif essentiel — le maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’imposition de sanctions justes. Quel que soit le poids qu’un juge souhaite accorder aux différents objectifs et aux autres principes énoncés dans le Code, la peine qu’il inflige doit respecter le principe fondamental de proportionnalité. La proportionnalité représente la condition sine qua non d’une sanction juste. Premièrement, la reconnaissance de ce principe garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation. La proportionnalité favorise ainsi la justice envers les victimes et assure la confiance du public dans le système de justice. La juge Wilson a exprimé ce principe de la manière suivante dans ses motifs concordants, dans le Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, p. 533 :
Il est essentiel, dans toute théorie des peines, que la sentence imposée ait un certain rapport avec l’infraction. Il faut que la sentence soit appropriée et proportionnelle à la gravité de l’infraction. Ce n’est que dans ce cas que le public peut être convaincu que le contrevenant « méritait » la punition qui lui a été infligée et avoir confiance dans l’équité et la rationalité du système.
Deuxièmement, le principe de proportionnalité garantit que la peine n’excède pas ce qui est approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. En ce sens, il joue un rôle restrictif et assure la justice de la peine envers le délinquant. En droit pénal canadien, une sanction juste prend en compte les deux optiques de la proportionnalité et n’en privilégie aucune par rapport à l’autre.
[soulignements ajoutés]
[soulignements ajoutés]
[214] L’article 6 du Règlement R-105 porte atteinte à la présomption d’innocence garantie à l’al. 11d) de la Charte.
____________________________
RANDALL RICHMOND, j.c.m.m.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.