Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Bourgeois et Jardins Ducharme inc.

2015 QCCLP 5320

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Joliette

6 octobre 2015

 

Région :

Lanaudière

 

Dossiers :

569286-63-1503      571644-63-1504

 

Dossier CSST :

141504100

 

Commissaire :

Pierre Arguin, juge administratif

 

Membres :

Luc Dupéré, associations d’employeurs

 

Régis Gagnon, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Diane Bourgeois

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Les Jardins Ducharme inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 569286-63-1503

 

[1]           Le 31 mars 2015, madame Diane Bourgeois (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 mars 2015, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du 10 février 2015 de la travailleuse à l’encontre de la décision du 7 octobre 2014, laquelle déclare qu’il n’y a pas de relation entre le diagnostic d’infarctus et l’événement du 14 septembre 2013.

Dossier 571644-63-1504

[3]           Le 22 avril 2015, la travailleuse dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la CSST rendue le 14 avril 2015, à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision produite par la travailleuse le 4 mars 2015 à l’encontre de la décision du 16 février 2015. Dans sa décision du 14 avril 2015, la CSST déclare qu’elle a épuisé sa compétence en rendant sa décision du 18 mars 2015 « à l’effet d’établir que l’avis médical du 3 novembre 2014 ne constituait pas une demande de révision conforme et que la demande de révision de la travailleuse [du] 10 février 2015 était hors-délai ».

[5]           La travailleuse est présente et représentée à l’audience tenue le 21 septembre 2015 à Joliette. Les Jardins Ducharme inc. (l’employeur) n’est ni présent, ni représenté. L’affaire est mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[6]           La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer recevable la demande de révision qu’elle a produite à l’encontre de la décision rendue par la CSST le 7 octobre 2014.

[7]           Plus particulièrement, elle soutient avoir produit une telle demande dans le délai imparti. Dans la négative, elle plaide avoir démontré un motif raisonnable justifiant la prolongation de ce délai, à savoir l’erreur de sa représentante, notamment.

[8]           Sur le fond du dossier, la travailleuse demande de déclarer que le diagnostic d’infarctus est en relation avec l’événement du 14 septembre 2013.

LES FAITS

[9]           Après analyse de la preuve documentaire et des témoignages de la travailleuse et de sa fille, madame Nancy Laroche, le tribunal retient les faits suivants.

[10]        Le 14 septembre 2013, vers la fin de l’après-midi, la travailleuse, une journalière alors âgée de 59 ans, se blesse gravement au membre supérieur gauche lorsque celui-ci est happé, puis écrasé, dans les rouleaux de désherbage d’une récolteuse d’oignons. La travailleuse profitait de l’arrêt temporaire de cette machine pour enlever l’herbe qui était prise dans le convoyeur lorsque l’opérateur de la récolteuse l’a involontairement actionnée.

[11]        Tandis que la travailleuse perd une grande quantité de sang, un compagnon de travail lui fabrique un garrot. Puis, sans même attendre l’arrivée d’une ambulance, la travailleuse est transportée d’urgence au centre hospitalier régional de Lanaudière afin d’y recevoir les soins appropriés[1].

[12]        Environ deux heures après son arrivée au centre hospitalier, alors qu’elle est traitée pour son bras gauche, la travailleuse subit un infarctus avec fibrillation ventriculaire.

[13]        Les premiers diagnostics posés par le docteur Benoît Maheu sont toutefois ceux de déchirure musculaire et tendineuse de l’avant-bras gauche et de fracture de l’apophyse coronoïde du cubitus gauche[2]. Ces diagnostics sont ensuite régulièrement posés.

[14]        Le 16 septembre 2013, la travailleuse subit une coronographie bilatérale qui est interprétée par le docteur Yannick Cartier, radiologiste, comme illustrant une sténose estimée à 40 % à la jonction des segments proximal et moyen de l’artère coronaire droite et « une sténose difficile à quantifier à la jonction de l’IVA moyenne et distale, mais qui semble de l’ordre de 70 % ».

