Décision

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Corporation du Parc de la Rivière du Moulin c. 9099-3593 Québec inc. (Inter-Projet)

2018 QCCS 2781

JB-2820

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE CHICOUTIMI

 

N° :            150-17-003703-185

 

DATE :     28 juin 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE J. ROGER BANFORD, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

CORPORATION DU PARC DE LA RIVIÈRE DU MOULIN

1577, rue des Roitelets, Chicoutimi, G7H 0A7

Demanderesse

c.

9099-3593 QUÉBEC INC., faisant affaires sous le nom de INTER-PROJET

3530, rue de l’Énergie, bureau 1, Jonquière, G7X 9H3

et

 

METCO INC.

1649, chemin de la Réserve, Chicoutimi, G7J 0C7

            Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]         Affirmant être « prise entre l’arbre et l’écorce », la demanderesse réclame des instructions du Tribunal au moyen d’une demande pour jugement déclaratoire dont les principales conclusions s’énoncent :

«DÉTERMINER les droits, pouvoirs et obligations de la Corporation à l’égard de la retenue contractuelle exercée par celle-ci en vertu du contrat conclu entre elle et Inter-Projet et découlant de son appel d’offres numéro 2017-190, aux termes des clauses 3.01.06, 3.01.07, 3.02.01 et 3.02.02 de celui-ci, soit :

(i)            DÉCLARER que la Corporation est en droit de retenir la somme de 511 610,52 $ jusqu’à ce qu’un règlement ou un jugement définitif intervienne entre Inter-Projet et Metco et en échange d’une quittance complète et finale d’Inter-Projet et de Metco en faveur de la Corporation;

ou

(ii)           ORDONNER la remise de ladite somme à Metco, en déclaration que la Corporation est libérée de toutes dettes et obligations autant envers celle-ci qu’envers Inter-Projet;

RENDRE toute autre ordonnance que le Tribunal jugera appropriée;»

[2]         Comme le suggère cette citation, le litige dans lequel se trouve impliquée la demanderesse, Corporation du Parc de la Rivière du Moulin (CORPORATION) concerne l’exécution d’un contrat pour la construction d’une piste cyclopiétonnière attribué à un entrepreneur général, la défenderesse 9099-3593 Québec inc. (INTER-PROJET), lequel a confié en sous-traitance à la défenderesse Metco inc. (METCO), la partie fourniture et pose de la structure d’acier, incluant des ponts et des passerelles.

CONTEXTE

[3]         Pour les fins de la discussion, il suffit de préciser que l’ouvrage est complété et fait l’objet d’un certificat de réception provisoire émis le 31 décembre 2017.  À toutes fins utiles, le projet a été livré par l’entrepreneur général donneur d’ouvrage, dans les délais.

[4]         INTER-PROJET a alors produit sa demande de paiement final et CORPORATION lui a versé toutes les sommes qu’elle lui devait en vertu du contrat, à l’exception d’une retenue pour déficience à corriger de 99 885,34 $ et d’une somme de 511 610,52 $, laquelle correspond au solde réclamé par METCO pour l’exécution de son sous-contrat.

[5]         Notons que la valeur de la créance de METCO ne fait l’objet d’aucune contestation et n’est sujette à aucune retenue de quelque nature contractuelle.

[6]         Cependant, CORPORATION retient le paiement de la créance de METCO parce qu’INTER-PROJET ne peut lui fournir la quittance complète et finale de METCO qui refuse de la lui transmettre sans être payée.

[7]         La position d’INTER-PROJET repose sur un litige survenu en cours d’exécution des travaux et qui donne ouverture à une réclamation de 490 166 $, détaillée dans une demande introductive d’instance, datée du 27 mars 2018, contre METCO (P-11).

[8]         Selon les termes de cette procédure, les reproches formulés contre METCO concernent des erreurs de conception des ponts et des passerelles, la nécessité de travaux de correction et d’installation qui ont provoqué des retards avec des conséquences sur la réalisation des travaux en période hivernale et la perte de crédits pour réduction de quantité et d’économie de conception.

