Transport TFI 15, s.e.c. |
2012 QCCLP 2215 |
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[1] Le 15 août 2011, Transport TFI 15, S.E.C. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 juillet 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 juillet 2011 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Serge Talon (le travailleur) le 16 février 2011 doit être imputé au dossier financier de l’employeur.
[3] Une audience s’est tenue à Drummondville le 8 mars 2012 en présence de monsieur Gérald Corneau qui représentait l’employeur. Le dossier a été mis en délibéré à la fin de cette audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande que le coût des prestations reliées à l’accident de travail subi par le travailleur le 16 février 2011 soit imputé à l’unité à laquelle appartient le tiers à qui est attribuable ledit accident, et ce, en conformité avec les dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LA PREUVE
[5] Le travailleur occupe un emploi de chauffeur de camion pour le compte de l’employeur depuis 2004.
[6] Le 16 février 2011, le travailleur est victime d’un accident du travail lui causant notamment un traumatisme crânio-cérébral avec commotion cérébrale ainsi qu’une entorse cervicale.
[7] Le travailleur décrit les circonstances de son accident de la façon suivante dans le rapport d’accident qu’il a rédigé :
Le 16 février 2011 vers 11h15, je suis arrivé à l’entrepôt Fréchette situé au 378, route 143 à Val-Joli, QC, pour un chargement de remorque. On m’a assigné la porte no.1. J’ai reculé mon camion et la remorque à cette porte et je suis allé à l’intérieur porter mes clés de camion pour le temps du chargement. De là, je suis resté à l’intérieur dans la salle des chauffeurs. J’ai conversé avec quelques chauffeurs présents.
Quelque temps plus tard, proche de midi, je suis sorti pour aller porter ma tasse vide dans mon camion. Mais à environ dix pieds de la porte d’entrée, j’ai glissé sur la glace car toute l’allée était glacée, et je me suis cogné la tête au sol. Ce fut tout un choc. J’ai essayé de me relever, mais j’en étais incapable, tout était flou autour de moi et mes mouvements étaient au ralenti.
[8] Le 13 avril 2011, le représentant de l’employeur fait parvenir à la CSST une demande de transfert d’imputation en invoquant que l’accident du travailleur s’est produit en raison de la faute d’un tiers. Au soutien de cette demande, il invoque les faits suivants :
Sommairement, à la lecture de l’événement décrit par le travailleur, nous constatons que ce dernier est tombé sur la glace dans la cour d’une entreprise étrangère à Transport Grégoire[2]. Or, nous sommes d’avis qu’il était de la responsabilité de cet employeur de dégager la cour afin qu’elle soit sécuritaire lors des déplacements des travailleurs. Cette action n’ayant pas été faite et l’accident étant directement lié au manque d’entretien de la cour, nous sommes d’avis que l’accident subi par le travailleur n’aurait pas eu lieu n’eut été de cette faute.
[9] Le 27 juin 2011, la CSST demande au tiers sa version des faits relativement à l’accident subi par le travailleur le 16 février 2011. Un représentant de Richard Fréchette inc. répond à cette demande le 8 juillet 2011 et mentionne notamment ceci :
Après enquête, il a été démontré que l’individu a coupé par un raccourci qui permet de réduire le temps pour atteindre les camions. Il est à noter que le passage emprunté ne constitue pas un passage pour piéton. Il s’agit d’un terre-plein relativement incliné.
[…]
De plus, selon l’allégation de l’employeur Transport Grégoire l’accident est dû au manquement d’entretien de la cour, ce qui est totalement non recevable puisque la qualité du dégagement de la cour ne peut être en cause dans la présente. La cour était bien entretenue. Le travailleur blessé a passé sur le terre-plein et non pas dans un endroit pour piéton.
[10] Le travailleur a témoigné devant la Commission des lésions professionnelles lors de l’audience du 8 mars 2012. Le tribunal retient comme pertinents les faits suivants révélés par son témoignage.
[11] Le 16 février 2011, le travailleur commençait sa semaine de travail et se rend donc chercher son camion et sa remorque chez l’employeur situé à Drummondville. Par la suite, il quitte afin de se rendre prendre possession d’un chargement à l’entrepôt Richard Fréchette inc., situé à Val-Joli.