[15]        Le même jour, questionnée par le médecin de l’unité coronarienne, la travailleuse indique qu’en dépit de l’exercice d’un travail physique à la ferme[3], elle n’a jamais ressenti de douleur thoracique à l’effort, non plus qu’au repos.

[16]        Le 4 octobre 2013, la CSST rend une décision qui accepte la réclamation de la travailleuse pour un accident du travail, dont les diagnostics sont ceux de déchirure musculaire et tendineuse de l’avant-bras gauche et de fracture de l’apophyse coronoïde du cubitus gauche.

[17]        Le 16 octobre 2013, la travailleuse, dont le niveau de scolarité est peu élevé, transmet à la CSST, un document en vertu duquel elle mandate sa fille, madame Nancy Laroche, pour la représenter dans ses rapports avec cette autorité administrative. La fille de la travailleuse n’a toutefois pas d’expérience dans ce domaine, n’ayant jamais elle-même subi d’accident du travail. Néanmoins, elle exécute ensuite diverses démarches administratives pour le compte de la travailleuse.

 

[18]        Par ailleurs, le 21 novembre 2013, la docteure Louise Marie Légaré remplit un rapport médical dans lequel elle indique que la travailleuse a subi une greffe de peau au bras gauche à la suite d’un « crush injury » ». Ce médecin indique aussi que la travailleuse arbore une plaie majeure au bras gauche avec des atteintes multiples aux nerfs, aux muscles et aux tissus mous.

[19]        Dans ce même rapport, la docteure Légaré mentionne que la travailleuse a subi un infarctus avec fibrillation ventriculaire le 14 septembre 2013.

[20]        À la suite de nombreux traitements, dont des chirurgies avec des greffes de la peau, de la physiothérapie et de l’ergothérapie, la lésion professionnelle est consolidée le 21 août 2014 avec une importante atteinte à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles pour le membre supérieur gauche.

[21]        Le 28 août 2014, le médecin conseil de la CSST écarte toute relation entre le nouveau diagnostic d’infarctus et l’événement du 14 septembre 2013. Il s’en explique comme suit :

La pathologie coronarienne présentée par la patiente constitue un diagnostic chronique dont les anomalies préexistaient au trauma. Le Stent posé n’est absolument pas en relation avec le trauma d’aucune façon. La lésion coronarienne préexistait à l’événement principal.

 

[sic]

 

[22]        Le 7 octobre 2014, la CSST rend une décision qui déclare qu’il n’y a pas de relation entre le nouveau diagnostic d’infarctus et l’événement du 14 septembre 2013.

[23]        Dans les jours ayant suivi la réception de cette décision[4], la travailleuse demande à madame Laroche de produire une contestation, car elle considère que l’infarctus qu’elle a subi, le 14 septembre 2013, est relié à l’événement accidentel survenu quelques heures auparavant.

[24]        Le 3 novembre 2014, la fille de la travailleuse se rend donc au bureau de la docteure Légaré afin d’obtenir un rapport qui démontre que l’infarctus subi par la travailleuse est relié à cet événement.

[25]        Le même jour, la docteure Légaré émet une « attestation médicale » qu’elle rédige comme suit :

À qui de droit, Mme Diane Bourgeois a fait un infarctus avec épisode de fibrillation ventriculaire LORS DE SON ACCIDENT du crush injury. Elle est arrivée en fibrillation ventriculaire et transférer d’urgence à l’hôpital Sacré-Cœur où elle a eu une coronographie avec dilatation et STENT. Le traumatisme important et la douleur intense ainsi que le choc hypovolumique provoqué par la perte sanguine sont tous des facteurs ayant contribué à sa fibrillation ventriculaire. On ne peut les dissocier complètement. L’accident de travail est donc relié à son évenement cardiaque.

 

[sic]

 

 

[26]        Le lendemain, soit le 4 novembre 2014, madame Laroche se rend au bureau régional de la CSST pour y porter ce document en vue de contester la décision du 7 octobre précédent.