[9]         Pour le moment, cependant, la somme faisant l’objet du litige se trouve déposée dans le compte « en fiducie » des procureurs de la demanderesse, « jusqu’à ce qu’un règlement ou jugement définitif intervienne entre INTER-PROJET et METCO et en échange d’une quittance complète et finale d’INTER-PROJET et de METCO en faveur de la CORPORATION ».

[10]        Dans ce contexte, les parties ont soumis au Tribunal leur position juridique respective.

POSITION DES PARTIES

[11]        En résumé, CORPORATION estime qu’elle n’a aucune obligation contractuelle ou légale à l’égard de METCO et ne peut verser le solde du contrat à INTER-PROJET sans les quittances complètes et finales manquantes, soit celle du sous-traitant METCO.

[12]        Cette dernière défenderesse plaide au contraire, qu’elle détient un droit de créance contre CORPORATION, soit parce que les ententes conclues entre CORPORATION, INTER-PROJET et ses procureurs comportent une double délégation de paiement ou à tout le moins une notification de paiement ou subsidiairement une stipulation pour autrui en sa faveur.

[13]        Tous ces moyens de droit comportent la même particularité, soit d’exclure le moyen de compensation judiciaire qu’oppose la défenderesse INTER-PROJET à son sous-traitant METCO et d’éliminer la prétention de CORPORATION à tout droit de rétention de ce fait, selon les termes du second alinéa de l’article 1670 C.c.Q.[1]

[14]        Effectivement, INTER-PROJET soutient que sa situation de créancière éventuelle de METCO lui permet d’opposer le moyen de compensation à toute demande de paiement pour le solde impayé à METCO.

[15]        Somme toute, la question en litige consiste à déterminer si CORPORATION peut valablement retenir le solde du contrat, dans les circonstances et à défaut, déterminer à qui et dans quelle condition le paiement doit être exécuté.

 

DISCUSSION

1-    Le droit de rétention de CORPORATION

[16]        Comme fondement de sa position juridique, CORPORATION invoque les clauses suivantes du cahier de charge incluses au contrat conclu avec INTER-PROJET :

«3.01.06         Demande de paiement suite à la réception avec réserve

Après la réception avec réserve des travaux et après que l’ADJUDICATAIRE ait complété à la satisfaction du DONNEUR D’ORDRE les travaux mentionnés à la liste de déficiences, l’ADJUDICATAIRE produit la forme prescrite par le DONNEUR D’ORDRE, une demande de paiement indiquant la quantité et la valeur de tous les travaux exécutés en vertu du contrat; aucun item pour des travaux non autorisés ne doit figurer sur la demande de paiement.

Toutes les estimations de quantités basées sur les paiements des demandes de paiement antérieurs des travaux sont sujettes à vérification lors de la détermination du montant du paiement.

L’ADJUDICATAIRE doit obligatoirement joindre au rapport les pièces et les documents que le DONNEUR D’ORDRE peut lui demander ou qu’il doit fournir en vertu du contrat à l’aide des annexes de la présente section tel que :

-       La déclaration Solennelle de l’ADJUDICATAIRE;

-       Les quittances finales des Sous-Contractants;

-       La quittance partielle de l’ADJUDICATAIRE;

-       Les certificats de la CNESST et de la C.C.Q. attestant que l’ADJUDICATAIRE a versé toutes les contributions exigées par la loi, ainsi que les documents appropriés garantissant le DONNEUR D’ORDRE des réclamations pendantes contre lui;

-       La déclaration finale de transport en Vrac.

Dans les quinze (15) jours ouvrables qui suivent la réception de ces documents en bonne et due forme, le DONNEUR D’ORDRE vérifie et corrige s’il y a lieu la demande de paiement et en remet une copie à l’ADJUDICATAIRE dans les cinq (5) jours qui suivent.

Dans les trente (30) jours qui suivent l’envoi de la demande de paiement vérifié, l’ADJUDICATAIRE reçoit un chèque dont le montant est égal à la somme des valeurs contractuelles des travaux exécutés et figurant à la demande de paiement, cette somme est diminuée des acomptes déjà versés, de la retenue en conformité de l’article « Retenues » de la section 3 et de toutes sommes que le DONNEUR D’ORDRE doit retenir en vertu de la loi, du présent devis ou que l’ADJUDICATAIRE peut lui devoir pour quelque raison que ce soit.

