Décision

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Gestion immobilière Vong Ka c. 9197-7207 Québec inc.

2014 QCCS 5236

J.D. 2836

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-083770-142

 

 

DATE :

Le 4 novembre 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

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GESTION IMMOBILIÈRE VONG KA

Demanderesse

c.

9197-7207 QUÉBEC INC.

Défenderesse

 

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JUGEMENT SUR LA REQUÊTE

 POUR L’ÉMISSION D’UNE ORDONNANCE DE SAUVEGARDE

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INTRODUCTION

[1]           Un locataire qui fait défaut de payer son loyer peut-il néanmoins demander une ordonnance de sauvegarde afin d’obliger son locateur à faire des réparations ? Voilà la question principale devant le Tribunal.

LE CONTEXTE

[2]           Les parties sont en relation d’affaires depuis de nombreuses années. Gestion Immobilière Vong Ka « Vong Ka » est gérant d’un portefeuille immobilier; 9197-7207 QUÉBEC INC. « 9197 » exploite un magasin au détail, Le Dollar Chanceux, dans un local qu’elle loue de Vong Ka.

[3]           Le bail entre les parties date du 19 juin 2008.

[4]           En 2010, 9197 soulève des problèmes d’infiltrations d’eau.

[5]           Elle allègue que Vong Ka « n’a fait aucune démarche sérieuse pour prévenir l’infiltration d’eau au commerce » depuis la communication de 2010[1].

[6]           Néanmoins, elle attend jusqu’en février 2014, pour signifier une mise en demeure à Vong Ka qui requiert qu’elle procède à des réparations adéquates, à défaut de quoi 9197 ne paiera plus le loyer; pourtant, les témoignages par affidavit démontrent que 9197 ne paie pas de loyer depuis septembre 2013.

[7]           Finalement, en août 2014 Vong Ka réagit à la situation et signifie une requête introductive d’instance où elle réclame la somme de 131 761,35 $ en loyers impayés de même que d’autres sommes. Les arrérages de loyer remontent à 114 515,10 $ au moment de cette demande.

[8]           Les parties se présentent devant le Tribunal le 21 août 2014 sur l’ordonnance de sauvegarde demandée par Vong Ka. Une transaction intervient.

[9]           Jusqu’au jugement final, 9197 s’engage à payer son loyer mensuel le 1er jour du mois, de même qu’une somme de 4 000 $ dans les cinq jours de la transaction.

[10]        La transaction est entérinée par le juge Dugré le 21 août 2004.

[11]        Toutefois, la signature de la transaction ne semble pas avoir eu l’effet de  modifier les pratiques de 9197 au niveau du paiement de son loyer. Le chèque de 4 000 $ est versé en retard. Quant au chèque pour le loyer de septembre, 9197 présente un chèque postdaté au 29 septembre 2014.

[12]        Vong Ka doit donc retourner devant le Tribunal le 3 septembre, et le juge Lalonde prononce une nouvelle ordonnance de sauvegarde où il constate le défaut de 9197 de se conformer à la transaction, mais lui octroie un délai supplémentaire pour faire le paiement de septembre.

[13]        Le chèque pour le loyer d’octobre est postdaté au 6 octobre 2014, mais à la suite de la plainte de Vong Ka, ce chèque est remplacé par un nouveau, tiré d’un compte appartenant à un tiers.

LA DEMANDE DE SAUVEGARDE DE 9197

[14]        Le 20 octobre, à son tour, 9197 produit une demande d’ordonnance de sauvegarde au dossier de la Cour. Les allégations font valoir que 9197 est de nouveau victime d’infiltrations d’eau, et ce, à chaque fois qu’il pleut. Plus précisément, elle allègue que les infiltrations viennent du toit et obtient même une estimation de 48 197 $ pour la réfection du toit. Le Tribunal ne peut passer sous silence que l’estimation en question est datée du 18 août 2014 (pièce R-3).

[15]        Dans le même ordre d’idées, 9197 produit une estimation pour les réparations à l’intérieur qui s’élèvent à la somme de 112 675,50 $. Cette fois l’estimation est datée du 4 août 2014.

[16]        Quoi qu'il en soit, 9197 demande une ordonnance  afin que Vong Ka fasse les réparations qui s’imposent et une qui la dispense de payer son loyer tant et aussi longtemps que les réparations ne seront pas effectuées.

[17]        La preuve produite par 9197 permet de constater que le commerce de 9197 continue d’être affecté par des infiltrations, et ce, depuis le jugement du juge Dugré en août 2014. La preuve, toutefois, ne permet pas de conclure sur la source du problème.

[18]        9197 fait valoir que l’eau vient du toit; Vong Ka rétorque que cela n’est pas le cas, car elle a complètement réparé le toit après les premières plaintes de son locataire et, de surcroit, elle l’a fait inspecter par un couvreur qui a confirmé que le toit n’avait pas besoin d’autres réparations.

[19]        Elle soutient que les deux situations d’infiltrations dont 9197 l’a mis au courant, soit le 6 septembre 2014 et le 12 octobre 2014 proviennent d’un mauvais calfeutrage aux fenêtres, un problème qu’elle a corrigé, et à la suite du renversement d’une importante quantité d’eau par un autre locataire sur un étage supérieur.

DISCUSSION

[20]        Les critères pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde ont fait l’objet d’analyses par les tribunaux à maintes reprises.

