Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2016 QCTAQ 03495
Dossier : SAS-M-230088-1410
PHILIPPE M. GARIÉPY
LOUISE GALARNEAU
c.
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
et
COMMISSION DES NORMES, DE L'ÉQUITÉ, DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (CNESST) (IVAC)
[1] Le requérant conteste une décision rendue en révision le 18 août 2014 par la mise en cause, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC), qui confirmait une décision du 11 juin 2014 refusant la demande de prestations de ce dernier au motif que le crime dont a été victime le requérant, à savoir intimidation, ne figure pas à l’annexe de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels[1].
[2] À l’audience, le 20 janvier 2016, le requérant est présent à l’audience et se représente seul. La partie intimée, la Procureure générale du Québec est représentée par procureure.
[3] En début d’audience, la procureure de la partie intimée précise qu’elle vient de recevoir le rapport policier entourant l’événement et qu’il y aurait un deuxième volet à ce dossier si le Tribunal venait à accueillir la requête du requérant à savoir, que ce dernier a commis une faute lourde au moment des faits.
Les faits
[4] De l’ensemble de la preuve soumise, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.
[5] Le requérant situe l’événement dont il a été victime au mois de juin 2013, plus précisément le 17 juin 2013.
[6] Alors qu’il se trouve seul à son chalet, il fait appel à un service ou agence, qu’il qualifie d’accompagnement. Il sera plus tard précisé qu’il s’agit d’un service d’escorte.
[7] Deux dames se présentent à son chalet, dont l’accompagnatrice, alors que l’autre dame assure le transport. Cette dernière réclame aussitôt que le requérant acquitte la somme de 100 $ des 150 $ convenus et monsieur va acquiescer.
[8] Quelque temps après le départ du chauffeur, monsieur, indisposé par leur retard, va se raviser et exiger que l’accompagnatrice quitte immédiatement les lieux avant que quelque service ne soit rendu.
[9] L’accompagnatrice va alors exiger que le requérant acquitte le solde de 50 $ dû sur la somme convenue, ce que ce dernier va fermement refuser de faire et il va reconduire l’accompagnatrice à un endroit où le chauffeur pourra la retrouver.
[10] Quelques jours plus tard, monsieur va commencer à recevoir des appels téléphoniques répétés et insistants, tant à son bureau qu’à son domicile, de la part de l’accompagnatrice et d’autres personnes lui réclamant quelques milliers de dollars pour maintenir leur silence sur l’événement.
[11] Il se produira également, au cours de la même période, une entrée par effraction au chalet du requérant.
[12] Après avoir initialement catégoriquement refusé, le requérant raconte qu’il a finalement cédé sous la pression des appels et a accepté de verser une somme ne dépassant pas 800 $ aux personnes qui le faisaient chanter. Monsieur va alors faire le nécessaire pour remettre cette somme quelque jour plus tard pour mettre fin à la situation.
[13] Cependant, quelques jours plus tard, l’intimidation et les menaces vont reprendre à l’endroit du requérant de la part de l’accompagnatrice et autres personnes non identifiées afin de lui réclamer à nouveau plusieurs milliers de dollars pour étouffer l’événement du mois de juin 2013. Il aurait également été question de s’en prendre à sa famille.
[14] Cette fois-ci, le requérant va se tourner du côté des policiers pour porter plainte au criminel contre l’accompagnatrice et l’autre dame qui lui avait fait office de chauffeur au mois de juin.
[15] Il est à noter que ces plaintes vont suivre leur cours et les deux dames accusées vont éventuellement plaider coupables au mois de mars 2014 à trois chefs d’accusation à savoir : pour extorsion en vertu de l’article 346(1) du Code criminel[2], pour complot et introduction par effraction en vertu des articles 463 a) et 348 (01) b) du Code criminel et finalement à une dernière infraction n’ayant aucun lien avec l’événement et ne concernant que l’accompagnatrice[3].
