Jacques c. Pétroles Therrien inc.

2015 QCCS 1431

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

N° :

200-06-000102-080

 

DATE :

8 avril 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE BERNARD GODBOUT, j.c.s.

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SIMON JACQUES

MARCEL LAFONTAINE

ASSOCIATION POUR LA PROTECTION AUTOMOBILE

 

            Demandeurs

 

c.

 

LES PÉTROLES THERRIEN INC. ET AL

 

            Défendeurs

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

            Tiers-intervenant

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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE POUR PERMISSION D’INTERROGER

L’ENQUÊTEUR-CHEF DU BUREAU DE LA CONCURRENCE ET

ORDONNER À UN TIERS DE COMMUNIQUER CERTAINS DOCUMENTS

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[1]       Les demandeurs, MM. Simon Jacques, Marcel Lafontaine et l’Association pour la protection automobile présentent, conjointement avec les demandeurs dans un autre dossier, M. Daniel Thouin et l’Association pour la protection automobile, une requête pour permission d’interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence et qu’il soit ordonné au Procureur général du Canada, en sa qualité de représentant légal du Bureau de la concurrence, de communiquer aux procureurs des parties une copie complète de tous les enregistrements des communications interceptées et des documents faisant partie du dossier du Bureau de la concurrence dans le cadre de l’enquête « Octane ».

[2]       La demande pour permission d’interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence concerne à la fois le dossier de M. Jacques (no : 200-06-000102-080) et celui de M. Thouin (no : 200-06-000135-114).

[3]       La demande de communiquer les enregistrements des communications interceptées et les documents du dossier d’enquête concerne plus particulièrement le dossier de M. Thouin (no : 200-06-000135-114).

[4]       Bien que ces demandes soient contenues dans une seule requête et aient été plaidées en même temps, deux jugements seront prononcés étant donné qu’elles visent deux dossiers distincts qui, au surplus, ne sont pas rendus à la même étape procédurale.

[5]       Dans le dossier de M. Jacques, les défenses ont été produites.

[6]       Dans le dossier de M. Thouin, la requête introductive d’instance est essentiellement la seule procédure au dossier.

[7]       Alléguant que « [L’] objectif ultime d’un procès, criminel ou civil, doit être la recherche et la découverte de la vérité » (R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S. 1197, paragr. 13) et se prévalant des articles 398 (3), 402 et 1045 du Code de procédure civile, les demandeurs, MM. Jacques et Lafontaine, ainsi que l’Association pour la protection automobile, veulent obtenir l’autorisation :

-       D’assigner l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence et/ou toute autre personne qui pourrait être convenue entre les procureurs des demandeurs et les procureurs du Bureau de la concurrence, pour être interrogé sur tous les faits se rapportant aux litiges dans les présents dossiers judiciaires (nos : 200-06-000102-080 et 200-06-000135-114), incluant les faits se rapportant à l’enquête « Octane ».

[8]       Les défendeurs s’objectent à cette requête, alléguant principalement que :

-       Les demandeurs ont déjà en leur possession plusieurs documents obtenus à la suite d’ordonnances prononcées précédemment;

-       L’objectif que poursuivent les demandeurs d’obtenir une copie complète des enregistrements des communications interceptées et de tous les documents faisant partie du dossier du Bureau de la concurrence dans le cadre de l’enquête « Octane » ne respecte pas les règles de la pertinence et de la proportionnalité énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66 et constitue de plus une « recherche à l'aveuglette »[1].

[9]       Le Procureur général du Canada ajoute pour sa part que, selon l’article 34 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (L.R.C. (1985) ch. C-50) et l’article 7 du Règlement sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (DORS/91-604), l’État n’est pas assujetti à un interrogatoire préalable dans une instance où il n’est pas partie[2].

Analyse

[10]    Les demandeurs se prévalent des articles 398 (3), 402 et 1045 C.p.c. qui prévoit ce qui suit :

398. Après production de la défense, une partie peut, après avis de deux jours aux procureurs des autres parties, assigner à comparaître devant le juge ou le greffier, pour y être interrogé sur tous les faits se rapportant au litige ou pour donner communication et laisser prendre copie de tout écrit se rapportant au litige:

[…]

 3. Avec la permission du tribunal et aux conditions qu'il détermine, toute autre personne.

* * *

402. Si, après production de la défense, il appert au dossier qu'un document se rapportant au litige est entre les mains d'un tiers, celui-ci sera tenu d'en donner communication aux parties, sur assignation autorisée par le tribunal, à moins de raisons le justifiant de s'y opposer.

Le tribunal peut aussi, en tout temps après production de la défense, ordonner à une partie ou à un tiers qui a en sa possession un élément matériel de preuve se rapportant au litige, de l'exhiber, de le conserver ou de le soumettre à une expertise aux conditions, temps et lieu et en la manière qu'il juge à propos.