[21]        Le Tribunal réfère au jugement du juge Jacques R. Fournier, dans l’affaire Mont-Tremblant (Ville de) c. Courses automobiles Mont-Tremblant inc.[2] Les critères qu’un tribunal doit analyser sont :

• L’urgence;

L’apparence de droit;

Le préjudice sérieux et irréparable;

La balance des inconvénients;

[22]        Le processus d’analyse est expliqué par le juge Fournier en ces termes :

« Le demandeur en injonction doit tout d’abord établir l’apparence de son droit. À ce stade de la procédure, le droit du demandeur est soit clair, contestable ou inexistant. Si le droit est clair, il suffit d’établir un préjudice sérieux ou irréparable pour que son droit à l’injonction s’ouvre. Si le droit n’est qu’apparent, il lui faudra établir, outre le préjudice sérieux et irréparable, que la balance des inconvénients le favorise, c’est-à-dire que la continuation des contraventions alléguées lui cause un plus grand préjudice que celui que subirait le défendeur du fait de l’ordonnance sollicitée. »[3]

[23]        Qu’en est-il dans le présent dossier ?

[24]        L’urgence est très questionnable. En juin 2010, le procureur de 9197 écrit à Vong Ka pour se plaindre des infiltrations. Le 25 février, il écrit une lettre semblable, où il se plaint des infiltrations en janvier qui ont causé une perte de 60 000 $ en marchandise (pièce R-2). Vong Ka est mise en demeure de faire les réparations au toit, réparations qu’elle soutient avoir faites.

[25]        La demande de 9197 coïncide avec une période où elle ne paie pas son loyer, ce qui entraînera le pourvoi de Vong Ka en 2014, ainsi que la transaction homologuée par le juge Dugré, le 21 août 2014.

[26]        La situation actuelle ne semble guère différente de celle que 9197 alléguait en février. Pourquoi est-elle urgente maintenant alors qu’elle ne l’était pas en février. Pourquoi s’entendre au mois d’août sur les obligations respectives des parties pour la durée de l’instance et maintenant demander une ordonnance de sauvegarde en relation avec une situation qui existe depuis au moins février 2014 si on suit la thèse de 9197.

[27]        De surcroit, la preuve devant le tribunal permet de conclure que Vong Ka tente de corriger les problèmes soulevés par 9197.

[28]        L’apparence de droit n’est pas claire non plus, surtout dans le contexte particulier du présent dossier.

[29]        Bien sûr, le locateur est tenu de faire les réparations nécessaires. Mais le locataire est tenu de payer le loyer convenu. Si le locataire estime que le locateur n’a pas fait les réparations qui sont nécessaires, l’article 1867 C.c.Q. établit la procédure à suivre. Le locateur s’adresse au tribunal afin d’être autorisé à les effectuer lui-même et le cas échéant, le tribunal permet au locataire de retenir sur le paiement de son loyer le coût des réparations dont il est redevable.

[30]        L’article 1868 C.c.Q. permet aussi au locataire d’effectuer les réparations urgentes sans l’autorisation du tribunal et de retenir le coût de la réparation de son loyer, et ce, sans l’autorisation du tribunal.

[31]        Toutefois, ce n’est pas ainsi que 9197 a choisi de procéder. Elle informe Vong Ka de la situation en février et laisse traîner la situation. Elle obtient des estimations en août 2014 pour le toit et l’intérieur et ne les communique pas à Vong Ka. Au contraire, en toute connaissance de l’étendue de ces réparations, elle signe une transaction le 21 août 2014, où elle s’engage à payer son loyer.

[32]        Le Tribunal note aussi que l’estimation pour le toit ne comporte aucune information sur l’état du toit, contrairement à l’affidavit de Me Jasmin.

[33]        Bref, dans les circonstances, le Tribunal estime que la démarche de 9197 vise surtout à être dispensée du paiement de son loyer. Vu l’absence d’une preuve probante sur l’étendue des réparations qui sont vraiment urgentes et de leurs coûts, le Tribunal ne peut pas cautionner cette démarche, surtout à la lumière du jugement du 21 août 2014.

[34]        Le préjudice irréparable est aussi questionnable. Bien que 9197 soutient avoir payé la somme de 400 000 $ pour le commerce et que l’état actuel du commerce rend la satisfaction de ces obligations financières impossible, le Tribunal estime que ces éléments ont peu changé depuis le 21 août 2014.

[35]        De surcroit à ce stade des procédures, le Tribunal ne peut conclure que les problèmes financiers soulevés par 9197 sont uniquement causés par l’état physique du commerce.

[36]        Finalement, dans la mesure où 9197 subit des dommages par le défaut de Vong Ka de satisfaire à ses obligations, elle pourra les réclamer dans le cadre de l’action principale.

[37]        Quant à la balance des inconvénients, elle favorise Vong Ka. 9197 n’a pas payé de loyer entre septembre 2013 et le jugement du 21 août 2014. Elle demande à nouveau d’être exemptée de payer le loyer convenu tout en exigeant des réparations majeures. Le Tribunal estime que devant les arrérages de loyer de 114 515,10 $ il serait injuste d’obliger Vong Ka d’encourir d’autres dépenses.

[38]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[39]        REJETTE la requête de la défenderesse pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde;

[40]        FRAIS à suivre.

 

 

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THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

 

Me Marie-Sophie Marceau

Prévost Fortin D’Aoust

Avocate de la demanderesse

 

Me Samil L. Hawa

Sami L. Hawa, Avocat

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience :

Le 22 octobre 2014

 



[1].   Paragraphe 9 de la requête pour l’émission d’une ordonnance de sauvegarde.

[2].   2006 QCCS 3886 (CanLII).

[3].   Ibid, paragr. 8.

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