Décision

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Gabarit EDJ

Adoption — 1632

2016 QCCQ 6873

   JP1645

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

[...]

LOCALITÉ DE [...]

« Chambre de la jeunesse »

 

N° :

     

505-43-002428-132

 

DATE :

 6 juillet 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

MADAME LA JUGE

VIVIANE PRIMEAU, J.C.Q.

______________________________________________________________________

AU SUJET DE: X

                       

                          Née le [...] 2012

 

 

 

A        

          Requérant

 

et

B

          Mis en cause

 

et

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

          Intervenante

 

et

DIRECTRICE DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE A

          Mise en cause

      _____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]              Le requérant demande le placement en vue de son adoption de l’enfant Y, née le [...] 2012 et de sa sœur, X, née à la même date.

[2]              Le requérant est le conjoint de fait du père biologique des enfants.

[3]              Les enfants sont nées en Inde à la suite d’une procréation assistée réalisée en vertu d’un contrat de mère porteuse[1], daté du 5 février 2012.

[4]              Sous la rubrique : name of mother, le certificat de naissance des enfants délivré en Inde porte la mention : «not known» concernant l’enfant Y et «not stated» concernant l’enfant X.[2]

[5]              Le 11 octobre 2012, la mère porteuse a signé un affidavit dans lequel elle reconnaît cet état de fait.[3]

[6]              Le 3 juillet 2013, monsieur le juge Jean-Pierre Saintonge, alors saisi de cette demande requiert l’intervention de la Directrice de la protection de la jeunesse et désigne d’office un procureur aux enfants.

[7]              Le 10 juillet 2013, la Directrice de la protection de la jeunesse demande que la requête soit signifiée à la Procureure Générale.

[8]              Le 6 août 2013, le dossier sera reporté sine die par monsieur le juge Saintonge puisqu’on est alors en attente d’un jugement de la Cour d’appel sur une question similaire, lequel sera rendu le 19 juin 2014[4].

[9]              À la fin août 2014, le dossier sera reporté afin de permettre l’interrogatoire au préalable du requérant et du père par l’avocate de la Procureure Générale.

[10]           En octobre 2014, le dossier sera à nouveau reporté à la demande de la procureure des requérants puisque celle-ci a l’intention de déposer un avis en vertu de l’article 95 du Code de procédure civile afin que soient déclarés inapplicables constitutionnellement certains articles du Code civil et ce, pour motif de discrimination.

[11]           Cet avis sera signifié le 12 janvier 2015.

[12]           Le dossier est alors fixé au 24 et 25 février 2015 devant la soussignée, date à laquelle la preuve sera entendue.

[13]           À cette même date la procureure du requérant renonce à sa demande présentée en vertu de l’article 95 du Code de procédure civile.

[14]            L’audition sera continuée pour les plaidoiries au 9 juin 2015 puis remise au 10 septembre, la procureure des enfants ayant alors requis une évaluation psychosociale concernant le requérant et le père.

[15]           Ce rapport a été complété le 15 juillet et les plaidoiries seront soumises le 10 septembre 2015.

[16]           Le Tribunal prendra alors la cause en délibéré. Après avoir été informé que la Cour d’appel était à nouveau saisie d’une situation où comme dans le présent cas le nom de la mère n’apparaissait pas à l’acte de naissance de l’enfant, le Tribunal suspend son délibéré jusqu’au prononcé de ce deuxième jugement de la Cour d’appel, rendu le 14 janvier 2016[5].

[17]           Suite à ce jugement, les procureurs seront invités à soumettre un complément d’argumentation, ce que feront les procureurs du requérant et de la Procureure Générale.

QUESTIONS EN LITIGE

[18]           Les questions en litiges sont les suivantes :

·               Les conditions relatives à l’adoption apparaissant à l’article 543 C.c.Q. sont-elles rencontrées du fait que les enfants sont issues d’un contrat de gestation pour autrui réalisé en Inde lequel contrat comporterait plusieurs clauses à l’encontre du droit québécois et de l’ordre public?

·               Dans l’affirmative, l’intérêt des enfants ici concernées doit-il avoir préséance sur l’intérêt public ?

[19]           S’ajoute à ces questions des questions d’ordre subsidiaire puisque le Tribunal a pris sous réserve les objections soulevées par la Procureure Générale concernant le dépôt d’une opinion juridique émise par une avocate indienne (pièce R-14), de même qu’un affidavit (pièce R-15) signé par la mère porteuse le 20 février 2015, dans lequel elle déclare entre autres ne pas avoir d’objection à ce que le conjoint du père adopte l’enfant.

POSITION DES PARTIES

[20]           Le requérant soutient que l’intérêt des enfants doit avoir préséance sur l’intérêt public et qu’à cet égard, la position adoptée par la Procureure Générale accorde une importance démesurée à cet intérêt considérant les jugements rendus par la Cour d’appel dans Adoption - 1445  et Adoption - 161[6].

[21]           Par ailleurs, s’inspirant de la décision rendue par la Cour d’appel dans Adoption - 161[7], la procureure du requérant souligne que l’acte de naissance d’un enfant peut comporter la mention « mère non déclarée » et qu’on ne saurait de ce fait conclure à une fraude de la loi.

[22]           Elle allègue que cette façon de faire est conforme à la pratique en vigueur en Inde afin que les enfants ne se voient pas attribuer une citoyenneté indienne et qu’ainsi elles puissent quitter le pays plus facilement avec leurs parents d’intention, procédure qu’elle estime par ailleurs avalisée par le gouvernement canadien.

[23]           Les avocates représentant la Procureure Générale ont de leur côté invité le Tribunal à ne pas accueillir une telle demande puisque les clauses apparaissant au contrat de mère porteuse seraient, en droit québécois, abusives et contraires à l’ordre public.

[24]           Elles sont d’avis que les faits du présent dossier se distinguent de ceux du dossier de la Cour d’appel dans Adoption - 1445.[8] Le fait que la mère porteuse, par contrat, renonce sous peine de dommages à tous droits à l’égard des enfants à naître est contraire à l’article 2632 du Code civil du Québec qui prévoit que l’on ne peut transiger sur l’état des personnes ou sur les autres questions qui intéressent l’ordre public.

[25]           Bien que tout comme dans Adoption - 161[9], la filiation maternelle n’est pas reconnue, elles soulèvent que des distinctions s’imposent du fait que le processus suivi ressort d’un montage contractuel qui occulte la rémunération et la motivation de la mère porteuse.

[26]           Le fait d’entreprendre la démarche en Inde a, selon la Procureure Générale, permis de contourner des impératifs légaux et porter atteinte à la dignité humaine par l’instrumentalisation du corps de la femme et la marchandisation de l’enfant.

[27]           En définitive, elle conclut que cette démarche va à l’encontre de l’ordre public international relatif à la dignité humaine, à la vie, à la liberté et aux droits à la sécurité de la personne.

[28]           En ce qui a trait à l’intérêt des enfants, elle estime que celui-ci est rencontré du fait que les enfants bénéficient de la filiation établie avec leur père.

[29]           La procureure mandatée pour représenter les enfants s’est positionnée en faveur de l’octroi de la requête en ordonnance de placement, estimant qu’elle répondait à l’intérêt de celles-ci, d’une part et que d’autre part la décision en matière d’adoption se devait d’être prise strictement du point de vue des deux enfants concernées.

[30]           Refuser la demande du requérant reviendrait selon la procureure des enfants à faire porter aux enfants le fardeau et les conséquences des décisions prises par les parents d’intention et leur accorder un traitement discriminatoire en raison du contexte de leur naissance.

[31]           Elle conclut que l’intérêt des enfants exige que l’on dissocie l’adoption des questions contractuelles.

[32]           Elle soutient de plus que devant le vide juridique actuel, malgré les modifications législatives proposées dès 1988, la Cour du Québec, chambre de la jeunesse n’est pas le forum approprié pour faire ce débat.

[33]           Elle conclut donc que l’ensemble des exigences sont remplies afin de permettre le placement en vue d’adoption des enfants d’autant que l’évaluation psychosociale est positive.

[34]            La Directrice de la protection de la jeunesse s’en remet à la décision du Tribunal.

