Transport École-Bec Montréal (EBM) inc. |
2011 QCCLP 3322 |
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[1] Le 31 août 2010, Transport École-Bec Montréal (EBM) inc. (l'employeur) dépose une requête devant la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 23 juillet 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initialement rendue le 18 mai 2010 et déclare que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Antonio Pizzuco (le travailleur) le 17 novembre 2009 doit être imputé au dossier de l'employeur.
[3] Une audience est fixée devant la Commission des lésions professionnelles siégeant à Montréal le 9 février 2011. Cependant, l'employeur y renonce préférant soumettre une argumentation écrite. Le tribunal accorde un délai à l'employeur afin de produire son argumentation et, sur réception de celle-ci, la cause est mise en délibéré le 28 mars 2011.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur calculée sur la base du salaire brut annuel qu’il gagnait au moment où il a subi sa lésion professionnelle chez l'employeur, soit le 17 novembre 2008.
[5] Selon le formulaire de l’Avis de l'employeur et demande de remboursement complété le 11 décembre 2008, le salaire annuel brut versé au travailleur en lien avec l’emploi occupé chez l'employeur était établi à 14 373,84 $.
[6] L'employeur soutient qu’il est injuste que la CSST lui impute la partie additionnelle de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur qui prend en compte l’indemnité de remplacement du revenu réduite qu’il reçoit à la suite d’une lésion professionnelle antérieure survenue chez un autre employeur.
[7] Selon lui, cette façon de faire ne respecte pas le premier alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui édicte le principe général d’imputation selon lequel « la Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi. »
LES FAITS
[8] Le travailleur occupe un emploi de chauffeur d’autobus scolaire chez l'employeur au moment où il subit une lésion professionnelle le 17 novembre 2008. Il est alors âgé de 48 ans.
[9] L’accident survient lorsqu’il descend l’escalier de son autobus scolaire et perd l’équilibre. Il chute et percute son épaule gauche et son cou sur la portière de l’autobus. Selon la réclamation qu’il produit à la CSST en lien avec cet événement, il dit avoir ressenti alors une vive douleur à l’épaule et au cou. Il a cependant continué son trajet et a consulté un médecin par la suite. Des diagnostics de contusions au cou, à l’épaule gauche et au genou gauche sont posés et reconnus par la CSST qui accepte la réclamation du travailleur.
[10] Cette lésion professionnelle est consolidée le 21 mai 2009 sans nécessité de soins ou de traitements par la suite et le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ni limitation fonctionnelle consécutive à la lésion professionnelle.
[11] Le 21 septembre 2009, l'employeur produit à la CSST une demande de transfert de l’imputation conformément à l’article 326 de la loi. Il soulève les arguments suivants en relation avec cette demande :
Nous vous soumettons que le travailleur, lors de son accident du travail chez notre client bénéficie déjà d’une indemnité de remplacement du revenu réduite de la CSST, relativement à un autre dossier lésion professionnelle antérieure, pour lequel il a bénéficié d’un processus de réadaptation.
Or, dans l’établissement de sa base d’indemnité pour le présent dossier, la CSST a accumulé, comme elle le fait toujours, l’IIRR réduite du dossier antérieur, ainsi que le salaire gagné chez notre employeur, et ce, dans le but de verser qu’une seule indemnité au travailleur.
Notre client se voit donc imputer une base d’indemnité bien au-delà de sa responsabilité, et par le fait même, nous demandons à la CSST de désimputer la part d’IRR qui a trait à la lésion précédente.
La preuve au dossier démontre que le travailleur gagnait 9,214 $ de l’heure et travaillait environ 30 heures par semaine. Ceci représente donc une base d’indemnité d’environ 276,42 $ par semaine brut, ce qui ramènerait le travailleur au salaire de 14 373,84 $ annuellement, soit 55,284 $ par jour en CSST.
Le travailleur a toutefois été indemnisé sur une base de 71,76 $ par jour.
Nous demandons donc à la CSST de désimputer la somme de 16,48 $ par jour pour les 196 jours pour lesquels le travailleur a été indemnisé, donc la somme de 3 230,80 $.
[12] Il appert du dossier qu’au moment de la survenance de la lésion professionnelle du 17 novembre 2008, le travailleur recevait déjà une indemnité de remplacement du revenu réduite relativement à un autre dossier ouvert à la CSST[2].
[13] À la lecture des notes évolutives de l’agente d’indemnisation responsable du dossier, soit madame Cathleen Poirier, le tribunal constate que cette dernière détermine un salaire revalorisé de 38 818,26 $ par année.
