[1] LA COUR;- Statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un jugement rendu le 2 décembre 1997, par la Cour supérieure, district de Terrebonne (l'Honorable Pierre Béliveau), déclarant nuls et abusifs un mandat de perquisition dans un cabinet d'avocats ainsi que la perquisition et saisie qui en ont découlé;
[2] Après étude du dossier, audition et délibéré;
[3] Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Proulx, déposée avec le présent arrêt, auxquels souscrivent les juges Rothman et Biron;
[4] ACCUEILLE le pourvoi et CONCLUT comme suit en fonction des trois questions en litige:
Question 1: |
Tout en reconnaissant que le pouvoir du juge de paix d'imposer des conditions et des modalités d'exécution pour s'assurer du respect de la confidentialité soulève une question de compétence, en l'espèce, le juge de la Cour supérieure a eu tort d'annuler en partie le mandat de perquisition. |
Question II: |
Le juge de la Cour supérieure a erré en annulant le mandat au motif que le juge de paix n'avait pas exigé comme condition que soit donnée à l'avocat une opportunité raisonnable d'être présent: le par. 488.1(8) du Code criminel le prévoit et au surplus, le juge de paix avait exigé la présence du syndic du Barreau lors de la perquisition. |
Question III: |
Le juge de la Cour supérieure a erré en concluant qu'en principe le montant des honoraires et débours payés à l'avocat est privilégié: cette question devait être examinée dans son contexte. En l'espèce, il était erroné de conclure que le seul fait du montant payé était privilégié. Subsidiairement, le juge de la Cour supérieure a omis d'appliquer en l'espèce l'exception de crime qui mettait fin au privilège. |
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OPINION DU JUGE PROULX |
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[5] Il s'agit d'un pourvoi contre un jugement du juge Pierre Béliveau, de la Cour supérieure qui, dans le cadre d'une requête en certiorari visant à faire casser un mandat de perquisition exécuté dans un cabinet d'avocats, a déclaré nuls et abusifs le mandat de perquisition ainsi que la perquisition et saisie qui en ont découlé.
[6] Au cours de l'audition de la requête en Cour supérieure, le substitut qui représentait l'intimé a indiqué au premier juge que par suite d'une décision du Ministère public, les documents saisis au cabinet d'avocats avaient été remis à ces derniers. Le substitut fit valoir que dans les circonstances, la requête en certiorari était devenue sans objet, mais le premier juge en décida autrement. Ultimement, il donna droit au certiorari, d'où le pourvoi.
[7] Cette Cour, dans un jugement du 11 août 2000,[1] émit l'avis que même si le pourvoi était sans objet véritable, il serait injuste de ne pas accorder à l'appelant l'occasion de proposer à la Cour que ce jugement est mal fondé, compte tenu des questions qu'il soulève.
[8] L'appelant invoque deux moyens qui soulèvent des questions de procédure:
1. Le mandat devait-il être annulé si la perquisition n'était pas limitée aux seuls objets qui ne pouvaient pas être obtenus autrement qu'au cabinet d'avocats?
2. La présence de l'avocat comme modalité d'exécution de la perquisition.
[9] Le troisième moyen s'attaque à la question de fond: Le montant des honoraires et débours payés à l'avocat est-il privilégié?
1er moyen: le mandat devait-il être annulé si la perquisition n'était pas limitée aux seuls objets qui ne pouvaient pas être obtenus autrement qu'au cabinet d'avocats?
[10] Il est acquis, depuis Descôteaux et autres c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 , que dans un cas comme en l'espèce où une perquisition est susceptible de porter atteinte à un droit aussi fondamental que celui de la confidentialité du client d'un avocat, la compétence du juge de paix est assujettie à des conditions particulières:
1. Le juge de paix n'a pas compétence pour ordonner la saisie de documents qui ne seraient pas recevables en preuve devant un tribunal parce que couverts par le «privilège» de la confidentialité: Descôteaux, p. 893 et 893?
2. Le juge de paix doit être satisfait qu'il n'existe pas d'alternative raisonnable à la perquisition: Descôteaux, p. 891 et 897.
3. Le juge de paix doit assortir le mandat de modalités d'exécution susceptibles de sauvegarder au maximum le droit à la confidentialité des clients de l'avocat: Descôteaux, p. 891 et 893. Il s'agit de limiter à ce qui est strictement inévitable l'atteinte au droit fondamental: c'est l'obligation de minimisation.
[11] La première de ces conditions concerne le troisième moyen d'appel, soulevant la question de savoir si le montant payé des honoraires et débours de l'avocat est couvert ou non par le privilège: s'il l'est, comme l'a décidé le premier juge, alors le juge de paix a excédé sa compétence.
[12] L'alternative raisonnable qui doit être considérée par le juge de paix «n'est pas à la méthode de preuve mais aux avantages de la perquisition et de la saisie des preuves» (Descôteaux, p. 891).
[13] En l'espèce, il est admis[2] qu'au moins la moitié des documents recherchés ne pouvaient pas être obtenus autrement qu'en perquisitionnant au cabinet d'avocats. Quant à ces documents, la compétence du juge de paix ne peut donc être attaquée puisque l'exigence de s'assurer qu'il n'existe pas d'autre alternative raisonnable a été respectée: la nécessité de perquisitionner à cet endroit a été établie.
[14] Dans ces circonstances, le premier juge a-t-il eu raison de conclure néanmoins à l'excès de compétence du juge de paix quant aux autres documents, au motif qu'ils pouvaient être obtenus par d'autres sources?
[15] Même en acceptant la proposition du premier juge qu'une partie des documents pouvait être obtenue par d'autres sources, je ne crois pas pour autant qu'il fut justifié de conclure à un excès de compétence.
[16] Commentant la nature des conditions posées dans Descôteaux, la Cour suprême, dans l'arrêt S.R.C. c. Nouveau-Brunswick (Procureur Général), [1991] 3 R.C.S. 459 , a affirmé que ni l'al. 2 b), ni l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés n'exigent qu'on ait toujours satisfait aux deux exigences établies dans l'arrêt Re Pacific Press Ltd. and The Queen (1977), 37 C.C.C. (3d) 487, et subséquemment adoptées dans Descôteaux (p. 890). La raison en est, comme la Cour suprême l'a précisé dans l'arrêt Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416 , p. 428 et 439, que ces conditions se situent dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge de paix:
«The importance of the power to impose conditions and restrictions was emphasized by Lamer J. In Descôteaux at p. 891, the exercise of which was dependent on the exigence of a residual discretion.(Baron c. Canada, p. 439)
[17] Puisqu'il s'agit de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire du juge de paix, cela signifie que le défaut de satisfaire aux conditions énoncées dans Descôteaux peut et non doit causer une perte de compétence: c'est ce qu'affirme clairement la Cour suprême dans S.R.C. c. Nouveau-Brunswick, (p. 473), ce défaut n'entraînant pas systématiquement une perte de compétence.
[18] En cela, je ne peux donc souscrire à la thèse de l'appelant pour qui le pouvoir d'imposer des conditions et des modalités d'exécution n'a «rien à voir avec la compétence du juge de paix». Comme il s'agit d'un pourvoi théorique, je donnerais tort à l'appelant sur cet aspect, tout en lui donnant cependant raison sur le mérite de ce premier moyen d'appel, pour les motifs qui suivent.
[19] En effet, je suis d'avis qu'en regard des faits de l'espèce, si tant est que l'une des conditions n'a pas été respectée et ce pour une partie des documents recherchés, ce défaut n'a pas causé une perte de compétence.
[20] En premier lieu, il suffit de lire l'annexe 'A' au mandat qui contient la liste des documents recherchés pour constater que tous les items ont un dénominateur commun, soit qu'ils peuvent contenir des renseignements qui permettraient d'établir, au sens du par. 22 de l'annexe 'B' (qui décrit les motifs raisonnables et probables du dénonciateur) le montant des honoraires payés par Charron à ses avocats ainsi que les débours et dépenses encourues par ces derniers dans la défense de leur client. Selon le dénonciateur, ces documents peuvent fournir une preuve relative à l'infraction d'avoir possédé des biens provenant de la perpétration du trafic de stupéfiants. À ce sujet, comme l'a écrit le juge de la Cour supérieure, quand on constate, à la lecture de la dénonciation, que les actifs de Charron et de sa conjointe se comptent en millions de dollars, alors que leurs revenus se comptent en dizaine de milliers, on peut comprendre que le juge de paix a eu raison de conclure à une probabilité fondée sur la crédibilité que Charron a commis l'infraction de possession de produits de la criminalité.
