[1] LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour du Québec, district de Montréal, prononcé le 10 mars 1998 par l'honorable Brigitte Gouin, qui a accueilli une opposition à une saisie exécution, présentée par S... S..., et a déclaré qu'une convention de partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts, conclue dans le cadre d'une procédure en divorce, était opposable à la Banque Nationale du Canada, créancière du mari, C... B...;
[2] Après étude du dossier, audition et délibéré;
[3] Pour les motifs exposés dans l'opinion du juge Forget, déposée avec le présent arrêt, auxquels souscrit la juge Rousseau-Houle;
[4] REJETTE le pourvoi avec dépens;
[5] Le juge Chamberland, dissident, pour les motifs exprimés dans son opinion déposée avec le présent arrêt, aurait accueilli le pourvoi, cassé le jugement entrepris et déclaré que l'entente du 19 janvier 1998 concernant le partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts ayant existé entre l'intimée S... S... et C... B..., et entérinée par le jugement de divorce prononcé le même jour est inopposable à l'appelante et en conséquence aurait rejeté l'opposition sous réserve toutefois pour l'intimée de faire valoir ses droits à titre de créancière de C... B..., le tout sans frais en première instance et en appel.
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Opinion du juge FORGET |
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[6] La Banque Nationale du Canada (la Banque) prétend que la convention de partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts, intervenue dans le cadre d'une procédure en divorce entre son débiteur C... B... et son épouse S... S..., a été conclue en fraude de ses droits et ne lui est pas opposable.
- I -
[7] Le 13 août 1992, C... B... obtient de la Banque une marge de crédit rotatif de 25 000$.
[8] En 1993, C... B... quitte le Québec pour aller travailler au Koweit et laisse sa famille à Montréal.
[9] En 1995, C... B... intente des procédures en divorce devant la Cour supérieure du district de Montréal.
[10] Le 7 novembre 1995, S... S... dépose au dossier de la Cour une contestation et demande reconventionnelle aux termes de laquelle elle demande, notamment, la garde de l'enfant V..., une pension alimentaire pour elle et l'enfant, un partage inégal du patrimoine familial, le partage de la société d'acquêts, une prestation compensatoire et une provision pour frais.
[11] À la même date, S... S... procède à la saisie avant jugement, en vertu de l'article 734.0.1 C.p.c., d'un régime enregistré d'épargne-retraite (R.E.É.R.) et d'un investissement dans des fonds communs, entre les mains de Les Services d'investissements Ligne Verte Inc. (Ligne Verte).
[12] Lors l'audition d'une requête pour mesures provisoires, C... B... prétend ne pas avoir les moyens de payer une pension alimentaire; il semble toutefois que le juge de la Cour supérieure n'accorde pas foi à son témoignage, si on s'en reporte aux extraits suivants de ce jugement, prononcé le 17 avril 1997:
De son côté, le demandeur a aussi établi sa situation, tant par son affidavit que par son témoignage.
Il a présenté sa situation économique, attestant que son salaire, au Koweit, était sur une base de 77 000$ moins 7% et, comme son emploi s'est terminé le 28 février 1997, il se déclarait dans l'impossibilité de payer quelque somme que ce soit pour la défenderesse et la jeune fille V....
Cependant, en 1996, il a gagné effectivement 77 000$ et son amie a gagné aussi une somme brute de 30 000$.
Le demandeur a déclaré qu'en 1996 il avait eu d'innombrables dépenses à assumer avec son amie, celle-ci ayant dû subir deux chirurgies médicales d'avortement au coût de 14 000$ et, les autres dépenses importantes, pour lui, au Koweit consistaient aux frais de téléphone, frais d'habillement et de logement si bien que ces dépenses élevées ne lui avaient pas permis de verser plus que ce qu'il avait versé pour toute l'année 1996.
Le demandeur a admis, cependant, qu'il avait une bonne au Koweit pour son appartement qui lui coûtait 100$ par mois et qu'il envoyait aussi une somme de 200$ par mois à ses parents âgés qui demeuraient au Liban.
.....
De son côté, le demandeur atteste qu'il a perdu son emploi au Koweit et spécifie qu'il lui reste un certain montant d'argent dans ce pays à la suite du paiement d'une prime de séparation et cette balance d'argent serait de 12 000$ et, là-dessus, le Tribunal est très septique et encore plus sur les différentes dépenses présentées dans son état de revenus et dépenses.
Le Président du tribunal considère que les dépenses présentées par le demandeur sont très élevées et il a beaucoup de difficultés à accepter entre autres que le téléphone coûte presque 1 000$ par mois de même que certains autres postes qui sont assez élevés tels les vêtements, etc...
Cependant, le demandeur a, à son nom, bien que cela soit saisi, des argents qui sont placés dans un fonds mutuel et à même ce fonds, de façon intérimaire, le Tribunal a permis à la défenderesse de recevoir une pension alimentaire pour subvenir à ses besoins de même que ceux de la jeune fille V....
Bien que cet argent fasse partie de la Société d'acquêts qui sera éventuellement divisée lors de la décision au fond, le Tribunal considère qu'il n'y avait pas lieu pour la défenderesse d'utiliser tous ces argents qui étaient dans son régime d'épargne-retraite et qui faisaient partie aussi de la Société d'acquêts.
[13] Le juge de la Cour supérieure accorde à S... S..., pour elle et sa fille, une pension alimentaire de 673$ par semaine et autorise la tierce saisie, Ligne Verte, à lui payer cette somme à même le compte de fonds communs. Au surplus, le juge fixe à 6 941 $ les arrérages de pension alimentaire et il accorde une provision pour frais de 5 000 $ dont le solde de 3 000$ peut également être exécuté par le biais de la saisie-arrêt avant jugement entre les mains de Ligne Verte.
[14] À la même période, soit plus particulièrement le 14 mars 1997, la Banque intente à C... B... une action lui réclamant 25 039,93$, plus intérêts et dépens, puisqu'il est en défaut d'effectuer ses versements mensuels d'intérêts sur la marge de crédit.
[15] C... B... comparaît mais ne dépose pas de plaidoyer, aussi, la Banque inscrit ex parte le 3 septembre 1997 et obtient jugement, le 6 novembre 1997, le condamnant à lui payer 25 039,93$ avec intérêts, indemnité additionnelle et dépens.
[16] L'audition sur la requête en divorce est fixée pour trois jours débutant le 19 janvier 1998.
