Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Chemins de fer nationaux du Canada

2015 QCCLP 1572

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gatineau

18 mars 2015

 

Région :

Mauricie-Centre-du-Québec

 

Dossier :

509690-04-1304

 

Dossier CSST :

139214340

 

Commissaire :

Marie Langlois, juge administrative

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Chemins de Fer Nationaux du Canada

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 12 mai 2014, l’employeur Chemins de Fer Nationaux du Canada dépose une requête par laquelle il demande la révision ou la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 21 mars 2014.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille en partie la requête de l’employeur, modifie la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 avril 2013 à la suite d’une révision administrative et déclare que la quote-part de l’employeur, qui doit être établie quant au paiement des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 8 mars 2012, est de 94,05 %

[3]           Une audience portant sur la requête en révision ou en révocation est tenue le 25 février 2015 à Montréal. L’employeur est représenté par un avocat. La cause est mise en délibéré au terme de l’audience.


L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande que la décision du 21 mars 2014 soit révisée et demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’a pas à supporter de quote-part du coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 8 mars 2012.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de réviser la décision du 21 mars 2014.

[6]           La Commission des lésions professionnelles peut réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue uniquement pour l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).. L’article 429.56 se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[7]           Ainsi, pour pouvoir bénéficier de la révision ou de la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, une partie doit démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs prévus par le législateur à la disposition précitée, sans quoi, sa requête doit être rejetée.

[8]           Comme l’énonce la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles[2], le pouvoir de révision ou de révocation prévu à l’article 429.56 de la loi doit être considéré comme une procédure d’exception ayant une portée restreinte.

[9]           La jurisprudence rappelle invariablement que le recours en révision ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :

429.49.

(…)

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[10]        En l’espèce, l’employeur invoque un vice de fond de nature à l’invalider en application du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[11]        Comme le rappelait la Cour d’appel en 2005 dans les affaires Fontaine et Touloumi[3], une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel insiste sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitant et incitant la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue lorsqu’elle est saisie d’un recours en révision. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle pourra être révisée[4]. D’ailleurs, dans une récente décision[5], la Cour d’appel reprend avec encore plus d’emphase ces principes dans les termes suivants :

[65]      Nous l’avons vu, un vice de fond n’est pas une divergence d’opinions ni même une erreur de droit. Un vice de fond de nature à invalider une décision est une erreur fatale qui entache l’essence même de la décision, sa validité même.

 

[66]      Les qualificatifs utilisés par la Cour ne manquent pas : « serious and fundamental defect, fatal error, unsustainable finding of facts of law », décision ultra vires ou légalement nulle.

 

 

[En italique dans le texte original]

[12]        De plus, le recours en révision, sous prétexte d’un vice de fond, ne peut constituer un appel ni une invitation faite à un second juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle du premier juge administratif[6]. Le recours en révision ou en révocation n’est donc pas une occasion permettant à une partie de bonifier sa preuve ou de peaufiner ses arguments[7]. La requête en révision ou en révocation n’est pas non plus un outil destiné à assurer la cohérence des décisions administratives[8]. D’ailleurs, la Cour d’appel reconnaît que le système de droit administratif admet la théorie du pluralisme interprétatif[9]. Il ne s’agit pas non plus d’une occasion pour faire à postériori ce qui aurait pu être fait lors de l’audience initiale ou pour s’en plaindre.

[13]        En l’espèce, l’employeur soumet que la première juge administrative commet une erreur manifeste et déterminante correspondant à un vice de fond de nature à invalider la décision du fait qu’elle déclare que la CSST a procédé à une fermeture administrative du dossier du travailleur par sa décision rendue le 21 novembre 2001. Il soutient que la première juge administrative se devait de considérer les conséquences de cette décision du 21 novembre 2001 et de déclarer qu’en l’absence de lésion professionnelle, il n’avait pas à supporter quelque quote-part que ce soit pour la période précédant le 21 novembre 2001.

[14]        Qu’en est-il?

[15]        Afin d’analyser la portée de la décision du 21 novembre 2001, il y a lieu de noter que le travailleur entre au service de l’employeur le 25 septembre 1969 à titre de  wagonnier, puis à partir du 7 février 1997, il est promu chef d’équipe. Son dernier jour de travail est le 2 février 2003. Par la suite, il travaille pour un autre employeur de septembre 2004 à juin 2006.

[16]        Le 4 octobre 2001, il fait une réclamation pour surdité professionnelle. La CSST rend une décision le 21 novembre 2001 qui se lit comme suit :

Objet : Refus de la réclamation

 

Monsieur,

 

Nous avons reçu les documents concernant la réclamation pour une lésion de surdité relative à la présentation d’un audiogramme du 2 octobre 2011. Nous vous informons que nous ne pouvons accepter cette réclamation pour la raison suivante :

 

Il n’est pas possible de statuer sur la présence d’une lésion professionnelle de surdité compte-tenu qu’aucun rapport médical ne nous a été soumis pour que l’on puisse poursuivre l’étude de votre réclamation.

 

En conséquence, aucune indemnité ne vous sera versée.

 

(…)

 

[Soulignements ajoutés]

 

[17]        Cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de révision de sorte qu’elle est devenue finale.

[18]        Le 8 mars 2012, le travailleur dépose une nouvelle réclamation pour surdité professionnelle, accompagnée de la preuve médicale appropriée. La réclamation est acceptée par la CSST.