[21] S'il est exact de dire, comme le juge de la Cour supérieure, que certains des documents recherchés, comme les reçus d'hôtel et les documents bancaires auraient pu être obtenus par d'autres sources, je suis loin d'être convaincu que c'était même une erreur pour le juge de paix de ne pas faire le tri parmi tous les documents recherchés et ne pas interdire aux policiers de saisir, lors de leur perquisition, ces documents qui «pouvaient être obtenus ailleurs».
[22] D'un point de vue pratique et en toute logique, un juge de paix pouvait croire préférable de permettre, à l'occasion d'une saisie parfaitement justifiée, la saisie de documents qui pouvaient être obtenus autrement, d'autant plus que ces documents étaient reliés les uns aux autres. En l'absence de lien, la question serait tout autre.
[23] Même si l'on devait adopter le point de vue du juge de la Cour supérieure, à savoir que le juge de paix a erré en ne prévoyant pas une condition spécifique prohibant la saisie de ces documents, je conclurais par ailleurs que cette erreur n'a pas entraîné une perte de compétence. Certes, le caractère exceptionnel du droit à la confidentialité requiert des mesures qui tendent à assurer la protection des intérêts en cause. Nous ne sommes pas ici dans un cas manifeste de saisie abusive où la nécessité de perquisitionner dans un bureau d'avocats n'a pas été démontrée: nous sommes plutôt face à une situation de nécessité pour certains documents qui confère à l'exercice sa légitimité.
[24] L'exercice d'un pouvoir discrétionnaire se caractérise par un processus de pondération qui doit conserver une certaine souplesse de sorte que tous les facteurs pertinents soient pris en compte et convenablement évalués (S.R.C. c. Nouveau-Brunswick, p. 478).
[25] En résumé, j'estime que le juge de la Cour supérieure a erré en concluant à une erreur du juge de paix qui lui a fait perdre compétence. Il eut été sans doute préférable de limiter la perquisition à ce qui s'avérait nécessaire mais dans le cas à l'étude, compte tenu de ce lien entre tous les documents recherchés et de la nécessité établie de saisir une partie des documents, il n'y a pas lieu de réviser l'exercice de la discrétion du juge de paix à cet égard.
2e moyen: la présence de l'avocat comme modalité d'exécution de la perquisition
A - Le jugement
[26] Le juge de la Cour supérieure a retenu un deuxième motif de nullité du mandat, soit le défaut du juge de paix de prévoir comme condition de l'exécution du mandat d'offrir à l'avocat ou son représentant, dont les lieux sont visés par la perquisition, une opportunité raisonnable d'être présent lors de la perquisition. Il a motivé sa décision comme suit:
159. Le paragraphe 488.1(2) prévoit que lorsqu'un fonctionnaire est sur le point d'examiner, de copier ou de saisir un document et que l'avocat prétend qu'un de ses clients jouit d'un privilège à son égard, le fonctionnaire doit le mettre sous scellés et le remettre à un gardien. Les requérant(e)s et intervenants soutiennent qu'un procureur ne peut évidemment invoquer l'existence d'un privilège s'il n'est pas présent sur les lieux de la perquisition, d'où l'obligation d'assortir le mandat de la condition que l'avocat ou son représentant soit présent.
160. Aucune jurisprudence ne porte sur ce point. Cela étant, la Cour considère que la proposition soumise par les requérant(e)s et intervenants est d'une logique implacable, sous réserve que le juge de paix ne peut exiger la présence de l'avocat. Il suffit d'offrir à ce dernier ou à son représentant une opportunité raisonnable à cet effet.
161. La Cour conclut donc que le mandat de perquisition émis en l'espèce était nul et abusif vu le défaut de prévoir une telle condition.
[27] Le premier juge a toutefois atténué la portée de ce reproche fait au juge de paix en raison de la présence du syndic du Barreau qu'avait exigée le juge de paix et du fait que les policiers exécutants ont laissé le syndic mettre tous les documents sous scellés:
La violation des droits découlant du fait que le juge de paix n'ait pas imposé une telle condition a en conséquence été d'une importance fort relative. (par. [162] jugt).
B - Discussion
[28] La question que soulève ce moyen d'appel ne peut être abordée sans examiner au départ certains paragraphes de l'art. 488.1 du Code criminel:
488.1 (2) [Examen ou saisie de certains documents lorsque le privilège est invoqué] lorsqu'un fonctionnaire agissant sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi fédérale est sur le point d'examiner, de copier ou de saisir un document en la possession d'un avocat qui prétend qu'un de ses clients, nommément désigné, jouit du privilège des communications entre client et avocat en ce qui concerne ce document, le fonctionnaire doit, sans examiner le document ni le copier:
a) Le saisir et en faire un paquet qu'il doit convenablement sceller et identifier;
b) Confier le paquet à la garde du shérif du district ou du comté où la saisie a été effectuée ou, s'il existe une entente écrite désignant une personne qui agira en qualité de gardien, à la garde de cette dernière.
(3) [Demande à un juge] lorsqu'un document a été saisi et placé sous garde en vertu du paragraphe (2), le procureur général, le client ou l'avocat au nom de son client, peut:
a) Dans un délai de quatorze jours à compter de la date où le document a été placé sous garde, demander à un juge, moyennant un avis de présentation de deux jours adressé à toute autre personne qui pourrait faire une demande, de rendre une ordonnance:
(i) Fixant une date, au plus tard vingt et un jours après la date de l'ordonnance, et un endroit, où sera décidée la question de savoir si le document doit être communiqué,
(ii) En outre, exigeant du gardien qu'il présente le document au juge au moment et au lieu fixés;
b) Faire signifier une copie de l'ordonnance à toute personne qui pourrait faire une demande et au gardien dans les six jours de la date où elle est rendue;
c) S'il a procédé ainsi que l'alinéa b) l'autorise, demander, au moment et au lieu fixés, une ordonnance qui tranche la question.
(4) [Décision concernant la demande] Suite à une demande prévue à l'alinéa (3)c), le juge:
a) Peut examiner le document, s'il l'estime nécessaire, pour établir si le document doit être communiqué;
b) Peut, s'il est d'avis que cela l'aidera à rendre sa décision sur le caractère privilégié du document, permettre au procureur général d'examiner le document;
c) Doit permettre au procureur général et à toute personne qui s'oppose à la communication du document de lui présenter leurs observations;
d) Doit trancher la question de façon sommaire et:
(i) S'il est d'avis que le document ne doit pas être communiqué, s'assurer que celui-ci est remballé et scellé à nouveau et ordonner au gardien de le remettre à l'avocat qui a allégué le privilège des communications entre client et avocat ou à son client.
(ii) S'il est d'avis que le document doit être communiqué, ordonner au gardien de remettre celui-ci au fonctionnaire qui a fait la saisie ou à quelque autre personne désignée par le procureur général, sous réserve des restrictions et conditions qu'il estime appropriées.
Le juge motive brièvement sa décision en décrivant la nature du document sans toutefois en révéler les détails.
[…]
(8) [Interdiction] Aucun fonctionnaire ne doit examiner ni saisir un document ou en faire des copies sans donner aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège des communications entre client et avocat en vertu du paragraphe (2).
[29] L'article 488.1 C.cr., en vigueur depuis l'arrêt Descôteaux, n'entre en jeu qu'au moment de l'exécution d'un mandat de perquisition émis pour la saisie de documents.
[30] Le paragraphe (3) prévoit que si un document est saisi et scellé, comme c'est le cas en l'espèce, le client ou l'avocat au nom du client peut, dans le délai requis, faire une demande à un juge de la Cour supérieure pour décider du caractère privilégié du document.
[31] En l'espèce, les intimés ont présenté cette demande au juge de la Cour supérieure mais l'audition a été fixée pro forma en attente du jugement sur la requête en certiorari. Comme cette dernière requête a été accueillie, et qu'en plus une des conclusions du certiorari tranche la question du caractère privilégié de certains documents, il devenait inutile de disposer de la requête selon les par. 488.1(2) et (3) C.cr.
[32] Quant à la question en litige qui met en cause la présence de l'avocat comme modalité d'exécution de la perquisition, il y a d'abord lieu d'examiner l'incidence des par. 488.1(2) et (8), précités, qui prévoient que l'exécutant doit mettre sous scellés un document si l'avocat invoque le privilège des communications entre client et avocat, tout en ayant donné aux intéressés une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège.