[17] Au premier jour prévu pour l'audition, les parties signent un consentement sur mesures accessoires; les clauses suivantes sont invoquées par l'avocat de la Banque à l'appui de ses prétentions:
Whereas the Plaitiff hereby declares that from February 1997 until November 1997 he was unemployed and without income, and that since November 1st 1997 his only employment and only source of income was with the firm International Service Link Co. with a monthly remuneration of KD 300 (Koweti Dinars Three Hundred, what is equivalent to 1000 USD (U.S. Dollars One Thousand Only);
……
Whereas the Plaintiff is domiciled and resident in Kowait;
……
Whereas both parties declare that they have made a full and complete disclosure of all their income and assets; debts in their respective statement of income and expanses produced in the present court file;
……
9. The Plaintiff shall inform the Defendent in writing when he shall commence working full-time, the name of his employer, his salary and other benefits, in order to readjust the child support payment according to the laws then in force in Quebec and/or Canada;
……
PARTITION OF FAMILY PATRIMONY & PARTNERSHIP OF ACQUESTS
11. The Plaintiff shall immediatly transfer to the Defendent his entire investment accountant Mutual Fund Account No. […] located with the Les Services d'investissement Ligne Verte Inc. of 2001 University, Suite 1900, Montreal, Quebec, less an amount of $16,500 which he shall retain in his name for his use; the total amount as of Dec. 31st, 1997 in this account is $70,356.25;
12. The transfer contempleted in paragraph 11 represents in part the distribution of assets owning to the Defendent, as a result of the partition of the Partnership of Acquests and Family Patrimony;
13. The Plaintiff shall immediately transfer to the Defendent the entirely of his R.R.S.P.'s which are also held at account # […] - x of the Les Services d'investissement Ligne Verte Inc. of 2001 University, Suite 1900, Montreal, Quebec;
14. The Plaintiff shall immediately transfer to the Defendent one lot of land in Vaudreuil, on Rue […], cadastre # […];
15. The Defendent shall remain the sole owner of all the furniture or furnishing, garnishing or decorating her present residence at [adresse], in the City of Dollard-des-Ormeaux;
16. Plaintiff shall immediately transfer to Defendent the automobile Ford Taurus 1988 and Defendent is declared sole owner of said automobile;
17. Within the next two days, that is Tuesday January 20th and Wednesday January 21st, the Plaintiff shall accompany the Defendent to accomplish the following:
A) go to the Les Services d'investissement Ligne Verte Inc. to transfer the investment account […] and the RRSP account […] to Defendent's name:
- the Defendent shall at that time allow the Plaintiff to retain ownership of $16,500 of the monies/stocks invested in the investment account […] as a pre-condition for the transfer;
B) assure and go to the appropriate notary to effect the transfer of the lot of land described in paragraph 14 hereabove;
C) transfer the automobile contempleted in paragraph 16 hereabove;
DEBTS
18. Each party shall be solely and exclusively responsible for all debts, past, present or future that they have incured to the complete exoneration of the other and declare that they shall hold the other free and harmeless of all such debts;
19. More particularly and without limiting the generalty of par. 18 hereabove, the Defendent shall be responsible for the debts (back taxes) owned on the lof of land, and the Plaintiff shall be responsible for the judgment evently registered against him in the court file 500-02-054853-978 to the complete exoneration of the Defendent;
GENERAL CONDITIONS:
20. the parties have entered into the present agreement based on the financial disclosure as produced into the court file and this agreement and hereby agree not to hold their respective attorneys responsable for any further legal inquiring into the financial situation of the other party;
.....
23. The Plaintiff to the best of his knowledge asserts that all the assets that are to be transfered hereabove to the Defendent are not subject to any seizures or garnishment of any nature whatsoever, save and except for the seizure that Defendent herself registered against them;
24. That the conditions sine qua non of the agreement is that the Defendent shall receive free and clear as a result of the transfer mentioned hereabove, in the entirely of the RRSP account and the entire investment account minus the $16,500 contemplated in paragraph 11 and 17 (A);
25. For administration purposes the parties have agreed that the transfer of RRSP's and investment account shall proceed as follows:
1) on Tuesday, Jan. 20th 1998, the Defendent (and/or his attorney) & the Plaintiff (and/or his attorney) shall proceed to the offices of the Services d'investissement Ligne Verte Inc;
2) the Plaintiff shall sign all the appropriate forms necessary to allow for the transfer of the investment account and the roll-over of the RRSP's to Defendent's name alone;
3) the Defendent shall at the same time provide a main-levée of the amount seized in the investment account […] to the Plaintiff in the amount of $16,500 and shall instruct the Services d'investissement Ligne Verte Inc. to cash in $16,500 worth of stocks so to provide the Plaintiff with the moneys contemplated in par. 11 & 17 (A);
26. Save and except for what is specifically referred to in this Agreement, each party grant the other and complete & final discharge of any claim they may have, or pretend to have by virtue of their marriage, life together or the dissolution of their marriage;
[18] Conformément à cette entente, le 20 janvier 1998, S... S... accorde main-levée de la saisie effectuée entre les mains de Ligne Verte.
[19] À cette même date, Ligne Verte, suivant les instructions de C... B... et S... S..., dispose d'une partie des fonds et, par la suite, transfère une autre partie au nom de S... S....
[20] Le 23 janvier 1998, C... B... retire de son compte le montant de 16 500$ qui lui revient aux termes de la convention de partage.
[21] Le 26 janvier 1998, la Banque obtient un bref de saisie-arrêt après jugement entre les mains de Ligne Verte.
[22] Par sa déclaration du 12 février 1998, Ligne Verte avise qu'elle conservera les fonds jusqu'à adjudication finale sur la saisie-arrêt pratiquée entre ses mains.
[23] Le 13 février 1998, S... S... signifie une opposition à la saisie alléguant être propriétaire de toutes les sommes maintenant détenues par Ligne Verte.
[24] Le 3 mars 1998, l'avocat de la Banque interroge S... S...; il insiste sur les extraits suivants de cet interrogatoire:
Q Do you know if your former husband, C... B..., has any other assets in Canada?
A In Canada, no. No, he doesn't.
Q The only assets he has are, to your knowledge?
A Of the investment account with T.D. Greenline and his RRSP with T.D. Greenline, and a land in Vaudreuil, that's it.
Q A land in Vaudreuil?
A Yes.
.....
Q Do you know if he, with the exception of these assets, did he leave any other assets here when he left?
A No, that was it.
- II -
[25] Devant la Cour du Québec, la Banque soulevait deux moyens: elle prétendait tout d'abord que Ligne Verte n'avait pas encore effectué le transfert lors de la saisie-arrêt de la Banque et, en second lieu, que la convention sur mesures accessoires ne lui était pas opposable.
[26] Devant nous, la Banque a abandonné le premier moyen et s'en tient au deuxième, à savoir l'inopposabilité de la transaction.
- III -
[27] La juge de la Cour du Québec dispose de la façon suivante de ce moyen:
Un jugement final de divorce fut rendu par l'honorable juge Jerry Zigman, j.c.s., le 19 janvier 1998 dans le dossier de la cour 500-12-226631-954, donnant effet à un "Consent agreement accessory measures" (O-2 et O-3), intervenu entre les parties S… S... et C... B....
Le Tribunal reproduit ici les conclusions du jugement:
.....
Un jugement conditionnel de divorce avait déjà été rendu le 17 avril 1997 en vertu duquel les comptes bancaires devaient servir comme véhicules en vertu desquels l'opposante, S… S… et leur fille recevaient une pension alimentaire du défendeur, C... B..., maintenant résidant et domicilié au Koweit (O-4).