[19]        Par la décision du 21 mars 2014, la première juge administrative conclut que la décision du 21 novembre 2001 constitue une fermeture administrative du dossier. Elle retient que la CSST ne s’étant donc pas prononcée sur le mérite du litige, elle n’a donc pas disposé des conséquences financières à l’égard de l’employeur. La première juge administrative s’exprime comme suit :

[45]      Tout d'abord, quant au premier argument de l'employeur, la Commission des lésions professionnelles ne peut y faire droit puisqu'il appert qu'en rendant sa décision du 21 novembre 2001, la CSST a, en réalité, procédé à une fermeture administrative du dossier du travailleur. En effet, la CSST a statué qu'elle ne pouvait poursuivre l'étude du dossier compte-tenu qu'aucun rapport médical n'avait été transmis par le travailleur.

 

[46]      Le mérite de la réclamation du travailleur n'a pas été évalué et par voie de conséquence, la CSST n'a pas disposé de la responsabilité financière ou de la quote part de l'employeur eu égard à cette réclamation.

 

[47]      Le tribunal ne peut donner une portée plus grande à la décision du 21 novembre 2001 que ce qu'il en est en réalité. Il s'agit en fait de la fermeture administrative du dossier qui n'emporte aucune conséquence financière pour l'employeur, que ce soit en sa faveur ou en sa défaveur.

 

[48]      Aussi, au moment de recevoir la décision de la CSST rendue le 28 janvier 2013, l'employeur n'est pas forclos d'exercer ses droits et de présenter une preuve quant à la durée d'exposition et l'importance du danger dont il est question. L'employeur n'a gagné ni perdu aucun droit par la décision du 21 novembre 2001 puisque tel que déjà mentionné, il s'agit d'une fermeture administrative.

 

[49]      La CSST pouvait donc considérer les années antérieures au 21 octobre 2001 afin d'établir la quote-part de l'employeur.

 

 

[20]        La soussignée considère que la première juge administrative commet une erreur dans son analyse. En effet, elle omet de tenir compte du fait que la décision du 21 novembre 2001 est une décision de refus de réclamation qui comporte des effets juridiques. Cette décision est en réponse à la réclamation faite par le travailleur le 4 octobre précédent pour une surdité professionnelle. L’objet de la lettre est clair, il s’agit d’un refus de réclamation. Ce refus entraîne des conséquences juridiques, à savoir qu’aucune indemnité ne sera versée au travailleur. C’est ce que la décision prévoit. Le motif étant que le travailleur n’a pas fourni la preuve médicale nécessaire pour permettre à la CSST de poursuivre l’étude de sa réclamation.

[21]        Par sa décision du 21 novembre 2001, la CSST a clairement tranché pour ce qui est de la surdité professionnelle antérieure à octobre 2001. Elle a refusé par manque de preuve de nature médicale. Cette décision n’ayant pas été contestée, elle est devenue finale de sorte que la Commission des lésions professionnelles était liée par cette décision tant en matière d’indemnisation que de financement.

[22]        La première juge administrative commet donc une erreur manifeste dans sa façon de qualifier la décision du 21 novembre 2001. Il ne peut s’agir d’une simple fermeture administrative du dossier, puisque la CSST a tranché de façon finale sur le sort d’une réclamation du travailleur. Cette erreur est déterminante en ce sens qu’elle emporte le litige, puisque la première juge administrative a considéré la période antérieure à novembre 2001 pour établir la quote-part de l’employeur quant au paiement des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 8 mars 2012.

[23]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la décision du 21 mars 2014 comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

[24]        Pour corriger l’erreur commise, il y a lieu de modifier le pourcentage de quote-part de prestations à payer pour la lésion professionnelle du 8 mars 2012 pour être ramené à zéro.

[25]        En effet, n’eût été l’erreur commise, l’employeur ne se serait vu imposer aucune quote-part de prestations à payer du fait que le travail effectué, après le 4 octobre 2001, chez l’employeur ne comporte pas de danger de nature à engendrer la surdité professionnelle qui affecte le travailleur. C’est la conclusion qui s’impose à la lumière de l’analyse effectuée par la première juge administrative. En effet, celle-ci énonce :

[51]      Comme deuxième argument, l’employeur soutient que même si le travailleur a été wagonnier une partie de sa carrière, le 7 février 1997, il est promu à un poste qui s’exerce presque exclusivement dans les bureaux. À partir de là, il n’est plus exposé à un environnement bruyant et cette période ne peut être considérée dans le calcul de la quote-part qu’il doit payer puisque le travail n’est pas de nature à engendrer la maladie professionnelle du travailleur.

 

[52]      Après analyse de la preuve, le tribunal retient cet argument et est d’avis que la configuration des bureaux et la faible exposition du travailleur à des sources de bruit à partir du 7 février 1997, ne peuvent avoir contribué à la surdité professionnelle du travailleur. Il ne s’agit donc pas d’un travail de nature à engendrer la maladie professionnelle du travailleur au sens de l’article 337 de la loi.

 


 

[26]        Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur a fait la démonstration que la décision du 21 mars 2014 doit être révisée. Procédant à corriger l’erreur, la Commission des lésions professionnelles conclut que la quote-part attribuable à l’employeur pour la lésion professionnelle du 8 mars 2012 est de zéro.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision ou en révocation de Chemins de Fer Nationaux, l’employeur;

RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 21 mars 2014;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 8 avril 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la quote-part de l’employeur, qui doit être établie quant au paiement des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 8 mars 2012, est de zéro.

 

 

 

 

 

Marie Langlois

 

 

 

 

Me Pierre-Yves Arsenault

Dufresne Hébert Comeau

Représentant de la partie requérante

 

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Voir entre autres Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[3]           CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).

[4]           Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).

[5]           Moreau c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2014 QCCA 1067, par. 65 et 66.

[6]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée 22 janvier 2004 (30009).

[7]           Bossé et Mirinox, C.L.P. 352202-31-0806, 6 novembre 2009, C. Racine, (09LP-158).

[8]           Moreau  c. Régie de l’assurance maladie du Québec, précité, note 5, par. 71.

[9]           Idem, par. 71.

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