[12] Il explique exercer ses fonctions de camionneur depuis 1996 et se rendre régulièrement à cet entrepôt depuis 1998. Il s’agit d’un entrepôt servant pour l’entreposage de papier fabriqué par la papetière Domtar. Il précise que la cour de cet entrepôt est régulièrement mal entretenue l’hiver et qu’il y a très peu d’abrasifs répandus à cet endroit. Il mentionne avoir d’ailleurs fait une plainte à ce sujet en 2009.
[13] Il précise que lors de son accident, il sortait par la porte des bureaux de l’entrepôt qui donne directement sur le stationnement utilisé par les employés qui travaillent à cet endroit. Il a marché sur l’allée située entre les deux rangées de véhicules stationnés sur une distance d’environ dix pieds et c’est à cet endroit qu’il a effectué sa chute.
[14] Le travailleur nie formellement que sa chute serait survenue alors qu’il traversait un terre-plein incliné comme le prétend le représentant de Richard Fréchette inc., dans sa lettre du 8 juillet 2011. Il mentionne que sa chute est survenue seulement à une dizaine de pieds de la porte et qu’il empruntait alors la seule voie d’accès possible, soit l’allée située entre les deux rangées de véhicules stationnés. Il ajoute que cette allée est régulièrement glissante en raison de l’absence d’épandage de sel ou de sable à cet endroit et que ladite allée est relativement achalandée puisque plus de 50 camionneurs passent à cet endroit chaque jour, ce qui rend la neige compactée et sa surface régulièrement glacée.
[15] Le travailleur précise que la journée de l’accident, la température était relativement clémente pour la saison, que c’était nuageux, mais qu’il y avait absence de précipitations ce jour-là.
[16] Il souligne enfin que le jour de son accident, il portait des souliers de sécurité de marque Royer avec semelles antidérapantes.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[17] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit au transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à l’accident du travail dont a été victime le travailleur le 16 février 2011, en raison du fait que cet accident serait attribuable à un tiers.
[18] Le principe général en matière d’imputation est que c’est l’employeur au service duquel se trouvait le travailleur alors qu’il subit un accident du travail qui doit en supporter les coûts, et ce, en conformité avec les dispositions du premier alinéa de l’article 326 de la loi.
[19] Le législateur a cependant prévu des exceptions à ce principe général et certaines de ces exceptions sont prévues au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Cet article stipule :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[20] Afin de se prévaloir de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi relatif à un accident attribuable à un tiers, l'employeur doit offrir une preuve prépondérante démontrant les quatre éléments suivants :
· Un de ses travailleurs a été victime d’un accident du travail;
· La présence d’un tiers;
· L'accident du travail dont le travailleur a été victime est attribuable à ce tiers;
· Il est injuste de lui faire supporter le coût des prestations dues en raison de cet accident du travail.
[21] Dans la présente affaire, les deux premières conditions sont facilement identifiables puisque le travailleur a été victime d’un accident du travail le 16 février 2011 et que cet accident est survenu alors qu’il se trouvait à l’entrepôt de l’entreprise Richard Paquette inc. Ce dernier est un client de l’employeur et peut donc être qualifié de tiers puisqu’il s’agit d’une personne physique ou morale autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier.
[22] En ce qui concerne la troisième condition, la Commission des lésions professionnelles a eu à de nombreuses reprises à se prononcer sur cette question. Les décisions du tribunal retiennent que l'expression « attribuable à un tiers », à laquelle fait référence l'article 326 de la loi, doit être interprétée dans le sens d’une contribution majoritaire du tiers à la survenance de l’accident du travail[3].
[23] Une formation de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles a d’ailleurs rendu une décision de principe à ce sujet[4]. Dans cette décision, le tribunal constate que sa jurisprudence est relativement unanime en ce qui concerne l’interprétation de l’expression « attribuable à un tiers » et retient que l’accident du travail sera considéré comme étant attribuable au tiers dans la mesure où l’accident en cause est majoritairement attribuable au tiers concerné, sans qu’il soit nécessaire de référer à la notion de responsabilité civile.
