DÉCISION
[1] Le 9 novembre 1999, Agence de personnel L. Paquin Inc. (l’employeur) dépose une requête en contestation d’une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendu le 22 octobre 1999, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient sa décision du 1er octobre 1997 avisant l'employeur que la lésion professionnelle subie par monsieur Christian Gousy, le 29 novembre 1995, lui est entièrement attribuable et qu'il n'a pas démontré que son accident a été causé par la faute d'une tierce partie en vertu de l'article 326 alinéa 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[3] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision du 22 octobre 1999 de la CSST et d'imputer le coût des prestations de la lésion du travailleur aux employeurs de plusieurs ou de toutes les unités, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 326 de la loi.
LES FAITS
[4] Le 29 novembre 1995, monsieur Christian Gousy, qui est camionneur chez Transport Bourassa, est victime d'un accident du travail qu'il décrit ainsi dans sa réclamation:
«[…]
Mon camion était sur la glace je ne pouvait plus avancé. Jai essayé avec "Traction Aid" mais je ne réussissais pas, un autre camionneur a voulu m'aide en tirant mon camion avec une chaîne. J'était en train d'instale la chaîne quand l'autre camionneur sans le vouloir est partie pendant que j'instalais la chaîne.
[…]» (sic)
[5] Le 15 février 1996, la CSST accepte la réclamation du travailleur.
[6] Le travailleur était employé par l'Agence de personnel L. Paquin Inc. Le 27 août 1996, l'Agence de personnel L. Paquin présente une demande de transfert d'imputation, en vertu du deuxième alinéa de l'article 326 de la loi, alléguant que l'accident est attribuable à un tiers.
[7] Le 1er octobre 1997, la CSST rejette la demande d'imputation de l'employeur estimant que l'on n'a pas prouvé que l'accident a été causé par la faute d'une tierce partie.
[8] L'employeur conteste cette décision. Le 22 octobre 1997, la CSST dans une décision en révision confirme sa décision du 1er octobre 1997, estimant que la responsabilité d'un tiers dans cet événement n'est pas établie.
[9] À la suite de cet événement, le travailleur a une atteinte permanente évaluée à 11,50 %.
[10] À l'audience, monsieur Daniel Bourassa, vice-président des opérations pour la compagnie Bourassa, a témoigné. Il est vice-président depuis cinq ans. Il s'occupe des répartiteurs de longues distances et des opérations reliées au transport. Il a été informé par monsieur Guy Racette, qui est en charge des opérations, que monsieur Christian Gousy aurait été victime d'un accident du travail alors que son camion s'était embourbé dans la cour d'un client et qu'un camionneur tiers s'est offert d'aider le travailleur à se déprendre de la situation dans laquelle se trouvait le véhicule.
[11] Monsieur Bourassa explique que les camionneurs ne possèdent pas de chaînes et que les politiques et procédures de la compagnie obligent le camionneur à communiquer avec le répartiteur lorsqu'une telle situation se produit pour qu'on envoie une remorqueuse, les camionneurs ayant comme instructions de ne pas utiliser de chaînes ou d'autres moyens à cause des dommages souvent importants que cela peut causer au véhicule. Il ajoute que l'entreprise n'a jamais eu ce genre d'accident. Le représentant de l'employeur allègue que l'événement qui est survenu est entièrement attribuable à une cause externe de l'entreprise soit à un tiers, c'est un camionneur externe à l'entreprise qui a offert de l'aide au camionneur de l'employeur. Il prétend que lorsqu'on examine les dispositions de l'article 326, on n’exige aucunement qu'il y ait un pourcentage de responsabilité relativement à l'attribution d'un événement à un tiers et, que l'article, au surplus, ne fait aucune référence à la notion de risque particulier relié à l'activité économique de l'employeur.
[12] Or, pour l'employeur, c'est le tiers qui est entièrement responsable de l'accident et il serait donc injuste de lui imputer les coûts reliés à la lésion de son employé.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[13] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l'imputation des coûts reliés à la lésion subie le 29 novembre 1995 par Monsieur Gousy doit être imputée aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités. L'article 326 de la loi énonce ce qui suit:
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[14] L'employeur prétend que l'accident survenu à son travailleur, le 29 novembre 1995, est entièrement attribuable à un tiers et que de toute façon, les dispositions du deuxième alinéa de l'article 326 n'exigent aucunement que le tiers concerné soit majoritairement responsable de l'événement.
[15] Une telle prétention ne peut être retenue par la Commission des lésions professionnelles. En effet, la notion « attribuable », dans le contexte de l'article 326, signifie que le tiers doit être majoritairement responsable de l'événement, sinon le législateur aurait parlé d'un tiers qui est partie à la survenance de celui-ci. C'est la position de la jurisprudence majoritaire de la Commission d’appel[2].
[16] Peut-on conclure à la lumière des faits que la responsabilité de l'événement est entièrement attribuable à un tiers? Pour l'employeur, le fait qu'un autre camionneur ait offert d'aider son employé constitue la preuve que la blessure subie résulte de la négligence du tiers et que n'eût été de son intervention, il n'y aurait pas eu d'accident.