L’acceptation par l’ADJUDICATAIRE du paiement de la demande de paiement constitue par ce dernier, une reconnaissance qu’il n’a aucune réclamation à l’endroit du DONNEUR D’ORDRE, à l’exception de celle figurant à l’annexe intitulée « Quittance de l’ADJUDICATAIRE » de la présente section.

3.01.07           Demande de paiement

Les demandes de paiement sont présentées, mensuellement ou selon le calendrier de paiement établi par le DONNEUR D’ORDRE, au Professionnel Désigné au fur et à mesure de l’avancement des Travaux.

 

3.02   Retenues

3.02.01           Détermination du montant

Pour chaque demande de paiement, le DONNEUR D’ORDRE retient dix pour cent (10 %) de la valeur des travaux couverts par ladite demande.  La retenue, fixée à dix pour cent  (10 %) du montant du contrat, est faite dans le but de garantir l’exécution de toutes les obligations de l’ADJUDICATAIRE aux termes du contrat et pour assurer l’achèvement des travaux à la satisfaction du DONNEUR D’ORDRE.

La moitié de la retenue, soit 5 %, est payée à l’ADJUDICATAIRE dans les trente (30) jours suivant la réception avec réserve des travaux.  Malgré toute loi à l’effet contraire, l’autre moitié, soit 5 %, devient la retenue de garantir et ne sera remise à l’entrepreneur que dans les trente (30 jours suivant la réception sans réserve, à moins que celui-ci se prévale de l’article « SUBSTITUTION DE LA RETENUE DE GARANTIE » de la présente section, et ce, à la discrétion du DONNEUR D’ORDRE.  Le DONNEUR D’ORDRE ne paie aucun intérêt sur ces retenues.

a)        Paiement de la retenue (réception avec réserve)

Pour que le paiement de cette retenue soit effectué, l’ADJUDICATAIRE doit remettre au DONNEUR D’ORDRE, les quittances finales de tous les Sous-Contractants et fournisseurs de matériaux ayant dénoncé leur contrat, et ce, conformément au formulaire prévu à l’annexe Quittance finale des sous-contractants.

b)        Paiement de la retenue de garantie (réception sans réserve)

Pour que le paiement de cette retenue soit effectué, l’ADJUDICATAIRE doit remettre au DONNEUR D’ORDRE le formulaire quittance finale de l’ADJUDICATAIRE.

3.02.02          Hypothèques légales

Pour obtenir le paiement du solde du Contrat, l’ADJUDICATAIRE doit fournir au DONNEUR D’ORDRE, avec sa demande de paiement, une copie certifiée (portant le timbre du bureau de la publicité des droits et la signature originale de l’officier de la publicité des droits) de l’index aux immeubles (registre foncier à l’entrée en vigueur dudit registre) couvrant la période allant de la date de signature du Contrat jusqu’à TRENTE ET UN (31) jours après la date de la réception sans réserve des Travaux et établissant qu’aucune hypothèque légale n’a été enregistrée sur l’immeuble faisant l’objet du Contrat.  Advenant l’enregistrement d’hypothèques légales pour des Travaux prévus en vertu du Contrat, le DONNEUR D’ORDRE se réserve le droit de lever lui-même ces hypothèques en utilisant le solde du CONTRAT.»