Le Tribunal cite ici les termes des paragraphes 11, 12 et 13 de l'entente (O-3) confirmé par le jugement du juge Zigman, (O-2):
.....
Pour donner effet aux ordonnances de l'honorable Jerry Zigman, j.c.s., du 19 janvier 1998, le défendeur C... B...d se présenta le lendemain, avec son épouse d'alors, madame S…, aux bureaux de la Banque Toronto Dominion-Services d'investissement Ligne Verte pour signer tous les documents requis afin que le transfert des deux comptes soit immédiatement effectué. Les représentants de Les Services d'Investissement Ligne Verte confirmèrent que le tout serait transféré dans les 2-3 jours, permirent à monsieur B... de retirer 16 500$ selon les termes du jugement (O-2). Madame S… faisant confiance à la Banque Toronto-Dominion, décida de réinvestir ces mêmes sommes à leurs bureaux.
Nonobstant, pour des raisons que l'on n'a pu expliquer lors de l'audience, rien ne fut fait par les représentants de la tierce-saisie contrairement à leurs assurances et engagements. La Banque Nationale, demanderesse obtint jugement contre le défendeur et saisit les deux comptes en question le 26 janvier 1998, d'où opposition de madame S….
Le Tribunal est d'opinion qu'un jugement final fut rendu par l'honorable juge Jerry Zigman, ordonnant le respect des termes du document intitulé "Consent Agreement re: Accessory measures" intervenu entre les parties le 19 janvier 1998.
Tous les documents furent signés en bonne et due forme par les parties, dont le défendeur saisi, C... B..., pour donner effet au jugement, tel que requis.
Ceci est une "ordonnance", dont, les parties devaient se conformer audit jugement sous peine d'outrage au tribunal, en vertu des articles 49 et ss. du Code de procédure civile, avec les conséquences que l'on retrouve à l'article 51, i.e. amende n'excédant pas 5 000$ ou l'emprisonnement pour une période de plus d'un an.
Conséquemment, le défendeur, tout en respectant les termes du jugement, signe différents documents, O-5, O-6, O-7 et O-8, pour donner effet au transfert pour et en faveur de madame S… S…, l'opposante. Ces documents furent signés en date du 20 janvier 1998.
- IV -
[28] D'entrée de jeu, et avec égards pour la juge de première instance, j'estime que les motifs qu'elle invoque pour rejeter les prétentions de la banque sont erronés.
[29] À trois reprises, à tout le moins, notre Cour a indiqué que le jugement qui donne effet à une convention sur mesures accessoires n'est valable qu'à l'égard des ex-époux et ne peut constituer un exutoire aux obligations d'un débiteur.
[30] Dans l'affaire Lebeau c. Grobstein[1], les parties prétendaient opposer l'acte de partage à un syndic; le juge Bissonnette s'exprime ainsi:
La fraude perpétrée par les époux pour dépouiller les créanciers de la communauté de biens est tellement évidente et fut organisée de façon si enfantine que vainement toute argumentation juridique devient inutile, voire impossible. Comme le soulignent MM. les juges Hyde et Rinfret, la marche et le développement de cette fraude se relèvent notamment dans les faits suivants: la continuation de l'instance en séparation de biens alors suspendue depuis deux ans, la substitution d'avocats, l'exploit rarement vu dans les annales judiciaires de réussir en une seule journée à procéder à l'enquête sur le fond, faire transcrire les dépositions, saisir un juge de l'affaire, obtenir la rédaction du jugement et sa signature, rédiger un acte de partage notarié, le faire signer par la demanderesse pensant que lui le mari allait déposer son bilan chez un séquestre officiel pour revenir ensuite signer cet acte, en dépit du fait qu'il était depuis environ une heure un incapable devant la loi, organiser un faux inventaire des biens quand il savait que le matin même le stock d'Aconic Mining Corporation, dans une formidable dégringolade, le lavait de plusieurs millions. Le but de cette fraude, c'était de faire perdre les créanciers de la communauté en mettant à l'abri les actifs les plus sains et les plus facilement réalisables. Il me semble qu'il n'y a pas lieu d'insister davantage.
[31] Dans Droit de la famille - 1934[2], notre Cour a maintenu la saisie avant jugement dans le cadre d'un recours paulien (tel que nommé à l'époque), alors que les biens saisis avaient déjà été transférés au conjoint, en exécution d'une convention sur mesures accessoires.
[32] Enfin, dans SNC-Lavalin Inc. c. Leboeuf[3], un tiers créancier voulait procéder à une saisie avant jugement de biens qui avaient été transportés à la conjointe de Leboeuf dans le cadre du partage du patrimoine familial. La Cour a rejeté la requête en cassation de saisie avant jugement.
[33] Bref, le jugement de divorce qui entérine la convention sur mesures accessoires n'est pas un obstacle au recours en inopposabilité.
- V -
[34] La Banque fonde son recours sur l'article 1632 C.c.Q.:
Un contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable.
[35] Selon la Banque, il lui suffit d'établir que S... S... «connaissait l'insolvabilité du débiteur (C... B...) ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable».
[36] Tout en reconnaissant que la convention était à titre onéreux, et sans prétendre que S... S... était de mauvaise foi, il n'en demeure pas moins, selon la Banque, qu'elle ne pouvait ignorer l'insolvabilité de C... B... et, en conséquence, elle ne peut échapper à la présomption, qui est irréfragable, en vertu de l'article 2847 C.c.Q.:
La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe.
Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée.
- VI -
[37] Le recours en inopposabilité est généralement exercé à l'initiative d'un tiers créancier dans le cours ordinaire d'une action à cette fin. En l'espèce, la Banque invoque l'inopposabilité dans sa contestation de l'opposition. Selon moi, le véhicule procédural importe peu et la Banque pouvait faire valoir ses prétentions dans ce cadre procédural[4].
- VII -
[38] En tout premier lieu, on doit donc se demander si S... S... savait que C... B... était insolvable ou, à tout le moins, le devenait aux termes de la convention de partage.
[39] La Loi sur la faillite et l'insolvabilité[5] définit ainsi, en son article 2, la personne insolvable:
[«personne insolvable» "insolvent…"]
«personne insolvable» Personne qui n'est pas en faillite et qui réside au Canada ou y exerce ses activités, dont les obligations, constituant à l'égard de ses créanciers des réclamations prouvables aux termes de la présente loi, s'élèvent à mille dollars et, selon le cas:
a) qui, pour une raison quelconque, est incapable de faire honneur à ses obligations au fur et à mesure de leur échéance;
b) qui a cessé d'acquitter ses obligations courantes dans le cours ordinaire des affaires au fur et à mesure de leur échéance;
c) dont la totalité des biens n'est pas suffisante, d'après une juste estimation, ou ne suffirait pas, s'il en était disposé lors d'une vente bien conduite par autorité de justice, pour permettre l'acquittement de toutes ses obligations échues ou à échoir.