LA PREUVE

[35]           Tel que mentionné précédemment, le requérant est le conjoint de fait du père biologique des enfants. Ils se sont rencontrés en décembre 1996 et forment un couple depuis 2000.

[36]           Vers l’âge de 40 ans, le désir d’enfant s’est manifesté. Il leur apparaissait alors difficile pour un couple de même sexe d’adopter à l’international. Concernant l’adoption québécoise, ils estimaient les délais trop longs et la démarche risquée.

[37]           Ils ont par la suite regardé vers l’Ontario pour l’adoption d’un enfant de cette province. Ils ont alors estimé le délai de jumelage trop long.

[38]           Par la suite, une amie leur a offert de porter l’enfant. Ce projet ne s’est toutefois pas concrétisé.

[39]           Un ami du requérant qui avait de son côté fait affaire avec une clinique en Inde pour utiliser les services d’une mère porteuse leur a fourni la référence d’une clinique de procréation assistée.

[40]           Cette avenue leur est apparue intéressante parce que moins coûteuse qu’une démarche dans un autre pays. Le requérant dit aussi avoir des origines indiennes.

[41]           Le père et le requérant reconnaissent par ailleurs ne pas avoir choisi le Québec sachant qu’un contrat de mère porteuse est considéré comme nul. Ils ont estimé que comme le contrat de mère porteuse était « légal » en Inde, ils ne couraient pas le risque que la mère porteuse refuse de leur remettre l’enfant.

[42]           Ils ont pris contact avec cette clinique et se sont rendus en Inde en octobre 2011.

[43]           Un contrat sera donc convenu par l’intermédiaire de la clinique Rotunda. Ce contrat est un contrat type qui selon le témoignage du père biologique varie dépendant si les parents d’intention sont un couple ou une personne seule.

[44]           Le père précisera ne pas avoir signé le contrat avec le requérant car les couples de même sexe ne sont pas reconnus en Inde.

[45]           Le contrat sera donc signé par lui, la mère porteuse et le conjoint de celle-ci, lequel renonce aussi à tous droits sur l’enfant.

[46]           La mère porteuse et son conjoint apposeront leur signature le jour de l’insémination, soit le 5 février 2012 alors que le père avait signé le contrat lors de son premier séjour en Inde, en octobre 2011.

[47]           Le père versera 30 000, 00$ à la clinique Rotunda. Selon le père, la clinique s’est chargée à même ce montant de payer les frais médicaux, psychologiques, intervenants sociaux, médecins, maison de maternité. Le père a aussi assumé les coûts d’une assurance sur la vie de la mère porteuse, les frais juridiques inhérents à la démarche et les frais d’hôpital.

[48]           Il ignore si une somme d’argent a été versée à la mère porteuse, n’ayant pas eu de confirmation de la clinique à cet égard.

[49]           Il n’est pas non plus en mesure d’indiquer si la mère porteuse a pu avoir accès à une consultation juridique au moment de la signature du contrat.

[50]           En octobre 2011, il y a don de sperme et le père se soumettra à différents examens médicaux.

[51]           Dans un premier temps, le profil de la mère « donneuse d’ovules », sera choisi par le père et le requérant, lequel processus est un processus anonyme.

[52]           Le choix de la mère porteuse sera fait par la clinique Rotunda après avoir jumelé le profil du père à celui de la mère porteuse et de la mère « donneuse d’ovules».

[53]           Suite au don de sperme, deux essais seront tentés, le premier essai n’ayant pas été réussi.

[54]           Le père et le requérant n’ont pas eu de contact avec la mère porteuse mais ils seront régulièrement informés par la clinique Rotunda du déroulement de la grossesse.

[55]           Ils savent par ailleurs que la mère porteuse est mariée et qu’elle a trois enfants. Ses antécédents médicaux et familiaux ont été vérifiés.

[56]           L’accouchement a eu lieu prématurément le [...] 2012, soit une semaine avant la date prévue. Le père n’était donc pas présent.

[57]           Il n’a pas rencontré la mère suite à l’accouchement ni par la suite.

[58]           Suite à la naissance des enfants, soit le 11 octobre 2012, la mère fournira une déclaration assermentée dans laquelle il est fait mention que :

·        Le [...] 2012, elle a donné naissance aux 2 enfants à titre de mère porteuse;

·        Conformément au contrat, elle a remis les enfants au père d’intention, en l’occurrence leur père biologique;

·        Elle n’a pas d’objection à ce que le père quitte l’Inde avec les enfants;

·        Elle a reçu une compensation adéquate de la part de la clinique et elle n’a aucune réclamation de quelque nature que ce soit à faire contre la clinique et/ou le père biologique.

[59]           Par la suite, la mère porteuse ne s’est jamais manifestée, sauf le 20 février 2015, alors qu’elle signe une déclaration assermentée[10] dans laquelle elle affirme entre autres être en accord avec la demande en ordonnance de placement en vue d’adoption formulée par le requérant.

[60]           La Procureure Générale s’objecte au dépôt de cette pièce. Nous y reviendrons.

[61]           À son arrivée en Inde, le père séjournera à l’hôpital quelques jours et sera régulièrement en contact avec les enfants.

[62]           Les démarches en vue de l’enregistrement de la naissance des enfants seront complétées par l’hôpital. Conformément à la pratique en Inde dans de telles situations, le nom de la mère porteuse n’apparaîtra pas au certificat de naissance.

[63]           Il est à noter que si les parents d’intention avaient été un couple marié (homme-femme), c’est le nom de la mère d’intention qui aurait été inscrit.

[64]           Le père indique ne jamais avoir demandé que le nom de la mère porteuse n’y apparaisse pas. Le nom du requérant apparaît par ailleurs dans l’énumération des prénoms.

[65]           À son départ, il laissera par l’entremise de la clinique un cadeau (boucles d’oreille) à la mère porteuse.

[66]           Après leur sortie de l’hôpital, il séjourne avec les enfants et la sœur du requérant dans un hôtel. Celle-ci l’accompagnera pendant 5 semaines. Le père demeurera en Inde pendant environ 2 mois et demi.

[67]           Le requérant le rejoindra dans les dernières semaines.

[68]           Le père rencontrera  par la suite une avocate, la même qui a rédigé l’opinion juridique que le requérant souhaite soumettre en preuve, afin que cette avocate puisse l’aider à obtenir plus rapidement les documents lui permettant de sortir du pays.

[69]           Des démarches seront effectuées par le père auprès de l’ambassade canadienne en Inde en vue d’obtenir un passeport canadien pour les enfants.

[70]           L’ambassade lui demandera de fournir entre autres le certificat de naissance des enfants et le contrat de mère porteuse. Un test d’ADN est aussi exigé par le gouvernement canadien. La pièce R-16 fait état de cette demande.

[71]           Aucune question concernant la mère ne lui est posé. Comme le père est citoyen canadien, la sortie des enfants est autorisée et les passeports émis en novembre 2012.[11]

[72]           Selon le témoignage du père, les exigences depuis auraient toutefois été modifiées puisqu’on exigerait maintenant un visa médical pour la sortie de l’enfant. De plus, un homme seul ne pourrait plus être partie à un contrat de mère porteuse.

[73]           À son arrivée au Canada, il n’a éprouvé aucun problème pour rentrer au pays.

[74]           La preuve révèle par ailleurs que les enfants sont demeurées avec le requérant et le père depuis leur arrivée au Canada.

[75]           Le rapport psychosocial fait état du constat suivant :

Monsieur B et monsieur A sont des personnes stables, responsables et capables d’empathie et d’engagement. Ils sont attentionnés, sensibles et bienveillants envers Y et X. Tous deux ont démontré, depuis la naissance des jumelles, de bonnes capacités parentales envers celles-ci ainsi qu’une bonne capacité d’organisation pour tout ce qui touche la maison, les enfants et le travail. Ils ont aussi un bon réseau pouvant les supporter. Le couple a bien collaboré avec notre service durant le processus d’évaluation; ils ont répondu à nos questions avec honnêteté.

Notre évaluation nous permet sur le plan psychosocial de recommander le projet de monsieur A en vue d’adopter les enfants de son conjoint, monsieur B soit l’enfant Y ainsi que X, toutes deux nées le [...] 2012.[12]

[76]           Le 16 mai 2013, un consentement spécial à l’adoption sera signé par le père en faveur du requérant.

