Durocher c. Commission des relations du travail

2015 QCCA 1384

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024236-143

(500-17-069821-125)

 

DATE :

31 août 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

 

HÉLÈNE DUROCHER

APPELANTE  -  Requérante

c.

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

INTIMÉE - Intimée

et

CENTRE JEUNESSE DE MONTRÉAL

MIS EN CAUSE - Mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 27 janvier 2014 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Gérard Dugré), qui a rejeté sa requête en révision judiciaire d’une décision rendue par la Commission des relations du travail. Par cette décision, la Commission des relations du travail a accueilli deux objections préliminaires formulées par le mis en cause et rejeté les plaintes de harcèlement psychologique et de congédiement injustifié formulées par l’appelante en vertu des articles 123.6 et 124 de la Loi sur les normes du travail[1].

[2]           Pour les motifs de la juge Bélanger, auxquels souscrit le juge Chamberland, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE en partie l’appel;

[4]           INFIRME partiellement le jugement frappé d’appel;

[5]           REJETTE l’appel quant à l’objection préliminaire portant sur la plainte de congédiement injustifié (art. 124 L.n.t.);

[6]           ACCUEILLE l’appel et la requête en révision judiciaire de la décision rendue le 13 décembre 2011 par la Commission des relations du travail quant à l’objection préliminaire portant sur la plainte de harcèlement psychologique (article 123.6 L.n.t.);

[7]           ORDONNE que le dossier soit retourné à la Commission des relations du travail afin qu’elle se prononce sur la plainte de harcèlement psychologique;

[8]           SANS FRAIS sur l'appel et sur la requête en révision judiciaire, vu le sort mitigé réservé à ces deux procédures.

[9]           Pour ses propres motifs, le juge Giroux aurait rejeté l’appel quant aux deux questions, avec dépens.

 

 

 

 

JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.

 

 

 

 

 

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 

Me Jessica Laforest

Rivest, Tellier, Paradis

Pour l’appelante

 

Me Véronique Morin

Lavery De Billy s.e.n.c.r.l.

Pour l’intimée

 

 

Date d’audience :

19 septembre 2014


 

 

MOTIFS DE LA JUGE BÉLANGER

 

 

[10]        Ce pourvoi soulève la question de la délimitation des recours découlant de situations de harcèlement psychologique en milieu de travail. Le salarié jouit à la fois du droit de réclamer une indemnité de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) en vertu de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[2] et de celui de déposer une plainte auprès de la Commission des normes du travail (CNT) en vertu de la Loi sur les normes du travail[3]. En conséquence, il bénéficie d’un cumul de recours devant la Commission des lésions professionnelles (CLP) et devant la Commission des relations de travail (CRT). Ce choix législatif entraîne certaines difficultés.

Contexte

[11]        En 1989, l’appelante est embauchée comme infirmière par le mis en cause.

[12]        Le 3 octobre 2004, elle est nommée chef des services de santé, poste-cadre qu’elle occupera jusqu’au 23 mai 2006, date où ce poste lui est retiré. Il convient de préciser qu’à compter du 13 mars 2006, l’appelante est mise en arrêt de travail. Elle allègue s’être effondrée sous les propos de son directeur lors d’une rencontre tenue le 8 mars précédent et ajoute avoir été l’objet de violence et de mépris de la part de certains intervenants de son milieu de travail.

[13]        Le 8 avril 2006, l’appelante présente une réclamation pour lésion professionnelle auprès de la CSST.

[14]        Le 18 avril 2006, l’appelante dépose, contre le mis en cause, une plainte pour harcèlement psychologique en vertu de l’article 123.6 L.n.t.

[15]        Le 23 mai 2006, le mis en cause l’avise par écrit que son poste de chef des services de santé lui est retiré, mais, par la même occasion, il l’informe du maintien de son lien d’emploi.

[16]        Le 28 août 2006, la CSST déclare que l’appelante n’a pas subi de lésion professionnelle, décision qui sera confirmée en révision administrative.

[17]        Le 3 octobre 2006, le mis en cause avise l’appelante qu’il met fin à son contrat d’emploi à compter du 28 octobre suivant.

[18]        Les 24 octobre et 2 novembre 2006, l’appelante dépose deux plaintes en vertu de l’article 124 L.n.t., soutenant avoir été congédiée sans cause juste et suffisante.

[19]        Le 29 septembre 2008, la CLP confirme la décision de la CSST et déclare que l’appelante n’a pas subi de lésion professionnelle le 8 mars 2006[4]. Il est utile de noter le désaccord exprimé par la représentante syndicale qui s’est dite d’avis que « la preuve démontre que la lésion psychique de madame Durocher est reliée à l’exercice de son travail de gestionnaire dans un contexte de réorganisation du travail et de résistance au changement et qu’un tel contexte peut être assimilé à la survenance d’un événement imprévu et soudain »[5]. La demande de révision de cette décision sera également rejetée[6].

[20]        Le 23 décembre 2010, la CLP rejette la plainte de l’appelante, basée sur l’article 32 L.a.t.m.p.[7], au motif que celle-ci a été déposée hors délai, que l’appelante n’a pas été victime d’une lésion professionnelle et que l’employeur a démontré que la décision de mettre fin à son contrat d’emploi a été prise pour une autre cause juste et suffisante[8].

[21]        Le 12 avril 2011, l’appelante demande que les plaintes déposées devant la CRT soient remises au rôle.

[22]        Le 13 décembre 2011, la CRT (le commissaire Guy Roy) a maintenu les objections préliminaires formulées par le mis en cause et rejeté les plaintes de harcèlement psychologique et de congédiement injustifié formulées par l’appelante en vertu des articles 123.6 et 124 Ln.t.

[23]        Le 27 janvier 2014, la Cour supérieure rejette la requête en révision judiciaire sur les deux volets de cette décision.

Décision de la CRT

[24]        Dans sa décision, la CRT maintient deux objections préliminaires à l’égard des plaintes.

[25]        D’abord, la CRT déclare irrecevable la plainte de congédiement injustifié estimant que l’appelante bénéficie de la procédure de réparation prévue au Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux[9], ce qui l’empêche de se prévaloir de l’article 124 L.n.t. Elle rejette l’argument de l’appelante qui affirme avoir perdu son statut de cadre le 23 mai 2006.

[26]        Ensuite, la CRT estime que la plainte de harcèlement psychologique est irrecevable au motif de la chose jugée implicite. Elle estime que la CLP devait constater la présence de harcèlement psychologique avant de se prononcer sur la présence d’une lésion professionnelle et que, comme ce tribunal administratif n’a pas reconnu la présence de harcèlement psychologique, elle ne voit pas comment elle pourrait en arriver à une conclusion différente, basée sur les mêmes faits. Le commissaire reconnaît toutefois que deux courants de jurisprudence se retrouvent dans les décisions de la CLP. Un premier courant de jurisprudence se fonde sur la théorie du « crâne fragile » qui tient compte de la fragilité inhérente de la personne, alors que le deuxième courant se fonde sur le critère de la personne raisonnable mise dans la même situation. Le commissaire affirme que « [l]es principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice ne seraient pas respectés si la Commission entend[ait] la cause en harcèlement psychologique »[10]. De plus, la CRT retient que la doctrine de l’abus de procédure peut trouver application, même si les exigences du principe de l’autorité de la chose jugée ne sont pas strictement satisfaites.

Jugement de la Cour supérieure

[27]        Le juge applique la norme de la décision raisonnable aux deux questions qui lui sont soumises.

[28]        Il affirme que la décision de la CRT, quant à la chose jugée, n’est pas déraisonnable et qu’elle est même correcte tenant compte de l’ensemble du dossier. Il ajoute qu’il n’est pas nécessaire de refaire le débat devant la CRT.

[29]        Sur la question de l’existence d’un recours équivalent, le juge estime que la décision de la CRT n’est ni incorrecte ni déraisonnable. Il ajoute que le Règlement confère à l’appelante un recours équivalant à celui prévu à l’article 124 L.n.t. et que cette dernière occupait un poste-cadre au moment des faits reprochés. Il reconnaît donc que la CRT a décidé à bon droit que l’appelante bénéficiait d’un recours équivalent. Par contre, il ajoute que l’appelante devait d’abord s’adresser à l’arbitre de griefs siégeant en vertu du Règlement, afin qu’il détermine si celui-ci lui permettait d’accorder à cette dernière une mesure de réparation équivalant à celle offerte par l’article 124 L.n.t.

Questions en litige

[30]        La Cour supérieure devait-elle intervenir quant aux décisions de la CRT accueillant les deux objections préliminaires? 

1.    La décision rejetant de façon préliminaire la plainte de congédiement injustifié (article 124 L.n.t.) parce que l’appelante bénéficie d’un recours équivalant à celui prévu à cette loi;

2.    La décision rejetant de façon préliminaire la plainte de harcèlement psychologique (article 123.6 L.n.t.) au motif de chose jugée.

Analyse

1.       L’appelante bénéficie-t-elle d’un recours équivalant à celui prévu à l’article 124 L.n.t.?

1.1.      Norme d’intervention

[31]        Comme son nom l’indique, le Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux prévoit les conditions de travail et les recours qui sont offerts aux employés-cadres des établissements de santé, dont la mise en cause.

[32]        Récemment, dans l’affaire Université McGill c. Ong[11], la Cour s’est prononcée sur la norme de contrôle judiciaire applicable à deux questions différentes, celle de savoir si : 1) un recours fait partie du contrat de travail d’un salarié; et 2) le recours qui est prévu au contrat de travail est équivalant au recours prévu à l’article 124 L.n.t.

[33]        Dans cet arrêt, la juge Thibault se dit d’avis que la question de savoir si un recours prévu dans une politique régissant les conditions de travail fait partie du contrat de travail d’un salarié appelle l’application de la norme de la décision raisonnable.

[34]        Par contre, la question de la détermination de l’équivalence du recours offert au salarié appelle une norme de contrôle judiciaire plus sévère, celle de la décision correcte, parce que l’exercice a comme conséquence de délimiter la compétence de deux tribunaux spécialisés[12].

[35]        Devant nous, il n’est pas contesté que le Règlement contient une procédure de réparation équivalant au recours prévu à l’article 124 L.n.t. Sur cette question, la CRT a répondu affirmativement en s’appuyant sur deux précédents[13].

[36]        Dans notre affaire, c’est le statut de cadre de l’appelante qui est contesté. Posée autrement, la question est celle de déterminer si le Règlement faisait toujours partie des conditions de travail de l’appelante après le 23 mai 2006. Cette question, au cœur de la compétence de la CRT, mérite déférence.

[37]        Le juge n’a pas fait d’erreur en proposant la norme de la décision raisonnable.

1.2.      Caractère raisonnable de la décision de la CRT

[38]        L’argument de l’appelante est qu’elle a perdu son statut de cadre le 23 mai 2006, lorsque son poste lui a été retiré. Voici un extrait de la lettre l’informant de la décision :

[…] À la lumière de l’échange entre nous le 5 mai, des vérifications faites par la suite et des nouveaux échanges du 16 mai, nous en sommes venus à prendre une décision qui tient compte de votre situation personnelle et des besoins de l’établissement.

Compte tenu des différentes solutions qui ont été évoquées le 5 mai en votre présence.

Compte tenu que vous ne semblez pas en mesure, pour le moment, de prendre une décision en regard de ces hypothèses.

Compte tenu de nos besoins immédiats en regard des services de santé et du poste de chef de service que vous occupez.

Compte tenu de l’analyse que nous faisons des difficultés rencontrées à titre de chef de service et que nous n’estimons pas possible que vous puissiez reprendre cette fonction à court ou moyen terme.