[24] Dans la situation où l’accident allégué résulte d’une chute sur la glace, le tribunal est d’avis que la preuve doit démontrer plus que la simple présence d’une plaque de glace, il faut aussi qu’elle démontre un défaut d’entretien ou un entretien inadéquat de la tierce partie, qui expliquerait la chute du travailleur.
[25] En effet, il est évident que la présence de glace au sol ne résulte pas, de prime abord, du fait de la tierce partie. Il s’agit avant tout d’une conséquence du climat québécois où la température peut évidemment chuter sous le point de congélation. La participation majoritaire d’un tiers dans la survenance d’une lésion résultant d’une telle chute doit donc être établie en fonction des actions qu’il a prises pour entretenir les lieux.
[26] Dans le cas qui nous concerne, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’accident du travail subi par le travailleur le 16 février 2011 est attribuable de façon majoritaire au tiers concerné, soit Richard Fréchette inc.
[27] En effet, le tribunal constate que la chute du travailleur est survenue à l’entrepôt de ce tiers et que la preuve est prépondérante pour conclure qu’elle résulte d’un entretien déficient de son terrain durant la saison hivernale. La Commission des lésions professionnelles constate également que l’employeur n’a aucune contribution dans cet accident, puisqu’il ne détient aucune responsabilité en regard de l’entretien que ses clients doivent apporter à leur terrain.
[28] Le tribunal est également d’avis que le travailleur n’est nullement responsable de sa chute, puisqu’il marchait normalement sur le seul chemin d’accès accessible à la sortie des bureaux de l’entrepôt et qu’il portait des chaussures adaptées aux conditions climatiques qui prévalent en hiver au Québec. La Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’elle accorde une grande crédibilité au témoignage offert par le travailleur lors de l’audience, puisqu’il est conforme à la version qu’il avait initialement donnée dans le cadre de sa réclamation auprès de la CSST et en raison du fait qu’il ne retire aucun bénéfice de la décision que peut rendre le tribunal dans le présent litige.
[29] Reste donc pour la Commission des lésions professionnelles à déterminer s’il serait injuste de faire supporter à l’employeur le coût des prestations versées en raison de cet accident du travail qui est attribuable à un tiers.
[30] La Commission des lésions professionnelles est également d’avis qu’il y a lieu de se référer aux principes qui se dégagent de la décision Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[5] à ce sujet.
[31] Dans cette décision de principe, la Commission des lésions professionnelles retient que plusieurs facteurs doivent être considérés pour déterminer de la justesse d’accorder un transfert d’imputation à l’employeur en raison du fait qu’il serait injuste de lui faire supporter le coût des prestations. Elle précise également que chaque cas doit être analysé en fonction des faits qui lui sont propres et qu’en conséquence, il faut déterminer la pertinence et l’importance qui doit être accordée à ces facteurs. À cet égard, elle s’exprime ainsi :
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[341] Aucune règle de droit ne doit être appliquée aveuglément. On ne saurait faire abstraction des faits propres au cas particulier sous étude. C’est au contraire en en tenant compte que le tribunal s’acquitte de sa mission qui consiste à faire la part des choses et à disposer correctement et équitablement du litige déterminé dont il est saisi219.
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219 Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 9 juillet 2006, J.-F. Martel; Entreprise D.F. enr., [2007] QCCLP 5032 .
[32] Depuis que cette décision de principe a été rendue, un large consensus s’est établi au sein des juges administratifs du tribunal, de sorte qu’il y a maintenant quasi-unanimité au sein du tribunal sur l’interprétation de cette exception au principe général en matière d’imputation. Voici comment s’exprimait le juge administratif Clément à ce sujet dans l’affaire Société des alcools du Québec[6] :
[10] Dans un article récent intitulé Obération injuste dans les cas de contribution majoritaire d’un tiers : l’affaire Ministère des Transports et son influence3, les auteures reconnaissent qu’une majorité des juges de la Commission des lésions professionnelles a adhéré aux principes retenus dans l’affaire Ministère des Transports. Selon elles, seulement quatre juges ne se seraient pas rangés derrière la quasi-unanimité de leurs collègues. En réalité, ce sont plutôt trois membres du tribunal qui ont décidé de s’écarter de la décision Ministère des Transports parmi les 78 qui font partie des équipes restreinte et élargie de financement.
