CSSS du Nord de Lanaudière et Commission de la santé et de la sécurité du travail |
2010 QCCLP 2481 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 11 septembre 2009, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête par laquelle elle demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu’elle a rendue le 28 juillet 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles infirme une décision de la CSST rendue le 17 mars 2009 à la suite d'une révision administrative et déclare que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Johanne Jobidon (la travailleuse) le 14 décembre 2004 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience le 22 février 2010 à Joliette en présence du représentant de la CSST et de la représentante du CSSS du Nord de Lanaudière (l’employeur).
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST prétend que la décision rendue le 28 juillet 2009 comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider. Elle demande de la réviser et de déclarer que les coûts de la lésion professionnelle subie par madame Jobidon le 14 novembre 2004 doivent être imputés à l’employeur.
LES FAITS
[5] Le 15 novembre 2004, madame Jobidon subit une entorse dorsolombaire dans l’exercice de son emploi de préposée aux bénéficiaires chez l’employeur. La CSST reconnaît qu’il s’agit d’une lésion professionnelle.
[6] Elle entreprend des traitements de physiothérapie et à partir du 27 novembre 2004, elle recommence à travailler dans le contexte d’une assignation temporaire. Le 14 décembre 2004, en revenant de ses traitements de physiothérapie, elle est victime d’un accident d’automobile au cours duquel elle subit une entorse cervicodorsale.
[7] À la suite de cet accident, un arrêt de travail est prescrit, ce qui met fin à l’assignation temporaire, mais les traitements de physiothérapie sont poursuivis. La lésion professionnelle est consolidée le 9 février 2005, le médecin traitant concluant à l’absence d’atteinte permanente à l'intégrité physique et de limitations fonctionnelles. Le 17 mars 2005, la CSST décide que madame Jobidon est capable d’exercer son emploi.
[8] Le 14 décembre 2007, par l’intermédiaire de sa représentante, l’employeur présente à la CSST des demandes de partage ou de transfert des coûts de la lésion professionnelle du 15 novembre 2004 en vertu des articles 326 , 327 et 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). En ce qui a trait à l’article 327, elle demande que tous les frais postérieurs à l’accident d’automobile du 14 décembre 2004 ne soient pas imputés à l’employeur.
[9] Le 23 octobre 2008, la CSST refuse les demandes concernant les articles 326 et 329. Elle considère que la demande de transfert en vertu de 326 est irrecevable parce que présentée hors délai et que l’employeur n’a pas démontré que madame Jobidon était une travailleuse déjà handicapée au sens de l’article 329.
[10] L’agente qui rend ces décisions indique aux notes du dossier que la décision concernant l’application de l’article 327 « sera traitée sous peu » après réception d’une décision de la direction régionale.
[11] Le 31 octobre 2008, par l’intermédiaire de sa représentante, l’employeur conteste les deux décisions rendues le 23 octobre 2008.
[12] Le 24 novembre 2008, la CSST rend sa décision concernant l’article 327 et elle refuse la demande de transfert des coûts présentée par l’employeur. Cette décision n’est pas contestée par l’employeur.
[13] Le 17 mars 2009, à la suite d'une révision administrative, la CSST confirme les deux décisions qu’elle a rendues le 23 octobre 2008 concernant les articles 326 et 329. Par l’intermédiaire de sa représentante, l’employeur porte cette décision en appel à la Commission des lésions professionnelles.
[14] L’audience relativement à cette contestation a lieu le 13 juillet 2009 en présence de la représentante de l’employeur. Elle informe le juge administratif que l’employeur ne recherche aucune conclusion concernant les demandes qu’il a formulées en vertu des articles 326 et 329, mais demande plutôt de déclarer que le coût des prestations versées après le 14 décembre 2004 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités et ce, en vertu de l’article 327 de la loi.
[15] Elle ne porte pas à la connaissance du juge administratif que la CSST a rendu une décision sur cette question le 24 novembre 2008.
[16] Dans la décision rendue le 28 juillet 2009, le juge administratif indique que la CSST n’a pas rendu de décision sur la demande de l’employeur parce qu’elle attend une décision de la direction régionale et en l’absence d’une telle décision, il retient la prétention de la représentante de l’employeur voulant qu’il ait compétence pour se prononcer sur la demande de l’employeur.