Nous acceptons de maintenir votre lien d’emploi avec l’établissement tout en vous retirant le poste de chef des services de santé. Ce poste sera affiché et comblé prochainement selon les règles habituelles. Vous serez considérée en congé de maladie pour le moment. Nous espérons que nous pourrons reprendre nos échanges le plus tôt possible pour trouver une solution définitive qui prend en compte à la fois les difficultés rencontrées à titre de chef de service, mais aussi vos années de loyaux services à titre d’infirmière. […]

(Accentuation prononcée)

[39]        Le 3 octobre suivant, le mis en cause écrivait ce qui suit :

[…] Nous avons décidé, le 23 mai dernier, de maintenir votre lien d’emploi compte tenu de votre absence pour maladie, tout en vous retirant le poste de cheffe des services de santé suite aux difficultés que vous éprouviez dans la gestion de vos dossiers. Nous avons eu l’occasion de vous rencontrer au préalable pour discuter d’éventuelles pistes de solutions pour vous aider à vous replacer. Étant donné que vous n’étiez pas en état de prendre une décision, nous avons remis à plus tard la décision finale quant à votre lien d’emploi. […]

[40]        L’argument de l’appelante est que, manifestement, elle n’occupait plus un poste-cadre au moment où elle a été informée de son congédiement au mois d’octobre ni au moment de déposer ses plaintes de congédiement sans cause juste et suffisante. Elle estime que le statut de cadre est un accessoire au poste détenu et que son fardeau de preuve devait donc se limiter à démontrer qu’elle n’était plus titulaire d’un tel poste.

[41]        Pour sa part, le mis en cause estime avoir retiré à l’appelante ses fonctions de chef de service, mais non celles de cadre. Il allègue lui avoir proposé des alternatives pour l’avenir, auxquelles l’appelante n’a jamais donné suite.

[42]        Il est utile de reproduire les déterminations de la CRT relativement à la question :

Le Règlement s’applique-t-il à la plaignante?

[44] La plaignante soutient que le Règlement sur les cadres ne s‘applique pas à elle parce qu’elle n’était pas membre de l’APERSSS et qu’elle n’occupait plus un poste de cadre lors de son congédiement. 

[45] La Commission ne retient pas ses arguments. Premièrement, le Règlement n’oblige pas une personne à devenir membre de l’APERSSS, mais il s’applique à tous les cadres. Aucun article dans le Règlement ne vient soustraire un non-membre de son application.

[46] Quoi qu’il en soit, il est en preuve que la plaignante s’est fait représenter par un représentant de l’APERSSS lors des rencontres avec l’intimé et qu’elle a assumé une cotisation à titre de membre de l’APERSSS pour trois mois durant cette période.

[47] Ses prétentions voulant qu’elle n’occupe plus un poste de cadre sont rejetées. Il n’y a aucune preuve dans la correspondance de l’intimé ni de sa part démontrant qu’elle était redevenue une salariée non-cadre. Il faut se souvenir que l’intimé lui a retiré ses fonctions de chef de service, mais jamais il n’a été question qu’elle n’était plus cadre. L’intimé lui a proposé des options pour l’avenir, mais elle n’y a jamais donné suite. Elle s’est absentée à compter de mars 2006 jusqu’à la fin de son emploi en octobre 2006. Elle a bénéficié des prestations d’assurance basées sur son salaire de cadre. D’ailleurs, elle-même dans son témoignage dira que lorsqu’elle a été congédiée, elle occupait un poste de cadre.

[48] Donc, le Règlement s’appliquait à elle. Il faut maintenant déterminer si ce Règlement est équivalent à celui prévu à l’article 124 de la L.N.T.

[43]        Le juge de la Cour supérieure a rejeté la demande de révision judiciaire affirmant que l’appelante devait d’abord s’adresser à l’arbitre de griefs siégeant en vertu du Règlement, afin que ce dernier détermine si celui-ci s’applique :

[23]      De surcroît, la requérante devait d’abord s’adresser à l’arbitre siégeant en vertu du Règlement afin qu’il se prononce tant sur sa compétence à l’égard de la requérante, que sur la question de savoir si le Règlement lui permet d’accorder à la requérante une mesure de réparation équivalente à celle qu’offre l’art. 124 L.n.t. : Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), [2010] 2 R.C.S. 61.

[24]      En conséquence, la décision de l’intimée maintenant l’objection préliminaire du mis en cause et rejetant les deux plaintes de la requérante fondées sur l’art. 124 L.n.t. ne peut être annulée par le Tribunal.

[44]        Avec égards, le juge se trompe sur cette question.

[45]        La CRT devait trancher cette question, car il lui appartient de décider si les conditions pour l’exercice du recours prévu à l’article 124 L.n.t. sont satisfaites. Comme le précise la Cour dans l’affaire Université McGill c. Ong, la CRT doit faire un certain nombre de constats préliminaires avant de trancher une plainte. L’un de ces constats concerne le fait que la procédure alternative proposée fait partie des conditions de travail du salarié[14]. L’arbitre de griefs nommé en vertu de cet autre recours ne possède pas une compétence exclusive à ce sujet.

[46]        L’affaire Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général)[15] n’a pas eu pour effet de retirer à la CRT sa compétence pour s’assurer que les conditions d’ouverture à l’exercice d’un recours en vertu de 124 L.n.t. sont satisfaites.

[47]        Rappelons que dans cette affaire, le juge LeBel, parlant au nom de la majorité, a reconnu « […] la compétence de l’arbitre de griefs à se saisir de la plainte afin d’examiner l’équivalence de la procédure de grief et d’arbitrage prévue à la convention collective avec le recours offert par l’art. 124 L.n.t. […] ».

[48]        Il est vrai que dans cette affaire, le juge LeBel a affirmé le caractère subsidiaire du recours devant la CRT. Il demeure que la CRT est compétente pour déterminer si une politique fait partie du contrat de travail d’un salarié[16].

[49]        La décision de la CRT constitue certainement une issue acceptable. La perception du travailleur concernant son statut est bien secondaire; la détermination de ce statut appartient au décideur qui doit se prononcer selon les faits de la cause conjugués au droit applicable.

[50]        Par ailleurs, la proposition de l’appelante selon laquelle, après qu’elle eut été démise de son poste, elle n’aurait été ni syndiquée ni cadre conduit à une forme de néant juridique qui se concilie mal avec les faits de la cause. Bien sûr, elle ne détenait plus de poste après le 23 mai 2006, mais il n’est pas déraisonnable d’affirmer que lorsqu’un employeur retire un poste de cadre à un salarié, sans modifier expressément son statut et en laissant ouverte la possibilité pour ce salarié d’occuper d’autres fonctions, celui-ci ne perd pas son statut de cadre par le fait même. D’ailleurs, c’est sur la base de son salaire de cadre qu’elle a été indemnisée après le 23 mai 2006.

[51]        Je propose donc de confirmer le jugement de la Cour supérieure quant à cette question.

2.       La plainte pour harcèlement psychologique (article 123.6 L.n.t.) pouvait-elle être rejetée de façon préliminaire au motif de la chose jugée?

2.1.      Norme de contrôle applicable à cette question

[52]        J’accepte d’emblée l’idée que si la CRT peut décider de l’application du principe de l’autorité de la chose jugée relativement à une décision rendue par elle dans une instance antérieure, la norme de la décision raisonnable pourrait s’appliquer. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce.

[53]        Le fait que la CRT rejette les plaintes pour cause de chose jugée devant un autre tribunal administratif équivaut à décliner compétence et à refuser de se prononcer sur un recours dont elle a valablement été saisie. Quoiqu’il ne s’agisse pas d’une question de compétence stricto sensu, il faut convenir que la question s’y apparente et peut même être assimilée à une délimitation de compétence entre la CLP et la CRT[17].

[54]        Au surplus, en matière de harcèlement psychologique, deux courants de jurisprudence s’opposent quant à la détermination de l’autorité de la chose jugée lorsque plus d’un décideur exerce sa compétence. Ainsi, on retrouve des tenants des deux courants de jurisprudence, tant à la CLP, à la CRT que chez les arbitres de griefs.

[55]        Quoiqu’une controverse n’appelle pas nécessairement l’application de la norme de la décision correcte, il faut reconnaître que, dans l’état actuel des choses, selon l’orientation appliquée par le décideur, un plaignant peut voir son recours être rejeté de façon préliminaire ou avoir le droit d’être entendu[18]. Cette incertitude juridique persistant depuis des années et décriée par les intervenants du milieu démontre l’importance de cette question pour le système de justice administrative en matière de harcèlement au travail[19]. Il convient donc d’y répondre correctement.

2.2.      La rectitude de la décision de la CRT

[56]        La CRT s’est dite en présence de l’identité des parties, cause et objet qui engendrent la chose jugée. Elle estime que l’identité des parties et de cause ne pose pas problème. En ce qui concerne l’identité d’objet, elle reconnaît être en présence d’une identité imparfaite. Cependant, elle estime que, devant la CLP, l’appelante a tenté de faire qualifier juridiquement les gestes de l’employeur et qu’elle s’efforce encore, devant elle, de refaire cet exercice. Estimant que cette démarche peut conduire à des décisions contradictoires, la CRT craint que la décision de la CLP et le principe de la stabilité des décisions soient indirectement remis en cause. Elle ajoute que la doctrine de l’abus de procédure peut aussi trouver application et qu’il faut éviter les contradictions et le gaspillage de ressources judiciaires et privées. Estimant que l’appelante mettra en preuve les mêmes faits, elle voit mal comment elle pourrait arriver à une conclusion différente de celle de la CLP. Au final, la CRT estime que la décision de la CLP a « […] clairement déterminé qu’il n’y avait pas eu de harcèlement psychologique ».

[57]        La Cour supérieure estime que cette décision n’est pas déraisonnable, peu importe l’angle sous lequel elle se présente :

[17]      L’analyse de la décision de la CLP, à la lumière de l’ensemble du dossier et de la décision attaquée, amène le Tribunal à conclure que la décision de l’intimée, à l’effet qu’il y a chose jugée et qui maintient l’objection préliminaire du mis en cause, est correcte. Il y a identité de parties, d’objet et de cause et, en conséquence, l’intimée était bien fondée de maintenir l’objection préliminaire du mis en cause quant à la plainte de la requérante pour harcèlement psychologique fondée sur la L.n.t. et de la rejeter. De surcroît, il est clair que la décision de l’intimée sur ce point n’est pas déraisonnable.

[18]      La CLP, dans une décision parfaitement motivée, a conclu que la requérante n’avait pas subi de harcèlement psychologique dans son milieu de travail. Il est donc inutile de refaire tout ce débat devant l’intimée.

[19]      En somme, quel que soit le prisme d’analyse - chose jugée, préclusion, abus de droit, contestation indirecte - la décision de l’intimée n’apparaît ni incorrecte ni déraisonnable. Les principes sous-jacents communs à toutes ces doctrines sont résumés par la juge Abella, pour la Cour, dans Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c. Figliola, [2011] 3 R.C.S. 422, par. 34. Bref, comme l’affirme la juge Abella, ces principes « [i]ndividuellement et collectivement, [...] font échec aux arguments voulant que l’accessibilité à la justice soit synonyme d’accès successifs à de multiples forums ou que plus on rend de décisions plus on s’approche de la justice » (par. 35).

* * * * *

[58]        Avant d’aller plus loin, il convient de revoir une affirmation faite par la CRT et reprise par la Cour supérieure : il n’est pas exact que la CLP a clairement déterminé qu’il n’y avait pas eu de harcèlement psychologique dans le présent dossier.

[59]        Tout au contraire, la CLP affirme explicitement qu’elle n’a pas à déterminer si l’appelante a été victime de harcèlement psychologique; elle établit plutôt devoir décider si elle a été victime de lésion professionnelle en date du 8 mars 2006 :

[139]    La Commission des lésions professionnelles doit décider si madame Durocher a subi une lésion professionnelle le 8 mars 2006.

[…]

[144]    La jurisprudence reconnaît qu’une lésion psychique peut être attribuable à un accident du travail impliquant une série d’événements qui paraissent bénins lorsqu’ils sont considérés isolément, puisque ceux-ci peuvent, par leur superposition, devenir significatifs et présenter ainsi le caractère d’imprévisibilité et de soudaineté requis par la loi.

[145]    Le caractère objectif des faits allégués doit cependant être prouvé de manière prépondérante puisque la seule perception subjective qu'a un travailleur d’une situation donnée s’avère insuffisante aux fins de conclure à la survenance d’un événement imprévu et soudain. De plus, les événements allégués doivent présenter un caractère particulier en ce qu’ils ne peuvent s’inscrire dans le contexte habituel, normal ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail.