[40] Le droit civil ne comporte pas une telle définition; les tribunaux ont donc discrétion pour apprécier toutes les circonstances pertinentes et conclure à l'insolvabilité; à ce sujet, Jean-Louis Baudouin et Pierre Gabriel Jobin[6] s'expriment ainsi:
..... L'existence de l'insolvabilité est une question de fait laissée à l'appréciation souveraine des tribunaux. Ceux-ci ont toujours refusé de se laisser enfermer dans une définition trop rigoureuse et d'adopter telles quelles les définitions techniques de cet état, données par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ou la Loi sur les liquidations et insolvabilité. Pour certaines autorités, l'insolvabilité est tout simplement l'état d'une personne dont le passif patrimonial excède l'actif. La jurisprudence, en règle générale, se rallie à une conception large et reconnaît comme insolvable celui qui a cessé de faire honneur à ses obligations au fur et à mesure de leur échéance et celui qui est incapable de satisfaire à ses engagements ou de payer ce qu'il doit. Étant «un fait comptable», l'insolvabilité doit être prouvée par tout moyen de preuve, même par preuve testimoniale. (citations omises)
- VIII -
[41] En l'espèce, la Banque invoque les termes de la convention et l'interrogatoire de S... S... pour conclure que cette dernière savait indubitablement que C... B... était insolvable ou à tout le moins le devenait aux termes de cette convention de partage; elle insiste notamment sur les éléments suivants:
41.1. S... S... reconnaît, à son interrogatoire, que C... B... ne possède plus aucun bien au Québec;
41.2. C... B... lui transfère tous les fonds qu'il détient par l'intermédiaire de Ligne Verte (sauf 16 500$), son automobile, son terrain, tous les meubles et autres objets garnissant l'ex-résidence familiale;
41.3. C... B... déclare que de février 1997 à novembre 1997, il n'a touché aucun revenu et, que depuis le 1er novembre 1997, il reçoit une rémunération équivalent à 1 000$ U.S. par mois;
41.4. C... B... déclare avoir dévoilé complètement tous ses revenus et tous ses actifs;
41.5. C... B... déclare que ses revenus sont minimes, aussi il s'engage à prévenir S... S... s'il recommence à travailler à temps complet;
41.6. C... B... conserve uniquement une somme de 16 500$ et assume une dette pour un montant supérieur.
- IX -
[42] À mon avis, la prépondérance de la preuve établit qu'à la suite de l'acte de partage, C... B... devenait insolvable. Il est exact qu'on ne l'a pas démontré avec une certitude absolue puisqu'il pourrait toujours posséder des biens au Koweit - ce qu'il nie - et que le constat d'insolvabilité d'un débiteur n'est pas limité aux frontières du Québec. Toutefois, l'ensemble des éléments invoqués par la Banque - et dont j'ai déjà fait état - établit, par des présomptions «graves, précises et concordantes» (art. 2849 C.c.Q.) que C... B... est, depuis cette date, insolvable.
[43] En second lieu, il faut également conclure que S... S... ne pouvait ignorer cet état d'insolvabilité: à la convention de partage, C... B... le dit et le répète.
[44] Selon l'avocat de la Banque, la boucle est bouclée puisque la présomption de «fraude» est alors irréfragable.
- X -
[45] Par ailleurs, la preuve démontre - incontestablement, il me semble - que S... S... était d'une absolue bonne foi:
45.1. les procédures en divorce ont été intentées un an et demi avant celles de la Banque;
45.2. la date d'audition de la procédure en divorce a sans doute été fixée par le maître des rôles, sans aucune relation avec l'action intentée par la Banque;
45.3. elle ne récupère que ce qui lui est dû;
45.4. la convention, déposée dans un dossier public, énonce tous les tenants et aboutissants de la situation financière respective des parties, sans aucune tentative de maquiller quoi que ce soit.
[46] Si la présomption de fraude peut être repoussée, je suis d'avis qu'elle l'a été; mais peut-elle l'être?
- XI -
[47] Les auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin[7] expliquent le concept de la fraude paulienne:
714 - Notion de fraude paulienne - La notion de fraude paulienne est tout à fait particulière et fort difficile à définir avec précision, comme en témoigne d'ailleurs l'incertitude tant doctrinale que jurisprudentielle à laquelle elle a donné naissance. Deux conceptions voisines peuvent, en effet, être prises en considération. On pourrait exiger, en premier lieu, l'intention de frauder de la part du débiteur, c'est-à-dire la volonté arrêtée de nuire à ses créanciers. Il en existe certains exemples en jurisprudence, mais la preuve directe de cette intention est, dans bien des cas, pratiquement impossible à faire. La majorité de la doctrine et de la jurisprudence requiert donc simplement que le créancier démontre la conscience ou la connaissance chez le débiteur, au moment de la passation de l'acte, des répercussions négatives qu'il peut avoir sur son patrimoine et du préjudice qu'il peut donc causer au créancier. Il est, en effet, difficile de concevoir qu'un débiteur insolvable ou dans une situation précaire, au courant de sa situation, connaissant ou pouvant connaître les effets désastreux de son acte sur le paiement de ses dettes, puisse par la suite venir opposer sa bonne foi et la pureté de ses intentions au créancier poursuivant.
La preuve de la fraude paulienne peut être faite par tous les moyens. Les présomptions de fait, résultant, par exemple, de l'époque et de la nature de la transaction, du lien de parenté entre les parties à l'acte, servent à l'établir. L'intention de nuire cède ici le pas à la connaissance ou la conscience des conséquences de l'acte posé, permettant ainsi au créancier d'échapper aux aléas d'une preuve d'intention. (p. 548- 549) (références omises)
[48] Si la présomption est irréfragable, il me semble qu'on dénature l'essence de la fraude paulienne qui implique nécessairement un élément de malhonnêteté ou de mauvaise foi. Autrement, il faudrait conclure que chaque fois qu'un créancier obtient, par une exécution volontaire ou forcée, un paiement partiel puisque son débiteur n'est pas en mesure de le payer intégralement, ce créancier - qui recherche simplement le paiement de ce qui lui est dû - commettrait une fraude à l'égard de tous les autres créanciers, connus ou inconnus, de son débiteur puisqu'il sait alors que ce dernier devient insolvable.
[49] Une telle façon de voir suscite des inquiétudes chez les auteurs Baudouin et Jobin:
717 - Acte à titre onéreux - La situation à l'égard du contrat à titre onéreux ou du paiement résultant d'un tel contrat est plus complexe. La loi exige non seulement la fraude du débiteur, mais aussi la participation effective du tiers à cette fraude (par exemple, quand le tiers, connaissant la mauvaise situation financière du débiteur, se fait payer dans le but d'obtenir un avantage sur les autres créanciers). La complicité du tiers est cependant présumée, aux termes de l'article 1632 C.c., lorsqu'il connaît l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rend ou cherche à se rendre insolvable. Le texte du nouveau code pose ici un problème d'interprétation du fait que le législateur y emploie le terme «réputé» («deemed») et que, par ailleurs, une nouvelle disposition du droit de la preuve donne une définition légale de présomptions rédigées à l'aide de ce terme plutôt que du terme «présumé»: lorsqu'un fait est réputé, la présomption est «absolue et aucune preuve contraire ne peut lui être opposée» (art. 2847, alinéa 2 C.c.). Dès lors, le tiers qui connaît la situation financière du débiteur peut-il prétendre que, malgré tout, il ne cherche pas à obtenir un avantage sur les autres créanciers mais uniquement à conclure honnêtement une transaction régulière, voire une transaction qui devrait permettre au créancier de traverser une période difficile? En un mot, peut-il plaider sa bonne foi malgré la présomption absolue de l'article 1632 C.c.?