[11] En conséquence, on peut parler de quasi-unanimité ou de consensus quasi parfait en cette matière au sein des juges de la Commission des lésions professionnelles.
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3 L. Fournier et M. Lussier dans Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, vol. 303, Service de la formation continue, Barreau du Québec, éd. Yvon Blais, Cowansville, 2009, p. 261 et suivantes.
[33] Considérant l’importance que revêt la cohérence décisionnelle aux yeux du soussigné, c’est sans hésitation que le présent tribunal se rallie à l’interprétation retenue à cet égard dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[7]. Cette cohérence décisionnelle est d’ailleurs largement souhaitée par la Cour suprême du Canada comme nous le rappelait le juge administratif Arsenault dans l’affaire Ambulance St-Amour de Lanaudière enr.[8] :
[34] Au sujet de la cohérence, le juge Gonthier, dans l’affaire Tremblay6, souligne que l’objectif de cohérence répond non seulement à un besoin de sécurité des justiciables, mais également à un impératif de justice. Le même juge, dans l’affaire Consolidated Bathurst7, rappelle que l’issue des litiges ne devrait pas dépendre de l’identité des personnes qui composent le banc. En effet, cette situation serait difficile à concilier avec la notion d’égalité devant la loi. Dans l’arrêt Domtar inc.8, la juge L’Heureux-Dubé, citant quelques auteurs, ajoute que la cohérence décisionnelle est également importante pour l’image du tribunal administratif. Elle contribue à bâtir la confiance du public et laisse une impression de bon sens et de bonne administration alors que les incohérences manifestes ont plutôt tendance à nuire à la crédibilité du tribunal.
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6 Tremblay c. C.A.S. (1992) 1, R.C.S. 952.
7 SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging ltd. (1990) 1, R.C.S. 282.
8 Lapointe c. Domtar inc. (1993) CALP 616 (C.S.C.).
[34] La nécessité de la cohérence décisionnelle au sein de la Commission des lésions professionnelles apparaît également être une préoccupation du législateur, comme nous le rappellent les dispositions de l’article 418 de la loi qui prévoit :
418. Outre les attributions qui peuvent lui être dévolues par ailleurs, le président est chargé de l'administration et de la direction générale de la Commission des lésions professionnelles.
Il a notamment pour fonctions :
1° de favoriser la participation des commissaires à l'élaboration d'orientations générales de la Commission des lésions professionnelles en vue de maintenir un niveau élevé de qualité et de cohérence des décisions;
2° de désigner un commissaire pour agir comme responsable de l'administration d'un bureau de la Commission des lésions professionnelles;
3° de coordonner, de répartir et de surveiller le travail des membres qui, à cet égard, doivent se soumettre à ses ordres et à ses directives;
4° de veiller au respect de la déontologie;
5° de promouvoir le perfectionnement des commissaires quant à l'exercice de leurs fonctions.
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1985, c. 6, a. 418; 1997, c. 27, a. 24.
(nos soulignés)
[35] Pour terminer sur cette question de l’importance que revêt la cohérence décisionnelle, le soussigné reprend à son compte ce que soulignait l’ancien président de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Société des alcools du Québec[9] :
[16] Les vertus de la cohérence décisionnelle ne sont plus à démontrer et ont fait l’objet de nombreux écrits, autant en jurisprudence qu’en doctrine.
[17] Bien que l’indépendance décisionnelle du juge demeure essentielle et primordiale, elle n’est pas incompatible avec la cohérence. Lorsqu’une majorité importante de juges prend une position ou qu’une formation de 3 juges étudie sérieusement une question, n’y a-t-il pas lieu de se soucier par-dessus tout du droit du justiciable de connaître de façon prévisible l’état du droit et de privilégier la cohérence du tribunal et sa collégialité?