[17] Or, la preuve démontre dans un premier temps que Monsieur Gousy, contrairement aux directives de son employeur, qui étaient de communiquer avec son répartiteur dans le cas où son camion est enlisé afin qu'on lui envoie une remorque, a préféré accepter l'offre du camionneur tiers. Déjà, il s'agit là d'une faute de la part de l'employé de Transport G. Bourassa. Au surplus, relativement à la survenance de l'événement, on ignore, lorsque le tiers a commencé à tirer, quelle était la nature des communications qui avaient eu lieu entre Monsieur Gousy et le tiers camionneur.
[18] Tout ceci amène la Commission des lésions professionnelles à conclure que l'employeur n'a aucunement démontré que le tiers concerné était majoritairement responsable de l'événement survenu. C'est à l'employeur qu'appartient le fardeau de la preuve. Il doit établir qu’il n’est pas majoritairement responsable de l’accident. Comme il y a faute de l'employé de ne pas avoir respecté les directives de l'employeur et qu'il n'y a guère de précisions sur ce qui a pu inciter l'autre chauffeur à commencer à tirer la chaîne qui n'était pas tout à fait attachée, on est loin d'être en mesure de considérer que le tiers est majoritairement responsable de l'événement. Cela en soi suffirait à disposer de la réclamation de l'employeur.
[19] Par ailleurs, dans l'hypothèse où l'on conviendrait que l'entreprise a établi par une preuve prépondérante la faute d'un tiers, reste à déterminer si l'imputation a pour effet :
[…]
de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers.
[…]»
[20] La disposition législative utilise l'expression «faire supporter injustement à un employeur». L'adjectif «injustement» doit donc être interprété dans le contexte de la disposition. Le texte ne dit pas que le coût des prestations dues, en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers, doit être imputé aux employeurs de plusieurs ou de toutes les unités lorsqu’un tel accident est attribuable à un tiers. Comme on a inséré l'adjectif « injustement », il faut donc donner un sens à cette disposition.
[21] Or, la jurisprudence majoritaire de la Commission d'appel a interprété cette disposition comme signifiant qu'il y a lieu de tenir compte de la notion de risque particulier relié à l'activité économique de l'employeur lorsqu'on doit déterminer la situation d'injustice de cet employeur. La Commission des lésions professionnelles s'en réfère particulièrement aux décisions de Institut Philippe Pinel de Montréal et Deschambault, [1995] CALP 652 ; Entreprises Vibec Inc. et Rochette [1995] C.A.L.P. 756 ; Les Supermarchés G.P. Inc. et CSST, C.A.L.P. 78054-03-9603, 96-11-11, commissaire M. Carignan; G8-10-03, révision rejetée, 97-03-27 et évocation rejetée 1998 C.A.L.P. 479 .
[22] La Commission des lésions professionnelles ne peut partager et, ceci dit avec beaucoup d'égards, la conclusion de la Commission d'appel dans la décision de Gestion Serge Bourgeault Inc. et CSST - Lanaudière et Maurice Baillargeon[3] qui estime que l'article 326 ne fait aucunement référence à la notion de risque particulier relié à l'activité de l'employeur et qui conclut que l'analyse de l'article 326 doit plutôt porter sur la question suivante : si l'imputation de l'employeur serait injuste parce que l'accident est attribuable à un tiers.
[23] La Commission des lésions professionnelles ne partage pas cette prétention parce qu'on ne voit pas en quoi alors il serait juste de faire supporter à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident attribuable à un tiers. Cette notion d'injustice ne peut être interprétée qu'en regard de l'examen de l'activité économique de l'employeur sinon le législateur aurait parlé pour ne rien dire.
[24] Dans la présente instance, l'activité de l'employeur consiste au transport de marchandises par des camions. Il est prévisible et normal vu les changements climatiques qui surviennent au Québec et au pays, qu’un camionneur puisse voir son véhicule embourbé dans la glace, la neige ou la boue. C'est de l'avis de la Commission des lésions professionnelles un risque inhérent à l'activité économique.
[25] La Commission des lésions professionnelles estime donc que l'employeur, même sous cet aspect, n'a pas démontré que l'imputation aurait pour effet de lui faire supporter injustement les coûts des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers. Il est à souligner que l'employeur est une compagnie affiliée de la compagnie de Transport G. Bourassa et qu'elle fournit les camionneurs à l'entreprise.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la contestation de l'Agence de personnel L. Paquin Inc.
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Me Neuville
Lacroix |
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Commissaire |
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Mario Turner 2675, rue
Beaubien Est Montréal
(Québec) HlY 1G8 |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., chap.
A-3.001
[2]
Équipement Germain Inc. et Excavation
Bourgoin et Dickner Inc.,
C.A.L.P. 36997-03-9203, 94-09-30,
commissaire J.-G. Roy [J6-21-05]; Protection
Incendie Viking Ltée et Prairies, C.A.L.P.
51128-60-9305, 95-02-02, commissaire J.-C. Danis, révision rejetée, 95-11-15,
Anne Lacroix; Les Industries Pard Inc. et
CSST, C.A.L.P. 44280-08-9210, 95-09-08,
commissaire F. Poupart; Général
Motors du Canada Ltée et CSST,
[1996] C.A.L.P. 866
, révision rejetée
97-03-20, R.V.; Northern Télécom Canada Ltée et CSST,
[1996] C.A.L.P. 1239
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[3] [1997] C.A.L.P. 309
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.