[33] Compte tenu de ces dispositions législatives, il appert que le premier juge a tout simplement omis de considérer le par. (8). En effet, il a reproché au juge de paix de ne pas avoir prévu une clause offrant à l'avocat une «opportunité raisonnable d'être présent» lors de la perquisition alors que le par. (8) exige précisément que l'exécutant, avant d'examiner ou saisir un document, donne aux intéressés (comme l'avocat chez qui la perquisition a lieu) une occasion raisonnable de formuler une objection fondée sur le privilège. Nul ne prétend qu'un juge de paix peut exiger la présence de l'avocat comme modalité d'exécution, tout au plus l'opportunité raisonnable d'être présent pour formuler une objection doit être donnée. J'ajouterais que le reproche du juge de la Cour supérieure était d'autant plus mal fondé qu'ici le juge de paix avait exigé comme condition d'exécution, ce que ne prévoit même pas l'art. 488.1 C.cr., la présence du syndic du Barreau.
[34] Dans son mémoire comme intervenant, le Barreau du Québec réfère à l'usage qui prévaut au Québec depuis fort longtemps, que les juges de paix exigent la présence du syndic du Barreau lors de la fouille de documents en possession d'un avocat. Selon cet usage, et c'est ce qui s'est produit en l'espèce, c'est en fait le syndic qui procède à la fouille, de sorte que les policiers sont assurés que les choses recherchées n'échapperont pas à la fouille, étant en droit de s'attendre à ce que le syndic ne soustraira pas à une enquête les éléments de preuve qu'ils recherchent. Cette façon de procéder, toujours selon le Barreau, a l'avantage de garantir que les dossiers de l'avocat ne seront examinés que par le représentant du syndic, qui est lui-même lié par le secret professionnel, et qui n'est pas partie intéressée au déroulement des procédures. Les policiers, s'en remettant à l'inventaire fait par le syndic, renoncent donc à examiner eux-mêmes les dossier de l'avocat.
[35] Il est également d'usage que tous les documents, identifiés par le syndic comme correspondant à ceux dont la description figure sur le mandat, soient mis sous scellés afin qu'il soit plus tard statué, selon la procédure prévue par l'article 488.1, sur les objections fondées sur le privilège.
[36] Cette pratique a donc donné lieu, comme en conclut le Barreau, au développement d'un modus operandi qui dépasse largement le cadre spécifique de l'article 488.1 C.cr. qui ne peut qu'offrir à l'avocat ou au client une opportunité raisonnable de formuler une objection.
[37] En résumé, l'exigence de la présence du syndic qui, comme en l'espèce, met sous scellés tous les documents qu'il identifie comme pouvant faire l'objet du privilège, va bien au-delà du mécanisme prévu par l'art. 488.1 C.cr.; alors que l'art. 488.1 C.cr. permet aux policiers d'examiner les documents en conséquence du défaut des intéressés de s'objecter après qu'une occasion raisonnable de ce faire leur ait été donnée, la présence du syndic mène en fait à des scellés automatiques, présumant ainsi une objection fondée sur le privilège et laissant aux intéressés le soin de s'adresser par la suite à un juge pour décider du privilège (par. 488.1(2) et (3) C.cr., précités).
[38] Je ne peux compléter la discussion de ce moyen d'appel sans mentionner que la question de la validité constitutionnelle de l'art. 488.1 C.cr. est présentement devant la Cour suprême du Canada. Les Cours d'appel d'Ontario,[3] d'Alberta[4] et Terre-Neuve,[5] ont conclu à l'invalidité constitutionnelle de l'art. 488.1 C.cr. parce que créant un mécanisme qui porte atteinte à l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
[39] Le principal argument retenu dans ces arrêts reprend en quelque sorte l'exigence posée par la Cour suprême du Canada dans Descôteaux, en ce que le mécanisme d'exécution prévu par l'art. 488.1 C.cr. ne limite pas à ce qui est strictement inévitable l'atteinte au droit fondamental: l'art. 488.1 C.cr. serait invalide en ce qu'il permet la déchéance ou la perte du privilège du seul défaut de l'avocat de l'invoquer ou de pouvoir l'invoquer, et ce hors la connaissance du client qui est le titulaire du privilège.
[40] Comme opine la Cour d'appel d'Ontario, cette atteinte pourrait être évitée si était prévue la mise sous scellés automatique des documents lors de la saisie, laissant à un juge le soin de décider par la suite du caractère privilégié.
[41] Or, c'est exactement ce qui s'est produit en l'espèce en raison de l'action du syndic dont la présence avait été exigée par le juge de paix.
[42] Même si ce pourvoi ne met pas en cause la validité constitutionnelle de l'art. 488.1 C.cr., et sans vouloir présumer de l'arrêt de la Cour suprême du Canada sur cette contestation, je dois néanmoins conclure qu'en l'espèce l'action du syndic a permis d'éviter toute atteinte au privilège avocat-client et qu'en cela, comme je l'ai déjà indiqué, l'exécution du mandat répondait à des exigences qui se situaient bien au-delà de ce que prévoit l'art. 488.1 C.cr. La condition posée par le juge de la Cour supérieure n'était donc pas justifiée.
[43] C'est pour l'ensemble de ces motifs que je conclus, à l'égard de ce deuxième moyen d'appel, que le juge de la Cour supérieure a erré.
3e moyen d'appel: le montant des honoraires et débours payés à l'avocat est-il privilégié?
[44] Ce moyen d'appel demeure le véritable enjeu de ce pourvoi théorique. Tout comme en première instance, outre l'appelant qui a produit un mémoire bien étoffé, le Barreau du Québec, L'Association Québécoise des Avocats et Avocates de la Défense et L'Association des Avocats de la Défense de Montréal, à titre d'intervenants, ont aussi déposé des mémoires de très grande qualité. Les parties ont sans doute compris que les principes en jeu et leur application revêtent une importance capitale pour la profession juridique et le maintien de l'intégrité du système judiciaire.
Le jugement de première instance
[45] La pertinence de ce renseignement recherché qu'est le montant des honoraires et débours payés par Charron à ses avocats est évoquée par le premier juge: le fait qu'une personne accusée de trafic de stupéfiants «sur une haute échelle ait eu des dépenses incompatibles avec ses revenus déclarés tend à prouver qu'elle est en possession de produits de la criminalité». «Il s'agit d'une preuve hautement pertinente».
[46] Or, comme l'a également souligné le premier juge, la dénonciation à l'appui du mandat contient suffisamment d'éléments pour être satisfait que Charron a commis l'infraction de possession de produits de la criminalité, notamment quand il est allégué que les actifs de Charron et sa conjointe se comptent en millions de dollars, alors que leurs revenus se comptent seulement en dizaine de milliers.
[47] Le débat s'est limité au seul montant payé des honoraires et débours, chacune des parties admettant que la description des travaux accomplis dans un compte d'honoraires est nettement protégée par le privilège.
[48] Sur cette question de fond, le premier juge de la Cour supérieure a conclu qu'en principe le montant des honoraires et débours versé par le client à son avocat doit être privilégié: «La conclusion contraire porterait atteinte au bon fonctionnement de la justice». Tout en concédant certaines exceptions à ce principe, le premier juge a conclu qu'aucune ne s'appliquait en l'espèce.
[49] Avec égards, je suis d'avis contraire: en l'espèce le privilège ne s'appliquait pas.
Discussion
[50] Mon analyse comportera deux volets. Outre la question de principe qu'a tranchée le premier juge, j'estime qu'en l'espèce une autre question se posait, soit celle de déterminer si le montant des honoraires et débours ne devait pas de toute façon être divulgué, cette fois comme l'une des exceptions au privilège, si on considère que ne pouvait être tenu confidentiel le fait que des honoraires aient été payés à même le fruit du crime.
Privilège et confidentialité
[51] Il m'apparaît essentiel, au préalable, de dissiper toute confusion entre les mots «privilège» et «confidentialité».