[18] Un juge ne décide jamais en son nom propre, mais au nom du tribunal. Il représente son tribunal aux yeux des justiciables et en devient l’alter ego.
[36] Reste donc pour le tribunal d’appliquer au présent dossier les principes retenus dans l’affaire Ministère des Transports[10] et de vérifier si l’employeur a prouvé qu’il serait injuste de lui faire supporter le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur le 16 février 2011.
[37] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles considère que le fait pour un camionneur de faire une chute sur une plaque de glace dans le stationnement d’un client de son employeur fait partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur.
[38] En effet, il apparaît manifeste qu’une proportion importante des employés d’une compagnie offrant des services de transport de marchandises, en l’occurrence les camionneurs, doivent se rendre chez différents clients de l’entreprise pour livrer ou prendre possession de diverses marchandises. Il est également évident qu’ils doivent se déplacer à l’extérieur dans le cadre de leurs tâches habituelles, ce qui implique notamment de marcher dans un stationnement où il est habituel de retrouver des plaques de glaces en hiver, compte tenu des conditions météorologiques qui prévalent au Québec durant la saison froide.
[39] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles ne voit pas comment elle pourrait conclure que l’accident subi par le travailleur le 16 février 2011 ne fait pas partie des risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur.
[40] Pour ces mêmes raisons, la Commission des lésions professionnelles conclut qu’il est plus que probable qu’un tel accident survienne occasionnellement à un camionneur au service de l’employeur, compte tenu du contexte dans lequel un travailleur exerçant une telle fonction accomplit ses tâches et en considérant les conditions d’exercice d’un tel emploi.
[41] Finalement, il reste pour la Commission des lésions professionnelles à analyser les circonstances ayant entouré la survenance du fait accidentel afin de déterminer s’il s’agit d’un cas présentant un caractère extraordinaire, inusité, rare ou exceptionnel qui amènerait le tribunal à conclure qu’il s’agit d’un cas assimilable à un piège ou guet-apens.
[42] La Commission des lésions professionnelles ne voit pas de quelle manière elle pourrait conclure à une situation extraordinaire, inusitée, rare ou exceptionnelle en fonction de la preuve qui lui a été présentée. En effet, la preuve démontre que l’entretien du passage où est survenu l’accident était régulièrement négligé, voire déficient. Le travailleur était au courant de cette situation puisqu’il a témoigné à cet effet devant la Commission des lésions professionnelles. La preuve ne révèle également aucune situation exceptionnelle qui serait survenue le 16 février 2011 et qui pourrait être assimilée à un piège ou guet-apens pour le travailleur, tel un changement brusque et inattendu de l’état de la chaussée en cette journée en raison des conditions climatiques qui prévalaient.
[43] Au contraire, la preuve prépondérante démontre que l’état du passage piétonnier emprunté par le travailleur le 16 février 2011 était similaire à celui que l’on retrouvait à cet endroit de façon habituelle en hiver. Il y avait certes un manque d’entretien à cet endroit, mais cette situation ne peut être qualifiée d’extraordinaire, inusitée, rare ou exceptionnelle.
[44] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure à une situation d’injustice pour l’employeur au sens des principes qui se dégagent de l’affaire Ministère des Transports[11].
[45] En terminant, la Commission des lésions professionnelles tient également à souligner qu’une recherche rapide de la jurisprudence récente rendue par le tribunal et portant sur l’application de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi, dans les cas de chutes survenues sur la glace dans les stationnements, démontre que, de façon majoritaire, le tribunal refuse d’appliquer cette exception. En effet, et sans prétendre que la recherche effectuée par le tribunal est exhaustive, la Commission des lésions professionnelles a répertorié 25 décisions rendues depuis le 1er janvier 2011 portant sur cette question. Parmi ces 25 décisions, 17 refusent d’appliquer l’exception prévue par le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi[12], alors que 8 font droit à une telle demande[13].
[46] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’employeur doit supporter l’ensemble du coût des prestations reliées à l’accident du travail dont le travailleur a été victime le 16 février 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Transport TFI 15, S.E.C., l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 juillet 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Serge Talon, le travailleur, le 16 février 2011 doit être imputé au dossier financier de l’employeur.