[17]        Comme les tractations entre les parties, contenues dans la correspondance échangée entre les parties ou leurs procureurs en mars, avril et mai 2018 (P-11, P-12 et P-13), permettent à CORPORATION de conclure que les prétentions de METCO sont que les clauses précitées créent une stipulation pour autrui en sa faveur et que CORPORATION devrait lui verser le solde de 511 610 $, cette dernière allègue que :

«27.   De son côté, la Corporation est d’avis que même si de telles clauses peuvent créer une stipulation pour autrui en faveur de Metco, telle stipulation ne peut avoir d’effet que si la Corporation avait fait défaut d’appliquer une retenue suffisante pour protéger la créance de Metco, ce qui n’est pas le cas, et donc que Metco n’a aucun droit ni recours direct contre la Corporation, tant et aussi longtemps que la retenue est appliquée par celle-ci;»

[18]        À l’audience, CORPORATION supporte la prétention d’INTER-PROJET laquelle réfute toutes les prétentions de droit de METCO et plaide le moyen de compensation judiciaire pour faire objection au paiement des sommes réclamées par METCO.

DISCUSSION

1-            La délégation de paiement

[19]        D’entrée de jeu, le Tribunal tient à écarter les moyens de droit fondés sur la délégation ou indication de paiement, tels qu’invoqués par la défenderesse METCO.

[20]        En effet, ce mode de transmission à un tiers de certaines obligations, est assujetti à diverses conditions, dont le consentement des parties intéressées à cette opération[2].

[21]        Or, en l’instance, il suffit de lire la correspondance échangée entre les procureurs pour conclure que CORPORATION retient les sommes en litige, avec l’accord d’INTER-PROJET, pour en disposer selon un règlement ou un jugement définitif du litige.

[22]        Par conséquent, si tant est qu’un mode de délégation de paiement existe en faveur de METCO, il ne peut être exécutoire que lors de la réalisation de la condition convenue selon la volonté des parties.

[23]        Ainsi, METCO ne peut soutenir qu’elle possède un droit au paiement immédiat des sommes en cause, en vertu de ces principes.

2-            Le droit à la rétention

[24]        Dans ces conditions, quels sont les autres motifs invoqués par CORPORATION, pour retenir les montants dus à METCO?

[25]        Les paragraphes 25 et suivants nous apportent l’éclairage suivant :

«25.   Les véritables position(sic), prétentions et arguments de Metco sont à l’effet que les clauses du cahier des changes précitées créent une stipulation pour autrui en sa faveur qui ferait en sorte que la Corporation doit lui verser directement le solde qui lui serait dû sur son sous-contrat avec Inter-Projet, soit la somme de 511 610,52 $;

26.     Inter-Projet s’oppose à la libération de ladite somme par la Corporation en faveur de Metco, ce qui place la Corporation entre l’arbre et l’écorce;

27.     De son côté, la Corporation est d’avis que même si de telles clauses peuvent créer une stipulation pour autrui en faveur de Metco, telle stipulation ne peut avoir d’effet que si la Corporation avait fait défaut d’appliquer une retenue suffisante pour protéger la créance de Metco, ce qui n’est pas le cas, et donc que Metco n’a aucun droit ni recours direct contre la Corporation, tant et aussi longtemps que la retenue est appliquée par celle-ci;

28.     Finalement, rien dans les clauses du contrat principal précitées n’autorise ni n’oblige la Corporation à verser la retenue contractuelle directement à Metco;»

[26]        Ainsi, l’opposition d’INTER-PROJET, l’entrepreneur général et la rétention du montant priveraient METCO de tout recours, au sens des clauses contractuelles rapportées plus haut?

[27]        Pourtant, le Tribunal ne lit rien d’aussi spécifique dans ces dispositions.  Ce qu’on y retrouve, ce sont des modalités d’exécution de l’obligation de paiement du donneur d’ouvrage, suite à la réception avec réserve des travaux.

[28]        Ainsi, après que l’adjudicataire, l’entrepreneur général en l’occurrence, ait transmis avec sa demande de paiement, le rapport, les pièces et documents requis, dont les quittances finales des sous-traitants, le donneur d’ouvrage s’engage à payer dans les 30 jours de l’envoi d’une demande de paiement vérifié, sous certaines réserves des retenues de la section 3, des retenues légales ou statutaires ou de toutes sommes que « L’ADJUDICATAIRE » peut lui devoir pour quelque raison que ce soit.

[29]        En l’instance, les montants en litige ne sont pas des retenues au sens de la section 3, ni des sommes dues au donneur d’ordre CORPORATION.  Elles sont dues à INTER-PROJET, quoique cette dernière ne peut les exiger sans la production de la quittance finale de METCO.