[52] Comme je l'ai souligné dans l'arrêt R. c. Robillard, (2000) 39 C.R. (5e)189, p. 199, 200, il ne peut y avoir de privilège sans confidentialité, mais ce qui est confidentiel n'est pas nécessairement privilégié:
Ce n'est pas le «privilège» qui a donné naissance au droit à la confidentialité; c'est bien le droit à la confidentialité entre l'avocat et son client qui a donné naissance à une règle de preuve[6] qu'est le privilège et qui vient protéger la divulgation en preuve de certaines des communications confidentielles. L'étendue du privilège est bien connue, il se rapporte à «la protection contre la divulgation en preuve de communications confidentielles faites par le client à son avocat dans le cadre d'une consultation juridique».[7] Ne sont donc pas toutes protégées les communications par ailleurs couvertes par la règle de la confidentialité qui s'incarne aussi dans le secret professionnel. Comme le font remarquer les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant, la seule confidentialité de la communication entre l'avocat et le client n'emporte pas le privilège: «… confidentiality alone is not sufficient to attract privilege».[8]
Déjà dans l'arrêt Solosky v. Canada,[9] le juge Dickson (avant qu'il ne soit juge en chef) avait bien insisté sur la nuance entre le privilège en tant que règle de preuve et le droit de communiquer en confidence avec son avocat qui constitue «a fundamental civil and legal right» (p. 839). C'est dans la foulée de cet arrêt que dans Descôteaux, la Cour suprême, sous la plume du juge Lamer (avant qu'il ne soit juge en chef), a mis l'accent sur le droit à la confidentialité, distinct du privilège, comme un droit fondamental du client, un droit «personnel et extrapatrimonial qui accompagne le citoyen dans ses rapports avec les autres», qui «donne ouverture aux recours préventifs ou curatifs que le droit prévoit selon la nature de l'agression qui le menace ou dont il a été l'objet.» (p. 871).
[53] Dans son jugement, le premier juge a lui-même confondu confidentialité et privilège: parfois il s'interroge sur la confidentialité ou encore le caractère privilégié du montant payé des honoraires et il conclut sur la «nature confidentielle» du montant des honoraires et débours, bien que dans son analyse, il ait abordé la question sous l'angle du privilège. Néanmoins, comme cela ressort clairement de leurs mémoires, les parties conviennent qu'en l'espèce la véritable question en litige portait sur le caractère «privilégié» du montant payé des honoraires et débours.
La nature et l'étendue du privilège avocat-client
[54] Depuis le jugement de première instance, trois arrêts de la Cour suprême du Canada[10] ont traité de la question du privilège avocat-client sous diverses facettes. Dans ces arrêts, comme dans ceux qui les ont précédés, notamment les arrêts Descôteaux, précité, et R. C. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263 , il y est clairement affirmé que le «privilège» avocat-client protège contre toute divulgation par le client ou l'avocat (1) les communications faites par le client, (2) aux fins d'obtenir un avis juridique (3) dans le cadre de la relation client-avocat, et (4) voulues confidentielles par le client. La coexistence de ces quatre éléments permet de qualifier une communication de «privilégiée».
[55] Dans R. c. Campbell, la Cour précise que le privilège (traduit par le mot «secret professionnel» dans la version française) s'appliquera ou non selon «la nature de la relation, l'objet de l'avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni» (p. 602): le privilège ne protège donc pas l'ensemble des services rendus par un avocat (p. 602). Ainsi, les conseils que donnent les avocat sur des matières non liées à la relation avocat-client ne sont pas protégés (p. 602). Comme le juge Doherty, de la Cour d'appel d'Ontario, l'a écrit dans General Accident Assurance Co. c. Chusz (1999), 450 R. (3d) 321, p. 349, l'application du privilège doit se reporter au contexte: «The centrality of confidentiality to the existence of the privilege helps make my point that the assessment of a claim to solicitor-client privilege must be contextual». (je souligne).
L'objet du privilège: une «communication» par opposition à un «fait»
[56] À l'examen de tous les arrêts de la Cour suprême du Canada qui traitent du privilège, il s'en dégage que l'objet du privilège se limite à des «communications», sous toutes ses formes: le secret professionnel repose sur la notion selon laquelle une personne doit pouvoir parler franchement à son avocat et c'est cette communication, dans la mesure où les autres conditions ci-haut énoncées sont remplies, qui est protégée par le privilège.[11]
[57] Le privilège protège le contenu de la communication et non la connaissance acquise de façon indépendante de faits qui ont pu être communiqués.
[58] Dans le contexte du droit de la preuve, le privilège empêche la divulgation de «communications» mais non de «faits» qui ont pu être discutés et dont l'existence peut être démontrée, indépendamment de la «communication». Par exemple, le client appelé comme témoin d'un accident d'automobile ne peut refuser de répondre à la question de savoir si le feu de circulation était rouge ou vert, ce qui constitue un fait, mais peut refuser de divulguer ce qu'il a déclaré à son avocat à ce sujet, dans la mesure où il s'agit d'une communication «privilégiée» qui rencontre les conditions précitées. Nous pouvons retrouver cette distinction, fondamentale en l'espèce, dans la doctrine et la jurisprudence, tant canadienne qu'américaine.
[59] Dans Trempe c. Dow Chemical of Canada Ltd., [1980] C.A. 570, p. 581, le juge Bernier distinguait les faits qu'un témoin constate, de sa propre initiative, d'avec les renseignements qui peuvent lui être communiqués à propos de ces mêmes faits: il s'appuyait sur un arrêt de cette Cour, Montreal Street Railway co. c. Feigelman, (1913) 22 B.R. 102, où il fut décidé en substance que si des employés d'une entreprise remettent à un avocat un rapport écrit d'un accident en préparation d'un procès, ce rapport est couvert par le secret professionnel, ce qui n'empêchera pas les employés de témoigner néanmoins des faits qu'ils ont constatés. La même distinction a été reprise par la Cour d'appel d'Ontario dans General Accident Assurance Co., précité, p.347. La Cour suprême des États-Unis, dans Upjohn Co. v. United States, 449, U.S. 383, 395-6 (1981) a sanctionné la même distinction.
[60] En doctrine, notamment Sopinka, Lederman et Bryant «The Law of Evidence in Canada» (1992), il y est rappelé que «The protection is for communications only and facts that exist independent of a communication may be ordered to be disclosed». Par ailleurs, les auteurs s'empressent d'ajouter que cette distinction n'est pas toujours limpide et que les tribunaux doivent être prudents à cet égard afin d'éviter la banalisation du privilège.
[61] Je suis d'accord avec les auteurs. Il faut avoir à l'esprit la difficulté qui se soulève de qualifier parfois un fait dont la connaissance est acquise en raison de la communication par ailleurs privilégiée, auquel cas le fait ne pourrait donc être divulgué: la connaissance du fait n'a pas été acquise indépendamment de la communication. Dans Gosselin v. The King (1903) 7 C.C.C. 139, un arrêt de la Cour suprême du Canada, le juge Davies, rédacteur de l'opinion majoritaire, a fait cette nuance dans le contexte de la «communication» privilégiée entre mari et femme:
The facts to which she testified were independent facts gained by her own observation and knowledge and not from any communication from her husband. (p. 152).
[62] Les auteurs américains réfèrent au concept d'un «communicative client act». Dans le Restatement of the Law Third, the Law Governing Lawyers, publié en 2000 par l'American Law Institute, les auteurs écrivent:
Communicative client acts
The privilege extends to nonverbal cummunicative acts intended to convey information. For example, a client may communicate with a lawyer through facial expressions or offer communicative bodily motions or gestures (nodding or shaking the head or holding up a certain number of fingers to indicate number) or acting out a recalled incident. On the other hand, the privilege does not extend to a client act simply because the client performed the act in the lawyer's presence. The privilege applies when the purpose in performing the act is to convey information to the lawyer. (p. 526, 527)
[63] Cette distinction fondamentale entre un fait et une communication nous ramène à une proposition précédente, soit que la revendication d'un privilège ne doit pas être examinée dans l'abstrait mais bien dans son contexte: cette Cour[12] vient tout récemment de rappeler ce principe de l'examen contextuel qui s'impose pour décider de l'application d'un privilège dit «générique».
[64] L'un des meilleurs exemples que je puisse utiliser pour illustrer cette proposition demeure la question de l'identité du client. À première vue, l'identité du client ne serait pas couverte par le privilège puisqu'elle existe indépendamment de la relation professionnelle. Mais qu'en est-il si l'identité est liée à une communication ou consultation confidentielle? L'arrêt Belley c. La Cité de Québec (1926) 42 B.R. 263, pose le problème dans son entièreté et y apporte une solution qui prévaut encore de nos jours.