À l'époque de l'ancien code, cette présomption était réfragable, malgré l'emploi du mot «réputé» dans la disposition pertinente. L'intention de frauder de la part du tiers était déduite de la connaissance de l'insolvabilité du débiteur, mais cette preuve pouvait être repoussée par une preuve contraire démontrant la bonne foi. La bonne foi consistait non seulement dans l'ignorance complète de l'insolvabilité, mais aussi dans le désir qu'avait le tiers, même s'il connaissait l'insolvabilité, de sauvegarder ses intérêts légitimes dans le cours ordinaire des affaires, au moyen d'un marché régulier. L'acte restait valable, même si le débiteur était de mauvaise foi, le législateur préférant le tiers qui a agi honnêtement, plutôt que le créancier, et voulant assurer la stabilité des transactions.
S'il faut se fier aux Commentaires du ministre, la volonté du législateur, lors de la réforme du Code civil, était de maintenir cette interprétation. C'est peut-être par inadvertance qu'il n'a pas saisi le lien apparent entre l'emploi, comme dans l'ancien code, du terme «réputé» et la nouvelle disposition qui présente désormais une définition légale d'une telle présomption. Les motifs de permettre au tiers de prouver sa bonne foi malgré les apparences sont aussi valables aujourd'hui qu'hier. De plus, il n'est pas certain que la définition légale de l'article 2847 C.c. soit contraignante; elle peut se concevoir comme une disposition interprétative que le juge pourrait écarter lorsque le contexte le veut. Il semble donc que la connaissance de l'insolvabilité du débiteur par le tiers serve à faire présumer la complicité de ce dernier et à faire tomber la présomption générale de bonne foi établie par l'article 2805 C.c., mais qu'elle ne crée pas une présomption irréfragable.
Les paiements effectués en vertu d'un acte à titre onéreux sont soumis aux mêmes règles, pour éviter que le débiteur insolvable ne puisse faire échec au principe de la répartition égale du produit de la masse de son patrimoine entre ses créanciers, en accordant un paiement préférentiel à l'un d'entre eux, au préjudice des autres. (références omises) (p. 550 à 552)
[50] D'autres auteurs (tous professeur(e)s d'université) sont également d'avis que le législateur s'est mépris en utilisant le mot «réputé» à l'article 1632 C.c.Q.; sans prétendre en faire une revue exhaustive, on peut citer:
Pineau, Burman, Gaudet[8]:
Le nouveau Code civil reprend dans les articles 1632 et 1633, la terminologie utilisée aux articles 1034 et 1035 C.c.B.C. (contrat «réputé» fait avec l'intention de frauder), mais selon l'article 2847, al. 2 C.c.Q., la présomption légale «qui concerne des faits réputés est absolue» et non susceptible de preuve contraire. Est-ce à dire que le législateur a entendu modifier le droit d'hier quant au caractère de la présomption visant les contrats à titre onéreux? Il nous apparaît qu'en dépit de l'article 2847 C.c.Q., la solution d'hier doit prévaloir, car la connaissance de l'insolvabilité ne signifie pas nécessairement mauvaise foi ou intention de frauder: on peut songer à celui qui consent un prêt, bien que connaissant l'insolvabilité de l'emprunteur, afin de permettre à l'emprunteur de «se rétablir». Ce n'est pas en tant que tel la connaissance de l'insolvabilité qui est répréhensible, mais bien l'acte malhonnête.
Tôth, Vézina[9]:
En ce qui a trait aux situations où l'art. 1632 C.c.Q. trouve application, d'aucuns prétendront que les faits dont le tiers est informé l'empêchent de plaider sa bonne foi. La connaissance de l'insolvabilité, dans cette optique, est assimilée de façon irréfragable à de la mauvaise foi. Ce serait là oublier une distinction fondamentale: c'est la connaissance du préjudice causé aux autres créanciers qui équivaut à de la mauvaise foi, alors que la connaissance de l'insolvabilité du débiteur permet simplement de supposer que le tiers connaît également le caractère préjudiciable de l'acte. Si certaines situations ne permettent pas de tracer une telle ligne de démarcation, il en est d'autres où la distinction est bien réelle. On peut notamment penser à l'institution financière qui, informée de l'insolvabilité de son cocontractant, accepte malgré tout de lui faire crédit dans le but de l'aider à corriger la situation. Ici, la situation du tiers de bonne foi est plus précaire encore. En effet, ce dernier ne dispose d'aucun moyen de défense personnel, à défaut d'indications en ce sens à l'art. 1632 et de l'absence d'un article distinct similaire à l'article 1038 C.c.B.-C. Qui plus est, le tiers est privé du moyen de défense additionnel que constituait, dans le droit antérieur, la preuve de bonne foi du débiteur, puisque l'article 1632 présume l'intention frauduleuse de façon absolue.
Bisson[10]:
On peut se demander d'abord quel est le poids à accorder à certaines définitions terminologiques, lorsque le codificateur, fort mal avisé à cet égard, a imposé un sens artificiel à certains mots. Le cas le plus patent est celui de l'article 2847 al. 2 du Code civil selon lequel la présomption légale qui concerne des faits présumés est simple, et celle qui concerne des faits réputés est absolue. Qu'est donc allé faire le codificateur dans cette galère? La difficulté est, en effet, que le codificateur ne s'en est pas toujours tenu à cette façon d'exprimer les présomptions, soit qu'il ait oublié ses propres directives, soit qu'il en ait été empêché par le mouvement naturel de la langue. Le codificateur a donc, pour beaucoup de cas, parlé pour ne rien dire. Mais il y a plus grave encore: dans certains cas, il s'est carrément trompé, employant le mot «présumé» pour des présomptions susceptibles d'acquérir un caractère irréfragable, employant le mot «réputé» pour des présomptions dont le bon sens impose qu'elles n'aient qu'un caractère simple. Il en est ainsi notamment à l'article 1632, en matière d'action paulienne (désormais appelée action en inopposabilité), qui, reproduisant la substance du Code civil du Bas Canada, «répute» frauduleux certains actes, rendant ainsi irréfragable une présomption qui devrait pouvoir être combattue par une preuve contraire. Il y a donc fort à parier que les tribunaux pourront être conduits à ne pas voir dans l'article 2847 al. 2 une disposition absolument contraignante, ce que confirme d'avance ironiquement le législateur lui-même qui, reconnaissant qu'effectivement il a parlé pour ne rien dire, à l'article 142 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil, qualifie l'article 2847 al. 2 de «règle d'interprétation».