[30]        En outre, METCO ne doit rien à CORPORATION.

[31]        Par conséquent, le seul élément légitime de justification de CORPORATION pour retenir le montant en litige repose sur l’absence des quittances finales de METCO.  Ainsi, dans la mesure où INTER-PROJET pouvait satisfaire cette obligation, CORPORATION n’aurait pas le choix;  elle devrait libérer le montant qu’elle retient prétendu, dans ces conditions que METCO ne possède aucun droit de recours direct contre CORPORATION apparait réducteur des droits de cette défenderesse.

3-            La stipulation pour autrui

[32]        En l’instance, METCO invoque la stipulation pour autrui de l’article 1449 du Code civil du Québec.  L’action oblique de l’article 1627 C.c.Q.[3] pourrait aussi théoriquement, lui être ouvert n’eut été la contrainte relative à la production des quittances à son débiteur principal, INTER-PROJET.

[33]        Cependant, dans l’affaire sous étude, le Tribunal reconnait, comme le suggère CORPORATION par ses allégations, que les clauses du contrat P-4 ne comportent aucun engagement spécifique de payer des tiers, ni stipulation permettant aux sous-traitants de s’adresser directement au donneur d’ordre pour obtenir le paiement de leur créance.

[34]        Dans l’arrêt Compagnie d’assurance JEVCO c. Québec (Procureure générale)[4], la Cour précise bien :

«[47]  L’identification d’une intention claire et définitive des parties de favoriser un tiers est charnière.  Une clause prévoyant des retenues ne constitue pas une stipulation pour autrui, si son application est laissée à la discrétion du prétendu promettant.  Il est donc nécessaire qu’un véritable engagement du maître d’œuvre à l’égard de tiers ait été pris.»

[35]        Dans cette même affaire, la Cour conclut à l’existence d’un recours direct contre le donneur d’ordre parce que ce dernier n’avait pas opéré les retenues prévues au contrat, ce qui amène notre collègue, le juge Riordan, à statuer que la seule stipulation, dans un contrat d’entreprise, prévoyant l’application de retenues contractuelles n’a d’effet qu’en cas de défaut du donneur d’ordre de respecter cette obligation[5] :

«[43]  Ainsi, la stipulation pour autrui dont les sous-traitants sont bénéficiaires, soit « l’obligation du MTQ de faire des retenues contractuelles » n’a d’effet que si le MTQ fait « défaut … d’appliquer les retenues auxquelles il s’était obligé; » en vertu du contrat principal.  Ainsi, le droit d’action des sous-traitants contre le MTQ ne peut pas naître « si les retenues prévues au Contrat avaient été appliquées au moment des paiements ».

[36]        Le même principe s’applique en l’instance puisque les obligations de CORPORATION à cet égard sont respectées.

[37]        Par contre, sur dépôt des quittances de METCO, CORPORATION se doit de payer INTER-PROJET, conformément à l’engagement souscrit à l’avant-dernier alinéa de l’article 3.01.06.

[38]        Le contrat P-4 n’accorde aucune discrétion à CORPORATION à ce sujet, sous prétexte qu’un conflit existe entre INTER-PROJET et METCO.

4.         La compensation judiciaire

[39]        Bien plus, le Tribunal estime que la défenderesse INTER-PROJET ne peut invoquer la compensation judiciaire, en l’instance, pour faire obstacle au paiement de la somme due à son sous-traitant METCO, parce que la créance alléguée ne rencontre pas toutes les caractéristiques requises.

[40]        C’est l’article 1673 C.c.Q. qui stipule le droit à ce sujet :

1673.  La compensation s’opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l’une et l’autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d’argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.

Une partie peut demander la liquidation judiciaire d’une dette afin de l’opposer en compensation.