[77]           Tous deux souhaitent l’adoption par le requérant afin qu’une filiation complète soit reconnue aux enfants et qu’en cas de séparation ou de décès, le requérant puisse avoir autant de droits concernant les enfants que le père.

LE DROIT

Les dispositions législatives pertinentes

[78]           La demande en ordonnance de placement d’un enfant en vue de son adoption doit être analysée en vertu des dispositions suivantes du Code civil du Québec:

543.     L’adoption ne peut avoir lieu que dans l’intérêt de l’enfant et aux conditions prévues par la loi.

 

Elle ne peut avoir lieu pour confirmer une filiation déjà établie par le sang.

 

544.       L’enfant mineur ne peut être adopté que si ses père et mère ou tuteur ont consenti à l’adoption ou s’il a été déclaré judiciairement admissible à l’adoption.

 

551.       Lorsque l’adoption a lieu du consentement des parents, les deux doivent y consentir si la filiation de l’enfant est établie à l’égard de l’un et de l’autre.

 

Si la filiation de l’enfant n’est établie qu’à l’égard de l’un d’eux, le consentement de ce dernier suffit.

 

555.       Le consentement à l’adoption peut être général ou spécial. Le consentement spécial ne peut être donné qu’en faveur d’un ascendant de l’enfant, d’un parent en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ou du conjoint de cet ascendant ou parent; il peut également être donné en faveur du conjoint du père ou de la mère. Cependant, lorsqu’il s’agit de conjoints de fait, ces derniers doivent cohabiter depuis au moins trois ans.

 

(nos soulignés)

[79]           Cette analyse doit aussi se fonder sur des dispositions d’ordre plus général concernant les droits de l‘enfant : 

Code civil du Québec :

 

32.     Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.

 

33.     Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

 

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.

 

522.   Tous les enfants dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur naissance.

              Article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant :

 

1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des

institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

 

2. Les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

 

3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié.[13]

 

[80]           Dans le cas sous étude on se doit par ailleurs de considérer l’incidence de d’autres dispositions législatives apparaissant au chapitre du Code civil du Québec traitant de la filiation des enfants nés d’une procréation assistée:

            Code civil du Québec

538.      Le projet parental avec assistance à la procréation existe dès lors qu’une personne seule ou des conjoints ont décidé, afin d’avoir un enfant, de recourir aux forces génétiques d’une personne qui n’est pas partie au projet parental.

541.      Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue.

Loi sur la procréation assistée

3.          Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

« mère porteuse » Personne de sexe féminin qui porte un embryon ou un foetus issu d’une technique de procréation assistée et provenant des gènes d’un ou de plusieurs donneurs, avec l’intention de remettre l’enfant à un donneur ou à une autre personne à la naissance.

 (1)    Il est interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour qu’elle               agisse à titre de mère porteuse, d’offrir de verser la rétribution ou de faire              de la publicité pour le versement d’une telle rétribution.

           (2)    Il est interdit d’accepter d’être rétribué pour obtenir les services d’une            mère porteuse, d’offrir d’obtenir ces services moyennant rétribution ou de              faire de la publicité pour offrir d’obtenir de tels services.

(3)    Il est interdit de rétribuer une personne pour qu’elle obtienne les services      d’une mère porteuse, d’offrir de verser cette rétribution ou de faire de la           publicité pour le versement d’une telle rétribution.

(5)    Le présent article ne porte pas atteinte à la validité, en vertu du droit provincial, de toute entente aux termes de laquelle une personne accepte       d’être mère porteuse.[14]

[81]           Enfin, la Loi sur la protection de la jeunesse prévoit :

 

135.1 Que le placement ou l’adoption ait lieu au Québec ou ailleurs et qu’il s’agisse d’un enfant domicilié au Québec ou non, nul ne peut:

 

a)  donner, recevoir, offrir ou accepter de donner ou de recevoir, directement ou indirectement, un paiement ou un avantage, soit pour donner ou obtenir un consentement à l’adoption, soit pour procurer un placement ou contribuer à un placement en vue d’une adoption, soit pour obtenir l’adoption d’un enfant;

 

b)  contrairement à la présente loi ou à toute autre disposition législative relative à l’adoption d’un enfant, placer ou contribuer à placer un enfant en vue de son adoption ou contribuer à le faire adopter;

 

c)  contrairement à la présente loi ou à toute autre disposition législative relative à l’adoption d’un enfant, adopter un enfant.[15]

 

La jurisprudence

[82]           Depuis que la situation a été soumise au Tribunal, la Cour d’appel du Québec a eu à se prononcer à deux reprises[16] sur des demandes similaires puisque dans chacun  de ces cas on a eu recours à la procréation assistée, l’ovule d’une donneuse anonyme ayant été inséminé avec le sperme du mis en cause chez une femme qui accepte de porter l’enfant.

[83]           Dans le premier cas[17] le nom de la mère de l’enfant apparaissait à l’acte de naissance de celui-ci et un consentement spécial avait été signé tant par le père que par la mère en faveur de la mère d’intention, conjointe du père de l’enfant.

[84]           Après avoir passé en revue la jurisprudence ayant trait à l’adoption d’un enfant issu d’une mère porteuse et considéré la doctrine élaborée sur ce même sujet, la Cour d’appel conclut : 

[61]    Je suis d’avis que l’analyse la plus juste et la plus mesurée des effets de l’article 541 C.c.Q. sur la filiation par adoption est celle que formulait le juge Tremblay dans le dossier Adoption — 09185[71]  il écrivait :

Ainsi l'entente verbale intervenue entre la requérante-adoptante (mère génétique) et le mis-en-cause (père génétique) d'une part, et la mise-en-cause (mère porteuse) d'autre part, est probablement nulle de nullité absolue en regard de l'article 541 du Code civil du Québec. Cela signifie que la requérante-adoptante A et le mis-en-cause B n'auraient pu par exemple obliger la mise-en-cause C à poursuivre sa grossesse si cette dernière avait décidé de l'interrompre. Cela signifie aussi qu'on ne pourrait invoquer l'entente de procréation et de gestation si, dans un autre exemple, la mise en cause C avait refusé de signer un consentement à l'adoption.  Voilà deux exemples qui ont été cités en commission parlementaire lors de l'étude de l'article 541. Mais ce n'est pas de ce genre de questions que j'ai à décider. Il faut décider du statut d'un enfant qui existe et qui a droit au respect intégral de ses droits, notamment ceux prévus aux articles 32, 33 et 34 du Code civil du Québec.  Le tribunal, voyant que l'intérêt d'un mineur était en jeu, aurait pu ajourner la présente instruction afin que l'enfant soit représenté (394.1 C.P.C.), ce qui n'a pas été nécessaire, le présent tribunal siégeant en matière d'adoption étant investi d'office du pouvoir de sauvegarder l'intérêt d'un mineur, tels que le stipulent les articles précités 543, 32, 33 et 34 du C.C.Q. mais aussi implicitement les articles 36.1, 46 et 394.1 du Code de procédure civile du Québec. Il s'agit donc de rendre une décision du point de vue de l'enfant et non du point de vue des personnes qui ont fait, répétons-le, en toute bonne foi et par pur altruisme en ce qui concerne la mise-en-cause, une entente de procréation assistée. 

Cette analyse me semble en parfait accord avec celle de plusieurs auteurs que j’ai cités ou mentionnés plus haut. À mon sens, tel doit être aujourd’hui le régime auquel obéit la demande de placement en vue de l’adoption à la suite d’une maternité de substitution.[18]

 

(références omises)

(nos soulignés)

 

[85]           Dans la deuxième situation[19], la mère porteuse est non déclarée à l’acte de naissance de l’enfant et seul le père consent à l’adoption en faveur de son conjoint.

[86]           Concernant l’absence de filiation maternelle à l’acte de naissance, l’Honorable juge Marie St-Pierre énonce au nom de la Cour d’appel :

 [80]   Seule la mère pouvait déclarer la filiation de l’enfant à son égard (art. 114 C.c.Q.). Aucune autre personne (ni l’accoucheur, ni le Directeur de l’état civil, ni l’intimé, ni quiconque d’autre) ne pouvait le faire à sa place sans son autorisation expresse (art. 114, al. 2 C.c.Q.). Depuis le jour un de sa participation au projet parental, elle avait communiqué sa volonté de ne pas le faire, ce qu’elle a réitéré de façon libre et éclairée à la suite de l’accouchement et sous serment lors de sa comparution devant la juge de première instance.