[65] Belley avait, comme avocat, représenté des individus dans une enquête publique et réclamait de la Cité de Québec qu'elle soit condamnée à payer les services professionnels rendus. Au cours de son témoignage, l'avocat a refusé de dévoiler le nom d'une personne qui lui aurait versé des honoraires par anticipation pour des services dans le cadre de cette enquête. Il a motivé son refus en alléguant que c'est «avec entente expresse que la chose serait traitée confidentiellement et que son nom ne serait pas dévoilé». Le juge du procès l'a sommé de répondre, d'où le pourvoi devant la Cour d'appel (alors la Cour du Banc du Roi).
[66] Au nom de la Cour, le juge Létourneau a affirmé que l'objection de l'avocat était bien fondée. Tout en concédant qu'en principe la rencontre d'un client «soit un fait ordinaire» (p. 266), le juge Létourneau précise que dans certains cas ce fait peut avoir pour le client «toute l'importance d'un aveu, d'une déclaration, d'une consultation» (p. 266). Dans cette hypothèse, d'ajouter le juge Létourneau, il faut étendre à cette rencontre et à cette entrevue le bénéfice et l'avantage du secret professionnel:
Je concède qu'en principe, la rencontre d'un client soit un fait ordinaire; qu'il y ait là rien de confidentiel, rien qui soit couvert par l'article 332 C. proc., mais il me faut dire que dans certains cas particuliers, une telle simple rencontre ou entrevue puisse avoir pour un client toute l'importance d'un aveu, d'une déclaration, d'une consultation; dans ce cas, il faut étendre à cette rencontre et à cette entrevue le bénéfice et l'avantage du secret professionnel, car autrement, il serait pour tout tel client, illusoire; j'ajoute que si dans un tel cas, le client s'est ouvert ou dévoilé sous réserve du secret professionnel, confidentiellement, cette rencontre ou cette entrevue prend alors le caractère d'une révélation faite confidentiellement à raison du caractère professionnel de l'avocat, et qu'il y a lieu d'appliquer la règle du secret professionnel. L'importance du secret peut ainsi se trouver dans le nom même de la personne qui s'est adressée à l'avocat. Également, je crois qu'un particulier qui voit, consulte ou requiert un avocat quant à un intérêt ou un droit, que cet intérêt ou ce droit doive être mü dans une cause personnelle ou dans une cause d'intérêt public et prise par d'autres, est un client et bénéficie de la règle de l'article 332 C. proc.
Dans le cas qui nous est soumis, il est clair que cette personne dont on veut savoir le nom et qui s'est adressée confidentiellement, a voulu communiquer avec l'avocat, et à raison du caractère professionnel de ce dernier; elle a expressément exigé que sa démarche reste secrète, elle ne s'est dévoilée que sous cette garantie; c'était son droit et l'appelant doit à cette personne le secret professionnel sur lequel elle a compté. Il a également usé du privilège qu'il avait de ne pas répondre à la question dont il s'agit. (p. 266)
[67] C'est dans le même sens qu'a conclu cette Cour dans les arrêts Pearl c. Bissegger (1985), C.A. 695 , 702 et Québec (Sous-Ministre du Revenu) c. Legault, C.A. (1989) R.J.Q. 229 , 231.
[68] La double justification de cette distinction entre une «communication» et un «fait» peut ainsi se résumer: (1) le privilège demeure une exception au processus de recherche de la vérité et donc au principe que l'État a un droit d'obtenir toute preuve pertinente[13] et (2) la divulgation d'un fait ne met pas en péril le droit du client de communiquer librement et en toute confidentialité avec son avocat.[14]
L'une des exceptions au privilège: l'exception de crime
[69] Le privilège constitue donc une immunité judiciaire contre la divulgation des communications privilégiées. Toutefois, le privilège n'est pas absolu, comme l'a affirmé encore récemment la Cour suprême, notamment dans Jones c. Smith et R. c. McClure, précités. L'une des exceptions reconnues depuis des siècles a trait aux communications du client dans le but de faciliter la perpétration d'une infraction, qui constituent en elles-mêmes une infraction; un client ne peut bénéficier du privilège s'il consulte un avocat pour pouvoir perpétrer plus facilement un crime ou une fraude (Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821 , 835, 836; Descôteaux, précité, p. 894 et R. c. Campbell, précité, p. 605 à 612), et ce même à l'insu de l'avocat. Le privilège ne peut servir d'écran au client qui utilise les services de son avocat dans la poursuite d'une fin illégale:[15] «… the privilege is designed to facilitate the administration of justice and is not intended to assist in the aiding or abetting of criminal activities».[16]
Application à l'espèce
[70] J'aborde maintenant les deux questions en litige dans le cadre du troisième moyen d'appel:
1. Le montant payé des honoraires et débours constitue-t-il, en l'espèce, pour l'application du privilège, une «communication privilégiée»?
2. Subsidiairement, l'exception au privilège concernant les communications criminelles ne doit-elle pas permettre la divulgation?
(1) Le montant payé des honoraires et débours constitue-t-il, en l'espèce, pour l'application du privilège, une «communication privilégiée»
A - La prémisse du premier juge: le privilège va au-delà des communications
[71] Pour conclure qu'en principe le montant des honoraires et débours payés à un avocat est en principe couvert par le privilège, le premier juge s'est fondé sur une proposition émise dans l'arrêt Descôteaux, à savoir que sont privilégiés les renseignements qui concernent la «capacité du client de rémunérer l'avocat», renseignements qui sont de nature administrative mais qui demeurent «reliés à l'établissement de la relation professionnelle» (Descôteaux, p. 877). De là, le premier juge a tiré la conclusion qu'il ne saurait y voir une différence fondamentale entre la négociation au sujet des honoraires et le paiement qui s'ensuit (par. [179] jugt).
[72] Disposant de l'objection que le paiement ne constituerait pas une «communication» qui tombe sous le coup du privilège, le premier juge y a vu une question de sémantique: à son avis, le critère déterminant est celui de la confidentialité, avec la conséquence que le fait ou l'acte, sans distinction d'avec la communication, sera couvert par le privilège s'il est confidentiel:
206. La Cour considère donc qu'on ne saurait conclure, sans plus de nuances, que les actes posés par l'avocat ne sont pas privilégiés. En fait, le critère fondamental est celle de l'expectative de confidentialité. Généralement, l'acte n'est pas posé avec cette expectative mais si c'est le cas, le client pourra soulever le privilège.
[73] Antérieurement, le premier juge avait situé dans ce sens le débat entre les parties, soit les uns (l'appelant et la Procureure Générale du Canada), invoquant que le privilège ne vise que les communications et non les actes de l'avocat, les autres soutenant que le privilège concerne plutôt la «relation» entre ceux-là.
B - Analyse
[74] Je ne saurais insister davantage, compte tenu de mes observations antérieures, sur l'objet du privilège qui se limite aux «communications» et qui ne peut donc s'étendre aux «actes» ou aux «faits».
[75] Par ailleurs, ayant toujours à l'esprit la difficulté, que j'ai soulignée, de distinguer parfois dans la réalité entre un fait et une communication, je peux comprendre la confusion du premier juge pour qui le critère déterminant est devenu celui de la confidentialité, écartant du débat l'un des autres éléments, tout aussi fondamental, qu'est la «communication». En effet, le privilège s'applique dans la mesure où la «communication» est «confidentielle»: il ne suffit donc pas qu'il y ait confidentialité, comme je l'ai souligné à maintes reprises.
[76] Dans son analyse, le premier juge s'est buté à la question de l'identité du client, que j'ai évoquée au préalable. Il a conclu de la jurisprudence que si l'identité du client est privilégiée, le privilège s'étendrait au-delà des «communications», se disant d'avis que l'identité ne constitue pas une «communication» (par. [187] du jugt). Avec égards, et ce pour les motifs que j'ai exposés, cette proposition est mal fondée: l'identité sera privilégiée selon le contexte qui permettra de le déterminer.
[77] L'erreur du premier juge aurait pu être évitée si la question avait été abordée in concreto, et non in abstracto.
[78] Comme je l'ai exposé précédemment, la détermination de l'existence du privilège doit être décidée non pas dans l'abstrait mais bien, comme la Cour suprême du Canada l'a affirmé dans R. C. Campbell, précité, selon la nature de la relation, l'objet de l'avis et les circonstances dans lesquelles il est demandé et fourni (p. 602); je reprends ici les propos du juge Doherty dans General Accident Assurance Co., «The assessment of a claim to solicitor-client privilege must be contextual» (précité, p. 349).