[14] Le 17 mai 2010, la CSST analyse la demande de transfert de coûts formulée par l'employeur. Il appert des notes évolutives que la CSST analyse cette demande sous l’angle de l’article 326, alinéa 2 de la loi, soit la notion « d’obérer injustement ». Elle conclut que l'employeur n’a pas droit à un tel transfert de coûts pour les motifs suivants :
Compte tenu que la Commission peut procéder au transfert d’imputation parce qu’il est démontré une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques que l'employeur doit supporter, et que la proportion des coûts attribuables à cette situation d’injustice est significative par rapport au coût découlant de l’accident en cause.
Compte tenu que les situations pouvant donner droit au transfert sont : la maladie intercurrente (ou condition médicale), l’assignation temporaire interrompue ou la lésion causée par une négligence grossière et volontaire du travailleur.
Compte tenu qu’il n’y a pas de démonstration de la présence d’une maladie intercurrente survenue en période de consolidation de la lésion professionnelle, ayant eu pour effet d’interrompre une assignation temporaire et/ou des traitements en lien avec la lésion professionnelle.
Compte tenu que la demande de partage en vertu de l’article 326 ne rencontre aucun des critères pouvant donner droit à un partage, nous ne pouvons accorder un partage des coûts.
[15] La révision administrative confirme cette décision en ajoutant au motif déjà considéré lors de la première décision, celui selon lequel l’application de la loi, et plus précisément de l’article 73 de la loi, ne permet pas de conclure que l'employeur est obéré injustement. Le tribunal est actuellement saisi d’une requête à l’encontre de cette décision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l'employeur peut bénéficier d’un transfert de l’imputation des coûts en vertu de l’article 326 de la loi qui prévoit ce qui suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[17] Plus précisément, le tribunal doit déterminer si la partie de l’indemnité de remplacement du revenu correspondant à l’indemnité de remplacement du revenu réduite que le travailleur recevait à la suite d’une lésion professionnelle subie chez un autre employeur doit être imputée au dossier financier de l'employeur actuel.
[18] D’entrée de jeu, le tribunal constate que l'employeur a produit sa demande de transfert de l’imputation dans l’année suivant la date de l’accident. Sa demande est donc recevable.
[19] Qu’en est-il du fond du litige?
[20] L'employeur soutient qu’il est obéré injustement du fait que la CSST doit imputer tous les coûts du dossier y compris la portion d’indemnité de remplacement du revenu réduite versée au travailleur en relation avec une lésion professionnelle subie chez un autre employeur.
[21] Fait à noter, l'employeur ne remet pas en cause l’application de l’article 73 de la loi qui se lit comme suit :
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 73.
[22] Néanmoins, il soutient que le fait de lui imputer la totalité de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur constitue une forme d’injustice puisqu’il se trouve à être imputé des coûts d’une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur, ce que ne prévoient pas les dispositions de la loi portant sur le financement.
[23] Le tribunal ne retient pas l’argument de l'employeur selon lequel ce dernier est obéré injustement tel que le prévoit le 2e alinéa de l’article 326 de la loi.
[24] Pour en venir à cette conclusion, la soussignée se base sur la jurisprudence du tribunal qui est claire et constante quant au fait que l’application conforme de la loi, notamment de l’article 73, ne peut constituer une injustice au sens où l’entend le 2e alinéa de l’article 326 de la loi[3].
[25] Dans la présente affaire, le tribunal croit qu’il est plutôt utile de se référer au principe général d’imputation prévu au 1er alinéa de l’article 326 de la loi afin de déterminer s’il est respecté en l’espèce. Ce principe est le suivant :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
[…]
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[notre soulignement]
[26] Ce premier alinéa indique un principe simple selon lequel l'employeur est responsable du coût des prestations attribuables à une lésion professionnelle survenue alors que le travailleur est à son emploi. À ce sujet, la soussignée réfère à la décision récente rendue dans l’affaire Groupe CDP inc.[4] qui résume ce principe comme suit :
[21] La règle d’imputation dégagée par le premier alinéa de l’article 326 de la loi est que l’employeur est responsable du coût des prestations attribuables à un accident de travail survenu à un travailleur alors que ce dernier est à son emploi. D’ailleurs comme l’explique le tribunal dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc.4, toutes les dispositions en matière d’imputation que ce soit l’accident attribuable à un tiers à l’article 326 alinéa 2 ou encore, les articles 327, 328 et 329 de la loi, visent que les coûts des prestations imputés au dossier d’un employeur correspondent à ceux découlant de la lésion professionnelle survenue alors que le travailleur est à son emploi et non pas à ceux attribuables à une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur.