[…]

[85]    En l’espèce, alors qu’elle a décrit sous serment le rôle qu’elle a joué et réitéré le vœu d’un aboutissement heureux du projet parental de l’appelant et de l’intimé, j’estime qu’il n’y avait pas lieu de conclure, comme l’a fait la juge de première instance, que la demande d’ordonnance de placement pour adoption sur la base du seul consentement de l’intimé était le résultat d’une « démarche illégale et contraire à l’ordre public ».[20]

[87]           La Cour d’appel réitère par ailleurs plusieurs des propos de l’Honorable juge Morissette dans Adoption - 1445  soulignant que cet arrêt met fin « à la controverse jurisprudentielle  concernant l’adoption d’enfants issus de projets parentaux impliquant des mères porteuses »[21].

[88]           Si cette situation s’apparente au cas qui nous est soumis, elle s’en distingue du fait que le recours aux services tant de la mère génitrice que gestatrice s’est fait en Inde par l’intermédiaire d’une clinique de procréation assistée.

[89]           À cet égard la situation présente certaines similitudes avec celle dont monsieur le juge Louis Lacoursière[22] a été récemment saisie non pas en vue de prononcer l’ordonnance en vue d’adoption de l’enfant mais plutôt d’homologuer un jugement rendu en Pennsylvanie.

[90]           Dans cette affaire, les requérants dont l’un d’entre eux est le père de l’enfant a eu recours aux services d’une mère porteuse domiciliée aux États-Unis. Une convention a été signée en vertu des lois de la Californie. La filiation de l’enfant a été établie par jugement en Pennsylvanie.

[91]           La Cour supérieure conclut qu’il y a lieu de donner effet à cette filiation au Québec. Ce jugement précise[23] :

[111]  La Cour d’appel dans l’affaire Adoption - 1445 et de nombreuses autres autorités doctrinales citées préalablement établissent que des conventions de mère porteuse sont conclues non seulement au Québec, mais aussi à l’étranger par des citoyens canadiens. S’il est clair qu’un tribunal ne pourrait donner effet à une telle convention en vertu de l’article 541 C.c.Q., un tribunal peut intervenir afin de statuer sur la filiation des enfants nés à la suite de ces conventions.

[92]           Antérieurement à cette décision, notre collègue, monsieur le juge Louis Grégoire, a aussi eu à se pencher sur cette question. Dans cette affaire, il s’agissait de conjoints de même sexe qui se sont adressés à une agence californienne pour retenir les services d’une mère porteuse. Un contrat avait aussi été conclu et les parents d’intention avaient défrayé les coûts inhérents à cette démarche.

[93]           Cette situation comporte néanmoins une distinction avec celle que nous est soumise puisque la mère porteuse était venue accoucher au Québec et a signé un consentement spécial à l’adoption. Le juge conclut[24] :

[23]    Les auteurs ne sont pas unanimes quant à la légalité de la route empruntée par le requérant. Cependant, certains d’entre eux reconnaissent la validité de cette façon de faire6. C’est avec respect pour l’opinion contraire que le soussigné constate que si le législateur au moment d’amender le Code civil du Québec, (notamment lors des ajouts des articles 539.1 et 578.1) avait voulu exclure le cas actuellement sous étude, il l’aurait exprimé soit aux articles 522, 523 et 541 énumérés ici ou dans le chapitre de l’adoption, ce qui n’est pas le cas. Ainsi la nullité absolue prônée à l’article 541 C.c.Q. n’affecte que les parties contractantes.

(références omises)

[94]           Enfin soulignons que depuis le jugement rendu par la Cour d’appel dans Adoption - 1445[25] d’autres juges de la Cour du Québec ont aussi été saisis de demandes d’ordonnances de placement à l’égard d’enfants nés en Inde, d’une mère porteuse indienne et d’un père québécois[26].

[95]           Tout comme dans le présent cas, une convention de mère porteuse avait été convenue par l’intermédiaire d’une clinique de procréation assistée. Dans ces deux affaires, les requêtes pour ordonnance de placement ont été accueillies.

[96]           Madame la juge Sophie Gravel[27] fonde sa décision sur les considérations suivantes :  

[49]       Le commerce des mères porteuses rémunérées est en plein essor en Inde car les coûts sont peu élevés et le temps d'attente pour les couples est minime.

[50]       Le législateur est soucieux de préserver l'intégrité de la personne et ne pas favoriser la commercialisation, l'exploitation et la chosification de l'enfant.

[51]       Le Code civil du Québec prévoit la nullité absolue des contrats de mères porteuses, mais les tribunaux constatent, que tant au Canada qu’à l’étranger, de tels contrats se forment et sont exécutés. Des enfants naissent donc de mères porteuses qui, souvent, ont été rémunérées.

[52]        Ceci étant dit, le Tribunal doit maintenant décider si les conditions permettant l’ordonnance de placement sont réunies. Il ne lui appartient pas de sanctionner la conduite des parents ou de se prononcer sur la validité d’un contrat, maintenant exécuté.

[53]       Considérant le consentement spécial non équivoque du père biologique en faveur du requérant et le respect des dispositions du Code civil du Québec en matière de consentement spécial, le tribunal considère que les conditions requises pour accorder une ordonnance de placement en vue de l’adoption sont rencontrées.

[54]       En effet, il serait contre l'intérêt de l'enfant de le priver d'une filiation en raison des circonstances de sa naissance ou de sa conception. À l’instar de la décision de la Cour d'appel, il convient de distinguer la question de la validité du contrat de mère porteuse, de l’adoption de l’enfant à naître. En l’espèce, les parents ont eu recours aux ressources de la science médicale pour avoir un enfant et la preuve présentée ne permet pas de conclure à un manque de transparence de leur part à cette fin.

[97]           Monsieur le juge Alain Brillon reprend ce même rationnel[28].

La doctrine

[98]           Les avis des auteurs de doctrine sont partagés concernant la légalité du recours en ordonnance de placement en vue d’adoption à l’égard d’un enfant issu d’une convention par laquelle une femme s’engage à porter un enfant pour le compte d’autrui.

[99]           L’Honorable juge Morissette en fait état dans Adoption - 1445[29]. Néanmoins, dans son analyse, la Cour d’appel retient le point de vue de certains d’entre eux à l’effet que la nullité des contrats de maternité de substitution ne devrait pas avoir d’impact sur le statut de l’enfant.

[100]        Après avoir relevé les préoccupations des auteurs Jean Pineau et Marie Pratte apparaissant dans leur traité sur « La famille », au sujet des conséquences de cette dualité entre le respect de l’ordre public et l’intérêt de l’enfant, l’Honorable juge Morissette énonce[30] :

[53]        Récemment, dans des textes d’excellente tenue, plusieurs autres auteurs se sont prononcés dans le même sens que les Prs Pineau et Pratte, après avoir effectué une étude systématique de la jurisprudence examinée plus haut. C’est notamment le cas de la Pre Giroux dans un article auquel j’ai déjà fait référence55, de même que de la Pre Bureau et de sa coauteure Édith Guilermont56. Un texte plus récent encore, du Pr Benoît Moore, revient sur la question en concentrant l’analyse sur l’article 541 C.c.Q. et son impact sur les cas d’adoption à la suite d’une maternité de substitution57. Selon cet auteur, la nullité prévue par cet article demeure nécessaire pour neutraliser les effets potentiels (et je préciserais, indésirables) des contrats de gestation ou de procréation. Elle est cependant insuffisante pour « porter quelque effet que ce soit sur les tiers, notamment la filiation de l’enfant, objet du contrat58.

(références omises)

[101]        Plus récemment, suite au jugement de la Cour d’appel dans Adoption - 1445[31] la professeure Anne-Marie Savard[32] s’est aussi penchée sur l’état du droit et ses avenues concernant l’établissement de la filiation à la suite d’une gestation pour autrui.

[102]        Elle est d’avis que le recours à l’adoption par voie de consentement spécial pour établir la filiation de l’enfant dans un tel cas peut être contestable, privilégiant plutôt l’établissement de règles dans la section concernant la filiation des enfants nés de la procréation assistée.