(Notre soulignement)

[41]        Dans l’arrêt Abitibi Consolidated inc. c. Doughan[6], la Cour d’appel souligne l’évolution qu’a connue le Code civil qui ajoute désormais l’exigence du caractère de la certitude de la créance à celles de la liquidité et de l’exigibilité des dettes compensables.  Quant à cette notion de certitude, la Cour mentionne :

«[27]  On trouve dans la doctrine une explication de la transition entre les deux dispositions.  Ainsi, dans un ouvrage récent des professeurs Didier Lluelles et Benoît Moore, on peut lire ceci à ce sujet :

2680.  Certitude des deux dettes. La compensation légale équivalant à un paiement, elle suppose que ce dernier puisse être effectué efficacement et volontairement. Il est donc normal que le Code exige que l’une et l’autre dettes soient certaines (art. 1673 al. 1er). La certitude des dettes n’était pas explicitement prévue par l’article 1188 C.c.B.-C., lequel n’imposait que la liquidité et l’exigibilité. Le Code actuel a raison de ne pas confondre ces deux notions. En effet, la liquidité concerne le « montant d’une dette », alors que la certitude concerne « sa validité juridique ». Une dette, bien qu’apparemment chiffrée - donc « liquide » - ne sera pas compensable si elle est contestée - le débiteur résiste à une demande du créancier, pourvu que la contestation ne soit pas un artifice dilatoire -, voire « sérieusement contestable » - comme la dette affectée d’une condition de type résolutoire. Inversement, une dette sera compensable même si elle n’est pas chiffrée, si elle n’est ni contestable ni contestée : songeons à B qui doit rembourser un prêt de 100 000 $ consenti par A et qui a été blessé par la négligence de ce dernier qui a reconnu sa responsabilité dans un acte signé plus d’un mois après l’accident; la dette de A n’est pas encore liquide, mais elle est certaine. Lorsqu’elle deviendra liquide, la compensation pourra jouer.»

[42]        On comprend donc, que l’exemple n’est pas limitatif et que le caractère de certitude se rattache à l’effet compensatoire probable des créances invoquées.

[43]        En l’instance, la créance de METCO rencontre les conditions, cela n’est pas discuté.

[44]        Quant à la créance d’INTER-PROJET, elle est détaillée, chiffrée mais non liquidée ni exigible et son degré de certitude est discutable.

[45]        La défenderesse INTER-PROJET, dans le cadre de la demande introductive qu’elle a introduite en mars 2018, et modifiée le 15 juin (P-11 et P-11A), réclame 490 166,02 $ à METCO.

[46]        Le fondement de la réclamation d’INTER-PROJET contre METCO, repose sur le retard à fournir les dessins d’atelier requis pour la fourniture des ponts et passerelles.

[47]        Aucun défaut d’exécution n’est reproché à METCO.  Comme l’allègue INTER-PROJET à sa procédure, la préparation des dessins d’atelier et des services d’ingénierie a été confiée par METCO à une firme, MAGECO consultants inc.

[48]        Il appert que cette firme n’a pu répondre aux exigences du contrat en temps requis, situation qui, selon INTER-PROJET, lui cause préjudice.

[49]        Les dommages qui s’en suivent, selon INTER-PROJET, en termes de retard, d’erreurs de conception, de travaux de correction et d’installation, de perte de possibles crédits à titre de réduction de quantité et d’économie de conception, totalisent le montant déjà ci-haut mentionné plus haut.

[50]        Les sommes réclamées sont contestées par METCO et quant à la réclamation concernant les crédits, au montant de 137 839 $ plus les taxes, sa recevabilité même est niée, tant par METCO que par les assureurs de MAGECO, éventuelle appelée en garantie, dans ce litige.

[51]        À première vue, INTER-PROJET se trouve dans une situation de créancière éventuelle de METCO, mais possède-t-elle une créance certaine, liquidée et exigible, au sens de 1673 C.c.Q., afin de l’opposer à la demande de paiement de la créance reconnue et exigible de METCO?

[52]        Le dossier révèle clairement qu’INTER-PROJET possède un recours probable en raison d’une faute professionnelle du sous-traitant MAGECO, dont METCO est responsable.  Les échanges de correspondance, les procédures et les représentations des parties démontrent clairement que l’assureur en responsabilité de MAGECO a été mêlé aux discussions en vue du règlement de cette affaire.