Ducharme[11]
539. L'article 1632 C.c.Q. se trouve donc à reprendre l'expression «est réputé» utilisée dans les articles 1035 et 1036 C.c.B.C. pour exprimer une présomption d'intention frauduleuse lorsqu'une personne contracte avec une personne insolvable alors qu'il connaît cette insolvabilité. Or, la Cour d'appel a jugé que l'expression «est réputé» dans l'article 1035 C.c.B.C. exprimait une présomption simple qui pouvait être combattue par une preuve contraire. Cette décision se justifiait pleinement. En décider autrement voudrait dire que si un prêteur connaît l'insolvabilité d'une personne, il ne pourrait plus contracter avec elle, même dans le but de l'aider à rétablir sa situation financière, car s'il le faisait, son contrat serait présumé de manière irréfragable avoir été fait avec l'intention de frauder. C'est pourquoi nous avons tout lieu de croire que les rédacteurs du nouveau code, en conservant l'expression «est réputé», dans l'article 1632 C.c.Q. précité, n'avaient nullement l'intention de changer l'état du droit. Mais, à leur insu, par l'effet de l'article 2847 C.c.Q., un changement s'est opéré, transformant une présomption simple en une présomption absolue. L'article 1632 C.c.Q. est une illustration très nette du danger qu'il y a d'attribuer à une expression du langage courant, un sens différent de son sens usuel.
[51] Par ailleurs, il est exact que le professeur Vincent Karim[12] indique que l'ancienne jurisprudence devrait être écartée mais il indique toutefois - sans vraiment s'en expliquer - que le tiers serait néanmoins admis à établir sa bonne foi:
Il nous serait difficile d'affirmer que cette jurisprudence demeure applicable à l'article 1632 C.c.Q. L'article 2847, al. 2 C.c.Q. édicte que la présomption qui porte sur des faits réputés est absolue, et qu'aucune preuve ne peut lui être opposée. Nous sommes d'avis que la terminologie utilisée, tant à l'article 1632 C.c.Q. qu'à l'article 2847, al 2 C.c.Q., nous oblige à conclure que nous sommes en présence d'une présomption irréfragable. Cependant, en tout temps avant que ne soit établie cette présomption, il sera loisible au tiers-cocontractant de faire la preuve, en démontrant surtout sa bonne foi, que les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas remplies. C'est seulement s'il échoue dans cette preuve que la présomption juris et de jure s'appliquera et, dès lors, l'acte sera réputé fait avec l'intention de frauder. Ainsi, la preuve de la bonne foi incombe au tiers cocontractant dès que l'intention de frauder du débiteur est établie, afin qu'il puisse éviter que la présomption prévue à l'article 1632 C.c.Q. ne lui soit préjudiciable.
[52] Bien que cela n'ait évidemment aucun caractère déterminant en droit québécois, je signale qu'en droit français, il semble que le tiers acquéreur puisse repousser la présomption de «complicité de fraude» bien qu'il connaissait l'insolvabilité du débiteur[13].
[53] Je partage l'opinion exprimée par la très grande majorité des auteurs.
[54] S'il fallait retenir l'interprétation suggérée par la Banque, il faudrait conclure que tout paiement qui entraîne l'insolvabilité du débiteur, à la connaissance du créancier, serait nécessairement «frauduleux» même s'il est fait dans le cours ordinaire des affaires. Le législateur québécois aurait ainsi mis en place un mécanisme qui irait beaucoup plus loin que les procédures prévues à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (art. 91 à 101) qui permettent l'annulation de paiements préférentiels[14].
[55] Je ne peux me convaincre que tel était le but envisagé par le législateur. D'ailleurs, comme le notent avec justesse les auteurs Baudouin et Jobin, le ministre, dans ses Commentaires, indique bien que le législateur entendait regrouper sous l'article 1632 C.c.Q., «dans une formulation plus simple et plus précise, l'essentiel des dispositions des articles 1035, 1036 et 1038 C.C.B.C., concernant les présomptions de fraude s'attachant aux actes à titre onéreux faits par le débiteur au préjudice des droits de son créancier».
[56] Il est vrai que le ministre ajoute que les «exigences de la bonne foi sont resserrées» et que «la connaissance de l'état d'insolvabilité, atteinte ou recherchée, du débiteur constitue désormais un obstacle à la bonne foi»; par contre, il précise que «comme dans le passé, il (l'article 1632 C.c.Q.) préserve les droits du tiers de bonne foi qui a fourni valeur, en contrepartie du contrat ou du paiement». Si la présomption est irréfragable, je ne peux voir comment les droits du tiers de bonne foi seront protégés et je ne peux davantage comprendre pour quelle raison le législateur décréterait, de façon incontestable, qu'un créancier est de mauvaise foi alors que ce n'est manifestement pas le cas et qu'il est en mesure de le démontrer.
[57] Il est certain que le tribunaux doivent respecter l'intention du législateur (sauf évidemment si la validité de la loi est contestée) lorsqu'elle est clairement exprimée, ce qui ne me semble pas être ici le cas. Certes, il eût été préférable - comme le soulignent certains des auteurs précités - que la clarification ait été apportée par le législateur afin de maintenir une interprétation cohérente de l'article 2847 C.c.Q. Toutefois, cela n'a pas été fait.
[58] Quoi qu'il en soit, s'il subsiste une ambiguïté à l'article 1632 C.c.Q., je préfère maintenir le droit du créancier de bonne foi, plutôt que de l'en priver injustement.
[59] Enfin, il faut le rappeler, selon l'article 1631 C.c.Q. - qui établit les paramètres de l'action en inopposabilité - le créancier qui subit un préjudice doit prouver l'intention frauduleuse de son débiteur et, par implication nécessaire, la mauvaise foi du tiers. Or, je suis incapable de conclure que S... S... était de mauvaise foi.
[60] Je suis donc d'avis que la présomption de «fraude» a été repoussée et, en conséquence, je suggère de rejeter le pourvoi avec dépens.
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________________________________ ANDRÉ FORGET J.C.A.
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OPINION DU JUGE CHAMBERLAND |
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[61] L'opinion de mon collègue Forget est séduisante mais je ne peux me résoudre à y souscrire tant l'intention du législateur sous-tendant l'adoption de l'article 1632 C.c.Q. me paraît claire. En somme, et même s'il existe de bonnes raisons pour interpréter cet article dans le sens proposé par mon collègue, je ne crois pas qu'il appartienne aux tribunaux de substituer leur vision de ce que devrait être la loi à celle retenue par le législateur.
[62] Les articles 1631 et 1632 C.c.Q. se lisent ainsi:
Art. 1631. Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.
Art. 1632. Un contrat à titre onéreux ou un paiement fait en exécution d'un tel contrat est réputé fait avec l'intention de frauder si le cocontractant ou le créancier connaissait l'insolvabilité du débiteur ou le fait que celui-ci, par cet acte, se rendait ou cherchait à se rendre insolvable.