[…]

[147]    En outre, comme il a déjà été décidé, lorsque ce sont des manifestations de harcèlement psychologique qui sont alléguées être à l’origine d’une lésion psychique, la Commission des lésions professionnelles n’a pas à décider si le travailleur a été victime de harcèlement selon la définition retrouvée à la Loi sur les normes du travail. Elle doit plutôt déterminer si les faits mis en preuve relativement au comportement des personnes visées par la réclamation du travailleur permettent de conclure à la survenance d’un accident du travail parce que ces faits justifient qu’ils soient considérés à titre d’événement imprévu et soudain.

(Références omises et mes soulignements)

[60]        Par contre, à deux reprises, la CLP a indiqué que les gestes posés par les autres employés et son supérieur ne constituent pas du harcèlement à l’égard de l’appelante :

[157]    Par ailleurs, d’autres événements impliquant mesdames Merkx et Carignan auxquels madame Durocher fait référence ne peuvent pas être considérés comme étant du harcèlement puisqu’il s’agit également de situations auxquelles un gestionnaire est susceptible d’être confronté dans l’exercice de ses fonctions et pour lesquelles il est de sa responsabilité d’intervenir afin qu’elles ne se reproduisent plus. C’est le cas pour ce qui est des retards aux réunions, du départ d’une réunion avant sa fin, d’une absence du travail sans avis, du permis d’absence remis de manière impolie et de l’annonce d’une période de vacances sans vérification au préalable de la possibilité de s’absenter à ce moment précis.

[167]    Concernant monsieur Chartrand, la Commission des lésions professionnelles estime que rien dans les déclarations écrites de madame Durocher ou dans son témoignage ne permet de conclure que cette dernière a été victime de harcèlement de la part de ce supérieur. Madame Durocher déclare plutôt lors de son témoignage que sa relation avec monsieur Chartrand a toujours été « cordiale et correcte », sauf en date du 8 mars 2006 où il aurait selon elle exercé son droit de gérance de manière abusive.

[61]        En fait, toute la problématique du présent dossier provient du fait que la compétence exercée par la CLP semble se rapprocher de celle que doit exercer la CRT.

2.2.1 L’autorité de la chose jugée
2.2.1.1 Remarques préliminaires

[62]        L’autorité de la chose jugée est une règle de preuve. Applicable aux tribunaux judiciaires en vertu de l’article 2848 C.c.Q., elle constitue une présomption absolue qui n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement lorsque la demande est fondée sur la même cause, mue entre les mêmes parties et que la chose demandée est la même.

[63]        L’autorité de la chose jugée devant les tribunaux administratifs doit être analysée en fonction de la spécificité de la justice administrative. Le professeur Yves Ouellette[20] fait une démonstration éloquente de la spécificité du droit de la preuve devant les tribunaux administratifs et de sa nécessaire autonomie; le principe cardinal repose surtout sur le fait que les tribunaux administratifs relevant de l’ordre juridictionnel doivent appliquer les règles de justice naturelle, ce qui implique de permettre un débat loyal, d’agir de façon impartiale et de donner aux parties l’occasion d’être entendues[21]. Ils ne doivent pas être contraints d’appliquer les strictes règles conçues pour les tribunaux d’ordre judiciaire.

[64]        Le législateur a, en quelque sorte, consacré ce principe d’abord à l’article 11 de la Loi sur la justice administrative[22] où il affirme que les tribunaux administratifs ne sont pas contraints de suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile, mais aussi dans les lois particulières les régissant.

[65]        Ainsi, certaines règles de preuve et de procédure s’appliquant à la CRT sont codifiées au Code du travail (articles 130 à 137.10), alors que le législateur lui a aussi confié le pouvoir d’adopter ses propres règles de procédure et de preuve (article 138)[23].

[66]        Dans le même ordre d’idées, la CRT, comme la plupart des tribunaux administratifs québécois, a le pouvoir de réviser ses propres décisions si elle constate un « vice de fond » au sens de l’article 127 du Code du travail. Cette procédure, inconnue en droit judiciaire, heurte de plein fouet le concept de l’autorité de la chose jugée tel qu’on le connaît. Ajoutons à cela que d’autres tribunaux administratifs, telle la CLP, ont le pouvoir, dans certaines circonstances, de reconsidérer leurs propres décisions.

[67]        Il faut donc garder ces principes à l’esprit lorsque vient le temps, pour un tribunal administratif, d’appliquer une règle issue du droit de la preuve judiciaire, telle l’autorité de la chose jugée.

2.2.1.2 Compétence respective de la CRT et de la CLP

[68]        Le législateur québécois est intervenu afin que soit reconnu, à partir du 1er juin 2004, le droit des salariés à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. Par une modification à la L.n.t., le législateur a imposé aux employeurs l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour prévenir ou faire cesser le harcèlement psychologique, mettant ainsi en place une véritable obligation d’agir[24].

[69]        Le législateur a prévu ce qu’il entend par « harcèlement psychologique » en adoptant une définition précise dans la L.n.t. :

 

 

81.18. Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.

 

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

 

81.18. For the purposes of this Act, “psychological harassment” means any vexatious behaviour in the form of repeated and hostile or unwanted conduct, verbal comments, actions or gestures, that affects an employee's dignity or psychological or physical integrity and that results in a harmful work environment for the employee.

 

A single serious incidence of such behaviour that has a lasting harmful effect on an employee may also constitute psychological harassment.

 

81.19. Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.

 

L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser.

 

81.19. Every employee has a right to a work environment free from psychological harassment.

 

Employers must take reasonable action to prevent psychological harassment and, whenever they become aware of such behaviour, to put a stop to it.

[70]        Parallèlement, le législateur a mis divers recours à la disposition des salariés. Le travailleur non visé par une convention collective qui estime être victime de harcèlement psychologique au travail peut formuler une plainte auprès de la CNT qui mènera une enquête. Si aucune entente n’intervient entre les parties et si la CNT accepte de donner suite à la plainte, elle la défèrera à la CRT et pourra représenter le salarié devant celle-ci[25].

[71]        L’article 114 du Code du travail[26] prévoit que la CRT connaît et tranche, à l’exclusion de tout tribunal, d’une plainte alléguant une contravention à ce Code ou à toute autre loi, dont la L.n.t. Toutefois, cette exclusivité de compétence en matière de harcèlement psychologique est également exercée par les arbitres de griefs ou par la Commission de la fonction publique (CFP) lorsque les salariés sont régis par une convention collective de travail ou lorsqu’ils sont fonctionnaires[27].

[72]        Les pouvoirs mis à la disposition de la CRT pour assurer le respect de la Loi sont vastes et multiples :

123.15. Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l'employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l'article 81.19, elle peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, notamment:

 

 1° ordonner à l'employeur de réintégrer le salarié;

 

 2° ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire perdu;

 

 3° ordonner à l'employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;

 

 4° ordonner à l'employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;

 

 5° ordonner à l'employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d'emploi;

 

 6° ordonner à l'employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu'elle détermine;

 

 7° ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.

123.15. If the Commission des relations du travail considers that the employee has been the victim of psychological harassment and that the employer has failed to fulfil the obligations imposed on employers under section 81.19, it may render any decision it believes fair and reasonable, taking into account all the circumstances of the matter, including

 

 (1) ordering the employer to reinstate the employee;

 

 (2) ordering the employer to pay the employee an indemnity up to a maximum equivalent to wages lost;

 

 (3) ordering the employer to take reasonable action to put a stop to the harassment;

 

 (4) ordering the employer to pay punitive and moral damages to the employee;

 

 (5) ordering the employer to pay the employee an indemnity for loss of employment;

 

 (6) ordering the employer to pay for the psychological support needed by the employee for a reasonable period of time determined by the Commission;

 

 (7) ordering the modification of the disciplinary record of the employee.

[73]        Dans cette optique, la CRT (ou l’arbitre de griefs ou la CFP) doit prendre connaissance du milieu de travail et tenir compte de ce qui s’y passe, y compris le comportement de l’employeur et des autres employés afin de déterminer si leur conduite est vexatoire. Le cas échéant, elle doit rendre les ordonnances nécessaires pour atteindre l’objectif de fournir au salarié un milieu de travail exempt de harcèlement.

[74]        Mis à part les sept mesures prévues à l’article 123.15 L.n.t., l’utilisation au premier alinéa de cet article des mots « [e]lle peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire […] » est sans équivoque. La mesure des remèdes mis à sa disposition démontre toute l’importance du mandat exclusif accordé à la CRT, dont la non-limitation de ses moyens d’agir.

* * * * *

[75]        La CSST et la CLP tirent leur compétence de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

[…]

 

«accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

[…]

«lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

2. In this Act, unless the context requires otherwise,

[…]

 

 

“industrial accident” means a sudden and unforeseen event, attributable to any cause, which happens to a person, arising out of or in the course of his work and resulting in an employment injury to him;

[…]

“occupational disease” means a disease contracted out of or in the course of work and characteristic of that work or directly related to the risks peculiar to that work;

 

[76]        Il est utile de savoir que bien avant que le législateur n’intervienne pour imposer, à compter du 1er juin 2004, des mesures visant à assurer aux salariés un milieu de travail exempt de harcèlement, l’ancienne Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (CALP) avait déjà reconnu[28], avec timidité disaient certains[29], que le harcèlement psychologique en milieu de travail peut engendrer une lésion professionnelle.

[77]        Dans l’affaire Anglade rendue en 1988, la CALP a décidé que le premier policier de race noire embauché par la CUM a été victime de harcèlement et que l’ensemble des événements auxquels il a été soumis constituait un événement imprévu et soudain, ingrédient essentiel à la reconnaissance d’un accident de travail.

[78]        Par la suite, « la jurisprudence constante de la C.A.L.P. et de la C.L.P. en matière de harcèlement reconnaît que des événements qui, pris isolément, paraissent bénins, peuvent par leur superposition, devenir significatifs et présenter le caractère imprévu et soudain requis par la Loi »[30].

[79]        Dans une étude publiée en 2003 portant sur une centaine de décisions rendues par la CLP entre 1998 et 2002, la professeure Solange Pronovost tire certaines conclusions quant à la position de la CLP sur le sujet :

[…] La très vaste majorité des 100 décisions analysées provenant de l’instance d’appel qu’est la Commission des lésions professionnelles (C.L.P.) est examinée à la lumière des règles régissant l’accident du travail. Ainsi, on recherche l’existence d’un événement imprévu et soudain survenu dans le cadre du travail et qui a compromis la santé de la travailleuse ou du travailleur.

De par sa nature cependant, le harcèlement psychologique se veut la répétition de gestes, de paroles, d’actes ou de comportements qui participent d’une conduite abusive et sont susceptibles de porter atteinte à la santé des personnes qui en sont les cibles.

Comme il y a là plusieurs événements, la jurisprudence se tourne du côté de la théorie des «microtraumatismes» pour déterminer si leur cumul les rend significatifs au point de revêtir le caractère imprévu et soudain requis par la loi.

Au fil des décisions, certaines précisions ont été apportées à ce qualificatif et s’imposent maintenant de façon constante. Ainsi, les événements doivent présenter un aspect traumatisant dont l’importance et l’accumulation ont pu jouer un rôle majeur dans l’apparition de la pathologie.

On exige aussi que l’ensemble des événements crée une situation ou des circonstances qui débordent du cadre normal ou prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail.

À cet égard, lorsque les faits mis en preuve relèvent du domaine des relations de travail ou du processus administratif de gestion, les réclamations sont très souvent rejetées parce qu’on estime qu’il s’agit de l’exercice du droit de gérance qui entre dans le cours normal des choses. Encore faut-il cependant qu’ils ne soient pas empreints d’abus de pouvoir ou de harcèlement.

[…]

Un élément vaut d’être souligné cependant, soit le fait d’analyser les réclamations relatives à la violence psychologique au travail général une lésion psychique, sous l’angle d’une maladie professionnelle. Les conditions de travail «harcelantes», amenant surcharge de travail et stress, sont alors considérées comme constituant un risque particulier du travail.

C’est un procédé que les commissaires devraient exploiter davantage lorsque les circonstances s’y prêtent, puisqu’il entraîne un examen de l’ensemble des composantes d’une tâche plutôt que seulement quelques aspects de celle-ci. Ainsi, toutes les facettes de la vie professionnelle sont prises en considération et cela laisse véritablement découvrir que c’est leur conjonction qui mène à une lésion professionnelle. […][31]

[80]        Ainsi, au fil des années, la jurisprudence de la CLP s’est développée autour de la question permettant d’établir si « le travailleur [a] été exposé à une série d’événements pouvant devenir traumatisants par l’effet de leur superposition » et si ces événements « débordent du cadre normal, habituel et prévisible de ce qui est susceptible de se produire dans un milieu de travail »[32].