[79] Dans l'arrêt Descôteaux, qui a précisé que les renseignements du client sur sa capacité de rémunérer son avocat sont confidentiels et privilégiés, il s'agissait de renseignements fournis dans une «demande d'Aide Juridique» qui exige que le requérant de l'Aide Juridique expose son état financier. Les renseignements visaient à établir la vraisemblance du droit et l'éligibilité en regard des moyens financiers. La Cour suprême, suivant en cela un arrêt de la Cour d'appel d'Alberta,[17] a conclu que ce type de renseignements constituait une «communication» en plus «confidentielle» et qu'a priori, le privilège s'appliquait (p. 881). Je dis a priori car, dans les faits, la Cour a décidé que l'exception des communications criminelles faisait obstacle à l'application du privilège. Selon les allégations de la dénonciation, les renseignements ou communications faites par le requérant à l'égard de sa situation financière étaient frauduleuses.
[80] Contrairement au premier juge, je ne peux pas assimiler les renseignements du client sur sa capacité financière au fait ou à l'acte du paiement. Encore là, je ne veux pas tomber dans le piège de l'absolu et prétendre qu'en aucune façon un paiement des honoraires ne pourrait être une «communication confidentielle privilégiée»: c'est l'approche contextuelle qui ultimement doit être suivie. Je restreins ici la discussion au rapprochement qu'a fait le premier juge entre la ratio decidendi de l'arrêt Descôteaux et la question du montant des honoraires. À mon avis, il n'est pas inhérent au fait du paiement qu'il mette en cause une communication du client. La question pertinente devrait plutôt être formulée comme suit: en soi, la divulgation du paiement porte-t-elle sur le contenu d'une communication ou encore mène-t-elle à révéler des éléments confidentiels de la communication avocat-client? Le paiement ne demeure-t-il pas un fait dont l'existence est indépendante des confidences faites par le client?
[81] L'étude de la jurisprudence canadienne permet de faire les nuances qui s'imposent à l'égard d'un document qui porte sur des questions comptables dans le cadre de la relation avocat-client, entre des renseignements de la nature d'une «communication confidentielle» et ceux qui ne sont pas protégés par le privilège.
[82] Dans Kruger Inc. c. Kruco Inc. (1989) R.J.Q. 2323 , cette Cour, sous la plume du juge LeBel (alors membre de cette Cour), a reconnu que dans certains cas, et j'insiste sur cet aspect qui évoque l'approche contextuelle, les comptes d'honoraires d'avocats peuvent être privilégiés lorsque la production du compte relaterait en détail la nature et la date des services rendus (p. 2326). Toutefois, dans le cas dont elle était saisie, où les comptes dont on demandait le dépôt ne contenaient «qu'une simple entrée comptable», «ne (donnant) aucun détail quant à la nature des services rendus» et «ne sont (n'étant) aucunement susceptibles d'engager la Cour dans un examen des conseils donnés et des travaux professionnels effectués par les avocats» (p. 2326), la Cour a conclu que «dans le contexte, les questions posées ne mettent pas en cause le caractère confidentiel de la relation professionnelle» entre les avocats concernés (p. 2326). Plus précisément, d'ajouter la Cour, «il s'agit d'identification des procureurs, de vérification des montants payés et de détermination de l'identité du client représenté, sans que celle-ci puisse constituer ici un élément du secret professionnel» (p. 2326).
[83] Ces mêmes principes ont été appliqués dans l'arrêt Stevens c. Canada (1998) 4 C.F. 89 , rendu en Cour d'Appel Fédérale, par la voix du juge Linden. Ici, la production des comptes d'honoraires recherchés aurait contraint la divulgation de communications entre client et avocat qui portaient directement sur les consultations, conseils et services juridiques.
[84] C'est dans ce sens que le juge Linden, dans une opinion remarquable, conclut que les «bills of account» qui étaient recherchés tombent sous le coup du privilège. Il est intéressant de souligner que le juge Linden s'est appuyé sur la même jurisprudence et les mêmes auteurs que le juge LeBel dans Kruger Inc., précité. En substance, et c'était la seule question à trancher, selon le juge Linden, les «bills of account» demeurent privilégiés car en l'espèce «the narrative portions of the bills of account are indeed communications» (p. 119, par. [49]. Je souscris à cet énoncé qui, au surplus, me paraît tout à fait compatible avec l'arrêt Kruger Inc. On ne saurait donc interpréter ce jugement comme appuyant la proposition que le seul fait du coût des services rendus soit toujours privilégié.
[85] À mon avis, ces arrêts confirment l'importance d'analyser ces questions dans leur contexte: ainsi, dans Kruger Inc., les comptes d'honoraires ne contenaient pas de renseignements qui participent de la nature du privilège alors que dans Stevens, c'était l'opposé. Cette approche me permet de concilier les décisions apparemment contradictoires en jurisprudence en ce qui a trait au compte en fidéicommis. À cette fin, je crois utile de référer à un jugement rendu par le juge J. Guilbault, de la Cour supérieure du Québec, dans 164461 Canada Inc. (Syndic de), [1997] R.J.Q. 529 . Un avocat s'objectait à divulguer ce qu'il était advenu de sommes déposées dans son compte en fidéicommis. L'objection a été accueillie, avec raison à mon avis, dans la mesure où les transactions sont «en relation directe avec les instructions reçues du client, avec les conseils qu'a pu donner l'avocat à son client» (p. 532): le juge Guibault ajoute qu'il est impossible de dissocier les instructions données du fait proprement dit que constitue l'émission d'un chèque au nom d'une personne… (p. 532). Je souligne ici la pertinence de la distinction entre un fait et une communication et comment dans cette affaire le privilège s'applique quand le fait ne peut être dissocié de la communication.
[86] Dans le Restatement of the Law Third, précité, la position américaine reflète ces mêmes nuances: «Admissibility of such testimony (sur la question des honoraires) should be based on the extent to which it reveals the content of a privileged communication. The privilege applies if the testimony directly or by reasonable inference would reveal the content of a confidential information» (précité, p. 528): sur ce point, je me réfère à l'arrêt United States v. Blackman (1995) 72 F. (3d) 1418 (U.S. Court of Appeals, 9th Circuit).
[87] En Angleterre, l'état de la jurisprudence est au même effet: le compte d'honoraires peut être privilégié s'il révèle la nature des conseils donnés («The better view is that solicitors' bills are capable of attracting privilege if their contents betray or may betray the nature of the legal advice given»), dans Phipson on Evidence, 15e éd. (2000), London, Sweet and Maxwell, page 518.
[88] Incidemment, je crois nécessaire de relever une méprise du premier juge quant à l'applicabilité du droit américain en matière de privilège, méprise qui semble bien être celle de toutes les parties en première instance (par. [184] du jugt). Tous ont cru que le fondement du privilège avocat-client en droit américain est différent de celui que l'on connaît en droit canadien. Or, avec égards, telle n'est pas ma lecture de la loi, des auteurs et de la jurisprudence qui traitent du sujet.
[89] Deux catégories de privilège sont reconnues en common law: les «class» privilèges (privilèges génériques) et les «case-by-case» privilèges (fondés sur les circonstances de chaque cas): je réfère notamment à R. c. Gruenke, p. 286 et A.(L.L.) c. B.(A.), p. 562. Le privilège avocat-client est un «class» privilège, tandis que l'autre privilège est assujetti au test utilitaire à quatre volets élaboré par Wigmore, auteur américain, que la Cour suprême du Canada a adopté il y a fort longtemps. Comme le juge L'Heureux-Dubé l'a souligné dans A.(L.L.) c. B.(A.), p. 565, la position américaine en matière de privilège de common law est assez semblable à l'approche canadienne et citant McCormick, elle ajoute que les principes sur lesquels se fonde la reconnaissance de communications privilégiées sont également analogues.
[90] Plus encore, dans le Restatement of the Law Third, précité, il y est spécifiquement mentionné que le privilège avocat-client n'est pas de la nature d'un «case-by-case» privilège (p. 523 et 524), mais bien un «class» privilège. Enfin, un auteur américain[18] mentionne que du moins devant les juridictions fédérales le «class» privilège de common law avocat-client a été spécifiquement maintenu par une loi du Congrès (Fed.R.Evid. 501).