[103]        Néanmoins en référant à la Loi sur la procréation assistée et à l’article 541 C.C.Q elle affirme :

Par conséquent, des choix moraux ont été faits en cette matière au pays. Si le législateur fédéral avait voulu interdire la pratique de la gestation pour autrui, notamment pour l’une ou l’autre des raisons évoquées ci-dessus, il aurait pu le faire, comme il l’a fait pour certaines pratiques. Or, il ne l’a pas fait, si bien que la gestation pour autrui constitue une pratique légale au Canada, comme d’ailleurs dans plusieurs autres juridictions, et l’article 541 du Code civil ne saurait modifier cette réalité au Québec[33].

[104]        Dans ce même ouvrage la professeure Mireille D.- Castelli rappelle de son côté la portée du jugement de la Cour d’appel dans Adoption-1445 :

Pour établir un lien de filiation entre le parent d’intention (mère d’intention ou père en cas d’homoparentalité) et l’enfant, il faut donc recourir à l’adoption - laquelle aura lieu par consentement spécial au profit du ou de la conjoint(e) du père déclaré dans cet acte de naissance. Cette possibilité, objet d’opinions diverses aussi bien dans la doctrine que dans la jurisprudence, a été confirmée par la Cour d’appel le 10 juin 2014, et ce même s’il a pu sembler anormal que l’on puisse ainsi donner effet à un contrat frappé de nullité absolue. Mais ainsi que le prévoyait la Professeure Carmen Lavallée, ce n’est pas en vertu de l’application de ce contrat, (point que souligne la juge dans les jugements Adoption - 10329 et Adoption - 10330), mais au nom de l’intérêt de l’enfant qu’est accordée, par le biais de l’adoption par consentement spécial, la filiation à la mère d’intention ou au conjoint du père dans un couple de même sexe ayant formé un projet parental. La preuve de l’existence de ce contrat de gestation ou de procréation est toutefois presque indispensable pour manifester l’accord total et continu des divers intervenants (mère porteuse et parent d’intention)[34].

ANALYSE

[105]        Depuis le prononcé des deux derniers jugements de la Cour d’appel sur le sujet, force est donc de constater que tant en jurisprudence que dans la doctrine, la controverse au sujet de la légalité du recours à l’adoption par voie de consentement spécial semble s’estomper et ce, en dépit du fait que la mère porteuse soit nommément désignée à l’acte de naissance ou pas.

[106]        Qu’en est-il toutefois lorsque la demande en ordonnance de placement fait suite à une convention de gestation par autrui contractée en Inde par l’intermédiaire d’une clinique spécialisée dans ce domaine alors qu’on allègue que plusieurs clauses de ce contrat sont abusives et contre l’ordre public?

Les conditions relatives à l’adoption

[107]        L’article 543 C.c.Q. prévoit que l’adoption d’un enfant ne peut avoir lieu que dans son intérêt et aux conditions prévues par la loi.

[108]         Si comme l’a déjà souligné la Cour suprême, l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe juridique puissant[35], sur lequel nous reviendrons, le Tribunal s’attardera tout d’abord aux conditions prévues par la loi dans le cas d’une demande ayant trait à l’adoption d’un enfant.

[109]         En effet, en matière d’adoption plusieurs auteurs et décisions des tribunaux l’ont déjà souligné[36], l’intérêt de l’enfant ne suffit pas. Les règles prescrites par la loi doivent être respectées en s’assurant du respect des conditions applicables tant à l’adoptant qu’à l’enfant.

Les conditions prévues par la loi

[110]        Quelle portée doit-on donner à l’expression « et aux conditions prévues par la loi » figurant à l’article 543 C.c.Q.?

[111]        Le requérant soutient que tant la loi québécoise que la loi indienne ont été respectées.

·        La loi indienne

[112]        Concernant le respect des règles entourant la gestation pour autrui en Inde il  soumet à cet effet une opinion juridique[37] d’une avocate indienne.

[113]        La Procureure Générale s’oppose au dépôt de cette opinion invoquant que celle-ci ne rencontre pas les exigences de l’article 2809 C.c.Q. d’une part et que d’autre part cette avocate n’a pas l’indépendance nécessaire pour agir comme expert ou jurisconsulte puisqu’il s’agit de la même firme qui a agi en vue de l’obtention du certificat de naissance des enfants auprès des autorités indiennes.

[114]        La procureure des enfants soutient qu’une partie de cette opinion devrait être retenue. Cette avocate n’est pas celle qui a rédigé le contrat de mère porteuse (R-3) ni les affidavits déposés sous la cote R-4;  elle n’a agi qu’après la naissance des enfants afin de supporter le père pour l’obtention des certificats de naissance.

[115]        Le Tribunal, après avoir considéré les pièces R-9, R-10 et R-11, lesquelles font état non pas de la loi mais bien des pratiques entourant la maternité de substitution en Inde constate qu’une partie de l’opinion juridique de cette avocate correspond à ce qui apparaît dans ces documents et que tant le contrat de mère porteuse que le processus suivi dans le présent cas est, à plusieurs égards, conforme à ce qui y est mentionné.

[116]        Bien qu’il lui accorde une faible valeur probante, le Tribunal retiendra donc de cette opinion que les éléments qui correspondent aux documents déposés sous la cote R-9, R-10 et R-11. Le Tribunal exclut néanmoins l’analyse qui en est faite en lien avec les faits de la cause, cette responsabilité étant du ressort du Tribunal.

[117]        Le Tribunal retient donc les aspects de la preuve soumise à cet égard:

·        Au moment de la démarche réalisée par le mis en cause et le requérant il y avait absence de loi en Inde concernant la maternité de substitution, cette pratique était plutôt encadrée par les lignes directrices préparées par l’ICMR (Indian Council of Medical Research)[38];

·        Les cliniques de procréation assistée en Inde (ART) sont régies par des règles d’éthique[39] ;

·        La Cour suprême de l’Inde aurait reconnu que les contrats de mère porteuse sont valides, lient les parties et sont exécutoires en vertu de l’Indian contract Act, 1872. Cette décision n’a toutefois pas été produite;

·        Au moment où le mis en cause et le requérant ont procédé aux démarches, un projet de loi sur la réglementation et la surveillance de la gestation pour autrui était sous étude;

·        Ce projet prévoit que l’enfant né d’une mère porteuse est l’enfant du ou des parents(s) d’intention et non celui de la mère porteuse;

·        Il y est aussi prévu que la mère porteuse devra renoncer à tous les droits parentaux, lesquels sont attribués aux parents d’intention dont les noms apparaîtront sur l’acte de naissance de l’enfant. L’enfant n’aura donc pas la citoyenneté indienne;

[118]        De l’ensemble de cette preuve, le Tribunal retient donc que le certificat de naissance d’un enfant né d’une mère porteuse est émis avec la mention « Mère non déclarée ».

[119]        Essentiellement, le processus suivi dans le présent cas semble correspondre à ce qui est recommandé par ce projet de loi. L’absence d’une filiation maternelle sur l’acte de naissance n’est pas attribuable à une demande en ce sens du requérant ou du mis en cause.

·        La loi québécoise

[120]        La Procureure Générale soutient que l’expression « et aux conditions prévues par la loi » ne se limite pas aux dispositions apparaissant au chapitre de l’adoption. Elle allègue qu’on réfère ici à l’ensemble des dispositions législatives pertinentes ayant cours au Québec et au Canada.

[121]        Au soutien de cette prétention, elle ajoute que lorsque le législateur veut référer à une section particulière du Code civil il le précise en employant l’expression « prévu au présent chapitre ou à la présente section ».

[122]        Elle réfère donc à certaines dispositions du Code civil et de la Charte des droits et libertés de la personne, notamment au droit à l’autonomie et à l’intégrité de la mère porteuse qui se trouve enfreint par certaines clauses du contrat, à la renonciation par les parties au contrat, à toute responsabilité de la part de la clinique Rotunda et à la renonciation de la mère porteuse à être mère, ce contrairement à l’article 2632 C.c.Q.[40].

[123]        De plus, elle allègue le rapport de déséquilibre des parties à ce contrat compte tenu de la possible motivation économique de la mère porteuse à y adhérer.  