[17] Après examen de la preuve, il retient que l’accident d’automobile survenu le 14 décembre 2004 a entraîné une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi et il déclare que les coûts des prestations reliées à cette lésion professionnelle, soit ceux des prestations versées après le 14 décembre 2004, doivent être transférés aux employeurs de toutes les unités.
[18] Le 11 septembre 2009, la CSST dépose la présente requête en révision en alléguant que la décision comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.
[19] Son représentant soumet que la Commission des lésions professionnelles n’avait pas compétence pour se prononcer sur le transfert demandé par l’employeur en vertu de l’article 327 parce que la CSST a rendu une décision sur cette question le 24 novembre 2008 et que cette décision n’a pas été contestée.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[20] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 28 juillet 2009.
[21] Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la loi, lequel se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[22] Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.
[23] La requête de la CSST est fondée sur le troisième motif, soit celui qui autorise la révision ou la révocation d’une décision lorsque celle-ci comporte un vice de fond qui est de nature à l’invalider.
[24] La jurisprudence assimile cette notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[2]. En matière de compétence, une simple erreur de la part du décideur constitue un vice de fond qui justifie la révision de la décision[3].
[25] C’est le cas en l’espèce. Il n’y aurait aucune erreur de compétence si, comme le retient le juge administratif, la CSST n’avait pas rendu de décision concernant la demande de transfert d’imputation présentée par l’employeur en vertu de l’article 327 de la loi. En effet, dans le contexte d’un litige portant sur une demande d’application de l’un des articles 326, 327 ou 329, la Commission des lésions professionnelles peut, en vertu de ses pouvoirs de novo, se saisir d’une nouvelle demande concernant l’un de ces articles, même si la CSST ne se s’est pas prononcée sur la question. Cette règle a été reconnue notamment dans la décision Pâtisserie Chevalier[4].
[26] Cette compétence n’existe toutefois pas lorsque la CSST a rendu une décision sur la demande de transfert ou de partage de l’employeur et que, comme dans la présente affaire, cette décision est devenue finale parce qu’elle n’a pas été contestée par l’employeur. C’est ce que rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’extrait suivant de la décision Hôpital Ste-Croix[5] déposée par le représentant de la CSST :
[59] Ainsi, les pouvoirs larges reconnus à la Commission des lésions professionnelles suite à l’affaire Pâtisserie Chevalier ne peuvent cependant avoir pour effet de ne pas tenir compte des décisions ayant acquis un caractère final et irrévocable […]
[27] Lors de l’audience, la représentante de l’employeur a affirmé ne pas avoir agi de mauvaise foi. Il n’en demeure pas moins très déplorable qu’elle n’ait pas pris la peine de vérifier auprès de la CSST si la décision sur la demande concernant l’article 327 avait été rendue, sachant que celle-ci s’apprêtait à rendre cette décision en octobre 2008. Son omission et sa négligence ont induit en erreur le juge administratif, ce qui a conduit à la production de l’erreur.
[28] Il y a donc lieu d’accueillir la requête de la CSST et de réviser la décision rendue le 28 juillet 2009.
[29] En l’absence de preuve et de représentations soumises lors de l’audience initiale concernant le refus des demandes présentées en vertu des articles 326 et 329 de la loi, la contestation de l’employeur doit être rejetée et la décision de la CSST rendue le 17 mars 2009 à la suite d'une révision administrative doit être confirmée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 28 juillet 2009;
REJETTE la requête du CSSS du Nord de Lanaudière;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 mars 2009 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission des lésions professionnelles n’a pas compétence pour se prononcer sur l’application de l’article 327 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Johanne Jobidon le 15 novembre 2004 doit être imputé au CSSS du Nord de Lanaudière.
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Claude-André Ducharme |
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Me Linda Lauzon |
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Monette, Barakett ass. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me David Martinez |
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Panneton Lessard |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] Hêtu et Centre hospitalier Royal Victoria, [2000] C.L.P. 365 ; Bell Canada et Perras, C.L.P. 113778-64-9903, 30 mai 2001, S. Di Pasquale; Dion et Dawcolectric inc., C.L.P. 223276-09-0312, 15 décembre 2004, D. Beauregard; Chaput et Corporation Urgences-santé région Montréal, C.L.P. 276594-62-0511, 31 juillet 2008, M. Zigby; Lalli et 90180407 Québec inc., C.L.P. 320714-62C-0706, 27 janvier 2009
[4] Pâtisserie Chevalier inc., C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal
[5] C.L.P. 236743-04B-0406, 13 juillet 2005, J.-F. Clément
AVIS :
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