[91] Dans Descôteaux, la Cour suprême a adopté la façon dont Wigmore a formulé les conditions de fond de l'existence du privilège avocat-client, en tant que «class» privilège.
[92] Pour ma part, je crois que la source de la méprise provient de l'application de l'approche contextuelle. Dans plusieurs décisions américaines, comme au Canada également, on a tout simplement décidé que, par exemple, l'identité du client était privilégiée dans les faits de la cause et non dans un autre contexte. Cette approche, comme je l'ai précisé antérieurement, n'attaque pas le «class» privilège, elle en est tout simplement une application.
[93] Au terme de cette analyse, je dois donc conclure, contrairement à l'opinion du premier juge, qu'on ne peut ériger comme principe que le montant payé des honoraires, en soi, puisse être qualifié d'une communication donnant ouverture au privilège.
[94] Je ne vois pas comment, toujours à première vue, le montant payé puisse être interprété comme une «communication». Je ne vois pas non plus en quoi le montant payé puisse faire partie des communications «qui ont pour but d'obtenir un avis juridique» (Wigmore, cité dans Descôteaux) ou encore «qui sont nécessaires à l'établissement de la relation professionnelle» (Descôteaux); ou encore, je ne peux voir comment cette seule information sur le montant payé permettrait de divulguer des éléments confidentiels, quant à la nature des services rendus, des conseils ou des consultations. En divulguant le fait du paiement, cela n'emporte pas, en soi, une brèche dans le privilège. Considéré comme un «fait» et non une «communication», le paiement des honoraires, en soi, se dissocie de tout ce qui fait partie de la relation avocat-client qui peut être privilégiée. Le paiement demeure habituellement un incident de la relation avocat-client.
[95] En substance, je suis d'avis que le montant payé ne constitue pas en soi une communication»; et même vue comme une communication, elle ne peut être de la nature de celle que vise le privilège: sa divulgation ne saurait compromettre la raison d'être du privilège. Dit autrement, j'estime que le client qui sait que le montant qu'il paiera en honoraires pourrait être divulgué n'est pas empêché pour autant de se confier en toute liberté à son avocat pour sa défense et d'être assuré du respect de la confidentialité. Contrairement à ce que prétendent les Associations intervenantes, ce qui est réclamé se limite au montant des honoraires payés et je ne vois pas en quoi l'on peut craindre que seront dès lors révélées les «démarches» effectuées par l'avocat dans l'exécution de son mandat, lesquelles pourraient divulguer des renseignements purement privilégiés. Il n'est pas ici question de donner accès à des documents qui contiennent des renseignements sur la nature et la qualité du mandat des avocats.
[96] J'ai jusqu'ici bien précisé que ma position en est une de principe, en ce que le paiement des honoraires, à première vue, ne constitue pas une «communication» et de toute façon ne répond pas aux conditions du privilège. À l'exemple de l'identité du client, ce fait ne tombe pas, en principe, sous le coup du privilège.
[97] Toutefois, appliquant maintenant l'approche contextuelle, notamment dans le sens des arrêts Campbell, de la Cour suprême, et Kruger Inc., de cette Cour, précités, je ne peux pas affirmer de façon absolue que le montant des honoraires et débours ne pourrait jamais être qualifié de communication privilégiée. Chose certaine, dans le contexte du cas à l'étude, le montant n'est pas privilégié.
[98] Le premier juge, dans son jugement, a évoqué certains scénarios, dont certains suggérés par le Barreau du Québec, qui permettent de concevoir la possibilité que le montant payé ne puisse être dissocié de la consultation et partant, soit assimilé à la communication privilégiée, comme l'identité du client qui peut devenir privilégiée, selon le contexte.
[99] Il ne serait pas impensable, comme autre scénario suggéré à l'audience par mon collègue le juge Biron, que la décision judiciaire pourrait varier selon que l'on chercherait à connaître le montant payé des honoraires dans une affaire en cours ou terminée.
[100] Ma conclusion apparaîtra sans doute très ironique en l'espèce. D'une part, je conclus que le juge a erré et qu'il ne devait pas accorder le certiorari au motif que le montant des honoraires est privilégié. D'autre part, en opinant que la question du privilège devait se décider selon une approche contextuelle, c'est donc qu'elle devait être soumise au juge pour qu'il statue si dans ce litige et non en principe, le montant était privilégié ou non. Or, c'est précisément le mécanisme que prévoit l'art. 488.1 du Code criminel, notamment aux par. (3) et (4) précités, accordant à la partie qui invoque le privilège le droit de s'adresser à la Cour pour que soit tranchée la question du privilège. Si ce n'était de l'exception au privilège, dont je traiterai ci-après, j'aurais conclu qu'en l'espèce la question du privilège devait être tranchée in concreto, et que le dossier retourne devant un juge de la Cour supérieure à cette fin.
(2) L'exception au privilège: la «communication criminelle» (ou l'exception de crime)
[101] Si tant est que le montant des honoraires payés en l'espèce pouvait être considéré privilégié, j'estime qu'en regard des allégations du dénonciateur, l'exception de crime aurait dû être appliquée par le premier juge.
[102] Il semble bien que cet aspect a été totalement ignoré en première instance. L'appelant l'invoque maintenant en appel, ce à quoi le Barreau du Québec s'objecte pour deux raisons. D'abord parce que ce serait en raison d'une admission des parties qu'aucun des avocats n'était soupçonné d'une quelconque malversation que le débat s'est poursuivi sans aucune allusion à l'hypothèse d'une exception au privilège. À cela, je dois répondre que l'exception au privilège de la communication criminelle s'applique, peu importe que l'avocat soit dupe ou un participant.[19] La deuxième raison invoquée pour s'objecter à ce que cette question soit tranchée par cette Cour, tient à l'hésitation judiciaire de disposer d'une question qui n'a pas été explorée en première instance: avec respect, je ne vois ici aucune difficulté, la question en étant une de droit qui peut être analysée en fonction du dossier tel que constitué en première instance.[20]
[103] Je suis d'autant satisfait que le dossier de première instance contenait tous les éléments pour décider de cette question de l'exception de crime, quand je retrouve dans le jugement même les conclusions de fait les plus pertinentes que le juge a tirées des allégations du dénonciateur, soit: (1) que Charron est relié au trafic des stupéfiants,[21] (2) que Charron a payé des honoraires aux avocats chez qui la perquisition a eu lieu, et (3) qu'à l'examen des actifs et des revenus déclarés de Charron, il y a une probabilité que Charron ait commis l'infraction de possession de produits de criminalité.[22] La preuve du montant payé des honoraires servirait donc à préparer un bilan financier et un avoir net de Charron, établissant ultimement que les honoraires ont été payés à même les produits de la criminalité.
[104] La probabilité d'un paiement à même les produits de la criminalité s'infère raisonnablement de l'ensemble des faits allégués dans la dénonciation.
[105] Il suffit, à cette étape de la procédure, de s'en remettre aux allégations du dénonciateur,[23] dans la mesure où elles établissent une preuve qui rend probable la conclusion que l'exception de crime s'applique.[24]
[106] Sur la base de ces allégations, le client aurait payé les honoraires de son avocat à même les produits de la criminalité, et ce à l'insu de l'avocat, mais utilisant ce dernier à des fins illégales. Il s'agit d'un cas flagrant d'exception de crime qui fait obstacle au privilège et qui dégage tout avocat de l'obligation de respecter le secret professionnel s'il est contraint de divulguer le montant payé. Comme je l'ai écrit précédemment, le privilège ne peut servir d'écran ou de refuge au client dans l'exécution d'une fin illégale. Il répugne que le privilège, fondé sur la nécessité de protéger certaines communications pour le meilleur fonctionnement de l'administration de la justice, puisse jouer à l'avantage de celui qui utilise le fruit du crime pour faire face à la justice.
[107] En conclusion, même si le premier juge avait eu raison de décider que le montant des honoraires payés était «privilégié», répondant à tous les éléments du privilège, il aurait dû néanmoins appliquer l'exception de crime qui justifiait alors la divulgation du montant des honoraires payés à l'avocat.