[81]        Dans une décision rendue il y a quelques années et faisant état de la problématique qui nous concerne, la CLP exprime bien l’objet du recours en vertu de la L.a.t.m.p. :

[41]      Toutefois, la Commission des lésions professionnelles ne peut se convaincre qu’il y a identité d’objet dans le présent cas. Ainsi, dans le cas où la Commission des relations de travail décide de l’admissibilité d’une plainte pour harcèlement psychologique, elle peut, en vertu de l’article 123.15 de la Loi sur les normes du travail ordonner à l’employeur de réintégrer le salarié, lui ordonner de payer au salarié une indemnité jusqu’à un maximum équivalent au salaire perdu, de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement, de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux, de verser une indemnité pour perte d’emploi, de financer le soutien psychologique requis pour le salarié, pour une période raisonnable qu’elle détermine et de modifier le dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique. 

[42]           Essentiellement, l’objet de la plainte en harcèlement psychologique est d’obtenir la réintégration en emploi, des mesures pour cesser le harcèlement et une compensation financière pour atténuer les conséquences du harcèlement.

[43]           L’objet du dépôt d’une réclamation à la CSST va bien au-delà de celui prévu à la Loi sur les normes du travail. Il suffit de rappeler les dispositions de l’article 1 de la loi pour s’en convaincre :

1.  La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires. 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès. 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle. 

[44]           Par exemple, en matière de réadaptation professionnelle, la travailleuse peut bénéficier d’un plan de réadaptation qui conduit à un nouvel emploi jugé convenable en fonction de son atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique et des limitations fonctionnelles qui résultent de sa lésion professionnelle. Elle peut même bénéficier d’une formation académique avancée ou d’une formation en emploi pour la rendre capable d’exercer l’emploi convenable.

[45]           Il existe également une différence fondamentale entre les objets visés par les recours déposés devant chacune des instances concernées aux présentes. Ainsi, la Commission des relations de travail peut ordonner à l’employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié pour une période raisonnable qu’elle détermine. Or, en vertu des dispositions de notre loi, une fois que la réclamation est accueillie, la réparation de la lésion professionnelle se prolonge jusqu’à sa consolidation, déterminée selon un processus médical bien établi, puis les conséquences sont réparées, s’il en résulte de la lésion professionnelle.

[46]           La Commission des lésions professionnelles conclut donc que le principe de l’autorité de la chose jugée ne peut s’appliquer dans les circonstances de la présente affaire.[33]

(Références omises)

[82]        Il ne faut pas sous-estimer la commande du législateur qui est de faire en sorte que la CSST et la CLP décident de l’existence d’une lésion professionnelle, sans égard à la responsabilité de quiconque :

25. Les droits conférés par la présente loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque.

25. Rights vested under this Act are conferred without regard to any personal liability.

 

* * * * *

 

[83]        Toute la difficulté provient du fait que, à compter du 1er juin 2004, le législateur a confié à la CRT (l’arbitre de griefs et la CFP), de manière exclusive, le soin de décider de l’existence de harcèlement au travail.

[84]        Le législateur a donc fait le choix que le travailleur puisse maintenant cumuler deux recours : une plainte à la CNT menant à un recours devant la CRT et le dépôt d’une réclamation à la CSST menant à un recours devant la CLP. Voici l’expression de ce souhait :

123.16. Les paragraphes 2°, 4° et 6° de l'article 123.15 ne s'appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d'une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), qui résulte du harcèlement psychologique.

 

Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l'article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des paragraphes 2°, 4° et 6°.

123.16. Paragraphs 2, 4 and 6 of section 123.15 do not apply to a period during which the employee is suffering from an employment injury within the meaning of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A-3.001) that results from psychological harassment.

 

Where the Commission des relations du travail considers it probable that, pursuant to section 123.15, the psychological harassment entailed an employment injury for the employee, it shall reserve its decision with regard to paragraphs 2, 4 and 6.

 

[85]        L’objectif ultime de l’article 123.16 L.n.t. est d’empêcher que le salarié reçoive une double indemnisation. Il ne faut pas lire cet article comme accordant à la CLP la compétence de décider de l’existence d’une situation de harcèlement au travail. Il faut plutôt y constater la volonté du législateur qu’il y ait cumul des deux recours : l’un pour décider de la présence d’une lésion professionnelle et l’autre pour décider de la présence de harcèlement au travail.

[86]        D’ailleurs, les travaux parlementaires qui ont conduit à l’adoption de la Loi sont fort révélateurs. À de nombreuses reprises, répondant aux questions, le ministre du Travail de l’époque répète que le projet de loi protège le cumul des recours. Voici un exemple d’une de ses réponses à ce sujet :

M. Rochon: Bon. Si on fait la distinction là, je ne sais pas jusqu’à quel point techniquement le langage serait correct là, mais entre le cumul de recours puis le cumul d’indemnités…

Une voix: Ce n’est pas pareil.

M. Rochon: Je le sais ce n’est pas pareil. Distinguant les deux justement, je pense qu’on peut dire que, comme notre article est écrit, on protège le cumul de recours pour le salarié. Il peut vraiment… il garde ses deux recours, il peut prendre ses deux recours, mais il n’y a pas de cumul d’indemnités par exemple. […][34]

[87]        Soucieux de vouloir économiser les ressources des tribunaux administratifs, on constate, à la lecture des décisions émanant tant de la CRT, de la CLP que des arbitres de griefs, qu’un courant de pensée a tracé une voie permettant d’affirmer qu’il existe une forme de litispendance ou encore de chose jugée à l’égard d’une décision de l’un ou l’autre des organismes, lorsqu’ils déterminent l’existence de harcèlement psychologique au travail.

[88]        Or, à mon avis, il n’en est rien. Les deux recours prévus par le législateur n’ont ni le même objet ni la même cause, quoiqu’il faille admettre que, dans certains cas, la compétence de l’un puisse se rapprocher de celle de l’autre. Le présent dossier en est une illustration.

[89]        Rappelons que l’objet d’un recours est le bénéfice juridique immédiat que l’on veut faire reconnaître. En cas de similitude, il convient d’examiner la connexité des objets recherchés[35].

[90]        Le bénéfice juridique recherché par le recours devant la CRT est de faire reconnaître le droit du salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et à faire constater que l’employeur a contrevenu à son obligation de prévenir le harcèlement. La réclamation du travailleur auprès de la CSST vise à faire reconnaître qu’il a été victime d’une lésion professionnelle.

[91]        Je partage l’opinion de Me Jean-Yves Brière selon laquelle il n’y a pas identité de cause non plus :

iii.            Il n’y a pas identité de cause. La cause comporte deux volets soit les faits matériels allégués et la qualification juridique de ces faits. Certes les faits matériels sont identiques mais leur qualification juridique n’est pas identique. Pour le grief, la qualification juridique vise à déterminer deux choses à savoir si le salarié a été victime de harcèlement psychologique et si l’employeur a contrevenu à son obligation de prévenir le harcèlement :

« 123.15 Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l’employeur a fait défaut de respecter ses obligations […] »

Par contre, dans le cas de la réclamation à la CSST, la qualification juridique vise à déterminer si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle, et ce, sans égard à la responsabilité de l’employeur.[36]

[92]        Le rôle de la CRT est de décider si un salarié a été victime de harcèlement psychologique au travail, c’est-à-dire soumis à des comportements vexatoires, et de décider si l’employeur a fait défaut de prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement et le faire cesser lorsque la conduite est portée à sa connaissance. Il est utile de préciser que le harcèlement psychologique n’entraîne pas nécessairement une lésion professionnelle[37].

[93]        Le rôle de la CLP est fort différent. Elle doit d’abord décider de l’existence d’une lésion psychique et, ensuite, se demander s’il existe une relation entre cette lésion psychique et les événements vécus par le travailleur sur son lieu de travail[38]. Ainsi, il pourrait y avoir une lésion professionnelle de type psychologique reconnue par la CLP, même si le comportement qui l’a causée ne constitue pas du harcèlement au sens de l’article 81.18 L.n.t.[39].

[94]        La CLP doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle, sans égard à la responsabilité de quiconque. L’article 25 L.a.t.m.p. est d’ordre public. Il ne permet pas à la CSST ou à la CLP de décider de l’existence d’une lésion professionnelle selon la responsabilité du travailleur (à l’exception de l’article 26 L.a.t.m.p.), de l’employeur ou des autres employés.

[95]        La définition de harcèlement psychologique réfère invariablement à l’examen des comportements des autres employés et de l’employeur et cette définition conduit inévitablement à évaluer si ces personnes ont eu des comportements vexatoires.

* * * * *

[96]        On l’aura deviné, malgré l’entrée en vigueur des dispositions relatives au harcèlement au travail conférant une compétence exclusive à la CRT, la CLP n’a pas pour autant cessé de se prononcer sur cette question, à sa manière et selon ses propres critères établis avant l’entrée en vigueur des dispositions législatives portant sur le harcèlement au travail.

[97]        Je souligne au passage l’incongruité que peut soulever l’application de la chose jugée implicite d’un côté comme de l’autre. Par exemple, il peut arriver que la CSST se prononce sur l’existence d’une lésion professionnelle et que cette décision ne soit pas portée devant la CLP. Or, parce que la décision de la CSST est de nature administrative, la CRT ne pourrait affirmer être en présence de la chose jugée et aurait tout le loisir de décider de la présence de harcèlement au travail. Par contre, si la décision de la CSST était portée devant la CLP, la CRT aurait les mains liées. De la même façon, si un règlement intervient après enquête et médiation à la CNT, la CLP ne serait pas liée au contenu du règlement intervenu.

[98]        J’estime donc que nous ne sommes pas en présence de chose jugée au sens strict, car il appartient de façon exclusive à la CRT de déterminer si la conduite de l’employeur et des autres employés constitue du harcèlement psychologique.

2.2.2 Chose jugée implicite ou préclusion ou abus de droit

[99]        Ceci étant dit, la CRT pouvait-elle affirmer être en présence d’un cas de chose jugée implicite ou d’un abus de droit?

[100]     Je suis d’avis qu’il était incorrect de retenir que le recours de l’appelante devait être rejeté pour abus de droit. La fin de non-recevoir constitue une règle d’équité qui permet une sanction exceptionnelle, soit celle d’empêcher une personne de faire valoir un droit qui n’est pas éteint. Ce moyen ne peut être utilisé qu’en présence d’un comportement déloyal ou répréhensible, empreint de mauvaise foi[40]. Rien ne démontre que ce remède exceptionnel puisse être invoqué dans le présent dossier.

[101]     Qu’en est-il de la chose jugée implicite ou de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

[102]     On constate à la lecture de la décision de la CLP que l’appelante formulait deux reproches. Un premier à l’endroit d’autres employés et un deuxième à l’égard du mis en cause, soit son manque de soutien devant l’importante réticence des employés lors de l’implantation de changements organisationnels[41]. Or, voilà des éléments qui relèvent de l’appréciation que la CRT doit faire du comportement des intervenants du milieu de travail, ainsi que des mesures prises par l’employeur pour offrir un milieu de travail exempt de harcèlement.

[103]     La CLP a refusé la réclamation, non pas parce que l’appelante ne présentait pas de lésion psychique, ce qui n’était pas contesté[42], mais parce qu’elle a estimé que les comportements qui lui ont été démontrés « […] n’ont pas débordé le cadre de ceux auxquels un gestionnaire peut raisonnablement s’attendre lorsqu’il est nouvellement nommé responsable d’un service ou, encore, lorsqu’il doit procéder à l’implantation de changements organisationnels »[43].

[104]     La CLP ajoute qu’elle ne retient pas la prétention de l’appelante selon laquelle son supérieur immédiat ne lui a pas fourni le soutien dont elle avait besoin[44] et estime qu’il n’a pas exercé son droit de gérance de façon abusive le 8 mars 2006[45].