* * *

1045. Le tribunal peut, en tout temps au cours de la procédure relative à un recours collectif, prescrire des mesures susceptibles d'accélérer son déroulement et de simplifier la preuve si elles ne portent pas préjudice à une partie ou aux membres; il peut également ordonner la publication d'un avis aux membres lorsqu'il l'estime nécessaire pour la préservation de leurs droits.

[11]    Il appert d’un document préparé par le Procureur général du Canada, intitulé Scénarios du Procureur général du Canada de communication du dossier d’enquête « Octane » (pièce R-10)[3], que les demandeurs ont déjà ou auront incessamment en leur possession les documents et enregistrements suivants :

1.    Documents (non caviardés) considérés publics par le Directeur des poursuites pénales (« DPP ») communiqués le 23 novembre 2010 (720 documents - 6 828 pages);

2.    Observations et déclarations statutaires (caviardées) communiquées le 30 avril 2012 (22 documents - 787 pages);

3.    Partie des documents saisis caviardés par le DPP et regroupés sur un cédérom transmis au juge soussigné le 21 juin 2013 (857 documents - 6 564 pages);

4.    Fichiers audio comportant 794 transcriptions d’écoute électronique;

5.    5910 fichiers audio d’écoute électronique dont la communication a été autorisée par l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Pétrolière Impériale c. Jacques (2 777 fichiers restant à transcrire).

[12]    Bref, les demandeurs ont obtenu ou obtiendront incessamment tous les éléments jugés pertinents par le DPP pour lui permettre d’établir une preuve hors de tout doute raisonnable dans le contexte des procédures pénales.

[13]    En matière civile, le fardeau de preuve est moins lourd. Il repose en effet sur la prépondérance des probabilités qui peut comporter une preuve par présomption[4].

[14]    Permettre à ce moment-ci l’interrogatoire de l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence dans le contexte actuel du présent dossier, même s’il se situe au stade exploratoire, ne militerait certes pas à poursuivre l’objectif ultime d’un procès qui, selon la jurisprudence, doit être la recherche et la découverte de la vérité (R. c. Nikolovski, [1996] 3 R.C.S 1197 paragr. 13 et Frenette c. Métropolitaine (La), cie d'assurance-vie, [1992] 1 R.C.S. 647).

[15]    Bien au contraire, il est à ce moment-ci dans l’intérêt des membres du groupe qu’une analyse approfondie des éléments de preuve que leurs procureurs ont et auront incessamment en leur possession soit effectuée eu égard au fardeau de preuve qu’ils doivent rencontrer, soit une preuve prépondérante, avant que ne soient effectuées d’autres démarches préalables s’inscrivant dans le cadre des procédures spéciales d’administration de la preuve prévues au Code de procédure civile.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[16]    REJETTE la requête pour permission d’interroger l’enquêteur-chef du Bureau de la concurrence dans le présent dossier;

[17]    LE TOUT frais à suivre.

 

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BERNARD GODBOUT, j.c.s.

 

Pour les demandeurs

Bernier Beaudry

Paquette Gadler inc.

 

 

Pour les défendeurs

Stikeman Elliott

Davies Ward Phillips & Vineberg

Miller Thomson

Gowlings Lafleur

Olser Hoskin & Hartcourt

McMillan S.E.N.C.R.L.

O'Brien Avocats

Gravel Bernier Vaillancourt

LCM Avocats

Chenette Boutique de Litige inc.

Borden Ladner Gervais

Pateras & Iezzoni inc.

Les avocats Morin & Associés inc.

Me Louis Belleau

Tremblay Bois Mignault Lemay

Lamarre Linteau et Montcalm

Me Jean Berthiaume

Arnault, Thibault Cléroux

Me Roxane Hardy

DeBlois Avocats

Clyde & Cie Canada

Paradis Dionne

Jean Beaudry & Associés

Stein Monast

Chabot & Associés

Roy Gervais Beauregard

Me Claude Brulotte

Monty Coulombe

Me Pierre Lessard

Cöté Carrier et associés

Langlois Kronström Desjardins

Therrien Couture

Belleau Lapointe

Desprès Loiselle Goulet

Plourde Cöté

 

Pour le tiers-intervenant

Me Mariève Sirois-Vaillancourt

 

 



[1]    Plan d’argumentation des défendeurs du 4 février 2015, Me O’Neill (communication du dossier d’enquête), pp.6 à 8 Note et autorités du Procureur général du Canada, 3 février 2015, paragr. 43 à 60

[2]    Notes et autorités du Procureur général du Canada, 9 mai 2013, paragr. 7 à 24

      Notes et autorités du Procureur général du Canada, 3 février 2015, paragr. 39 et 40

[3]    Le Procureur général du Canada a pris soin de noter ce qui suit : Bien que produisant le présent tableau afin de contribuer positivement au processus judiciaire, le Procureur général n’admet aucunement avoir une obligation juridique de communiquer les documents mentionnés, outre les enregistrements visés par l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Pétrolière Impériale c. Jacques (2014 CSC 66), ni d’assurer la transcription des enregistrements dont la transcription n’existe pas.

[4]    2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

     2846. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d'un fait connu à un fait inconnu.

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