[53]        Le deuxième alinéa de l’article 1673 C.c.Q. est de droit nouveau et crée une exception à la condition de liquidité[7].  Cependant, quant à la certitude et l’exigibilité de la créance d’INTER-PROJET, des questions se posent.

[54]        D’abord, la demande d’INTER-PROJET, concernant les crédits non obtenus, ne repose sur aucune disposition contractuelle et s’explique difficilement dans le contexte de contrat à forfait, comme celui liant INTER-PROJET et METCO.

[55]        Le  contrat  constaté  par  les  lettres  des  22  et  25 juin  2017  (Pièces  DIP-1 et DM-1) font état du type de contrat octroyé, du montant de 725 000 $, d’une liste d’obligation à rencontrer et des conditions de paiement, la pièce P-1, comporte une liste d’éléments à réaliser dont, au numéro 27, « les économies réaliser(sic) sur la conception sont dans un optique(sic) de partages de économies win/win 50/50 ».

[56]        De prime abord, une telle stipulation comporte peu d’assise juridique pour soutenir l’obligation par METCO de rembourser l’absence d’économie réalisée.  Cela soulève un doute quant à l’exigibilité et la certitude de la réclamation de 1 380 $ pour perte de crédit.  Cet élément demeure toutefois lié aux retards invoqués et peut faire l’objet d’un éventuel recours en garantie.

[57]        Par ailleurs, la responsabilité professionnelle de MAGECO en relation avec les retards  occasionnés  au  chantier  d’INTER-PROJET  sont  reconnus  par  ce  dernier (P-13, lettre du 14 janvier 2018, p. 1).  De même en est-il de la couverture d’assurance pour faute professionnelle de MAGECO.

[58]        Bien que la preuve ne précise pas la nature de la couverture d’assurance de l’éventuel appelé en garantie, il n’en demeure pas moins qu’en toute apparence, la créance éventuelle se trouve en quelque sorte garantie par le sort de cet éventuel et probable appel en garantie.

[59]        Dans ces circonstances, il faut s’interroger sur la nécessité de reconnaitre le droit à invoquer la compensation pour faire obstacle au paiement de la créance de METCO, puisque toute condamnation contre cette dernière, sur la base des prétentions d’INTER-PROJET, devrait être payée par l’assureur de l’appel en garantie.

[60]        Par conséquent, il est peu probable qu’INTER-PROJET doive s’adresser à METCO personnellement pour satisfaire sa créance, dans ses conditions, malgré le lien juridique direct qui subsiste avec METCO dans ce litige.

[61]        Le Tribunal estime qu’il y a là matière à exclure l’application de la règle du second alinéa de l’article 1673 et de ne pas reconnaitre l’opposabilité de la créance d’INTER-PROJET à celle de METCO.

[62]        En outre, l’esprit du régime de compensation est d’éviter des déplacements de fonds inutiles dans certaines conditions, tout en servant de garantie en permettant de parer aux risques d’insolvabilité du débiteur[8].

[63]        Or, ce risque parait peu probable en l’instance, en raison de la présence d’une couverture d’assurance couvrant, par voie d’appel en garantie de l’auteur des dommages réclamés, la réclamation d’INTER-PROJET.  Dans cette éventualité METCO n’aura à débourser aucune somme à INTER-PROJET.

[64]        Dans cette optique, si une dette n’est pas susceptible de compensation lorsqu’elle peut donner lieu à une contestation raisonnable et sérieuse[9], la même règle devrait s’appliquer si le créancier peut compter une autre protection aussi avantageuse et moins préjudiciable au débiteur.

[65]        Par ailleurs, le Tribunal estime que, dans les circonstances, l’application de la règle de la compensation judiciaire apparait injuste et préjudiciable à METCO, ce qui justifie son intervention, comme le permet l’article 49 du Code de procédure civile.

[66]        En l’occurrence, la compensation judiciaire pour contrer la demande de paiement de METCO constitue une mesure assimilable à une garantie extraordinaire, un privilège que le Tribunal ne lui reconnaitrait pas dans le cas d’une saisie avant jugement, par exemple, en l’absence d’un péril raisonnable de perte de créance.