[105]     Or, la véritable et seule question que soulève ce dossier concerne celle de savoir si la conduite des employés et de l’employeur, dans le contexte de la réorganisation administrative, est vexatoire au sens de l’article 81.18 L.n.t. Il s’agit de déterminer si elle se manifeste « […] par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés [et qui] porte[nt] atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne[nt] pour celui-ci, un milieu de travail néfaste », étant entendu que la conduite de l’employeur doit aussi être examinée.

[106]     Il n’y a pas de doute que, compte tenu de la décision de la CLP, les parties ont obtenu une réponse partielle à la question soumise à la CRT.

[107]     C’est vraisemblablement ce qui a conduit la CRT à avoir recours au concept de la chose jugée implicite et à l’arrêt rendu par la Cour dans Nasifoglu[46], tout en estimant pertinents les principes énoncés par la Cour suprême dans l’affaire Worker’s Compensation Board v. Figliola[47]. Cette dernière affaire avait pour toile de fond l’application de la doctrine de la « préclusion découlant d’une question déjà tranchée », doctrine applicable dans les provinces de common law.

[108]     La chose jugée implicite retenue par la Cour dans les affaires Srougi[48] et Nasifoglu[49] met en exergue les conséquences juridiques d’une décision rendue par un tribunal spécialisé qui, en vertu de sa compétence exclusive, tranche une question et l’impact que cette décision aura sur un recours civil intenté devant un tribunal de droit commun, alors que la même question est présentée devant les deux instances.

[109]     Ces deux affaires font ressortir le fait que la chose jugée implicite repose sur l’idée que la présomption d’autorité ne s’applique pas seulement au dispositif formel du jugement, mais aussi aux motifs essentiels qui s’y trouvent intimement liés.

[110]     Dans Srougi, le juge Rochon établit bien la base de la théorie de la chose jugée implicite :

[44]      Pour reprendre l'expression du juge Vallerand il y a «chose jugée implicite»18. Les principes qui sous-tendent l'autorité de la chose jugée imposent l'examen non seulement du dispositif, mais également celui des motifs «lorsqu'ils font corps avec le dispositif et qu'ils sont nécessaires à son soutien»19. Alors à la Cour d'appel, le juge LeBel écrit :

On doit bien comprendre cependant la portée de cette règle [l’autorité de la chose jugée]. Cette présomption de vérité ne se limite pas seulement au dispositif formel du jugement : elle s’étend aux motifs essentiels qui s’y trouvent intimement liés. Elle comprend les conclusions même implicites qui résultent comme une conséquence nécessaire du dispositif de ce jugement.(20)

18 Pavage & Aménagement Paysager Antonio Borsellino inc. c. Relais Signal Ltée, [1992] R.D.J. 252 (C.A.); Giannoulias c. Kovacs, [1993] R.D.J. 590 (C.A.). Voir aussi Liberty Mutual Insurance Co. c. Commission des normes du travail du Québec, [1990] R.D.J. 421 (C.A.); Les automobiles d’Autray Inc. c. Comité paritaire de l’industrie de l’automobile…, [1996] R.D.J. 413 (C.A.).

19 Ellard c. Millar, [1930] R.C.S. 319, p. 326, repris notamment dans Giannoulias c. Kovacs, précité, p. 591.

20 Contrôle technique appliqué Ltée c. Québec (Procureur général), [1994] R.J.Q. 939, (C.A.) p. 943; repris notamment dans Nadeau c. Société d’assainissement des eaux, 200-09-003290-001, le 25 septembre 2001, Cour d’appel, les juges Baudouin, Rousseau-Houle et Robert.

[111]     Dans Nasifoglu, la question était celle de déterminer l’impact d’une décision de la Régie du logement qui avait reconnu le caractère commercial d’un bail plutôt que son caractère résidentiel. Cette affaire démontrait toute la difficulté de recourir à la chose jugée implicite lorsque deux tribunaux, dont un tribunal de droit commun, exercent leur compétence respective. Les propos du juge Hilton (dissident) sur le sujet sont éloquents :

[92] As a result, I do not believe that when the Board and the Superior Court are confronted at the same time with separate cases between the same parties within their exclusive jurisdiction to decide that raise an identical issue of law, the Superior Court is powerless to arrive at its own conclusions in law on that issue if the decision of the Board happens to be rendered first. That is all the more so when it is considered that the process in the Superior Court is necessarily more rigorous than that before the Board.12 and that the parties benefit from examinations on discovery in the Superior Court that are not available before the Board.13 It is wrong in such circumstances to deprive the parties of a complete hearing by the Superior Court, with the attendant risk that a significant injustice may have occurred before the Board that the Superior Court cannot undo.

12 There is no provision for the automatic recording of evidence before the Board, and it is apparent that its process is meant to be informal in keeping with the nature of the cases it is called upon to decide, where more often than not counsel does not represent at least one of the parties. For example, section 63 of the Act requires a commissioner "to summarily instruct the parties on the rules of evidence", and section 72 allows a natural person to be represented by a spouse, and in other specified circumstances, by a relative or a friend.

13 As we will later see in these reasons, Ms. Nasifoglu's counsel made excellent use of the discovery process in the Superior Court.

[112]     À mon avis, il n’est pas utile, dans le cadre du présent dossier, de décider si les tribunaux administratifs québécois peuvent se prévaloir de la chose jugée implicite (concept de droit civil), plutôt que de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (concept de common law pouvant, selon certains, s’appliquer aux tribunaux administratifs). Les tribunaux administratifs doivent répondre à la commande du législateur et exercer la compétence que ce dernier leur a dévolue de façon exclusive.

[113]     Cependant, j’ajoute qu’il m’apparaît que, de toute façon, la chose jugée implicite devrait s’appliquer avec la même prudence que celle imposée par la Cour suprême lorsqu’elle applique la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Je m’explique.

[114]     La doctrine de la « préclusion découlant d’une question déjà tranchée » répond à ses propres conditions et son application nécessite que le tribunal désirant la mettre en œuvre exerce une certaine discrétion. Les conditions d’application sont au nombre de trois : 1) que la même question ait été tranchée dans une procédure antérieure; 2) que la décision judiciaire antérieure soit définitive; et 3) que les parties soient les mêmes dans chacune des instances. Par la suite, le Tribunal doit se demander si, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la théorie de la préclusion doit être appliquée[50]. Pour ce faire, il doit évaluer au cas par cas l’effet inéquitable qui pourrait s’ensuivre[51].

[115]     Comme l’affirme le juge Morissette dans Nasifoglu, il y a un certain rapprochement entre la théorie de la chose jugée implicite et la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée applicable en common law :

[69]           Cette interprétation de l’article 2848 C.c.Q. accorde à l’exception de la chose jugée une portée semblable à celle que l’on reconnaît en common law à la notion de issue estoppel (ou de « préclusion découlant d’une question déjà tranchée »). La doctrine de l’issue estoppel comporte cependant une dimension qu’on ne retrouve pas en matière de chose jugée régie par le droit civil. Le tribunal saisi d’une exception de ce type - que ce soit par un moyen d’irrecevabilité ou par une défense au fond - a le pouvoir de l’écarter discrétionnairement, même s’il est manifeste que la même question litigieuse a déjà fait l’objet d’une décision de justice entre les mêmes parties. C’est ce qu’illustre de manière frappante un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc. Cet arrêt analyse de façon approfondie les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ainsi que sept des facteurs qui peuvent être pris en considération dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal.

[70]           Si la possibilité existait de transplanter cette doctrine en droit civil, je suis d’avis qu’il y aurait lieu, en l’occurrence, d’écarter l’argument fondé sur la chose jugée.  Plusieurs facteurs militeraient en faveur de cette solution, dont la nature de la question tranchée ici et l’ordre dans lequel les deux demandes ont été formées. Mais, telle que je la comprends, l’autorité de la chose jugée en droit civil ne permet pas de s’arrêter à ces considérations et de suivre un raisonnement comme celui développé dans l’arrêt Danyluk.[52]

[Références omises]

[116]     Je suis d’accord avec le juge Morissette que l’autorité de la chose jugée, au sens de l’article 2848 C.c.Q., ne laisse pas place aux considérations déterminées par la Cour suprême dans l’application de la « préclusion découlant des questions déjà tranchées ». Pour des raisons évidentes, la chose jugée que je qualifierais de parfaite, celle que le législateur a prévue spécifiquement au Code civil du Québec, confère une présomption d’autorité absolue au premier jugement. À mon avis, il en est autrement lorsqu’un deuxième tribunal décide d’appliquer le principe de la chose jugée implicite qui, elle, ne doit pas être appliquée de façon automatique, mais plutôt avec modération et discernement, pour les mêmes raisons que celles exprimées par la Cour suprême dans l’affaire Penner c. Niagara (Commission régionale des services policiers)[53] rendue en 2013.

[117]     L’affaire Penner illustre bien l’importance pour les tribunaux d’exercer leur pouvoir discrétionnaire, même dans les cas où les critères d’application des conditions d’ouverture à la « préclusion découlant d’une question déjà tranchée » sont satisfaits. L’idée d’utiliser le pouvoir discrétionnaire au cas par cas est d’éviter la création d’une iniquité ou d’une injustice, et ce, malgré l’importance du caractère définitif des décisions, tant pour les parties que pour le système judiciaire.

[118]     Dans le présent cas, la CRT aurait dû apprécier la question sur la base de la responsabilité que lui a confiée le législateur, soit celle de décider, de façon exclusive, de l’existence d’une situation de harcèlement au travail. En conséquence, elle aurait dû refuser de conclure à la chose jugée implicite ou à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, quoiqu’il faille admettre que la CLP a répondu à une partie de la question. Comme nous l’avons vu, il n’appartenait pas à la CLP de décider si l’appelante a subi du harcèlement au travail.


 

[119]     Par contre, la CRT pourra tenir compte de la décision de la CLP, sans toutefois être liée par elle au sens des arrêts Ali[54], Thyssen[55], Solomon[56] et Pierre-Louis[57]. Dans ce cas, il appartiendra à la CRT d’évaluer la portée et la valeur probante de la décision de la CLP, après avoir procédé à sa propre enquête et à l’analyse que le législateur lui commande de faire.

[120]     Au final, il est légitime d’être préoccupé par la question du gaspillage des ressources que la reprise complète des témoignages rendus devant une instance pourrait causer. Les parties doivent, de façon responsable, éviter la reprise complète des témoignages d’une instance à l’autre. Je souligne que la CRT possède tous les pouvoirs de gestion nécessaires et la souplesse requise dans l’administration de la preuve présentée devant elle pour faire en sorte d’éviter un tel gaspillage.

Conclusion

[121]     En conclusion, je propose d’infirmer partiellement le jugement de la Cour supérieure; de rejeter l'appel quant à l’objection préliminaire portant sur la plainte de congédiement injustifié (art. 124 Loi sur les normes du travail); d’accueillir l'appel et la requête en révision judiciaire de la décision de la CRT qui a accueilli l’objection préliminaire portant sur la plainte de harcèlement psychologique (article 123.6 L.n.t.) au motif de la chose jugée et d'ordonner que le dossier soit retourné à la CRT, afin qu’elle se prononce sur la plainte de harcèlement psychologique; le tout sans frais, vu le sort mitigé de l’appel.

 

 

 

DOMINIQUE BÉLANGER, J.C.A.

 


 

 

MOTIFS DU JUGE GIROUX

 

 

[122]     J’ai eu l’avantage de prendre connaissance des motifs de ma collègue, la juge Bélanger. Je suis entièrement d’accord avec sa proposition de confirmer la décision de la Cour supérieure sur la première question, qui est celle de savoir si la CRT pouvait rejeter de façon préliminaire la plainte de congédiement injustifié de l’article 124 LNT parce que l’appelante bénéficiait d’un recours équivalant à celui prévu à cette Loi[58].

[123]     Je ne partage cependant pas son avis sur la seconde question relative à la décision de la CRT de rejeter de façon préliminaire la plainte de l’appelante pour harcèlement psychologique au motif qu’il y avait chose jugée implicite avec la décision de la CLP du 29 septembre 2008.

[124]     Pour expliquer ma position, il est d’abord nécessaire d’ajouter certains éléments à la narration des faits de la juge Bélanger.

[125]     L’appelante est en arrêt de travail depuis le 13 mars 2006.