[124]        Elle soutient que le mis en cause et le requérant en ayant fait le choix de se rendre en Inde pour obtenir les services d’une mère porteuse ont contourné délibérément la loi québécoise, alors que plusieurs clauses du contrat de gestation sont abusives et contraires à nos principes juridiques et à l’ordre public.

[125]        En agissant ainsi, ils ont, selon elle, contourné des impératifs légaux et porté atteinte à la dignité humaine, à l’instrumentalisation du corps de la femme et la marchandisation de l’enfant.

[126]        Au sujet de la prétention à l’effet que les conditions prévues par la loi pour octroyer l’adoption d’un enfant ne réfèrent pas strictement à celles apparaissant au chapitre de l’adoption, soulignons que cet aspect n’a pas été considéré par la Cour d’appel dans Adoption - 1445[41]. En effet, la note 82 apparaissant à ce jugement précise concernant l’article 541 C.c.Q :

      À ce sujet, il n’est pas sans intérêt de noter qu’à l’origine l’article 541 se trouvait dans la section III (« De la procréation médicalement assistée ») du Chapitre Premier (« De la filiation par le sang ») du Titre deuxième (« De la filiation ») du Livre deuxième (« De la famille ») du Code civil du Québec. L’article énonçait à l’époque : « Les conventions de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui sont nulles de nullité absolue. » Le législateur est intervenu en 2002 par la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6, pour apporter de substantielles modifications au Code, à la suite desquelles l’article 541 dans sa nouvelle version (« Toute convention par laquelle une femme s’engage à procréer ou porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue. ») se retrouve au Chapitre Premier.1 (« De la filiation des enfants nés d’une procréation assistée ») du Titre deuxième (« De la filiation »). En somme, cette disposition n’a jamais fait partie du Chapitre deuxième (« De l’adoption ») du Titre deuxième du Livre deuxième du Code. Ces considérations de structure ont leur importance dans une codification du droit civil et il s’ensuit que l’article 541 ne constitue pas une quelconque « condition prévue par la loi » au sens de l’article 543.[42] 

 

(nos soulignés)

 

[127]        De plus, l’Honorable juge Morissette[43] en référant à cette note conclut :

 [59]   […] Étant nul de nullité absolue, le contrat de mère porteuse contrevient à une règle que le législateur a située dans le champ de l’ordre public de direction. Les conséquences d’un tel choix sont graves et le contrat ne peut en aucun cas avoir d’effet obligatoire. Mais cela ne signifie pas qu’ipso facto, tous ses effets, même indirects, même sur des tiers, doivent être combattus à tout prix par le droit. L’enfant, ici, est un tiers, il est plus qu’un objet.

[…]

[70]    […] La notion d’ordre public a certes un champ d’application nécessaire dans ce domaine : ainsi, la marchandisation ou chosification de la personne humaine est une tendance à laquelle le droit doit résister. Mais invoquer cette notion d’ordre public venue du droit des obligations dans le contexte précis d’un dossier comme celui-ci lui prête une portée qu’elle n’a pas - elle n’a pas ce caractère souverain et péremptoire.

[128]        Si on peut, en prenant en considération les différentes études soumises, s’interroger sur l’aspect moral et éthique du commerce entourant les contrats de gestation pour autrui en Inde, il ne nous appartient pas comme le souligne notre collègue Madame la Juge Sophie Gravel[44] de sanctionner la conduite des parties à ce contrat qui est aujourd’hui exécuté.

[129]        La Cour d’appel nous rappelle[45] :

Le projet parental de l’appelante et de son conjoint comportait de sérieux risques juridiques, amplement mis en lumière dans les sources que j’ai citées plus haut. Par ailleurs, même si dans la jurisprudence actuelle et publiée l’on ne trouve aucun exemple de poursuite criminelle ou pénale en vertu de la LPA, cette loi est bel et bien en vigueur et elle prévoit de graves sanctions dans les cas de maternité de substitution rétribuée. Il est essentiel qu’avant de s’engager sur la même voie que l’appelante et son conjoint, les parties à un tel projet soient pleinement informées des aléas qu’il recèle ainsi que de la nécessité de se conformer aux dispositions de la LPA et de la LPJ. Il m’apparaît nécessaire de le rappeler car le dossier du pourvoi, tel qu’il est constitué, laisse planer certains doutes quant à la teneur et la suffisance de l’information mise à la disposition des intéressés par les médecins ou éthiciens qu’ils ont consultés. Cela dit, en l'espèce, il importe peu que la mère porteuse ait ou n'ait pas été rémunérée[79]. Dans le contexte d'une requête pour une ordonnance de placement en vue de l'adoption, c'est l'intérêt de l'enfant qui prévaut et non les circonstances de sa naissance. Il revient aux autorités compétentes de voir à la sanction des actes illégaux selon la LPA, ce n’est pas au tribunal saisi de la requête pour l'ordonnance de placement de l'enfant qu’incombe cette responsabilité.

(références omises)

(nos soulignés)

 

[130]        De plus, bien que ce contrat pourrait être déclaré nul et à l’encontre de certaines dispositions de notre droit, il ne vient pas mettre en doute la bonne foi du requérant et du mis en cause qui ont agi avec transparence dans un pays où ils ont estimé que c’était permis tout en se conformant aux pratiques en vigueur en Inde.

[131]        Ils n’ont pas non plus cherché à cacher qu’ils ont procédé par contrat de gestation via une clinique de procréation assistée (ART) à qui ils ont versé une somme d’argent. D’ailleurs, les documents au soutien de leurs démarches ont été déposés en preuve.

[132]        Ceux-ci n’ont jamais voulu écarter la mère porteuse du processus. Ils ont répondu à une exigence du pays qui visait entre autres à procurer la citoyenneté canadienne aux enfants.

[133]        D’ailleurs, le rapport psychosocial[46] et les témoignages du mis en cause attestent de leur volonté de ne pas cacher la vérité aux enfants et de les accompagner dans leurs démarches dans l’éventualité où elles voudraient retrouver leur mère.

[134]        Par ailleurs, il nous faut considérer que cette pratique est reconnue par le gouvernement canadien qui exige avant d’autoriser la sortie de l’enfant né à la suite d’un contrat de gestation pour autrui en Inde que soit entre autres déposé : « Surrogacy Agreement with a copy » et « Letter from the doctor involved with the Surrogacy programme »[47].

·        Les consentements requis

[135]        Dans le présent cas, la filiation attestée par l’acte de naissance de l’enfant est établie seulement à l’égard du père.

[136]        Le père et le requérant cohabitent ensemble depuis plus de 3 ans soit depuis 2000, ce qui répond à l’exigence de l’article 555 C.c.Q.

[137]        Le consentement du père en faveur de son conjoint a été valablement donné conformément aux articles 547, 548 et 551 C.c.Q.

[138]        Dans le cas qui nous occupe les noms tant de la mère génitrice que de la mère gestatrice ne figurent pas à l’acte de naissance de l’enfant.

[139]        Conformément à l’article 555 C.c.Q. et à l’interprétation donnée récemment par la Cour d’appel[48] en pareil cas, le consentement de la mère porteuse n’est pas requis puisque sa filiation n’est pas reconnue à l’acte de naissance.

[140]        Dans cette affaire[49], il est fait mention que la mère porteuse avait librement choisi de ne pas déclarer sa filiation.

[141]        Peut-on avoir la même prétention dans le présent cas considérant les clauses du contrat de gestation dont notamment la renonciation par convention à déclarer sa filiation et à exercer quelques droits et devoirs envers l’enfant[50].

[142]         Néanmoins, deux déclarations sous serment l’une datées du 11 octobre 2012 et une autre plus récente du 20 février 2015 dans laquelle la mère porteuse se dit en accord avec la démarche du requérant ont été invoquées par celui-ci.

[143]        Si la première déclaration n’a pas soulevé d’objection relativement à son dépôt au soutien de la requête, la Procureure Générale s’est objectée au dépôt de cette deuxième déclaration au moment du témoignage du requérant, alléguant qu’il lui sera impossible d’interroger la mère porteuse et de savoir dans quelles circonstances cette déclaration a été donnée.