[27]        Elle témoigne qu’elle croyait alors qu’elle produisait, pour le compte de sa mère, une contestation en bonne et due forme de cette décision. À cet égard, elle ajoute avoir compris de la conversation qu’elle a tenue ce jour-là avec la préposée aux renseignements de la CSST que « tout était OK ». Elle précise qu’à la suite de cette conversation, elle a ensuite rassuré la travailleuse en lui disant « que tout est correct ».

[28]        Le 9 février 2015, la travailleuse et madame Laroche consultent un avocat, à savoir Me André Laporte, au sujet de la détermination des séquelles au bras gauche.

[29]        Le 10 février 2015, ce procureur transmet à la CSST une lettre rédigée la veille dans laquelle il demande à cette autorité administrative de rendre une décision, à la suite d’une révision administrative, en se basant sur le rapport médical émis le 3 novembre 2014 par la docteure Légaré. Cette lettre se lit comme suit :

Nous vous informons que nous représentons les intérêts de madame Diane Bourgeois.

 

Le 4 novembre 2014, notre cliente a contesté à la CSST, via une attestation médicale de son médecin, le contenu de la décision du 7 octobre 2014.

 

Or, malgré le document produit par notre cliente, nous constatons que vous n’avez pas donné suite à la demande de révision. Veuillez considérer l’attestation médicale du 3 novembre 2014 comme une contestation formelle de la décision du 7 octobre 2014 et nous vous demandons de bien vouloir rendre la décision en révision, et ce, le plus rapidement possible.

 

 

[30]        Le 16 février 2015, la CSST adresse à ce même procureur un « accusé de réception » de la lettre de ce dernier et l’informe de ce qui suit :

Nous avons bien reçu votre lettre de contestation du 9 février 2015.

 

Suite à votre demande, nous désirons vous aviser que le document médical de la Dre Louise Marie Légaré du 3 novembre 2014 est un avis médical et ne peut être considéré comme une contestation d’une décision. De plus, il ne répond pas à l’article 358.1 de la LATMP prévu à cette fin.

 

En conséquence, nous ne pouvons acquiescer à votre demande.

 

 

[31]        Le 4 mars 2015, Me Laporte transmet une lettre à la CSST dans laquelle il mentionne avoir été mandaté par la travailleuse « afin de contester la décision rendue le 16 février 2015 ».

[32]        Le 18 mars 2015, la CSST rend une décision, à la suite d’une révision administrative, qui « [d]éclare irrecevable la demande de révision du 10 février 2015 », d’où le litige dans le dossier 569286.

[33]        Dans cette dernière décision, la CSST estime que le document du 3 novembre 2014 doit être considéré « comme étant une information médicale à produire au dossier », plutôt qu’à titre de demande de révision, car même si cette attestation médicale « pouvait répondre aux critères édictés à la loi en exposant brièvement les motifs sur lesquels elle s’appuie ainsi que l’objet de la décision sur laquelle elle porte, […] aucune représentation légale ne fut octroyée par mandat ou procuration conforme tel qu’exigé par la loi ».

[34]        Dans cette décision, la CSST ajoute que puisque l’ignorance de la loi ne peut constituer « un motif permettant […] de relever la travailleuse de son défaut de produire sa demande de révision dans les délais, […] la demande de révision du 10 février 2015 est donc irrecevable ».

[35]        Le 14 avril 2015, la CSST rend une autre décision, à la suite d’une révision administrative, et déclare « irrecevable la demande de révision de la travailleuse » du 4 mars 2015, d’où le litige dans le dossier 571644.

[36]        Dans cette dernière décision, la CSST indique s’être « précédemment prononcé [sic] sur le litige », soit le 18 mars 2015. Elle ajoute ensuite avoir « épuisé sa compétence puisqu’il y a maintenant chose jugée ».

[37]        Lors de son témoignage, la travailleuse nie tout antécédent cardiaque ou diabétique. En outre, elle voyait son médecin de famille annuellement dans le cadre de son suivi habituel et affichait un poids santé.