[63] L'article 1631 C.c.Q. énonce les principaux éléments caractéristiques de l'action en inopposabilité: l'acte juridique attaqué doit être préjudiciable au créancier poursuivant, il doit avoir un rapport avec la solvabilité du débiteur et avoir en principe été posé frauduleusement par ce dernier.
[64] La preuve d'un fait, ici l'intention frauduleuse, peut être établie par tous les moyens de preuve mentionnés à l'article 2811 C.c.Q., y compris par présomption.
[65] L'article 1632 C.c.Q. énonce les présomptions de fraude s'attachant aux actes à titre onéreux faits par le débiteur au préjudice des droits de son créancier. Le législateur y emploie le mot «réputé». Il s'agit donc d'une présomption absolue, une présomption juris et de jure, qu'il n'est pas possible de repousser par une preuve contraire (article 2847 C.c.Q., second alinéa).
[66] Il s'agit d'un changement par rapport à la situation pré-réforme du Code civil. À cette époque, il était possible de repousser la présomption créée par l'article 1035 C.c.B.-C., malgré l'emploi du mot «réputé».[15] Le changement vient du fait que le mot «réputé» a été conservé alors que le second alinéa de l'article 2847 C.c.Q. a été ajouté au Code civil.
[67] Les auteurs sont presque unanimes à soutenir la thèse de l'erreur du législateur. Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-G. JOBIN, Les Obligations, 5e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1998, parlent d'une possible «inadvertance» (à la page 552); Alain-F. BISSON, «Nouveau Code civil et jalons pour l'interprétation: traditions et transitions», (1992) R.D.U.S. 1 dit que le législateur s'est «carrément trompé» (à la page 18); Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 5e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, no 539, croit que le changement entre l'ancien droit et le nouveau s'est opéré «à [l'] insu» du législateur; tous ces auteurs, et d'autres, sauf un ou deux,[16] que mon collègue Forget cite tous dans son opinion, estiment que la solution retenue par les tribunaux avant la réforme du Code civil doit continuer de s'appliquer malgré l'emploi du mot «réputé» et le second alinéa de l'article 2847 C.c.Q.
[68] Pourtant, au sujet de l'article 1632 C.c.Q., le ministre de la Justice, responsable du dossier de la réforme du Code civil et porteur du projet de loi no 125 Code civil du Québec à l'Assemblée nationale, écrit:[17]
Commentaire
Cet article regroupe, dans une formulation plus simple et plus précise, l'essentiel des dispositions des articles 1035, 1036 et 1038 C.C.B.C., concernant les présomptions de fraude s'attachant aux actes à titre onéreux faits par le débiteur au préjudice des droits de son créancier.
Comme dans le passé, il préserve les droits du tiers de bonne foi qui a fourni valeur en contrepartie du contrat ou du paiement. Cependant, les exigences de la bonne foi sont resserrées, puisque la connaissance de l'état d'insolvabilité, atteinte ou recherchée, du débiteur constituera désormais un obstacle à la bonne foi.
(je souligne)
[69] Comment dire alors que le législateur n'a pas voulu changer le droit? Les auteurs affirment que la solution d'hier doit continuer à prévaloir. Chacun y va de son explication pour convaincre le lecteur que cette solution était meilleure que celle d'aujourd'hui. Ils ont peut-être raison, quoique je me garde bien de l'affirmer sans une étude plus approfondie de la question, mais je ne crois pas qu'il appartienne au juge de «réécrire» le texte de l'article 1632 C.c.Q. ou de limiter, à mon avis tout à fait artificiellement , la portée du second alinéa de l'article 2847 C.c.Q.
[70] Car, c'est bien de cela dont il s'agit. La voie suivie par mon collègue Forget emporte, et je le dis en toute déférence pour son opinion, deux conséquence néfastes. D'une part, elle le mène carrément à réécrire l'article 1632 C.c.Q. en substituant le mot «présumé» au mot «réputé»; cette tâche de réécriture, sauf, exceptionnellement, en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois,[18] n'est pas celle du juge mais plutôt, s'il l'estime à propos, celle du législateur. D'autre part, elle émascule la portée du second alinéa de l'article 2847 C.c.Q. et risque d'entraîner, par ricochet, de l'incertitude dans l'interprétation et l'application des autres articles du Code civil du Québec, et du Code de procédure civile et peut-être même d'autres lois[19], où le législateur a choisi d'utiliser les mots «réputé» ou «présumé», sapant ainsi l'effort de clarification entrepris.
[71] Il peut paraître choquant que tout paiement qui entraîne l'insolvabilité du débiteur, à la connaissance du créancier, puisse éventuellement être déclaré «frauduleux», même s'il a été fait dans le cours ordinaire des affaires. Mais l'article 1632 C.c.Q. est clair et l'intention du législateur, tout autant. Le créancier qui connaît l'état d'insolvabilité, atteinte ou recherchée, du débiteur sait le risque qu'il court en contractant avec ce dernier ou en acceptant un paiement de sa part; cette connaissance constituera un obstacle - un obstacle insurmontable - à sa bonne foi dans le contexte d'une éventuelle action en inopposabilité de la part d'un autre créancier.
[72] Par ailleurs, il faut se rappeler qu'aux termes de l'article 1631 C.c.Q., l'acte attaqué doit avoir eu pour effet de nuire à cet autre créancier. Il suffit généralement de prouver que le débiteur se rend insolvable, ou aggrave son insolvabilité, en passant l'acte attaqué pour établir cette condition essentielle de l'action en inopposabilité; ceci étant, j'ai peine à croire que le contrat de prêt consenti à ce débiteur puisse être en péril. Il s'agit pourtant d'un exemple fréquemment utilisé par les auteurs pour illustrer leur point de vue, voulant que la présomption de l'article 1632 C.c.Q. puisse être repoussée.
[73] Finalement, les droits du tiers de bonne foi qui a fourni valeur en contrepartie du contrat ou du paiement sont préservés, tout comme dans le passé, dans la mesure où ce tiers ne connaît pas l'état d'insolvabilité, atteinte ou recherchée, de son débiteur.
[74] D'aucuns peuvent avoir de bonnes raisons de souhaiter que l'article 1632 C.c.Q. soit rédigé autrement mais, avec égards pour ceux qui sont d'un autre avis, la rédaction de cette disposition législative n'étant pas ambiguë et l'intention du législateur étant clairement exprimée, il n'appartient pas au juge de procéder à sa réécriture.
[75] En l'espèce, S... S... savait que C... B... était insolvable ou, à tout le moins, le devenait aux termes de leur convention de partage. Dès lors, la présomption de fraude de l'article 1632 C.c.Q. s'applique; aux termes du second alinéa de l'article 2847 C.c.Q., il s'agit d'une présomption absolue. Le fait que S... S... soit par ailleurs à tous autres égards de bonne foi, d'une «absolue bonne foi» comme le dit mon collègue Forget, n'est pas pertinent. Le législateur, se démarquant du droit antérieur, en a décidé ainsi. La présomption de l'intention frauduleuse ne peut pas être repoussée.