Épilogue: les préoccupations du Barreau
[108] C'est avec beaucoup de conviction, empreinte d'une grande objectivité, que, dans leur mémoire, les intervenants, soit le Barreau du Québec, représenté par Me Louis Belleau, et les Associations des Avocats oeuvrant en matière pénale, représentées par Me Giuseppe Battista, ont exprimé leurs préoccupations fort légitimes lorsque l'État frappe à la porte d'un cabinet d'avocats. On craint qu'un jugement qui, comme en l'espèce, autoriserait la perquisition, pourrait provoquer une instabilité importante dans la relation avocat-client et par le fait même, dans le système de justice. Pour sa part, Me Bernard Mandeville, au nom de la Procureure Générale du Canada, s'est fort bien défendu contre toute idée de vouloir transformer l'avocat en un «archiviste de l'État», sans toutefois accepter que le cabinet d'avocats devienne un «sanctuaire».
[109] Il n'existe pas d'autre privilège comme celui de l'avocat-client que le droit a protégé avec autant d'acharnement et dont il a le plus hésité à en atténuer la portée par des exceptions.[25] D'une importance fondamentale pour l'administration de la justice, le privilège se fonde également sur la protection de la vie privée. [26]
[110] Par ailleurs, le privilège accorde à son détenteur une immunité judiciaire qui fait obstacle à la découverte des preuves pour répondre à d'autres préoccupations sociales prépondérantes.[27] Lorsque le privilège est invoqué en justice, il force donc à un arbitrage[28] entre deux biens, le respect des confidences et la découverte de la vérité: la réconciliation de ces deux principes fondamentaux commande une interprétation restrictive du secret professionnel.[29] C'est dans ce sens qu'indépendamment de la question de l'exception de crime, on ne peut tenter d'élargir la portée de ce qu'est une «communication» aux fins de l'application du privilège pour inclure la relation avocat-client au sens large et tous les actes qui peuvent se poser dans le cadre de cette relation, comme l'a proposé erronément le premier juge.
[111] Enfin, il me paraît essentiel de rappeler qu'en droit canadien, le privilège n'est pas absolu et que graduellement des contingences constitutionnelles et sociales ont incité les tribunaux à reconnaître certaines exceptions au privilège qui relèvent les avocats de leur obligation de respecter le secret des confidences. Outre l'exception de crime, la plupart des exceptions n'ont été consacrées par la jurisprudence que très récemment; je relève (1) celle relative à la sécurité publique,[30] (2)lorsque le privilège doit céder devant le droit à une défense pleine et entière,[31] (3) le cas du témoin ou du client qui a commis un parjure ou qui a trompé la Cour, que tout Code de déontologie réprime, sans compter les obligations qui peuvent découler de la réglementation qui sera adoptée par le législateur dans le cadre de la législation relative au «recyclage des produits de la criminalité».
[112] De nos jours, l'avocat doit composer avec ces nouvelles réalités qui peuvent l'exposer à des situations très délicates où notamment ses devoirs de confidentialité et de loyauté se heurtent à l'obligation de divulguer: ces cas demeurent des exceptions.
[113] Je n'ai pas cherché, en l'espèce, à créer une autre exception qui viendrait diluer le caractère sacré du privilège avocat-client: j'ai plutôt voulu éviter de me cantonner dans une règle absolue, in abstracto, laissant toute latitude au décideur pour déterminer, selon une approche contextuelle (in concreto) si tel élément de preuve ou un autre (ici le montant payé des honoraires) peut être qualifié de «privilégié».
C o n c l u s i o n
[114] Comme il s'agit d'un pourvoi théorique, je formulerais ma conclusion comme suit, en fonction des trois questions en litige:
Question 1: |
Tout en reconnaissant que le pouvoir du juge de paix d'imposer des conditions et des modalités d'exécution pour s'assurer du respect de la confidentialité soulève une question de compétence, en l'espèce, le juge de la Cour supérieure a eu tort d'annuler en partie le mandat de perquisition. |
Question II: |
Le juge de la Cour supérieure a erré en annulant le mandat au motif que le juge de paix n'avait pas exigé comme condition que soit donnée à l'avocat une opportunité raisonnable d'être présent: le par. 488.1(8) du Code criminel le prévoit et au surplus, le juge de paix avait exigé la présence du syndic du Barreau lors de la perquisition. |
Question III: |
Le juge de la Cour supérieure a erré en concluant qu'en principe le montant des honoraires et débours payés à l'avocat est privilégié: cette question devait être examinée dans son contexte. En l'espèce, il était erroné de conclure que le seul fait du montant payé était privilégié. Subsidiairement, le juge de la Cour supérieure a omis d'appliquer en l'espèce l'exception de crime qui mettait fin au privilège. |
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________________________________ MICHEL PROULX J.C.A.
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[1] Le Caporal Normand Leblanc (G.R.C.) c. Léo-René Maranda et autres, C.A. Montréal, no 500-10-001193-976, les juges Beauregard, Proulx et Deschamps.
[2] «… il n'est pas contesté qu'ils (les documents) n'auraient pu être tous obtenus autrement qu'en perquisitionnant à l'étude légale des requérants» (par. [98], jugt. première instance).
[3] R. c. Finck, (2000)O.J. No. 4549.
[4] Lavallée, Rackel and Heintz c. Canada (Att.Gen.), (2000), 143 C.C.C. (3d), 187.
[5] White, Ottenheimer and Baker c. Canada (Att.Gen.) (2000), 146 C.C.C. (3d) 28.
[6] Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860 (S.C.C.), p. 875.
[7] Descôteaux c. Mierzwinski, supra, p. 872, 873.
[8] «Law of Evidence in Canada», 2e éd., (1999) Butterworths, p. 716.
[9] [1980] 1 S.C.R. 821 (S.C.C.).
[10] Jones c. Smith, [1999] 1 R.C.S. 455 ; R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 ; R. c. McClure, [2001] S.C.J. No. 13 , 151 C.C.C. (3d) 321 , 195 D.L.R. (4th) 513..
[11] R. c. McClure, précité; R. c. Gruenke, précité, p. 286; R. c. Solosky, précité.
[12] La Société Intermunicipale de Gestion et d'Élimination des Déchets (SIGED) Inc. et autres c. Société d'Énergie Foster Wheeler Ltée et autres, No 500-09-008782-997, C.A. Montréal, le 11 octobre 2001, les juges Deschamps, Rochette et Pelletier.
[13] CanadianOxy Chemicals Ltd. v. Canada (A.G.), [1999] 1.R.C.S. 743, 171 D.L.R. (4th) 733, 133 C.C.C. (3d) 426; A.(L.L.) v. B.(A.) [1995] 4 R,C.S. 536, p. 559.
[14] MANES and SILVER «Solicitor-client Privilege in Canadian Law», Toronto, Butterworths, 1993, p. 133.
[15] United States v. Hodge and Zweig, 548 F.2d 1347 (9th Cir. 1977): «Because the attorney-client privilege is not to be used as a cloak for illegal or fraudulent behaviour, it is well-established that the privilege does not apply where legal representation was secured in furtherance or intended, or present continuing illegality», D. Kennedy, J.
[16] David M. PACIOCCO and Lee STUESSER, «The Law of Evidence», (1999), Irwin Law, p. 138.
[17] R. v. Littlechild, (1979), 51 C.C.C. (2d) 406.
[18] Julia THOMAS-FISHBURN, (1990) Col.L.R. 185.
[19] Solosky c. La Reine, précité, p. 835, 836; R. c. Campbell, précité, p. 605 et suivantes.
[20] R. c. Perka , [1984] 2 R.C.S. 232 ; R. c. Logan (1988), 46 C.C.C. (3d) 354, aux pages 371-2, 57 D.L.R. (4th) 58, 68 C.R. (3d) 1, (Ont. C.A.), confirmé 58 C.C.C. (3d) 391 , 73 D.L.R. (4th) 40, [1990] 2 R.C.S. 731 .
[21] Par. [5] du jugement.
[22] Par. [10] du jugement.
[23] Descôteaux, précité, p. 894.
[24] Amadzadegan-Shamirzadi, précité, p. 1850.
[25] Jones c. Smith, précité, p. 476.
[26] R. c. Robillard, précité, p. 200.
[27] A.(L.L.) c. B.(A.), précité, p. 559.
[28] Prof. Yves-Marie Morissette, Faculté de Droit, Un.McGill, «Le secret professionnel en droit québécois, un droit fondamental absolu et relatif selon les circonstances» (inédit) 1997.
[29] Frenette c. Métropolitaine (La), [1992] 1 R.C.S. 647 , p. 676 et 677.
[30] Jones c. Smith, précité.
[31] R. c. McClure, précité.
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