[67]        De même, si le Tribunal devait apprécier les inconvénients de la situation, il constaterait qu’INTER-PROJET n’en subirait aucun, si METCO encaissait son dû, elle-même ayant déjà encaissé toutes les sommes qui lui revenaient sur le contrat de 3 615 773,63 $.  En outre, elle n’a aucun déboursé à encourir puisque le montant dû se trouve entre les mains des procureurs de la demanderesse et de toute manière la créance éventuelle qu’elle aura à faire valoir contre METCO, fait l’objet d’une couverture d’assurance pour une grande partie, sinon en totalité.

[68]        Par contre, la situation de METCO est périlleuse, le dossier montre bien que l’absence de paiement dû depuis plus de 6 mois, crée un manque de liquidités qui compromet l’avenir de l’entreprise.  Elle fait face à un rappel des avances bancaires, dont le terme échoit le 3 juillet 2018.

[69]        Dans les circonstances, il ne fait pas de doute que l’exercice du droit invoqué par INTER-PROJET s’avère excessif et déraisonnable, et va à l’encontre des exigences de la bonne foi au sens de l’article 7 du Code civil du Québec.

[70]        Dans ces conditions, en application des règles de l’équité, le Tribunal conclut que la retenue de la somme de 511 610,52 $ n’est pas justifiée et en conséquence CORPORATION doit remettre la somme et les intérêts courus directement à METCO, ce qu’autorisent les conclusions de la procédure soumise

5-         Exécution nonobstant appel

[71]        La défenderesse METCO demande que le jugement soit exécutoire nonobstant appel.

[72]        L’article 660 C.p.c. prévoit que l’exécution provisoire a lieu de plein droit lorsque le jugement se prononce sur la possession d’un bien.  C’est le cas en l’instance, sans compter que l’exercice abusif du droit, les circonstances de l’affaire et l’urgence justifient amplement cette mesure.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[73]        ORDONNE à CORPORATION de remettre à METCO la somme de 511 610,52 $, plus les intérêts accumulés sur ce montant depuis le dépôt en fiducie, le 19 mars 2018, en échange d’une quittance complète et finale de la défenderesse METCO en faveur de la CORPORATION.

[74]        RÉSERVE à la défenderesse METCO ses droits et recours pour les intérêts sur la somme de 511 610,52 $, s’il y a lieu;

[75]        ORDONNE l’exécution provisoire du jugement;

[76]        LE TOUT, avec les frais de justice contre la défenderesse INTER-PROJET.

 

 

 

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J. ROGER BANFORD, J.C.S.

 

 

Me Jean-Sébastien Bergeron

Simard Boivin Lemieux

Avocats de la demanderesse

 

Me Nicolas Gagné

Gravel Bernier Vaillancourt

Avocats de la défenderesse 9099-3593 Québec inc.

 

Me Richard Bergeron

Cain Lamarre

Avocats de la défenderesse Metco

 

 

Date d’audience :

18 juin 2018

 

 



[1]        Le délégué ne peut, toutefois, opposer la compensation de ce que le délégant doit au délégataire, ni de ce que le délégataire doit au délégant.

 

[2]       KARIM Vincent, Responsabilité civile, Obligation, Wilson & Lafleur, paragr. 3155

[3]      Le créancier dont la créance est certaine, liquide et exigible peut, au nom de son débiteur, exercer les droits et actions de celui-ci, lorsque le débiteur, au préjudice du créancier, refuse ou néglige de les exercer.

Il ne peut, toutefois, exercer les droits et actions qui sont exclusivement attachés à la personne du débiteur.

[4]       2015, QCCA 1034

[5]       2017 QCCS 3764

[6]       2008 QCCA 79

[7]       Op cit. note 1, p. 6, paragr. 3264

[8]       BAUDOUIN, J.-L. JOBIN P.-G., Les obligations, 70 éd., Éditions Yvon Blais, paragr. 1050

[9]       Op cit. note 6, p. 9

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.