[76] Dans les circonstances, et avec beaucoup d'égards pour l'opinion de mon collègue Forget, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, de casser le jugement dont appel, de déclarer que l'entente du 19 janvier 1998 concernant le partage du patrimoine familial et de la société d'acquêts ayant existé entre l'intimée S... S... et C... B..., et entérinée par le jugement de divorce prononcé le même jour, est inopposable à l'appelante, de rejeter l'opposition, sous réserve toutefois pour l'intimée de faire valoir ses droits à titre de créancière de C... B... et, à cet égard, de constater la déconfiture de C... B... et d'ordonner la distribution des biens saisis selon l'article 578 C.p.c., le tout sans frais en première instance et en appel étant donné les circonstances, la nouveauté de la question soulevée et la bonne foi de l'intimée.
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________________________________ JACQUES CHAMBERLAND J.C.A.
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[1] (1960) B.R. 1030 .
[2] J.E. 94-344 , C.A. Montréal, 500-09-000812-917, 1994-02-02, juges Beauregard, Rousseau-Houle, Deschamps
[3] J.E. 97-171 , C.A. Montréal, 500-09-001402-957, 1996-12-04, juges Rothman, Proulx, Robert.
[4] Le juge Raoul P. Barbe de la Cour du Québec étudie cette question dans l'affaire Banque Nationale c. Sauro, J.E. 94-1195 , C.Q. Montréal, 500-02-013591-925, 1994-06-13 et il parvient à cette conclusion en s'appuyant sur plusieurs décisions, notamment un arrêt de notre Cour S.M.R.Q. c. DELISI, [1989] R.D.J. 489 .
[5] L.R.C. 1985, c. B-3.
[6] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 5e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1998, p. 546.
[7] Précité, note 6.
[8] Jean PINEAU, Danielle BURMAN et Serge GAUDET, Théorie des obligations, 3e édition, Montréal, Éditions Thémis, 1996, no 397, p. 700.
[9] François TÔTH, Nathalie VÉZINA, «La bonne foi des parties au contrat à titre onéreux dans l'action en inopposabilité: réforme ou statu quo?», (1992) 23 R.D.U.S., 215, 234.
[10] Alain-François BISSON, «Nouveau Code civil et jalons pour l'interprétation: traditions et transitions», (1992) R.D.U.S., 1, 18.
[11] Léo DUCHARME, Précis de la preuve, 5e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, no 539, p. 163.
[12] Vincent KARIM, Commentaires sur les obligations, Vol. 2, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1997, p. 379.
[13] Article 1167 du Code civil; G. GOUBEAUX, note sous Pau, 24 novembre 1981, J.C.P. 1982.II.19839; G. MARTY, P. RAYNAUD, Droit civil: les obligations, t. II, 2e éd., «le régime», Paris, Sirey, 1989, no 181, p. 166-167; MAZEAUD, H. H.L. et J., t. II, Leçons de droit civil, «Obligations - théorie générale» 8e éd., Paris Montchrestien, 1994, no 994-995, p. 1078-1079; M. PLANIOL et G. RIPERT, Traité pratique de droit civil français, t. VII, 2e partie «Obligations», Paris, L.G.D.J., 1931, no 933, p. 237; F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Droit civil: Les obligations, 6e éd., Paris, Dalloz, 1996, no. 1078-1082, p. 866-870; A. WEILL et F. TERRE, Droit civil, Vol III, «Les obligations», 4e éd., Paris, Dalloz, 1986, no 876, p. 886-887.
[14] Ainsi, un paiement pourrait être attaqué après plusieurs années (un an après la connaissance, art. 1635 C.c.Q.), par tous les créanciers antérieurs (art. 1634 C.c.Q.) qui subissent un préjudice (art. 1631 C.c.Q.) et être annulé bien qu'il ait été effectué dans le cours ordinaire des affaires.
[15] In re Gérard Nolin Ltée: Banque canadienne nationale c. Bellavance, [1979] C.A. 168 .
[16] Voir Vincent KARIM, Commentaires sur les obligations, Volume 2, Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1997, page 379 et Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, 1995, page 462; Maurice TANCELIN, dans son ouvrage le plus récent, Des obligations, actes et responsabilités, 6e édition, Montréal, Éditions Thémis, 1997, no 914, pages 476-477, fait état du caractère irréfragable de la présomption de l'article 1632 C.c.Q. mais s'abstient de tout commentaire sur l'à-propos de ce choix législatif.
[17] Commentaires du ministre de la Justice, Tome I, le Code civil du Québec, page 1012; dans l'introduction à ses Commentaires, dont la communauté juridique québécoise était unanime à réclamer la publication, le ministre de la Justice explique le processus de confection de ces textes et ajoute que «[les] commentaires du Code civil du Québec visent à fournir certaines indications sur les motifs du législateur, […]». Le professeur Pierre-A. CÔTÉ, dans Interprétation des lois, 3e édition, Les Éditions Thémis, 1999, Montréal, dit de ces commentaires qu'ils ont «le caractère d'une doctrine officielle dont le juge devrait tenir compte» (page 526). Daniel JUTRAS, «Le ministre et le Code-essai sur les Commentaires», dans Mélanges Paul-André Crépeau, Cowansville, Éditions Yvon Blais Inc., 1997, parle de «doctrine officielle». Dans Doré c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862 , le juge Gonthier s'interroge sur le poids qu'il convient de leur accorder; il est d'avis qu'il faut leur reconnaître un «statut particulier» (page 872), tout en rappelant qu'ils «ne constituent pas une autorité absolue» et qu'ils «ne lient pas les tribunaux» (page 873) (voir, sur le même sujet et au même effet, les remarques de mon collègue le juge Baudouin dans Verdun (Municipalité de) c. Doré, [1995] R.J.Q. 1321 , pages 1326-1327). Plus récemment, la Cour rappelait l'utilité des Commentaires «pour montrer l'intention du législateur» (Poulin, succession c. Duchêne, [1999] J.Q. no 4593, le 5 octobre 1999, les juges Baudouin, Rousseau-Houle et Thibault, para. 19).
[18] On sait qu'en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois, il peut arriver que le tribunal, confronté à une omission ou insuffisance du texte législatif, corrige la situation en recourant à la technique de l'interprétation élargie (en anglais, «reading in») afin d'ajouter au texte sous étude, un concept, une notion ou une règle de droit qui n'y figure pas, pour le rendre conforme aux principes de la Constitution (Schacter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679 ; Haig c. Canada (1992) 94 D.L.R. (4th) 1 (C.A. Ontario); Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 499). Il s'agit là d'une forme de réécriture de la loi, un remède ou mode de réparation permis en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois. Ce n'est pas, bien sûr, ce dont il s'agit en l'instance.
[19] L'article 142 de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil diffère, à l'égard des lois autres que le Code civil et le Code de procédure civile, l'application de la règle d'interprétation contenue au second alinéa de l'article 2847 C.c.Q. jusqu'à ce que les dispositions législatives utilisant les expressions «réputé» ou «présumé» aient fait l'objet d'une analyse approfondie.
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.