[16] Le requérant explique que suite à ces événements, il a perdu son poste […] d’une grande ville, après que les médias se soient emparés des faits entourant l’événement et il s’est retrouvé sans emploi pendant une période de huit mois.
[17] Il ajoute qu’il lui a été très difficile de reprendre une vie normale, familiale et professionnelle et qu’il a dû traverser une période financière très pénible.
[18] Selon monsieur, les événements ont laissé des séquelles, mais il a fini par s’en sortir non sans difficulté.
[19] Il déposera sa demande d’indemnisation auprès de l’IVAC au mois d’avril 2014.
[20] Monsieur précise que par sa demande, il recherche une indemnisation pour la perte salariale qu’il a dû subir suite à l’événement qui a mené à la perte de son emploi et afin de le compenser pour les difficultés encourues afin de regagner sa confiance et reprendre sa vie et le préjudice psychologique causé, se manifestant par une insécurité constante.
Position des parties
[21] La procureure de la partie intimée, répondant d’abord aux allégations du requérant concernant le manque d’écoute des représentants de l’IVAC à ses doléances, soumet qu’il y a eu plusieurs échanges téléphoniques avec monsieur pour recueillir de l’information, qui devait se faire en premier lieu par écrit.
[22] Procédant à rétablir certains faits, Me Jourdain, représentante de la partie intimée, précise que monsieur a recommencé à travailler au mois de mars 2014.
[23] Bien que le requérant insiste sur le fait qu’il n’a reçu aucun revenu de travail pendant plusieurs mois, il est souligné qu’il a touché un montant de 170 378 $ à titre d’indemnité de départ et de transition lorsqu’il a perdu son emploi de […].
[24] Quant au motif principal de refus d’indemnisation, la partie intimée invoque l’article 3 a) de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels qui prévoit que la victime d’un crime, aux fins de la Loi, est une personne qui est victime dans le cadre de la perpétration d’une infraction prévue à l’annexe de la Loi. De l’avis de la partie intimée, il est ici question d’une infraction ne faisant pas partie de cette annexe.
[25] Elle rappelle que les deux dames ont plaidé coupables aux chefs d’infraction d’extorsion, complot et introduction par effraction, qui ne font pas partie de la liste d’infractions énoncées à l’annexe de la Loi.
[26] Comme le requérant a mentionné qu’il avait fait l’objet d’intimidation dans son témoignage et dans sa demande[4], la représentante de l’intimée soumet que l’on retrouve effectivement à l’annexe l’infraction d’intimidation, mais il s’agit de l’infraction précise « d’intimidation par la violence » correspondant à l’article 423 du Code criminel. Il ne s’agit ici, selon la partie intimée, aucunement de l’infraction prévue à la Loi.
[27] Selon la partie intimée, on ne peut dénaturer l’esprit de l’article 423 du Code criminel.
[28] Pour terminer, la partie intimée soumet que le Tribunal n’a pas le choix que de maintenir la décision en révision du 18 août 2014.
[29] La partie intimée réitère que si le Tribunal en venait à faire droit à la requête du requérant, la partie intimée invoquerait ultérieurement que monsieur a commis une faute lourde en l’instance en participant de son plein gré à un geste illicite.
[30] De son côté, le requérant reprend le libellé de l’article 2 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels qui affirme que toute victime d’un crime peut se prévaloir de cette loi et qu’il a bien été victime d’un acte criminel.
[31] Il insiste d’ailleurs sur le fait que les deux protagonistes de sa mésaventure ont plaidé coupables aux actes d’accusation portés contre elle dont pour extorsion, complot et entrée par effraction.
[32] Il ajoute que s’il n’a pas été victime d’intimidation, il ne sait pas de quoi il a été victime. Il ajoute en terminant qu’il y avait de la violence associée à l’intimidation dont il a été victime tout en admettant que les accusations portées ne comportaient pas ces éléments.