[126]     Le même jour, elle consulte son médecin qui, le 30 mars 2006, indique dans son rapport un diagnostic de trouble d’adaptation secondaire à du harcèlement psychologique au travail[59].

[127]     Le 8 avril 2006, l’appelante produit une réclamation à la CSST afin d’être indemnisée pour une lésion professionnelle dont elle fixe la survenance au 8 mars 2006 et qui résulte d’un harcèlement psychologique[60].

[128]     Le 18 avril 2006, l’appelante dépose contre le mis en cause, son employeur, une plainte pour harcèlement psychologique au travail en vertu de l’article 123.6 LNT[61].

[129]     Le 28 août 2006, la CSST déclare que l’appelante n’a pas subi de lésion professionnelle le 8 mars 2006.

[130]     L’appelante demande la révision de cette décision et, le 30 novembre 2006, la révision administrative de la CSST confirme la décision du 28 août 2006.

[131]     Le 20 décembre 2006, l’appelante conteste la décision du 30 novembre 2006 à la CLP.

[132]     Le 30 novembre 2007, la docteure Fortin, psychiatre, membre du Bureau d’évaluation médicale de la CSST, donne un avis dans lequel elle retient le diagnostic de trouble de l’adaptation avec humeur mixte d’intensité légère à modérée. Elle conclut à la consolidation de cette lésion au 1er janvier 2007, et ce, sans atteinte permanente à l’intégrité physique ni limitation fonctionnelle[62].

[133]     La décision de la CSST donnant suite à l’avis de la docteure Fortin n’est pas contestée, mais celle refusant de reconnaître que la lésion psychique diagnostiquée chez l’appelante constitue une lésion professionnelle l’est par cette dernière[63].

[134]     Le 29 septembre 2008, dans une décision de 186 paragraphes, la CLP rejette la contestation de l’appelante, confirme la décision que la CSST a rendue le 30 novembre 2006 à la suite d’une révision administrative et déclare que l’appelante n’a pas subi de lésion professionnelle le 8 mars 2006.

[135]     Par requête du 5 novembre 2008, l’appelante demande à la CLP de réviser sa décision du 29 septembre 2008. Cette requête est rejetée par une décision de la CLP rendue le 21 janvier 2010[64].

[136]     Le 13 décembre 2011, la CRT rejette la plainte de harcèlement psychologique déposée par l’appelante le 18 avril 2006 au motif que la décision de la CLP du 29 septembre 2008 a clairement déterminé qu’il n’y avait pas eu de harcèlement psychologique à l’égard de l’appelante[65].

LA NORME DE CONTRÔLE

[137]     En ce qui concerne la norme de contrôle, la Cour suprême rappelle que les tribunaux doivent éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence et que l’expérience enseigne que peu de questions appartiennent à la catégorie des véritables questions de compétence[66].

[138]     En l’espèce, tant la CLP que la CRT ont agi dans le cadre de leurs compétences respectives. La première était saisie d’une contestation d’une décision de la CSST rejetant une réclamation pour lésion professionnelle. La seconde étudiait une plainte de harcèlement psychologique au travail portée selon l’article 123.6 LNT.

[139]     Avec égards, le fait que la lésion professionnelle invoquée devant la CLP puisse résulter en tout ou en partie du harcèlement psychologique ne soulève aucune question de compétence ni ne s’y apparente, puisque la compétence de la CLP dans une telle hypothèse est préservée par l’article 123.16 de la LNT.

[140]     Au surplus, en matière de harcèlement psychologique, même l’existence de deux courants de jurisprudence au sein des deux tribunaux administratifs impliqués quant à la détermination de la portée de l’autorité de la chose jugée ne commande pas davantage, à mon avis, l’application de la norme de la décision correcte et l’intervention des tribunaux supérieurs.

[141]     D’une part, l’existence même de divergences sur l’interprétation et l’application de la loi au sein de deux tribunaux administratifs ne justifie pas en soi d’écarter la déférence due à un tribunal spécialisé et d’appliquer le critère de la décision correcte.

[142]     C’est le message non équivoque lancé par la Cour suprême dans l’arrêt Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles)[67] et ce message est toujours d’actualité[68]. Il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation de conflit opérationnel survenant lorsque le respect d’une décision d’un tribunal administratif entraîne la violation de celle d’un autre, de telle sorte qu’un justiciable est contraint à une chose et à son contraire comme c’était le cas dans l’arrêt British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd.[69].

[143]     D’autre part, la question de déterminer s’il y a chose jugée et, davantage lorsqu’il s’agit de la chose jugée implicite, requiert une évaluation des faits de chaque espèce puisque la qualification juridique des faits allégués est essentielle pour apprécier l’identité de cause[70]. Cet élément milite en faveur de la norme de la décision raisonnable.

[144]     Par conséquent, je suis d’avis qu’il n’y a pas de motif justifiant en l’espèce de s’éloigner de la norme de contrôle de la décision raisonnable qui sied à un tribunal spécialisé comme la CRT.

L’APPLICATION DE LA NORME DE CONTRÔLE

[145]     En appliquant cette norme à la décision de la CRT du 13 décembre 2011, il me semble qu’il faille alors répondre à trois questions :

1)     la CRT a-t-elle rendu une décision déraisonnable en déterminant que la CLP pouvait se prononcer sur le harcèlement psychologique?

2)     la CRT a-t-elle rendu une décision déraisonnable en considérant que, en l’espèce, la CLP avait bel et bien décidé que l’appelante n’avait pas été victime de harcèlement psychologique?

3)     la CRT a-t-elle rendu une décision déraisonnable en décidant qu’en l’espèce il y avait chose jugée implicite sur l’absence de preuve de harcèlement psychologique?

[146]     Quant à la première question, la CRT a conclu qu’elle n’avait pas compétence exclusive en matière de harcèlement psychologique et que la CLP pouvait se prononcer sur cette question.

[147]     Dans sa décision, la CRT signale qu’elle n’a pas de compétence exclusive sur cette question et que cette compétence est plutôt partagée malgré les termes généraux de l’article 114 du Code du travail. Elle fonde son opinion sur les dispositions de l’article 81.20 LNT qui prévoient expressément la compétence de l’arbitre de grief et de la Commission de la fonction publique sur le harcèlement psychologique[71].

[148]     Elle conclut aussi que la CLP a également compétence pour se prononcer sur le harcèlement psychologique lorsqu’elle doit déterminer s’il y a eu lésion professionnelle résultant du harcèlement psychologique :

[56]      Par ailleurs, l’analyse de l’article 123.16 de la L.N.T. montre que ces tribunaux appelés à trancher une question de harcèlement psychologique, ne possèdent pas de compétence exclusive quand il est question de harcèlement psychologique. En effet, en présence d’une lésion professionnelle qui résulte du harcèlement psychologique la CLP a compétence pour les dommages pendant la période visée.

Lésion professionnelle.

123.16. Les paragraphes 2°, 4° et 6° de l'article 123.15 ne s'appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d'une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), qui résulte du harcèlement psychologique.

Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l'article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des paragraphes 2°, 4° et 6°.

[57]      Pour la Commission, le législateur a donc clairement exprimé que la compétence exclusive souffrait d’un problème d’étanchéité, notamment lorsqu’il y a lésion professionnelle en raison du harcèlement psychologique. Cette dernière affirmation est appuyée par le deuxième paragraphe de l’article 123.16 de la L.N.T. On y note que s’il est probable que le harcèlement psychologique ait entraîné une lésion, ces tribunaux doivent réserver leur décision sur les paragraphes 2°, 4° et 6°. En bout de piste, cela veut dire que si la CLP octroie des sommes d’argent sous ces chefs, ces tribunaux ne pourront pas en donner sous ces mêmes chefs.        

[58]      Dans une telle situation, pour que la CLP puisse accueillir la plainte elle doit nécessairement conclure qu’il y a eu du harcèlement psychologique. La cause à l’origine de la lésion professionnelle doit être le harcèlement psychologique qui entraîne une lésion professionnelle.

[59]      Lorsque le législateur déclare que la Commission doit réserver sa compétence quant aux paragraphes 2, 4 et 6, il confie dès lors à la CLP  le droit d’octroyer des remèdes. Pour conclure à l’octroi de remèdes, il faut bien que le patient soit atteint de la même maladie. Cela démontre que la compétence dite exclusive de ces tribunaux ne l’est pas en réalité lorsqu’il est question simultanément de plainte en harcèlement psychologique et que le harcèlement psychologique soit à l’origine d’une lésion professionnelle.

[Les soulignements sont de la CRT]

[149]     L’article 123.16 sur lequel se fonde la CRT constitue une limite aux redressements que peut accorder la CRT en vertu de l’article 123.15 LNT lorsqu’elle juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique. Dans le cas où le harcèlement a entraîné une lésion professionnelle, l’article 123.16 empêche la CRT d’ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité ou de lui verser des dommages-intérêts punitifs et moraux ou de financer le soutien psychologique requis.

[150]     L’article 123.16 LNT a donc pour objectif de préserver la compétence de la CLP pour se prononcer sur l’existence d’une lésion professionnelle même lorsque celle-ci résulte du harcèlement psychologique[72].

[151]     En l’espèce, c’est d’abord devant la CLP qu’a été plaidée et entendue la contestation par l’appelante du refus du bureau de révision de la CSST de lui reconnaître une lésion professionnelle. Rien dans la loi n’exige que la plainte pour harcèlement psychologique portée devant la CRT soit entendue en premier.

[152]     Dans ce contexte, je ne peux voir en quoi le constat de la CRT quant à la compétence de la CLP de se prononcer sur le harcèlement psychologique serait déraisonnable. Cette détermination se fonde sur une interprétation de l’article 123.16 LNT qui se situe certainement parmi les issues possibles. Même si le rôle de la CLP est de constater l’existence d’une lésion professionnelle, alors que celui de la CRT est d’identifier et de remédier au harcèlement psychologique en milieu de travail, ce n’est pas faire violence au texte de l’article 123.16 LNT que de l’interpréter comme autorisant la CLP à se prononcer sur l’existence du harcèlement psychologique lorsque la lésion professionnelle invoquée « résulte du harcèlement psychologique », selon l’auteur même de la réclamation.

[153]     La seconde question est de savoir si la CRT a rendu une décision déraisonnable lorsqu’elle a déterminé que, en l’espèce, la CLP avait décidé que l’appelante n’avait pas été victime de harcèlement psychologique.

[154]     À mon avis, la réponse à cette question doit être négative. Cette détermination de la CRT est l’une des issues possibles. L’analyse que la CRT fait de la décision de la CLP du 29 septembre 2008 dans laquelle cette dernière conclut que l’appelante n’a pas subi de lésion professionnelle ne peut pas être qualifiée de déraisonnable si l’on tient compte des éléments suivants :

§  la réclamation de l’appelante à la CSST en est une, depuis le début, pour lésion professionnelle résultant de harcèlement psychologique[73];

§  devant la CLP, l’appelante a témoigné en se référant à une déclaration écrite d’une trentaine de pages qu’elle avait rédigée dans le contexte de la plainte pour harcèlement psychologique qu’elle avait déposée à la Commission des normes du travail et dans laquelle elle relate des événements survenus au travail entre septembre 2004 et mars 2006 et qui seraient, selon elle, à l’origine de sa lésion psychique[74];

§  les autres déclarations écrites préparées par l’appelante pour sa réclamation à la CSST contiennent la même version des événements que celle qui apparaît dans son document au soutien de sa plainte pour harcèlement psychologique;

§  ainsi que le révèlent les passages suivants de la décision de la CLP du 29 septembre 2008, le témoignage de l’appelante devant la CLP visait à démontrer que sa lésion résultait de harcèlement psychologique :

[15]    La Commission des lésions professionnelles note que, dans des déclarations écrites, madame Durocher identifie plusieurs personnes de la part de qui elle estime avoir été victime de harcèlement psychologique mais, qu’à l’audience, elle a indiqué qu’elle considère qu’elle a été harcelée par seulement cinq personnes, soit par madame Josée Carignan, infirmière au centre Cité des Prairies, par madame Emma Merkx, infirmière au Mont St-Antoine, par madame Johanne Éthier, dentiste à Cité des Prairies, par madame Leila Ismail, médecin à Dominique-Savio-Mainbourg et à Rose-Virginie Pelletier et par son supérieur immédiat, monsieur Ronald Chartrand.