[22] À cet égard, le tribunal écrit dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc.5 :
[54] Ces dispositions démontrent l’objectif clair et compréhensif du législateur de s’assurer que la CSST impute les coûts en fonction du critère de l’imputabilité réelle. Elles ont aussi pour objectif d'assurer l'équité entre les employeurs.
4 Précitée note 2.
5 Précitée note 2.
[nos soulignements]
[27] Depuis, la décision de principe portant sur ce sujet dont fait référence le tribunal dans Groupe CDP inc. précitée, soit l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc., plusieurs autres décisions du tribunal ont été rendues dans le même sens, décisions auxquelles souscrit la soussignée[5]. Sans reprendre en détail les motifs retenus par les juges administratifs qui ont rendu ces décisions, la soussignée croit utile de référer à certains passages de la décision rendue dans l’affaire Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[6] qui précise davantage l’interprétation à donner au 1er alinéa de l’article 326 de la loi. Ces passages se lisent comme suit :
[35] Il appert de ces dispositions que le législateur fait clairement une différence entre les lésions imputables à l’employeur et les lésions antérieures imputables aux autres employeurs. Il est donc tout à fait injuste de faire supporter au présent employeur le coût des prestations déjà imputées à un autre employeur, pour lesquelles la CSST a déjà facturé à cet employeur avec des provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées.
[36] Les dispositions ayant trait au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu font partie d’un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle. Les dispositions quant au financement visent plutôt à imputer les prestations qui sont attribuables aux lésions professionnelles au dossier de l’employeur responsable.
[37] À l’instar de la décision dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils, le présent tribunal se distingue également de la thèse majoritaire en ce qu’une telle interprétation ne tient pas compte du contexte global des dispositions relativement au financement du régime dans son interprétation de la notion de prestations à l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi.
[38] Au surplus, une telle interprétation entraîne un effet pervers allant à l’encontre de l’objectif de réadaptation prévu à la loi. En effet, il est déjà difficile pour un travailleur de se trouver un emploi convenable lorsqu’il a des limitations fonctionnelles. Si on impose un possible fardeau financier à un employeur subséquent en lui imputant les indemnités de remplacement du revenu réduites résultant d’un accident du travail dont il n’est pas responsable, on ne facilitera pas la tâche du travailleur dans la recherche d’un emploi sur le marché du travail.
[nos soulignements]
[28] Par conséquent, le tribunal considère qu’en vertu du principe général d’imputation prévu au 1er alinéa de l’article 326 de la loi, l'employeur doit être uniquement imputé des coûts attribuables à la lésion professionnelle survenue le 17 novembre 2008 alors que le travailleur était à son emploi. Ainsi, seule la portion de l’indemnité de remplacement du revenu déterminée sur la base du salaire annuel brut que le travailleur gagnait chez l’employeur, soit 14 373,84 $, doit être imputée au dossier financier de l'employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par Transport École-Bec Montréal (EBM) inc., l'employeur, le 31 août 2010;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 juillet 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que Transport École-Bec Montréal (EBM) inc. doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Antonio Pizzuco, le travailleur, correspondant au salaire que celui-ci gagnait lorsqu’il a subi un accident du travail chez l'employeur le 17 novembre 2008, soit 14 373,84 $.
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Ann Quigley |
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Me Mélanie Desjardins |
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LE Groupe ACCISST |
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Représentante de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] No de dossier CSST : 126357540.
[3] Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118 ; Hôpital Laval, C.L.P. 353474031-0807, 23 mars 2009, H. Thériault; Groupe C.D.P., C.L.P. 356625-31-0808, 23 juillet 2009, G. Tardif; Nettoyeurs Pellican Inc., C.L.P. 372145-31-0903, 4 août 2009, S. Sénéchal; ARTB inc., C.L.P. 346416-03B-0804, 19 août 2009, R. Deraîche; Fernand Harvey & Fils inc., C.L.P. 382751-31-0907, 17 décembre 2009, R. Hudon; Carquest Canada Ltée, C.L.P. 389155-03B-0909, 29 avril 2010, M.-A. Jobidon.
[4] 2011 QCCLP 2207 .
[5] Comfort Inn par Journey’s end, C.L.P. 406452-07-1003, 19 octobre 2010, M. Gagnon-Grégoire; 2M Ressources inc., C.L.P. 399387-62A-1001, 31 janvier 2011, D. Rivard; Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse), 2011 QCCLP 1741 .
[6] Précitée note 5.
AVIS :
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