[33] Dans le cadre de ses représentations, le requérant s’est adressé au Tribunal afin de réclamer une ordonnance de confidentialité relativement à la décision devant être rendue en l’instance jugeant que rendre public cette décision lui ferait encore plus de tort.
[34] Le Tribunal a rejeté cette demande estimant que le but de la décision n’est pas de nuire à une personne, mais plutôt de relater les faits et de trancher un litige. Par ailleurs, le Tribunal est d’avis que la protection de l’intérêt public n’est pas en jeu dans le présent dossier.
Analyse et décision
[35] Après avoir entendu le témoignage du requérant et les représentations des parties, le Tribunal a pris connaissance des dispositions législatives, le Tribunal doit rejeter le recours du requérant.
[36] Si l’objectif de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels est de permettre à des victimes d’actes criminels de pouvoir bénéficier de certains avantages prévus à la Loi, ne sont pas pour autant admissibles toutes les personnes ayant été victimes d’un acte criminel.
[37] C’est ce qu’énoncent clairement les dispositions de l’article 3 de la Loi qui se lit comme suit :
« 3. La victime d’un crime, aux fins de la présente loi, est une personne qui, au Québec, est tuée ou blessée :
a) acte ou d’une omission d’une autre personne et se produisant à l’occasion ou résultant directement de la perpétration d’une infraction dont la description correspond aux actes criminels énoncés à l’annexe de la présente loi;
b) (…)
c) (…)
(…) »
[nos soulignés pour fin d’emphase]
[38] L’annexe de la loi se lit comme suit :
« […]
ANNEXE
(Article 3)
CODE CRIMINEL
(Lois révisées du Canada (1985), chapitre 46)
Articles Description de l’infraction
65 participation à une émeute
76 détournement d’un aéronef
77 acte portant atteinte à la sécurité de l’aéronef en vol ou mettant l’aéronef hors d’état de voler
78 transport d’armes offensives et de substances explosives à bord d’un aéronef
80 manque de précautions suffisantes avec des explosifs, quand ils causent la mort ou des lésions corporelles
81 le fait de causer intentionnellement des lésions corporelles ou la mort au moyen d’une substance explosive
86 le fait de braquer une arme à feu ou d’user d’une arme à feu de manière dangereuse
153 rapports sexuels avec une personne du sexe féminin âgée de moins de 14 ans ou de moins de 16 ans
155 inceste
180 nuisance publique causant du tort
215 l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence
218 abandon d’un enfant
220 le fait de causer la mort par négligence criminelle
221 le fait de causer des lésions corporelles par négligence criminelle
229 meurtre
234 homicide involontaire coupable
239 tentative de meurtre
244 le fait de causer intentionnellement des lésions corporelles
245 le fait d’administrer un poison
246 le fait de vaincre la résistance à la perpétration d’une infraction
247 trappes susceptibles de causer la mort ou des lésions corporelles
248 le fait de nuire aux moyens de transport
258 (1) conduite dangereuse d’un bateau ou d’un objet remorqué
258 (4) conduite d’un bateau pendant que la capacité de conduire est affaiblie
262 le fait d’empêcher de sauver une vie
265 voies de fait commises au moyen d’un véhicule automobile
266 voies de fait
267 agression armée ou infliction de lésions corporelles
268 voies de fait graves
269 Infliction illégale de lésions corporelles
270 voies de fait pour empêcher l’application de la loi
271 agression sexuelle
272 agression sexuelle armée
273 agression sexuelle grave
279 (1) enlèvement
279 (2) séquestration illégale
343 vol qualifié
423 intimidation par la violence
430 (2) méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens
433 crime d’incendie
436 le fait de causer un incendie si l’incendie entraîne une perte de vie
437 fausse alerte
1971, c. 18, annexe; 1976, c. 10, a. 12; 1985, c.6, a. 503.