[144]        Bien que le consentement de la mère porteuse ne soit pas nécessaire considérant qu’elle n’est pas identifiée à l’acte de naissance de l’enfant, le dépôt de cette deuxième déclaration ne peut être autorisée considérant que les parties n’ont pas été avisés préalablement du dépôt de cet avis. La pièce R-14 ne sera donc pas considérée.

[145]        La Procureure Générale émet par ailleurs certaines réserves relativement à la validité du consentement de la mère porteuse tant celui donné au contrat que sur sa première déclaration assermentée. Elle soutient qu’il ne serait pas libre, volontaire et éclairé et possiblement donné en raison de contraintes économiques.

[146]        Il est bien connu que le tourisme reproductif a cours en Inde depuis déjà quelques années. Le recours commercial aux mères porteuses se fait par le biais de cliniques ou agences.

[147]        Toutefois, les doutes entretenus concernant la validité du consentement de la mère porteuse reposent d’une part sur des hypothèses et d’autre part nous réitérons qu’il ne nous appartient pas dans le contexte du processus d’adoption de sanctionner les personnes qui ont eu recours à ce procédé. 

[148]        S’il est vrai que plusieurs clauses du contrat sont sans doute susceptibles d’être déclarées nulles et non exécutoires, cela ne devrait pas faire obstacle au processus d’adoption, comme le souligne la professeure Giroux :

Cela dit, s’il peut être justifié de ne pas reconnaître la validité des conventions de procréation ou de gestation, il ne nous semble pas acceptable de sanctionner les parties y ayant eu recours en les empêchant de régulariser leur situation au moyen de l’adoption. Une telle position, nous y reviendrons dans la deuxième partie, équivaut à faire porter à l’enfant le poids de la conduite de ses parents et contrevient à ses droits91.

L’adoption doit donc être considérée de façon autonome. La nullité du contrat passé entre les parents d’intention et la mère porteuse ne doit pas altérer la validité de la procédure d’adoption.[51]

(références omises)

[149]        Donc, qu’on soit d’accord ou non avec le libellé de cette convention et des règles de pratique en vigueur en Inde, il n’appartient pas au Tribunal dans le contexte d’une demande d’adoption de poser un jugement sur cette façon de faire.

[150]        Le Tribunal retient là encore l’opinion de la professeure Giroux :

C’est également l’option privilégiée par la CEST dans son avis sur l’étique et la procréation assistée de 2009103 :

Pour la majorité des auteurs, si l’intérêt de l’enfant a priori - qui est à la source de l’encadrement de la gestation pour autrui - vise à décourager cette pratique et commande de ne pas faciliter la régularisation de cette situation, il demeure qu’un enfant est né, et que son intérêt a posteriori demande peut-être que les personnes qui désirent réellement assumer le rôle de parents puissent le faire.

De plus, l’article 522 C.c.Q. ne nous oblige-t-il pas à suivre cette avenue? La décision Adoption - 09367 va dans ce sens :

Le fait que le législateur ait précisé aux articles 522 et 523 que les filiations s’établissent par l’acte de naissance qui confère les mêmes droits et les mêmes obligations quelles que soient les circonstances de leur naissance, fait en sorte que le tribunal ne voit pas pourquoi il ferait une distinction entre cette enfant et tout autre enfant104.[52]

(références omises)

[151]        Il en est de même pour le professeur Moore qui écrit :

En dernière analyse, l’adoption de l’enfant par le parent d’intention me semble être la solution la moins insatisfaisante. S’il est vrai que le droit ne peut admettre « la dictature des faits », il doit bien cibler l’objectif qu’il recherche. Refuser l’adoption de l’enfant revient à faire peser sur l’enfant le comportement des parents. Si détournement de l’adoption il y a, c’est le fait des parents et non celui des enfants. La sanction doit se limiter à eux et c’est pourquoi, l’intérêt de l’enfant exige que l’adoption soit dissociée de la nullité du contrat[53].

L’intérêt de l’enfant

[152]        Le respect du principe de l’intérêt de l’enfant énoncé à l’article 543 C.c.Q. doit bien sûr s’analyser en fonction de l’article 33 C.c.Q.

[153]        En outre, le Canada étant signataire de la Convention relative aux droits de l’enfant, on ne peut faire abstraction en pareil cas de l’article 3 de cette convention.

[154]         Dans son analyse, le Tribunal doit considérer les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques des enfants ici concernées. Leur âge, leur santé, leur caractère, leur milieu familial et les autres aspects de leur situation doivent nécessairement être pris en compte.

[155]        La Cour d’appel, à deux occasions, a pris position au sujet de l’application du principe de l’intérêt de l’enfant dans un pareil contexte. Elle en arrive à la conclusion que le recours à l’ordonnance de placement en vue d’adoption constitue la solution la moins insatisfaisante et très certainement celle qui sert le mieux l’intérêt de l’enfant.[54]

[156]        Tant dans la décision Adoption - 1445[55] que dans Adoption - 161[56], la Cour d’appel reprend les propos de notre collègue monsieur le juge Claude Tremblay[57] sur l’analyse de l’intérêt de l’enfant dans le cas d’un enfant né d’une mère porteuse et dont on demande l’adoption :

[…] Il s'agit donc de rendre une décision du point de vue de l'enfant et non du point de vue des personnes qui ont fait, répétons-le, en toute bonne foi et par pur altruisme en ce qui concerne la mise-en-cause, une entente de procréation assistée. 

[157]        Du point de vue des enfants, il ne fait pas de doute que leur adoption par le requérant répond à leur intérêt.

[158]        Les deux enfants vivent auprès de leur père et du requérant depuis leur naissance et connaissent une évolution positive dans leur milieu. Le rapport psychosocial produit par la Directrice de la protection de la jeunesse en atteste.

[159]        La procureure des enfants a raison d’affirmer que le refus d’ordonner le placement en vue d’adoption aurait des impacts significatifs sur les enfants notamment en cas de décès et de séparation du mis en cause et du requérant.

[160]        Les propos suivants des auteurs Jean Pineau et Marie Pratte ont ici toute leur pertinence :

La jurisprudence française l’a interdit en adoptant la solution qu’impose la logique juridique : le droit ne doit pas permettre la réalisation d’un contrat contraire à l’ordre public. Mais la pure logique juridique doit-elle à elle seule dicter la réponse à cette question? Un enfant est né; un couple a voulu sa naissance et est à l’origine de sa conception; sa mère biologique, par ailleurs, l’a mis au monde dans le but de l’abandonner. Quel objectif doit-on poursuivre? Protéger l’intérêt de l’enfant en cause en permettant la consécration juridique d’un lien affectif? Ou imposer à cet enfant, au nom du respect de l’ordre public et de la logique juridique, une vie écartelée entre son véritable père, une mère qui le rejette, et une autre personne qui agit comme deuxième parent sans en avoir le statut? Ne doit-on pas, dans cette situation, préférer la protection de l’intérêt immédiat de l’enfant plutôt que le respect de l’intérêt général[58]?

CONCLUSION

[161]        Le Tribunal conclut donc que les conditions relatives à l’adoption des enfants sont rencontrées.

[162]        Si on ne peut imposer aucun des engagements contenus dans un contrat de mère porteuse, toutefois dans le contexte d’une ordonnance de placement en vue d’adoption, ce sont les conditions énoncées à l’article 543 qui doivent prévaloir et non les circonstances de la naissance de l’enfant.

[163]        Pour reprendre les propos du professeur Moore repris par la Cour d’appel :

La refuser dans un cas similaire, uniquement parce que la naissance intervient dans le cadre d’un contrat de maternité de substitution revient à traiter différemment la filiation adoptive de l’enfant en raison du contexte de sa naissance. C’est le retour de l’enfant naturel. Celui de l’adultère est licéisé; celui de la mère porteuse honni.

[…]

Laissons donc aux règles contractuelles leur rôle prophylactique et réaffirmons la nécessaire et complète étanchéité entre contrat et filiation, ce qui implique une révision d’ensemble des règles de la procréation assistée en droit québécois. La filiation n’est pas un objet contractualisable pas plus qu’elle n’est une sanction accessoire à la nullité de celui-ci.[59]

[164]        Dans le contexte où le législateur n’a pas donné suite à la recommandation du Comité du Barreau formulée en 1988[60] à l’effet de modifier l’article ayant trait au consentement spécial afin d’interdire ce consentement en faveur du conjoint du père lorsque l’enfant est né d’une mère porteuse, l’adoption par consentement spécial demeure possible, si les autres conditions de la loi sont remplies.