[38]        Elle indique aussi que son taux de cholestérol était dans les limites de la normale et qu’elle ne consommait pas de médicaments, hormis ceux visant à contrôler sa pression artérielle.

[39]        Elle prenait toutefois du Ventolin de façon quotidienne et fumait depuis longtemps.

[40]        Elle mentionne avoir exercé son emploi prélésionnel, « un emploi physique », pendant 23 ans pour le compte de l’employeur et souligne avoir « perdu la carte » à la suite de son accident du travail.

L’AVIS DES MEMBRES

[41]        Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous deux d’avis que l’attestation médicale produite à la CSST le 4 novembre 2014 ne peut être considérée comme une demande de révision au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la loi).

[42]        Par ailleurs, ces membres sont d’avis que la lettre produite par le procureur de la travailleuse à la CSST, le 10 février 2015, constitue une demande de révision en bonne et due forme. Bien que cette demande soit tardive, ces membres considèrent toutefois que la travailleuse a démontré l’existence d’un motif raisonnable permettant la prolongation du délai de contestation de la décision du 7 octobre 2014 en raison de l’erreur de sa représentante dans l’exécution de son mandat de contestation.

[43]        Sur le fond du litige, ces membres estiment que la travailleuse a démontré, par prépondérance des probabilités, que le diagnostic d’infarctus est relié à l’événement accidentel du 14 septembre 2013.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[44]        Le tribunal doit déterminer si la « demande de révision » de la travailleuse à l’encontre de la décision du 7 octobre 2014 est recevable.

[45]        Dans l’affirmative, le tribunal doit décider si le nouveau diagnostic d’infarctus est en relation avec l’événement du 14 septembre 2013.

La question du délai

[46]        L’article 358 de la loi prévoit ce qui suit en regard du délai prescrit pour demander la révision d’une décision rendue par la CSST :

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.

 

Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

 

[47]        La travailleuse devait donc demander la révision de la décision du 7 octobre 2014 dans les 30 jours de la notification de cette dernière.

[48]        Comme la travailleuse, par le biais de sa fille, a produit à la CSST une « attestation médicale », le 4 novembre 2014, soit dans les 30 jours de la notification de la décision du 7 octobre 2014, il convient donc d’abord de déterminer si ce document constitue une demande de révision au sens de la loi.

[49]        À cet égard, l’article 358.1 de la loi prévoit ce qui suit :

358.1.  La demande de révision doit être faite par écrit. Celle-ci expose brièvement les principaux motifs sur lesquels elle s'appuie ainsi que l'objet de la décision sur laquelle elle porte.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

[50]        Hormis le fait qu’elle doit être faite par écrit, la loi est donc peu exigeante sur la forme que doit revêtir une demande de révision. Aucune formule sacramentelle n’est d’ailleurs requise, pas plus que l’usage d’un formulaire officiel.

[51]        Une simple lettre suffit donc, à condition toutefois qu’elle « expose brièvement les principaux motifs sur lesquels [la demande] s’appuie ainsi que l’objet de la décision sur laquelle elle porte ».

[52]        Or, le document produit le 4 novembre 2014 ne peut être considéré comme une demande de révision au sens de la loi, car même s’il expose des motifs au soutien d’un lien causal entre l’infarctus subi par la travailleuse et l’événement accidentel survenu quelques heures auparavant, il ne fait pas référence, en tant que tel, à la décision litigieuse, ou à son objet.

[53]        Par conséquent, il ne s’agit pas d’une demande de révision au sens de la loi, de l’avis du tribunal.

[54]        Par ailleurs, la lettre transmise par le procureur de la travailleuse à la CSST le 10 février 2015 possède tous les attributs d’une demande de révision puisqu’elle réfère aux motifs sur lesquels la contestation de la travailleuse s’appuie, à savoir ceux énoncés à l’attestation médicale déjà produite le 4 novembre 2014, tout en faisant référence à la décision litigieuse.

[55]        En outre, le procureur de la travailleuse demande spécifiquement à la CSST de rendre une décision, à la suite d’une révision administrative, ce que cette autorité administrative n’avait pas fait jusque-là.