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Michel Letreiz |
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Monsieur Gérald Corneau |
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GCO Santé et Sécurité inc. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Notons qu’il est fait référence ici à Transport Grégoire. Dans les faits, Transport Grégoire est la raison sociale sous laquelle l’employeur fait affaire.
[3] Voir notamment : Sécurité Kolossal inc. et Agence métropolitaine de transport, C.L.P. 100174-72-9804, 26 mai 2000, M. Lamarre; Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582 ; Restaurant Chez Trudeau inc. et Foyer Général inc., C.L.P. 192626-62B-0210, 7 avril 2003, M.-D. Lampron; Raynald April inc. et F.F. Soucy inc., C.L.P. 224967-01A-0401, 3 février 2006, L. Desbois; Hôpital Maisonneuve-Rosemont, C.L.P. 362820-62-0811, 15 décembre 2009, J.-F. Clément; Sintra inc. et Hydro-Québec, C.L.P. 361043-62C-0810, 25 mars 2010, C. Burdett; C.H. Régional Trois-Rivières et Belle-Neige 2000, C.L.P. 415865-04-1007, 27 septembre 2010, R. Napert; Groupe Compass (Eurest/Chartwell), 2012 QCCLP 1367.
[4] Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail, [2007] C.L.P. 1804 .
[5] Précitée, note 4.
[6] C.L.P. 361082-71-0810, 29 juillet 2009, J.-F. Clément.
[7] Précitée, note 4.
[8] C.L.P. 305791-63-0612, 15 décembre 2008, J.-P. Arsenault.
[9] Précitée, note 6.
[10] Précitée, note 4.
[11] Précitée, note 4.
[12] Ambulance St-Amour de Lanaudière enr., 2011 QCCLP 1059 ; Coopérative des ambulanciers Mauricie inc. et St-Boniface (Fabrique de la paroisse), 2011 QCCLP 2225 ; Coop. Ambulanciers Mauricie inc. et C.H. Cloutier inc., 2011 QCCLP 2668 ; Expertech bâtisseur de réseaux inc. et Rosdev, 2011 QCCLP 4299; Groupe Compass (Eurest-Chartwell), 2011 QCCLP 4699 ; Centre de santé et de services sociaux d’Antoine-Labelle et Entreprise Martin Gareau enr, 2011 QCCLP 4931; Wal-Mart Canada (commerce détail), 2011 QCCLP 5171; Bombardier Aéronautique inc., 2011 QCCLP 5771; SOS Alarme et téléphone inc. et Acrili J.R. inc., 2011 QCCLP 6129; Gaz Propane Rainville inc., 2011 QCCLP 6402; CTAQ et 9118-9274 Québec inc., 2011 QCCLP 6461; Alimentation Yves Marquis inc. et Société de gestion Cogir II inc., 2011 QCCLP 7617; Magasin Coop de Plessisville, 2012 QCCLP 119; Équipe 4 saisons et Ultramar ltée, 2012 QCCLP 1133; Centre de la petite enfance l’Amibulle, 2012 QCCLP 1235; Groupe Compass (Eurest/Chartwell), 2012 QCCLP 1367; Normandin Transit inc., 2012 QCCLP 1504.
[13] Fairmont Tremblant et Mont-Tremblant (Ville de), 2011 QCCLP 125 ; Humatech inc. et Hôtel-Dieu-du-Sacré-Cœur-de-Jésus, 2011 QCCLP 719 ; Groupe Compass (Eurest/Chartwell), 2011 QCCLP 2967 ; Groupe Aecon ltée, 2011 QCCLP 7720 ; Provigo Québec inc (division Montréal Détail) et 2973-0728 Québec inc. (Marché Guy Patry inc.), 2011 QCCLP 7789 ; CSSS de Thérèse-de-Blainville et Gestion Hutica inc., 2012 QCCLP 1179; Groupe Compass (Eurest/Chartwell), 2012 QCCLP 1353; Zellers inc., 2012 QCCLP 1571.
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