[165]        Le débat entourant la question des mères porteuses ne doit pas se faire aux dépens des enfants ici concernées.

[166]        Il n’appartient pas au Tribunal alors qu’il est saisi du cas de deux enfants en particulier de trancher ce débat de société. Comme l’a souligné la procureure des enfants, la Cour du Québec, chambre de la jeunesse n’est pas le forum approprié. Cette responsabilité revient sans doute au législateur.

[167]        Les propos de la professeure Anne-Marie Savard vont d’ailleurs en ce sens[61] :

Mais puisque chacun des trois modes de filiation devrait en principe être autonome et contenir des règles qui sont exhaustives, pourquoi alors devoir recourir à l’adoption? En fait, comme nous le verrons dans la seconde partie, les dispositions en matière de filiation des enfants nés d’une procréation assistée recèlent actuellement des limites et obstacles importants, non seulement liés au sujet qui nous préoccupe, mais aussi de manière générale. Tout ce que met en exergue ce récent jugement de la Cour d’appel est l’impérieuse nécessité de les réformer, notamment par la mise en place d’un fondement juridique clair et solide à ce type de filiation.

[168]        Comme l’a souligné notre collègue, madame la juge Sophie Gravel[62], il serait souhaitable que des règles claires soient édictées.

[169]        Les recommandations formulées à ce sujet par le Comité consultatif sur le droit de la famille[63] présidé par le professeur Alain Roy semblent poursuivre cet objectif.

[170]        Concernant la demande du requérant à l’effet que les dépens soient octroyés à la Procureure Générale, le Tribunal ne souscrit pas à cette demande, leur intervention ayant été sollicitée d’une part à la demande du juge Saintonge, avant les décisions rendues par la Cour d’appel.  Les délais ne lui sont pas attribuables.

[171]        Toutefois, considérant le temps vécu par les enfants auprès du requérant le Tribunal estime pertinent de réduire à cette étape-ci le délai de placement de 6 à 3 mois.

POUR CES MOTIFS, LA COUR:

[172]        ACCUEILLE  la requête;

[173]         RÉDUIT de six (6) mois à trois (3) mois le délai de placement prévu à l’article 566 du Code civil du Québec;

[174]        ORDONNE le placement en vue de son adoption de l'enfant X, de sexe féminin, née le [...] 2012, chez le requérant, monsieur A;

[175]        CONFÈRE l'exercice de l'autorité parentale à l'égard de l'enfant au requérant, monsieur A;

[176]        MAINTIENT au mis en cause, monsieur B, père de l'enfant,  son autorité parentale, conformément aux prescriptions du Code civil du Québec;

[177]        LE TOUT, sans frais.

 

 

__________________________________

 VIVIANE PRIMEAU, J.C.Q.

 

Me Julie Lavoie

Procureure du requérant

 

Me Charlotte Vanier-Perras

Procureure de l’enfant

 

Me Amélie St-Denis

Procureure de la Directrice de la protection de la jeunesse

 

Me Sylvie Gilbert et Me Sophie Primeau

Procureures de la Procureure Générale du Québec

 

 

 



[1]     Pièce R-3

[2]     Pièce R-2

[3]     Pièce R-4

[4]     Adoption - 1445 2014 QCCA 1162

[5]     Adoption - 161 2016 QCCA 16

[6]     Précités, notes 4 et 5

[7]     Précité, note 5

[8]     Précité, note 4

[9]     Précité, note 5

[10]    Pièce R-15

[11]    Pièce R-8

[12]    Pièce M-1 : Rapport d’évaluation du fonctionnement social, page 17

[13]     Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, ratifiée par le Canada en 1992 (R.T. Can. 1992 No 3)

[14]    L.C. 2004, ch. 2

[15]    L.Q., c. P-34.1

[16]    Adoption - 1445 et Adoption - 161 précités notes 4 et 5

[17]    Précité, note 4

[18]    Ibid., par. 61

[19]    Précité, note 5

[20]    Ibid., par. 80 et 85

[21]    Ibid.,  par. 89

[22]    Droit de la famille - 151172 2015 QCCS 2308

[23]    Ibid., par. 111

[24]    Adoption - 09367 2009 QCCQ 16815

[25]    Précité, note 4

[26]    Cour du Québec, chambre de la jeunesse, district A, 705-43-001134-141, 11 février 2015 (juge Sophie Gravel); Cour du Québec, chambre de la jeunesse, district B, 525-43-006949-156, 3 juin 2015 (juge Alain Brillon)

[27]    Ibid., juge Sophie Gravel

[28]    Ibid., juge Alain Brillon, par. 38 à 45

[29]    Précité, note 4, par. 48 à 55

[30]    Ibid., par. 53

[31]    Précité, note 4

[32]    Anne-Marie SAVARD, «L’établissement de la filiation à la suite d’une gestation pour autrui : le recours à l’adoption par consentement spécial en droit québécois constitue-t-il le moyen le plus approprié» dans «La personne humaine entre autonomie et vulnérabilité» Mélanges en l’honneur d’Édith Deleury, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, p.589

[33]    Ibid, pp. 607-608

[34]    Mireille D.-CASTELLI, «L’évolution des fondements du droit de la filiation : dichotomie entre valorisation prééminence de la volonté» dans «La personne humaine entre autonomie et vulnérabilité» Mélanges en l’honneur d’Édith Deleury, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2015, pp.131-132

[35]    Canadian Foundation Youth and the Law c. Canada (Procureur Général) 2004 CSC 4

[36]    Jean PINEAU et Marie PRATTE, La famille, Montréal, Éditions Thémis, 2006, p.713 - Carmen LAVALLÉE, L’enfant, ses familles et les institutions de l’adoption. Regards sur le droit français et le droit québécois, Montréal Wilson &Lafleur, 2005, p.412 - Alain ROY, Droit de l’adoption adoption interne et internationale, 2e édition Wilson&Lafleur, 2010, p.34-35; Adoption - 135, 2013 QCCA 256, par. 73

[37]    Pièce R-14

[38]    Pièce R-9, R-10

[39]    Pièce R-10

[40]    La Procureure Générale réfère entre autres aux extraits suivants de la Pièce R-3 : Surrogacy Agreement :  Recital-Whereas IV et Articles .2.2, 3.1.15, 3.1.16, 3.1.17, 3.1.18, 3.2.1, 4.4, 5.2.3, 6.1

[41]    Précité, note 4

[42]    Ibid., note de bas de page 82

[43]    Ibid., par. 59 et 70

[44]    Précité, note 26, par. 52

[45]    Précité, note 4, par. 69

[46]    Précité, note 12, p. 16

[47]    Pièce R-16

[48]    Précité, note 5

[49]    Précité, note 5

[50]    Pièce R-3 arts. 4.5-4.6-4.7-4.13 -Declaration of intent de la mère porteuse et affidavit de son mari; et Pièce R-4: affidavit de la mère porteuse

[51]    Michelle GIROUX, «Le recours controversé à l’adoption pour établir la filiation de l’enfant né d’une mère porteuse : entre ordre public contractuel et intérêt de l’enfant », Revue du Barreau, tome 70, automne 2011, p. 536

[52]    Ibid., p. 540

[53]    Benoit MOORE, «Maternité de substitution et filiation en droit québécois» dans l’ouvrage collectif Liber Amicorum - Mélanges en l’honneur de Camille Jauffret-Spinosi, Paris, Dalloz 2013, p. 873

[54]    Précité note 4, par. 66 et note 5, par. 88-89

[55]    Précité note 4, par. 61

[56]    Précité note 5, par. 91

[57]    Adoption - 09185, 2009 QCCQ 8703, par. 22

[58]    Précité, note 36, p. 685

[59]    Précité, note 53, p. 873

[60]    BARREAU DU QUÉBEC, Rapport du Comité sur les nouvelles technologies de reproduction (1988) 48 (suppl) R du B.,  p.30, recommandations 19 et 21

[61]    Précité, note 32, p. 604

[62]    Précité, note 26, par.47

[63]    Comité consultatif sur le droit de la famille : « Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales », juin 2015

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