 

[16]    En tenant compte de cette précision qu’elle apporte, la Commission des lésions professionnelles retient donc les éléments suivants des déclarations de madame Durocher.[75]

 

§  la preuve administrée par l’appelante devant la CLP par son propre témoignage et ceux des dames Dumontais, Turcotte, Lajoie et Arsenault avait pour but d’établir que sa lésion résultait du harcèlement psychologique de la part de ces cinq personnes[76];

§  devant la CLP, le mis en cause, l’employeur de l’appelante, a fait entendre monsieur Chartrand, son supérieur immédiat, afin de démontrer que ni lui ni les quatre autres personnes désignées par l’appelante n’avaient fait preuve de harcèlement envers cette dernière[77];

§  l’évaluation de cette preuve par la CLP[78] a conduit cette dernière à conclure que l’appelante n’a pas été victime du harcèlement psychologique qu’elle a invoqué au soutien de sa réclamation à la CSST :

[148]    En l’espèce, madame Durocher prétend qu’elle a été victime d’un accident du travail parce que la lésion psychique dont elle a souffert à compter du mois de mars 2006 est attribuable au harcèlement psychologique dont elle a été l’objet à compter de sa nomination comme chef du service de santé en septembre 2004 et ce, de la part de son supérieur immédiat, monsieur Chartrand, et de la part de quatre collègues de travail, soit mesdames Merkx et Carignan, infirmières, madame Ismail, médecin, et madame Éthier, dentiste. Elle prétend qu’en plus de ce harcèlement, son supérieur a fait défaut de lui fournir le support nécessaire à l’exercice de son nouveau rôle de gestionnaire et qu’il exercé abusivement son droit de gérance le 8 mars 2006.

[149]        Après analyse, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que ces prétentions sont mal fondées et ce, pour les motifs suivants.[79]

[155]     Dans sa décision du 29 septembre 2008, la CLP a réitéré sa position voulant que, même si ce sont des manifestations de harcèlement psychologique qui sont alléguées être à l’origine d’une lésion psychique, elle n’a pas à décider si le travailleur a été victime de harcèlement selon la définition de la LNT[80], mais plutôt de décider si les faits mis en preuve permettent de conclure à la survenance d’un accident du travail parce que ces faits justifient qu’ils soient considérés comme un événement imprévu et soudain[81].

[156]     Il se peut également que des situations autres que du harcèlement psychologique puissent être à la source d’une lésion psychique en milieu de travail. En l’espèce, la CLP n’en a retenu aucune puisqu’elle a rejeté la réclamation de l’appelante.

[157]     Malgré ces réserves, que la CRT a elle-même signalées[82], j’estime que la CRT pouvait raisonnablement conclure de la décision de la CLP que cette dernière avait décidé de façon définitive que l’appelante n’avait pas réussi à prouver les allégations de harcèlement psychologique sur lesquelles elle fondait tant sa réclamation pour lésion professionnelle devant la CSST et la CLP que sa plainte pour harcèlement psychologique selon l’article 124 LNT.

[158]     Cette conclusion de la CRT est non seulement une des issues possibles, mais elle possède tous les attributs de la raisonnabilité quant à sa justification et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel[83]. Les motifs ci-après énoncés au paragraphe [38] de la décision de la CRT du 13 décembre 2011 sont, à mes yeux, amplement suffisants pour permettre à la cour de révision de comprendre le fondement de sa décision et de déterminer que sa conclusion fait partie des issues possibles acceptables[84] :

[38]        Pour la présente affaire, il est important de reproduire les passages de la décision de la CLP qui porte sur les mêmes allégations que la plaignante avait dans son exposé initial de faits et ceux qui concernent monsieur Chartrand puisqu’ils se retrouvent aussi dans son exposé amendé. La CLP a rejeté les réclamations de la plaignante. Elle a déterminé que celle-ci n’avait pas fait l’objet d’une lésion professionnelle. Pour ce faire, bien que la CLP fasse une mise en garde sur la teneur de sa compétence, à savoir qu’elle doit déterminer s’il y a une lésion professionnelle, la CLP décrit les événements et situations que la plaignante soutient être du harcèlement psychologique et déclare spécifiquement que ceux-ci ne sont pas du harcèlement psychologique ou sont simplement l’application des droits de gérance de l’intimé. Voici certains passages de ces décisions :

[…][85]

[159]     Enfin, et c’est la troisième question, la CRT a-t-elle rendu une décision déraisonnable en concluant qu’il y avait chose jugée implicite en ce qui concerne l’absence de harcèlement psychologique?

[160]     En droit québécois, la présomption absolue de chose jugée est régie par le Code civil au titre deuxième du livre septième portant sur les moyens de preuve. Elle est prévue à l’article 2848 C.c.Q. La jurisprudence a interprété cette disposition comme incluant la notion de chose jugée implicite[86]. De plus, la Cour suprême a confirmé dans son arrêt Boucher c. Stelco Inc.[87] que la règle de la chose jugée s’applique non seulement aux décisions des tribunaux judiciaires, mais aussi à celles des tribunaux administratifs[88].

[161]     La CLP a rendu sa décision du 29 septembre 2008 au terme d’un processus quasijudiciaire après une audience de cinq jours, au cours de laquelle l’appelante a témoigné en plus de faire entendre quatre autres témoins au soutien de sa contestation. Cette dernière ayant été rejetée, l’appelante a fait une demande de révision à la CLP, qui l’a rejetée. L’appelante n’ayant pas demandé la révision judiciaire de ces décisions, la décision de la CLP est devenue définitive et bénéficie de l’autorité de la chose jugée[89].

[162]     En l’espèce, la CRT a décidé qu’il y avait identité des parties et identité de cause entre la décision de la CLP et la plainte pour harcèlement psychologique dont elle-même était saisie parce que les faits générateurs dans le dossier de la CLP étaient les mêmes que pour la plainte en harcèlement psychologique[90].

[163]     Quant à l’identité d’objet, la CRT a appliqué la règle de la chose jugée implicite au motif principal que, devant la CRT, l’appelante cherchait de nouveau, tout comme elle l’avait fait devant la CLP, à faire qualifier juridiquement les mêmes gestes, conduites et événements déjà mis en preuve devant la CLP :

[83]        La plaignante a cherché devant la CLP à faire qualifier juridiquement (l’objet) les gestes (la cause) de l’employeur. Devant la Commission, elle cherche de nouveau à faire qualifier juridiquement les gestes (la cause) de l’employeur. Ce sont les mêmes gestes, conduites et événements que ceux mis en preuve devant la CLP.

[84]        Ainsi, lorsque la CLP qualifie juridiquement les gestes ou conduites comme n’étant pas du harcèlement psychologique ou comme étant l’application du droit de gérance de l’intimé, il apparaît difficile que la Commission ne puisse pas être liée par cette qualification juridique des mêmes faits. En effet, comme le disait la Cour d’appel dans Nasifoglu précité, l’objet de la cause devant la Commission a été implicitement décidé dans la décision de la CLP.[91]


 

[164]     À mon avis, cette conclusion n’est pas déraisonnable dans le contexte de l’espèce. L’examen comparatif des allégations de l’appelante devant la CLP, pour faire reconnaître l’existence d’une lésion professionnelle, et devant la CRT, pour établir qu’elle a été victime de harcèlement psychologique dans son milieu de travail et obtenir un redressement selon l’article 123.15 LNT, a convaincu la CRT qu’il s’agissait des mêmes faits, gestes, conduites et événements dans les deux cas[92].

[165]     L’objet d’une demande est le bénéfice que l’on se propose d’obtenir en la formulant. Si un droit a été affirmé ou nié dans un procès, il y aura identité d’objet, si, dans un nouveau procès, on remet en question un même droit, alors même que ce serait pour en tirer une autre conséquence[93].

[166]     En l’espèce, la CRT a conclu que, tant devant la CLP que devant la CRT, l’appelante invoque le même ensemble factuel. Chaque recours s’en prend aux mêmes gestes, attitudes et comportements des mêmes acteurs. Ces faits reçoivent en outre la même qualification juridique générale de harcèlement psychologique. Devant la CLP, ils sont invoqués parce qu’ils seraient la cause d’une lésion professionnelle qui doit être indemnisée. Devant la CRT, ils sont invoqués pour obtenir un verdict de harcèlement psychologique au travail et obtenir un redressement adéquat.

[167]     Ce qu’un jugement décide de façon implicite bénéficie de l’autorité de la chose jugée[94]. Il en est de même pour les motifs qui sont en relation si intime avec le dispositif que, sans eux, ce dernier serait incomplet[95]. En rejetant la contestation de l’appelante au sujet de l’existence d’une lésion professionnelle, la CLP a décidé que cette dernière n’avait pas subi le harcèlement psychologique qu’elle estimait être à l’origine de cette lésion. La CRT a décidé qu’il y avait chose jugée implicite sur cette question.

[168]     En conséquence, j’estime que la décision de la CRT était l’une des issues possibles. Dans l’exercice de sa compétence spécialisée, elle n’a pas commis d’erreur déraisonnable lorsqu’elle a conclu que l’appelante invoquait les mêmes droits tant devant la CLP que devant la CRT, même si c’était pour en tirer une autre conséquence et que, pour ce motif, les deux objets étaient tellement connexes qu’il y avait chose jugée[96].

[169]     En finale, j’estime que l’approche qui doit être suivie en l’espèce est celle énoncée par la juge Abella dans l’arrêt Doré c. Barreau du Québec[97] lorsqu’elle tire les enseignements suivants de l’arrêt Dunsmuir [98] :

[…] la révision judiciaire doit être orientée par une politique de retenue justifiée par le respect de la volonté du législateur, le respect de l’expertise spécialisée que possèdent les décideurs administratifs et la reconnaissance que les cours de justice n’ont pas le pouvoir exclusif de statuer sur toutes les questions dans le domaine administratif.[99]  

[Une référence est omise]

 

[170]     Ainsi analysée, à la lumière de la norme de contrôle de la décision raisonnable et de la déférence due à un décideur spécialisé comme la CRT, je ne vois aucun motif d’intervenir dans la décision rendue par la CRT le 13 décembre 2011. En conséquence, je rejetterais cet appel, avec dépens.

 

 

 

LORNE GIROUX, J.C.A.

 



[1]   Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (« L.n.t. »).

[2]   Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001 (« L.a.t.m.p. »).

[3]   Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (« L.n.t. »).

[4]   Durocher et Centre jeunesse de Montréal, 2008 QCCLP 5569, AZ-50514472 (CLP), rectifiée le 1er octobre 2008.

[5]   Ibid., paragr. 138. Durocher et CJM 2008 QCCCLP 5569.

[6]   Durocher et Centre jeunesse de Montréal, 2010 QCCLP 591, AZ-50601812 (CLP).

[7]   Art. 32, L.a.t.m.p. : L'employeur ne peut congédier, suspendre ou déplacer un travailleur, exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou de représailles ou lui imposer toute autre sanction parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice d'un droit que lui confère la présente loi. Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans le premier alinéa peut, à son choix, recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou soumettre une plainte à la Commission conformément à l'article 253.

[8]   Durocher et Centres jeunesse de Montréal, 2010 QCCLP 9344, AZ-50707611 (CLP).

[9]   Règlement sur certaines conditions de travail applicables aux cadres des agences et des établissements de santé et de services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, r. 5.1 (« le Règlement »).

[10]   Durocher et Centre jeunesse de Montréal, 2011 QCCRT 0571, AZ-50816338, paragr. 86 (CRT).

[11]  Université McGill c. Ong, 2014 QCCA 458, J.E. 2014-537.

[12]  Ibid., paragr. 41-45; voir aussi Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679, J.E. 2014-725 (C.A.), paragr. 59.

[13]  Boutin et Centre de santé Vallée-de-la-Gatineau, 2009 QCCRT 0325, AZ-50569595 (CRT); Fiola et Institut Philippe-Pinel de Montréal, 2011 QCCRT 0393, AZ-50783142 (CRT).

[14]  Université McGill c. Ong, supra, note 10, paragr. 35.

[15]  Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), [2010] 2 R.C.S. 61, 2010 CSC 28 (CSC).