[Nos soulignés]
[…] »
[39] Il est permis de constater, dans la liste des crimes énoncés à l’annexe de la loi que le seul crime pouvant se rapprocher de l’infraction dont le requérant a pu être victime c’est celui d’intimidation par la violence de l’article 423 du Code criminel.
[40] Rappelons que dans sa demande d’indemnisation du mois d’avril 2014, le requérant donnait une description succincte des circonstances de l’acte criminel, se résumant à ce qui suit :
« extorsion, complot, entrée dans résidence par infraction (sic), menace, intimidation »
[41] À nouveau, la seule infraction que l’on peut qualifier de proche d’une des infractions prévues à l’annexe de la loi est celle d’intimidation par la violence et le législateur réfère plus précisément au crime prévu à l’article 423 du Code criminel toutefois, en aucun moment le requérant a-t-il décrit dans sa demande des actes de voies de fait ou de gestes physiques posés à son endroit.
[42] Aucun chef d’accusation de cette nature n’a d’ailleurs été porté contre les deux accusées impliquées.
[43] Si l’on examine maintenant de plus près la portée de l’article 423 du Code criminel auquel réfère l’annexe[5], on constate que cette disposition se retrouve dans la section du code intitulée « Violation de contrat, intimidation et distinction injuste envers les syndiqués. »
[44] Or, le présent dossier ne concerne pas du tout une question de violation d’un contrat et encore moins d’intimidation dans le milieu des relations de travail.
[45] Alors, le requérant a beau affirmé que l’objet de la loi est de permettre à des victimes d’actes criminels de bénéficier de certains avantages y prévus, il ne peut pour autant faire fi des paramètres que le législateur a prévu à cette même loi.
[46] Il n’est pas juste pour le requérant d’affirmer qu’il a été laissé pour compte par l’IVAC. En effet, le dossier fait état de nombreux échanges téléphoniques entre l’agente d’indemnisation de l’IVAC et le requérant dans le cadre du suivi de son dossier[6].
[47] La preuve est déterminante, il n’y a jamais eu d’intimidation accompagnée de violence à l’endroit de l’accusé au sens de la loi.
[48] Comme il a été décidé dans une décision récente du Tribunal[7], dans laquelle il était également question d’intimidation par voie de la violence, le Tribunal s’exprimait comme suit :
« 22. Cependant, la mention « par la violence » retrouvée à la loi provinciale d’indemnisation des victimes d’actes criminels fait en sorte que l’on doit être en présence non pas seulement d’intimidation accompagnée de menace(s) d’appliquer la violence, mais qu’il doit y avoir commission d’intimidation accompagnée d’acte(s) ou de geste(s) de violence assimilables à des voies de fait. En effet, rappelons que les crimes de menace de voies de fait ou menaces de voies de fait graves ne sont pas couverts par la loi. En conséquence, pour respecter l’esprit de la loi, il est quelque peu inconfortable de l’entendre autrement. »
[49] Dans ce dossier, le Tribunal ne peut pas non plus passer sous silence le fait que le requérant a été également l’artisan de son propre malheur en initiant de son propre gré les démarches pour contacter l’agence d’accompagnement au mois de juin 2013.
[50] Ainsi, le requérant n’a pas réussi à démontrer que la décision en révision du 18 août 2014 était mal fondée en faits et en droit.
POUR CES MOTIFS, plaise au Tribunal de :
· REJETER le recours du requérant.
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Me Édith Jourdain
Procureure de la partie requérante
[1] RLRQ, chapitre I-6.
[2] L.R.C. (1985), ch. C-46.
[3] Voir onglet du cahier d’autorités de l’intimée.
[4] Voir page 15 du dossier.
[5] Voir onglet 3 du cahier d’autorités de l’intimée.
[6] Voir pages 12 à 14 du dossier.
[7] Voir décision dans l’affaire C…C… le Procureur général du Québec et al., 2015 QCTAQ 12785.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.