[56]        Certes, ce procureur demandait à la CSST de considérer l’attestation médicale du 3 novembre 2014 comme étant une demande de révision, mais nous venons d’expliquer en quoi tel ne pouvait être le cas.

[57]        Or, cette conclusion n’empêche aucunement de considérer la lettre produite le 10 février 2015 comme étant une demande de révision au sens de la loi, car nous avons également vu qu’elle en possède elle-même tous les attributs.

[58]        De l’avis du tribunal, la lettre du procureur de la travailleuse, produite le 10 février 2015, constitue donc une demande de révision au sens de la loi.

[59]        Bien entendu, cette demande a été transmise à la CSST à l’extérieur du délai de 30 jours de la notification de la décision litigieuse.

[60]        En effet, cette décision a été reçue par la travailleuse dans les jours qui ont suivi le 7 octobre 2014, alors que la contestation faite par son procureur a été produite le 10 février 2015.

[61]        La loi prévoit toutefois que la CSST peut prolonger le délai de contestation de 30 jours, s’il est démontré que la demande de révision n’a pu être faite à l’intérieur de ce délai pour un motif raisonnable :

358.2.  La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

[62]        La loi ne définit pas la notion de « motif raisonnable », mais la jurisprudence énonce que l’analyse porte sur un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion[6].

[63]        Tel est le cas en l’espèce, de l’avis du tribunal.

[64]        En effet, avant même l’expiration du délai de contestation prévu par la loi, la travailleuse a donné à sa fille, qui était déjà sa représentante dans ses rapports avec la CSST, le mandat spécifique de contester la décision litigieuse du 7 octobre 2014.

[65]        Toujours à l’intérieur du délai de 30 jours de la notification de cette décision, cette représentante s’est présentée au bureau du médecin de la travailleuse pour obtenir un document médical qu’elle a produit dès le lendemain à la CSST en croyant sincèrement qu’il s’agissait d’une demande de révision en bonne et due forme.

[66]        En outre, cette représentante a compris, de la conversation qu’elle a tenue le 4 novembre 2014 avec la préposée aux renseignements de la CSST, que la « demande de révision » de la travailleuse était conforme. Elle en a ensuite aussitôt informée cette dernière.

[67]        Il ressort donc de la preuve administrée que la fille de la travailleuse, agissant alors en tant que représentante de cette dernière, a commis une erreur en ne produisant pas, tel que requis, une demande de révision au sens de la loi.

[68]        À cet égard, la jurisprudence établit qu’une partie n’a pas à subir les conséquences de l’erreur de son représentant lorsqu’elle agit elle-même avec diligence[7].

[69]        Or, la travailleuse a fait preuve de diligence en donnant à sa représentante, à l’intérieur du délai imparti, un mandat spécifique de contestation de la décision du 7 octobre 2014.

[70]        En outre, en dépit du fait que l’attestation médicale de la docteure Légaré ne constitue pas une demande de révision au sens de la loi, la production de ce document, le 4 novembre 2014, démontre néanmoins l’intention de la travailleuse de contester la décision litigieuse, et ce, à l’intérieur même du délai de contestation.

[71]        De plus, en étant informée par sa représentante que sa « contestation » avait été produite à la CSST dans le délai imparti et qu’elle était conforme, la travailleuse se trouvait alors rassurée à cet égard, du moins jusqu’à sa consultation juridique du 9 février 2015.

[72]         Dans les circonstances de cette affaire, la travailleuse n’a donc pas à être pénalisée pour l’erreur de sa représentante.

[73]        La travailleuse a donc démontré l’existence d’un motif raisonnable justifiant la prolongation du délai de contestation de la décision du 7 octobre 2014.

[74]        Puisque la demande de révision de la travailleuse du 10 février 2015 est recevable, il y a donc lieu de déclarer sans effet la décision rendue par la CSST, le 14 avril 2015, à la suite d’une révision administrative.

[75]        Il convient également d’examiner si le nouveau diagnostic d’infarctus est en relation avec l’événement accidentel du 14 septembre 2013.