[16]  Université McGill c. Ong, supra, note 10, paragr. 34, 35 et 50.

[17]  Carrier c. Mittal Canada inc., supra, note 11.

[18]  Pigeon et Sears Canada inc., 2014 QCCLP 1983, AZ-51060000, paragr. 37 (CLP); Goulet et Coopérative de services à domicile Beauce-Nord, 2012 QCCRT 0138, AZ-50841716, paragr. 11-19 (CRT).

[19]  Voir sur ce sujet Jennifer Nadeau, Le harcèlement psychologique au travail : l’accès difficile à l’indemnisation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014; Isabelle Gagnon, « Harcèlement psychologique et lésion professionnelle psychologique : de la « chose jugée » à « l’abus de procédure » en passant par la préclusion… que de confusion !» dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail, vol. 394, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 213.

[20]  Yves Ouellette, Les tribunaux administratifs au Canada : Procédure et preuve, Montréal, Éditions Thémis, 1997, p. 253-269.

[21]  Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3, art. 9-13.

[22] Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3.

[23] Ces règles sont adoptées, mais ne seraient pas en vigueur.

[24]  Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives, L.Q., 2002, c. 80.

[25]  Loi sur les normes du travail, supra, note 1, art. 123.6.

[26]  Code du travail, RLRQ, c. C-27.

[27]  Loi sur les normes du travail, supra, note 1, art. 81.20.

[28]  Anglade et CUM, décision rendue le 17 juin 1988 par la CALP, 00837-60-8609, AZ-4000006885.

[29]  Solange Pronovost, « La violence psychologique au travail à l’aune du régime d’indemnisation des lésions professionnelles », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit de la santé et sécurité au travail 2003, vol. 183, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003 (recherche réalisée sous la supervision de la professeure Katherine Lippel).

[30] Bernard Cliche et al., Le harcèlement et les lésions psychologiques, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 36.

[31]  S. Pronovost, supra, note 28, p. 156 et 157.

[32]  Voir A.G. et Coopérative A*, 2010 QCCLP 9054, AZ-50702436 (CLP).

[33]  Équipement Fédéral inc. c. Turgeon, 2008 QCCLP 4508, AZ-50506045 (CLP).

[34]  Débats de la Commission de l’économie et du travail, 36e lég., 2e sess., (12 décembre 2002, 20h) à la p. 2 (M. Rochon).

[35]  Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S., 374, [1991] R.R.A. 314 (rés.) (CSC), p. 413-415.

[36] Jean-Yves Brière, Relations de travail, Quand la chose jugée devient déraisonnable!, vol. 11, Brossard, Publications CCH Ltée, mai 2009, no 5.

[37]  Voir par exemple Roc c. Poulbec inc., 2007 QCCRT 0441, [2007] R.J.D.T. 1533 (CRT); Gagnon c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance vie, 2011 QCCS 4149, AZ-50780060 (CS); Jean-Yves Brière, Les harcèlements psychologiques et les accidents du travail, vol. 9, Brossard, Publications CCH Ltée, janvier 2007, no 1.

[38]  S. Pronovost, supra, note 28, p. 127

[39] Métro Richelieu et Travailleuses et Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500, AZ-50562730, 23 janvier 2009, Me Claude Fabien, arbitre, paragr. 29.

[40]  Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 2éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, p. 1158-1163, paragr. 2029-2034; Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 852, paragr. 730.

[41]  Durocher et Centre jeunesse de Montréal, supra, note 3, paragr. 50-64.

[42]  En effet, l’avis du Bureau d’évaluation médicale reconnaît le diagnostic de trouble de l’adaptation et consolide la lésion en date du 1er janvier 2007.

[43]  Durocher et Centre jeunesse de Montréal, supra, note 3, paragr. 154.

[44]  Ibid., paragr. 167.

[45]  Ibid., paragr. 180.

[46]  Nasifoglu c. Complexe St-Ambroise inc., 2005 QCCA 559, J.E. 2005-1208 (C.A.).

[47]  British Columbia (Workers’ Compensation Board) v. Figliola, [2011] 3 R.C.S. 422, 2011 SCC 52.

[48]  Srougi c. Lufthansa German Airlines, [2003] R.J.Q. 1757, J.E. 2003-1249 (C.A.).

[49]  Nasifoglu c. Complexe St-Ambroise inc., supra, note 45.

[50]  Danyluk c. Ainsworth Technologies, [2001] 2 R.C.S. 460, J.E. 2001-1439 (CSC).

[51]  Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), [2013] 2 R.C.S. 125 (CSC), 2013 CSC 19, paragr. 69.

[52]  Nasifoglu c. Complexe St-Ambroise inc., supra, note 45.

[53]  Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), supra, note 50.

[54]  Ali c. Compagnie d’assurances Guardian du Canada, [1999] R.R.A. 427 (C.A.), J.E. 99-1153.

[55]  Ascenseurs Thyssen Montenay inc. c. Aspirot, [2008] R.J.Q. 28 (C.A.), 2007 QCCA 1790.

[56]  Solomon c. Québec (Procureur général), [2008] R.J.Q. 2127 (C.A.), 2008 QCCA 1832.

[57]  Pierre-Louis c. Québec (Ville de), 2014 QCCA 1554, J.E. 2014-1553 (C.A.), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 16 juillet 2015, 30655.

[58]     Motifs de la juge Bélanger, paragr. [31] à [51].

[59]     Pièce MC-1, en liasse.

[60]     Ibid.

[61]     Aux fins des présents motifs, il n’est pas nécessaire de faire mention des autres plaintes de congédiement injustifié déposées par l’appelante selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-11 [ci-après citée : LNT].

[62]     Décision de la CLP du 29 septembre 2008, 2008 QCCLP 5569, au paragr. 11. Conformément à l’article 224.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001, cet avis lie la CLP aux fins de la décision qu’elle doit rendre.

[63]     Décision de la CLP du 29 septembre 2008, précitée, note 5, paragr. 12.

[64]     Décision de la CLP du 21 janvier 2010, 2010 QCCLP 591.

[65]     Décision de la CRT du 13 décembre 2011, 2011 QCCRT 0571. Tel que déjà indiqué, supra, à la note 4, il est fait abstraction dans les présents motifs de cette partie de la décision de la CRT qui concerne les plaintes de congédiement injustifié déposées par l’appelante selon l’article 124 LNT.

[66]     Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, [2011] 3 R.C.S. 654, 2011 CSC 61, paragr. 33, p. 674-675.

[67]    Domtar Inc. c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, voir en particulier les p. 795 à 801.

[68]    Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son (AQTIS) c. Association des producteurs de théâtre privé du Québec (APTP), 2012 QCCA 1524, J.E. 2012-1783, paragr. 103 à 108 (autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême le 14 mars 2013, [2013] 1 R.C.S. v); Commission de la construction du Québec c. Bergeries du Fjord inc., 2011 QCCA 2444, paragr. 28; Commission scolaire de la région de Sherbrooke c. Syndicat de l'enseignement de l'Estrie, J.E. 2001-1024, paragr. 29-30.

[69]    British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable Systems (B.C.) Ltd., [1995] 2 R.C.S. 739. Voir : Y.-M. Morissette, « Rétrospective et prospective sur le contentieux administratif », (2008-2009) 39 R.D.U.S. 1, à la p. 33.

[70]    Voir, notamment, Rocois Construction Inc. c. Québec Ready Mix Inc., [1990] 2 R.C.S. 440, aux p. 455-457. Il s’agissait d’un cas de litispendance, une notion « préliminaire à la chose jugée » selon l’expression de la juge Bich dans Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, [2008] R.J.Q. 1765 (C.A.), 2008 QCCA 1354, paragr. 67, p. 1778 (autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême le 29 janvier 2009 : [2009] 1 R.C.S. xiv). Voir aussi : Srougi c. Lufthansa German Airlines, [2003] R.J.Q. 1757 (C.A.), paragr. 25-28, p. 1763-1764 et paragr. 43, p. 1765 (autorisation de pourvoi refusée par la Cour suprême le 13 novembre 2003 : [2003] 3 R.C.S. viii).

[71]    Décision de la CRT du 13 décembre 2011, précitée, note 8, paragr. 53-55.

[72]    « Ces remèdes [ceux des paragraphes 2.4 et 6 de l’article 123.15 L.n.t.] sont en quelque sorte subsumés dans le régime d’indemnisation établi par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et le législateur interdit qu’on les réclame autrement qu’à travers le régime mis sur pied par cette loi », j. Bich dans Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679, J.E. 2014-725, paragr. 69.

[73]    Supra, paragr. [127] et notes 2 et 3.

[74]    Décision de la CLP du 29 septembre 2008, précitée, note 5.

[75]    Ibid., paragr. 15 et 16.

[76]    Ibid., paragr. 15 à 92.

[77]    Ibid., paragr. 93 à 134.

[78]    Ibid., paragr. 148 à 185.

[79]    Ibid., paragr. 148 et 149.

[80]    LNT, art. 81.18.

[81]    Décision de la CLP du 29 septembre 2008, précitée, note 5, au paragr. 147.

[82]    Décision de la CRT du 13 décembre 2011, précitée, note 8, au paragr. 38. Ce paragraphe est reproduit, infra, au paragr. [158] des présents motifs.

[83]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9, paragr. 47, aux p. 220-221.

[84]    Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 R.C.S. 708, 2011 CSC 62, paragr. 16, à la p. 716.

[85]    Décision de la CRT du 13 décembre 2011, précitée, note 8. La CRT cite alors les paragraphes 146, 148-151, 153-157, 161-164, 166-168, 180-182 et 185 de la décision de la CLP du 29 septembre 2008, précitée, note 5.

[86]    Srougi c. Lufthansa German Airlines, arrêt précité, note 13; Nasifoglu c. Complexe St-Ambroise inc., 2005 QCCA 559, J.E. 2005-1208; Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, arrêt précité, note 13.

[87]    Boucher c. Stelco Inc., [2005] 3 R.C.S. 279, 2005 CSC 64.

[88]    Ibid., paragr. 32, à la p. 297.

[89]    Ibid., aux paragr. 34 et 35. Voir aussi : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44, paragr. 56 à 58, p. 490-491; Workers’ Compensation Board c. Figliola, [2011] 3 R.C.S. 422, 2001 CSC 52, paragr. 51, p. 449.

[90]    Décision de la CRT du 13 décembre 2011, précitée, note 8, au paragr. 80.

[91]    Ibid., paragr. 83-84.

[92]    Je rappelle que, conformément à la conférence préparatoire tenue le 6 octobre 2007 devant la CRT, cette dernière bénéficiait d’un exposé détaillé des faits produit par l’appelante le 21 janvier 2008 (Décision de la CRT du 13 décembre 2011, précitée, note 8, paragr. 16 et 17) et que cet exposé a été présenté et utilisé par cette dernière devant la CLP (voir, supra, le paragr. [154] et la note 17). Les modifications que l’appelante a apportées à cet exposé des faits, le 12 avril 2011, sont postérieures à la décision de la CLP. De plus, les faits qui y étaient allégués concernant la conduite de son supérieur immédiat à son égard se retrouvent également dans l’exposé amendé (Décision de la CRT du 13 décembre 2011, précitée, note 8, aux paragr. 16-17, 34-35 et 38.

[93]    Pesant c. Langevin, (1926) 41 B.R. 412, p. 421-422, cité dans Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, arrêt précité, note 13, paragr. 77, p. 1780.

[94]    J.-C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, no 819, p. 688; L. Ducharme, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, no 609, p. 244; Pesant c. Langevin, arrêt précité, note 36, à la page 423.

[95]    J.-C. Royer et S. Lavallée, ouvrage précité, note 37, no 820, aux p. 690-691; L. Ducharme, ouvrage précité, note 37, no 611, à la p. 245; Srougi c. Lufthansa German Airlines, arrêt précité, note 13, paragr. 44-45, aux p. 1763-1764.

[96]    Ungava Mineral Exploration Inc. c. Mullan, précité, note 13, paragr. 79, à la page 1780.

[97]    Doré c. Barreau du Québec, [2012] 1 R.C.S. 395, 2012 CSC 12.

[98]    Arrêt précité, note 26, au paragr. 49.

[99]    Doré c. Barreau du Québec, précité, note 40, paragr. 30.

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