Le fond du litige

[76]        Le tribunal doit donc décider s’il y a relation entre le nouveau diagnostic d’infarctus et l’événement du 14 septembre 2013.

[77]        Bien entendu, il n’y a pas lieu de revenir sur la question de l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse pour un accident du travail survenu ce jour-là, laquelle a déjà fait l’objet d’une décision finale de la CSST rendue le 4 octobre 2013.

[78]        Par ailleurs, le diagnostic d’infarctus est non seulement prépondérant au dossier, mais il n’a pas fait non plus l’objet d’une procédure d’évaluation médicale prévue par la loi, de sorte qu’il lie le tribunal en l’espèce.

 

[79]        Quant à la relation entre les deux, il convient de rappeler que la travailleuse n’affichait pas d’antécédent cardiaque avant le 14 septembre 2013. Certes, elle fumait depuis longtemps, affichait de l’hypertension artérielle, qu’elle contrôlait, et était porteuse d’une condition de sténose coronarienne, mais celle-ci était asymptomatique.

[80]        Or, elle a été victime d’un grave accident du travail ce jour-là qui aurait pu lui faire perdre l’usage complet de son bras gauche.

[81]        Elle a alors subi des lacérations musculaires et tendineuses de l’avant-bras gauche et une fracture ouverte de l’apophyse coronoïde du cubitus gauche qui ont requis des soins et des traitements urgents.

[82]        Non seulement a-t-elle alors perdu une importante quantité de sang, mais il est manifeste que ses systèmes musculaire, circulatoire et nerveux ont alors vécu un choc et un dérèglement importants. En outre, même si elle avait subi une perte de conscience, la travailleuse a nécessairement vécu un stress considérable lors de l’événement et pendant ses traitements reçus ce jour-là.

[83]        Elle a d’ailleurs subi son infarctus de façon concomitante à la survenance de ce grave accident du travail, soit dans les heures qui l’ont suivi et non dans les mois subséquents.

[84]        Comme l’évoque la docteure Légaré dans son attestation médicale du 3 novembre 2014, cet infarctus est manifestement compatible avec cet accident en raison de l’importance du traumatisme, de l’intensité de la douleur et du choc hypovolumique provoqué par la perte sanguine.

[85]        Prétendre que cet infarctus serait plutôt attribuable à la seule condition personnelle de la travailleuse ne résiste pas à l’analyse en l’espèce.

[86]        Il y a donc une relation entre le diagnostic d’infarctus et l’événement du 14 septembre 2013.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 569286-63-1503

ACCUEILLE la requête de madame Diane Bourgeois, la travailleuse;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 mars 2015, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE recevable la demande de révision de la travailleuse du 10 février 2015;

DÉCLARE que le diagnostic d’infarctus est en relation avec l’événement du 14 septembre 2013.

Dossier 571644-63-1504

DÉCLARE sans objet la requête de madame Diane Bourgeois, la travailleuse;

DÉCLARE que la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2015, à la suite d’une révision administrative, est sans effet.

 

 

__________________________________

 

Pierre Arguin

 

 

 

 

 

Me André Laporte

Laporte & Lavallée, avocats inc.

Représentant de la partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]          Un peu plus tard, elle a dû être transférée à l’Hôpital Sacré-Cœur de Montréal.

[2]          En l’occurrence, il s’agit d’une fracture ouverte.

[3]          Elle a exercé cet emploi au cours des 23 années qui ont précédé son accident.

[4]          Le délai de livraison du courrier chez la travailleuse est d’environ une semaine.

[5]           RLRQ, c. A-3.001.

[6]           Purolator ltée et Langlais, C.A.L.P. 87109-62C-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur; Dumais et Modes Cazza inc., 2011 QCCLP 3401.

[7]          Cité de Pont-Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516; Sévigny et Centre de santé et de services sociaux de Laval, [2006] C.L.P. 54; Aspamill inc. et Gmyrek, C.L.P. 321492-71-0706, 30 janvier 2009, L. Crochetière.

 

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